RENCONTRES DE LITTÉRATURE FRANCOPHONE EN RÉGION CENTRE, DU 20 MARS AU 5 AVRIL 1997

 

 

COLLOQUE : À QUOI SERT LA POÉSIE ?

 

 

Dans le cadre des cinquièmes ambassades en région centre, consacrées à la poésie, j’ai assisté au colloque intitulé "À quoi sert la poésie", à la faculté des lettres de Tours.

Sur l’estrade, il y avait une longue table derrière laquelle cinq poètes (tous des hommes) et un modérateur étaient assis pour tenter de répondre à cette interrogation : "À quoi sert la poésie ?", si la poésie sert à quelque chose bien sûr ...

Présentons d’abord chacun des poètes :

Jean-Claude PINSON est né en 1947 dans la banlieue de Nantes. Il enseigne l’esthétique à l’université de Nantes. Il a écrit entre autres deux recueils, deux essais philosophiques. C’est un théoricien qui a aussi publié un essai sur la poésie contemporaine. Notre modérateur le présente comme un philosophe et un poète. Il garde l’espoir : "Non, la poésie n’est pas morte".

Jean-Paul GEORGES est né en 1949 à Chinon et est instituteur à Romorantin. Il traque obstinément les manifestations de son mal dans le plus banal des instants avec un humour décapant, inattendu mais drôle même s’il est parfois désabusé.

Paul-Louis ROSSI est né en 1933 à Nantes. C’est un poète romancier et un essayiste. Il est l’un des membres de la revue "L’Action Poétique".Il vient de faire paraître deux romans aux éditions Minerve, "Le vieil homme" et "La nuit". Son livre de poésie "Faïences", paru en avril 1995 vient d’obtenir le prix de l’académie Mallarmé. Dans celui-ci, il allie l’esthétique et la fragilité des mots.

Christian PRINGENT est né en Bretagne. Il est poète, écrivain et professeur. Il enseigne au Mans. Son écriture vient du plus profond de sa chair, de ses entrailles. C’est un cri de révolte. Il crache son amertume venue de son inconscient avec des mots crus comme dans son livre en prose sorti en 1989, "Commencement".

Henri DELUY est essayiste, traducteur, poète et membre de "L’action Poétique". Des écrivains présents, c’est peut-être celui qui connaît le mieux la poésie contemporaine. Il organise des biennales de poésie en Val de Marne.

 

Après ces présentations, chacun des interlocuteurs va prendre la parole pour aborder le thème proposé pour cette soirée : "À quoi sert la poésie ?" puis nous déclamer quelques-uns de leurs poèmes, poèmes qui sont par eux-mêmes une seconde réponse à cette question.

Tout d’abord, Henri DELUY nous confie qu’il n’attend rien de la poésie car il en a attendu beaucoup ... La poésie ne sert-elle à rien ? Pourtant ce poète n’hésite pas à dire qu’il y consacre sa vie. La poésie reste, même sans désir, mémoire, vie profonde de la langue, vie intérieure de l’humanité.

Pour Christian PRINGENT, la poésie est un des moyens d’expression de l’ordre du mur, de l’obstacle : "Les mots se fraient un passage pour s’exprimer, pour ouvrir des brèches, arracher quelque chose". Dans la poésie, il y a pour lui la sensation de renoncement, affaissement, d’assujettissement. Pour illustrer ses dires, il nous lit des extraits de son livre "Une phrase pour ma mère" (Éditions POL), livre de deux cent pages, poème qui s’enroule en une seule phrase avec un leitmotiv qui revient, lancinant : "Ma mère, je m’en souviens" et le subconscient et l’inconscient refont surface en des jets de cris qui déferlent à toute allure sur un mode érotique, agressif, sensuel. C’est l’inexprimé de "Ma mère".

Paul-Louis ROSSI prend les objets sans sens, par exemple un lexique pour en faire un objet. Le signifiant vient se coller là à travers cette espèce de rhétorique vers une érotisation du texte et vers l’expression de la mort. Il insiste sur le fait qu’il faut savoir s’arrêter dans la démarche de dépouillement du langage à l’extrême, à l’infini pour ne pas tomber dans le danger d’un langage qui n’existerait plus. Il nous lit alors des extraits de "Élévation Enclume" composé exclusivement à l’Ile d’Yeux et dont voici quelques bribes caractéristiques de sa recherche : "Unique pierre buvant ciel et sang ...", "Un goût de fumée adorée pour son manque...", "Tracer des signes dans un risque d’éternité...".

Jean-Claude PINSON lui, prend le risque d’un langage philosophique pour se placer au niveau de l’universel.

Par contre Jean-Paul GEORGES pense qu’aucun mot ne lui appartient : "Je veux vivre mais ma peau se sépare du monde". Le plus étonnant, c’est qu’il se dégage de ses textes un humour imprévisible, par exemple dans son livre "Réveil pénible", dans le poème "Un vide", il écrit :

"Si on met une pierre à la place d’un homme,
Cela fait plus ou moins de vide".

ou dans "Laboratoire" : "La vie finira bien par commencer"

et "Il n’y a aucun avenir pour ce qui commence".

À quoi sert la poésie ?
À chacun, sa réponse.
Du pessimisme profond (la poésie va disparaître), à l’expression philosophique des mots, il y a des chemins innombrables qui passent par l’humour corrosif, l’érotisation des sens, la mise à nu douloureuse de l’inconscient, le questionnement de l’amour et de la mort.

Décidément la poésie n’aura jamais fini de nous surprendre.

 

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

Avril 1997