DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

JOURS DE COLÈRE

de Sylvie GERMAIN

aux Éditions Gallimard, NRF, 270 pages, 1989

Prix Fémina, 1989

 

 

Sylvie GERMAIN est née à Châteauroux. Elle est professeur de philosophie à l’école française de Prague. Elle a publié auparavant aux éditions Gallimard, « Le livre des nuits », « Nuit d’ambre » et aux éditions Maren Sell & Cie, « Opéra muet ».

« Jours de colère » se déroule dans les forêts du Morvan et concerne des familles de bûcherons dont certains sont envieux des biens de la terre. Ce roman est imprégné de la folie de la vie. Concrètement, plusieurs personnes sont folles mais celui qui égorge une femme, celui qui en profite, s’empare des biens et manie ses enfants dans l’obsession de la vengeance, ne sont-ils pas plus fous que les fous ? :

« Cette haine était plus ancienne. Elle était de toujours. Car toujours ce père avait été brutal, autoritaire, le cœur âpre et plein d’orgueil, l’âme en courroux. Un cœur si racorni que la mort prématurée de sa femme ne l’avait pas atteint, pas même effleuré. (…) Ephraim pressentait que ces raisons tues par son père avec tant d’obstination devaient être louches, et même viles, terribles. » (p. 54)

Ephraim, le fils bien aimé, veut imposer son choix ; il a choisi comme femme, une fille de l’ennemi de son père. Elle est difforme de grosseur mais il a eu pour elle, un coup de foudre irraisonnée :

« Comme si la continuelle faim qui hantait le corps de Reinette-la-Grasse frayait dedans sa propre chair des dédales brûlants où sans fin s’engouffrait le désir. Faim et désir se confondaient pour lui en un même flamboiement, un même tournoiement. » (p. 54 et 55)

Ce roman mêle le tragique dans une fougue de narration et les faits s’enchaînent au rythme du galop de la vie qui passe, égrenée de malheur :

« c’était pas la vie qu’elle aimait, vrai, c’était la douleur de l’âme, rien que la tristesse. C’était une ensorcelée. » (p. 65)

Pourtant certains membres de la famille acceptent la vie telle qu’elle est :

« La tendresse elle-même est élan, vivacité, flamme qui brûle, qui brûle ! (…) Nous sommes ainsi faits, nous sommes ce que nous sommes et nous ne changerons pas. » (p. 106)

Le lyrisme et la beauté poétique persistent même dans le drame :

« Le corps de haine, le corps de splendeur, le corps fou de désir. Corval, Catherine et lui-même. Trois corps extrêmes, corps de colère et de vengeance. » (p. 117)

Le corps égorgé dans un élan d’amour bafoué resurgit perpétuellement, d’une manière lancinante, dans l’accomplissement d’une vengeance qui n’en finit pas de s’assouvir :

« Il était un arbre de chair et de sang hanté par la beauté de Catherine. » (p. 119)

Et cette femme reste :

« Épouse de la mémoire des morts » (p. 126)

Cette femme morte est permanence dans l’obsession qu’elle a créée chez deux hommes :

« Ce regard qu’il n’avait jamais vu que figé par la mort et dont il s’était saisi comme s’il avait été l’amant vers lequel courait Catherine ce matin-là. » (p. 176 et 177)

À l’opposé de Catherine, la morte qui emplit le roman, Camille est là bien vivante, opposante, même si elle est aussi au centre d’enjeux :

« La Vive, la Vouivre, sa vivace passion dressée entre tendresse et violence tel un splendide geste d’arbre, de lumière et de vent. » (p. 183)

La beauté des mots revient sans cesse et sans lasser le lecteur pris au jeu des émotions. Les paroles pour exprimer l’indicible, trouvent ici leur chemin :

« Emporté, Simon ne l’était plus vers le dehors, vers les autres, par l’allégresse ou la colère, par le désir ou l’engouement ; il était emporté en lui-même, au plus profond, au plus vide et obscur de lui-même. Emporté vers le dedans, vers la solitude de son cœur arraché à tout et à tous. (…) Chassé vers le nulle part, le silence, rien. » (p. 200)

Le sens premier de la vie renaît car même si les êtres meurent :

« Les rêves ce sont nos yeux dans la nuit. » (p. 203)

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

Février 2006