DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

QUAND UN ENFANT SE DONNE « LA MORT »

 

de Boris Cyrulnik

 

aux Éditions Odile Jacob, Paris, 2011, 158 pages

 

 

Le neuropsychiatre, Boris Cyrulnik, a écrit de nombreux ouvrages à succès. Dans le livre Quand un enfant se donne « la mort », l’écrivain parle d’un thème jamais abordé, celui d’un enfant qui se tue. Il veut aider parents et enfants à mieux se comprendre, à mieux s’aimer pour que ces gestes irréversibles deviennent de plus en plus rares.

Le suicide est « la deuxième cause de mortalité chez les jeunes de 16-25 ans, après les accidents de la circulation » (p. 7). Souvent les gens préfèrent nier, ne pas voir cette triste réalité, la dissimuler. Mais Boris Cyrulnik nous donne l’espoir d’arriver à agir avant l’acte définitif, par la compréhension de cet engrenage et par une aide appropriée. Il nous montre qu’il existe des zones du cerveau stimulées ou éteintes selon notre vécu, favorisant ou non le passage à l’acte. Les facteurs fragilisant un enfant, sont nombreux. Mais « une tendance n’est pas un destin » et « aucune histoire n’est une fatalité » (p. 15) de même que « L’accident n’est pas accidentel quand une conduite la rend probable. » (p. 18)

Il faut responsabiliser l’enfant, lui donner un rôle plutôt que de mettre tout à la portée de sa main, sans effort : « Une défaillance environnementale, superficielle ou momentanée suffit à déclencher une violence autocentrée, sur un organisme encore incapable de la maîtriser. » (p. 20) « La déresponsabilisation provoque (…) une sorte d’appauvrissement existentiel. » (p. 21) Plutôt que de tout donner sans que l’enfant ait un effort à faire, « il faudrait leur donner le droit de donner. » (p. 22) L’appauvrissement des relations, le désengagement familial ou culturel déconnectent l’enfant et le rend plus vulnérable. Boris Cyrulnik nous dit aussi que « la modernisation augmente la vulnérabilité suicidaire des femmes. » (p. 25) Nous avons besoin d’être utile, de partager car cela seul donne un sens à nos vies et non les objets qui nous engloutissent dans un univers dénué de sentiments qui nous entraîne au mal d’être, à l’isolement.

Le suicide n’est pas un phénomène rare en France puisque « deux cent mille personnes tentent de se donner la mort. Onze mille y parviennent, dont mille adolescents et peut-être une centaine d’enfants. » (p. 26) Cette évolution de la société est liée à l’abandon du sens de la vie qui entraîne la souffrance psychique.

Bien sûr tout contexte grave, « la mort d’un parent, une dépression maternelle, un conflit conjugal » (p 34), blesse les fondations du psychisme : « Son cerveau atrophié capte mal la sérotonine qui est une substance apaisante. Le petit vient d’acquérir une vulnérabilité biologique parce que ses parents ont souffert autour de lui ! » (p. 34)

Bien sûr, il y a une explication chimique à ce processus et nous comprenons que le stress, les chocs émotionnels graves vont s’inscrire dans les cellules gardant mémoire et fragilisant le tout petit : « (…) un bébé (…) s’affole à la moindre information et la biologie du stress (cortisol, catécholamines) non seulement altère certaines cellules cérébrales du système limbique (mémoire et émotions), mais augmente de plus la méthylation des cellules nourricières qui entourent les neurones. » (p. 39) En neuropsychiatre, Boris Cyrulnik aborde le côté chimique du processus : « une privation affective précoce provoque une atrophie des neurones préfrontaux qui, lorsqu’ils sont bien connectés, doivent inhiber la flambée de l’amygdale rhinencéphalique, socle neurologique de l’émotion. » (p. 58) Sinon il n’y a pas de garde-fous et l’enfant ne peut plus s’apaiser. Il reste sur le qui-vive en permanence. Cette « hyperéactivité émotionnelle » (p. 59) fragilise les relations et conduit aux impulsions.

Cependant souffrir ne veut pas dire se suicider. Il faut en plus, un appauvrissement sensoriel qui laisse se développer « une impulsivité auto-agressive ». (p. 43)

Il ne faut pas confondre impulsion et peur. La peur bien gérée peut faire grandir quand l’obstacle est surmonté ou accepté. Elle est alors « un renforçateur du moi ». » (p. 82)

Certains enfants en mal d’être, sont de mauvais élèves car le poids de leur vécu est trop lourd à porter. D’autres à l’inverse, s’investissent dans le travail scolaire pour oublier dans un univers où « ils sont en sécurité » (p. 84) et valorisés.

Boris Cyrulnik n’hésite pas à comparer les statistiques selon l’âge. À l’école, l’isolement peut être un facteur aggravant. Il existe en primaire, 12 % de conduites suicidaires ; au lycée, la tentation morbide est de 35 % ; à l’université, il y a 40 % d’idéations suicidaires. Boris Cyrulnik nous dit : « Plus le harcèlement intellectuel est violent, plus il peut faire naître l’idée de se tuer. Le désir de réussir éloignerait-il les jeunes du plaisir de vivre ? » (p. 85)

En Europe du Nord, le taux de suicide était très élevé. Après une mise en place d’une relation sécurisante pour les enfants scolarisés et des épreuves éducatives, le taux des suicides a diminué de 40 %. (pp. 88 et 89) Le Japon tient de tristes records de suicides ; le mode éducatif très strict et peu épanouissant pour l’enfant à qui on demande de réussir à tout prix, est l’une des raisons majeures.

Boris Cyrulnik veut qu’à toutes les étapes de la vie, nous cherchions des solutions pour une prévention primaire (avant le mal d’être), secondaire (au début de l’installation du trouble) et tertiaire. La prévention tertiaire « cherche à réparer les troubles existants : retrait affectif, isolement, décrochage scolaire, auto-agressions. » (p. 113)

Boris Cyrulnik nous explique que « L’action est un excellent tranquillisant. Les garçons en ont besoin plus que les filles (…). » (p. 126) En agissant, l’enfant se responsabilise, s’engage, prend des décisions et s’enferme moins dans un cercle d’isolement et de ressassement de ses pensées. Il s’ouvre à l’extérieur. De même « L’affection, en tissant les liens de familiarité, sécurise l’enfant et lui donne le plaisir de faire l’effort d’explorer le monde mental des autres et d’acquérir des connaissances abstraites. » (p. 127) Sans amour, la vie n’a plus de goût, nous le savons tous et l’enfant en subit les conséquences.

Une vulnérabilité émotionnelle peut être acquise, « gravée dans le cerveau de l’enfant par la souffrance parentale (…) » ou par une déficience éducative, un trouble psychiatrique. (p. 138) Le suicide prend alors « la valeur d’un révélateur de dysfonctionnements sociaux ». (p. 138)

Boris Cyrulnik nous met en garde : « Quand les privations sont insidieuses et répétées à une période sensible du développement, elles s’inscrivent dans la mémoire biologique et historique de l’enfant, altérant fortement la représentation de soi. » (p. 139) Ces privations d’amour, peuvent influer à vie sur la personnalité et fragiliser l’enfant lentement et de manière moins visible qu’un choc unique et plus grave. L’enfant n’a plus confiance en lui et a du mal à se construire car il lui manque des bases, des repères.

« Finalement ce qui protège le mieux l’enfant, c’est un « village » » (p. 140) car un village, c’est l’évitement de la solitude, le vécu de groupe, la possibilité de choisir une personne de référence qui corresponde à notre attente.

« Ce qui tisse le mieux son attachement, c’est l’apaisement de ses angoisses et non pas la satisfaction de ses besoins » (p. 140). En effet, pour se construire, l’enfant a besoin de liens solides et durables et de se sentir aimer – comme l’adulte mais celui-ci est moins vulnérable s’il a eu une enfance constructive –. « La solidarité qui structure les rituels quotidiens et donne sens à l’existence » (p. 140), est la dernière de ses trois conditions qui sont indispensables à l’épanouissement de tout être, et encore plus d’un enfant.

Boris Cyrulnik remarque que le passage à l’acte a lieu préférentiellement « en saison chaude, en début de semaine et en fin de journée » (p. 141), peut-être parce que ce sont des moments de « relâchement culturel et familial où l’enfant est laissé seul avec ses pulsions morbides ? » (p 141) La plupart du temps, il s’agit de « violences éducatives » ou « au contact de parents malades physiquement ou psychiquement. » (p. 141)

Par bonheur, la prévention est efficace et permet de se reconstruire (p. 144). Alors Boris Cyrulnik nous propose un programme dès la toute petite enfance, autour de l’école, de la famille, dans la culture, pour éviter ces mises en place si néfastes de troubles graves et douloureux.

« Il suffit d’une pichenette pour passer à l’acte, comme il suffit d’un mot pour se raccrocher à la vie. » (p. 151) Alors sachons dépister l’enfant en mal d’être dès les débuts de sa vie et proposer des mesures adaptées pour le plein épanouissement de chaque vie.

 

6 mars 2012

Catherine RÉAULT-CROSNIER