DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

LA PREMIÈRE GORGÉE DE BIÈRE

ET AUTRES PLAISIRS MINUSCULES

 

de Philippe DELERM

 

aux Éditions Gallimard, collection L’Arpenteur, 1997

 

 

Philippe DELERM est né en 1950. Il a publié aux éditions du Rocher « La cinquième saison », « Un été pour mémoire », « Le bonheur-tableaux et bavardages », « Le buveur de temps », « Le miroir de ma mère », « Autumn » (qui a reçu le prix Alain Fournier en 1990), « Les amoureux de l’hôtel de ville », « Mister House », « L’envol », « Sundborn ou Les jours de lumière », aux éditions Champ Vallon « Rouen », aux éditions Gallimard « La première gorgée de bière ».

C’est ce dernier livre que j’ai ouvert, qui m’a étonnée de part son style très contemporain et à la fois un peu vieillot dans le sens de la recherche de la réminiscence des souvenirs enfouis, ce livre dont je vais vous confier mes impressions.

Oui, ce petit livre de 95 pages n’a pas fini de nous surprendre. Déjà les titres des chapitres suscitent notre interrogation et laisse la possibilité à notre esprit de vagabonder : « Un couteau dans la poche, Le paquet de gâteaux du dimanche matin, Aider à écosser des petits pois, Prendre un porto, L’odeur des pommes, Le croissant du trottoir, Le bruit de la dynamo, L’inhalation… »

Dans la routine des faits quotidiens, les gestes deviennent mécaniques comme boire, mais les sensations peuvent se transformer en pensées philosophiques : « À chaque coup de langue en rouge et noir monte plus fort le lourd velours. Chaque gorgée est un mensonge. » (p. 17)

Dans la banalité de la simplicité, l’importance de l’impalpable, des impressions visuelles est omniprésente : couteaux, gâteaux, petits pois, pommes, croissant, mûres, bière, objets statiques s’opposent à la vitesse du vécu avec la dynamo, l’autoroute, le train. Ainsi nous sommes emportés à travers la mécanique concrète à réfléchir sur nos sensations :

« On entre dans la cave. Tout de suite, c’est ça qui vous prend. Les pommes sont là, disposées sur des claies - des cageots renversés. » (p. 18)

ou bien dans un autre lieu :

« Le téléviseur peu à peu devient insupportable, et on l’éteint. » (p. 52)

Le temps passe : « Du temps perdu, du temps gagné ? » (p. 53). Nous sommes « les esclaves du stress urbain » (p. 53). Dans la description du trottoir roulant de la station Montparnasse, « On s’y engage avec la même appréhension que sur les escalators des magasins. Mais ici, pas de marches dépliées comme des mâchoires d’alligator. Tout se fait dans l’horizontalité. » (p. 53) et on éprouve une sensation de vertige, alors que le cinéma nous offre une autre sensation, celle d’un « flottement ouaté » dans lequel « il faut apprivoiser ce volume rebondi, mi-compact, mi-moelleux » dans « une lumière d’aquarium » (p. 55).

Étrangeté des descriptions qui ne sont pas celles de tout le monde et en même temps déclenche chez le lecteur, une reconnaissance de sensations déjà ressenties et non un fait nouveau :

« Mouiller ses espadrilles, c’est connaître l’amère volupté d’un naufrage complet. » (p. 66)

On glisse avec l’auteur dans la mollesse du bien-être ou dans le vertige de la mouvance au gré des chapitres. De même la voix n’a pas un seul sens :

« Ce n’est pas ce que l’on dit qui compte, mais ce qu’on entend. C’est fou comme la voix seule peut dire d’une personne qu’on aime » (p. 86).

Gestes répétitifs de l’enfance, images sauvegardées dans notre mémoire puis réapparues à l’occasion d’un déclic de vie… Gestes simples de la vie quotidienne, banalité de l’acte. Pourtant du mécanisme de la vie routinière, ressort une étrange impression de force et d’importance. Les sensations prennent le pas sur le concret, le souvenir existe plus que la réalité. Notre vie est alors suspendue entre aujourd’hui et hier ; elle ne peut exister sans son passé. C’est, je pense le message subtil qu’il faut savoir décoder au fil de ce livre qui ne peut qu’envoûter le lecteur qui n’a pas oublié son enfance et l’importance du rêve.

 

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

Novembre 2001