DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

LA MORT ET L’ENFANT

 

d’Elisabeth KÜBLER-ROSS

 

aux Éditions du Rocher/Éditions du Tricorne, 1986, 247 pages

 

 

Le Dr Elisabeth Kübler-Ross est née en 1923 à Zürich (Suisse) et décédée en 2004. Psychiâtre et psychologue américaine, elle est pionnière de l’approche des soins palliatifs et de l’aide en fin de vie. Elle est connue pour sa théorisation des stades à l’approche de la mort et son attention aux expériences de mort imminente. Ses livres ont eu beaucoup de succès. Les titres sont significatifs du message qu’elle veut transmettre comme La Mort est un nouveau soleil, La Mort, dernière étape de la croissance, Vivre avec la mort et les mourants (tous aux éditions du Rocher).

Dans son livre La Mort et l’enfant, Elisabeth Kübler-Ross nous donne ses réflexions et conclusions face aux enfants mourants ou condamnés qu’elle a côtoyés, pour nous aider à accepter que toute vie se termine un jour et à garder « humains » les derniers moments de la vie. Elle veut aussi donner du courage à l’entourage démuni devant la perte d’un être cher. Elle est persuadée intuitivement d’une force spirituelle ancrée au plus profond de chacun et qui se révèle dans les moments essentiels de la vie en particulier à l’approche de la mort.

L’ombre de la mort déstabilise notre fonctionnement routinier et nous rend maladroit. Le mourant se retrouve face à sa solitude tandis que celui qui reste se sent maladroit et mal à l’aise : « Il y a des milliers de personnes qui, dans les moments difficiles, n’ont personne qui les aide, qui veuille bien leur parler, qui leur accorde compréhension et bienveillance dans leurs sentiments de chagrin, de déception, de colère et d’anxiété » (p. 24)

On n’entend souvent dire : « Il n’y a plus rien à faire » quand on ne peut plus traiter médicalement une personne pour la sauver. Mais pourquoi s’acharner sur le corps ? Le plus important, n’est-il pas la présence aimante et attentive plutôt que l’acharnement thérapeutique utopique et cruel ? L’amour est plus fort que la mort alors laissons-lui la première place et ne nous activons pas en gestes désespérés qui nous empêchent d’aller à l’essentiel, d’entrer en contact avec la personne.

Souvent devant notre impossibilité de poser un geste médical, on endort la personne mais le souhaite-t-elle ? Elisabeth Kübler-Ross nous le dit : « Combien de temps faudra-t-il pour faire admettre au corps médical que le valium est, à sa façon, aussi néfaste que le cancer ? » (p. 31) « On a donné, on donne encore du valium à quantité de ces êtres qui souffrent, au lieu de leur donner une attention humaine et la possibilité d’extérioriser leurs émotions douloureuses : on les laisse ainsi dans un état qui n’est ni la mort, ni la vie. » (p. 24) J’irai même plus loin, je dirai qu’on leur vole leur propre mort. Il faut laisser la possibilité à chacun de partir en paix c’est-à-dire de pouvoir accueillir « la mort en amie. » (p. 164)

Si une personne nous regarde à un stade difficile de la vie et donc encore plus à l’approche de la mort, tout prend son sens et l’amour est vainqueur : « Il suffit d’un seul être humain qui prenne soin de nous ! » (p. 26) Ce n’est pas un soin corporel bien sûr, c’est un regard, un geste de tendresse, une présence vers une « écoute sympathique offerte par un être humain, qui a lui-même trouvé son équilibre, et qui ne redoute pas de laisser le patient exprimer sa souffrance et son angoisse » (p. 31).

Guérir le corps n’est pas toujours possible mais avec de l’amour, guérir l’âme doit être possible. Elisabeth Kübler-Ross nous affirme : « C’est vous-même qui pouvez le mieux la guérir, vous-même, avec votre cœur, votre âme (…). Il s’agit simplement d’être en contact, de garder le contact, d’entrer en relation, de suivre la même allure, de voyager du même pas. » (p. 44)

Elisabeth Kübler-Ross nous parle des enfants d’un camp de concentration. Sur les murs, ils ont dessiné avec leurs ongles, juste avant d’entrer dans les chambres à gaz, de petits papillons puis elle pense à tous les enfants : « Vos enfants, aussi, au moment de mourir, savent qu’ils vont pénétrer, libres, sans encombre, en un lieu où l’on ne souffre plus, un pays de paix et d’amour où le temps n’existe pas et d’où ils pourront vous joindre à la vitesse de la pensée. » (pp. 56 et 57)

Ne pas vouloir prolonger la vie à outrance est sagesse, celle d’Elisabeth Kübler-Ross. À quoi sert de bombarder un être en fin de vie, de traitements, piqûres, transfusions, en multipliant les hospitalisations dans des services où il est déraciné, délaissé ? Pour quoi l’empêcher de mourir alors qu’il partirait naturellement autrement ? Pourquoi prolonger son agonie ? Est-ce par peur de notre propre mort que l’on voudrait reculer pour toujours ? Avec un exemple à l’appui, l’auteur nous confie son désarroi : « Quand j’entends dire que David pourrait vivre jusqu’à 65 ans, ou davantage, dans l’état où il est, je suis bouleversée. » (p. 65) « Ils subsistent, et ne vivent pas, dans des maisons de santé pourvues d’un déploiement de moyens techniques, ou chez eux où ils sont un terrible fardeau, matériel, affectif, pécuniaire, pour la famille et les personnes qui s’occupent d’eux. » (p. 66) On prolonge à outrance sans penser aux vies détruites, celle de celui qui souffre et aussi les autres avec l’impact psychologique sur tout l’entourage, petits et grands qui peuvent souffrir, déprimer ou être marqués à vie d’autant plus qu’ils culpabilisent et qu’on les oublie.

Elisabeth Kübler-Ross aborde « Les peurs qui limitent notre vie » (p 69). Parler de l’amour est souvent oublié quand on se fixe sur le corps malade et pourtant c’est l’essentiel : « L’amour est la plus grande énigme, mais c’est aussi la plus grande grâce que les hommes, de tout temps, aient reçue. » (p. 79), « l’amour sans réserves » (p. 99), car « L’amour endure tout » (p. 101), nous dit Elisabeth Kübler-Ross en se référant à la 1ère épître aux Corinthiens.

Un enfant malade est souvent gâté pour compenser, mais est-ce la bonne solution ? Elisabeth Kübler-Ross nous explique que l’enfant gâté devient capricieux, insupportable. Les parents sont alors mécontents de son ingratitude et c’est un « cercle vicieux de favoritisme et de ressentiment » (p. 81) qui est malsain et n’apprend pas à l’enfant à faire face à la maladie. L’amour, la présence et la douceur sont les plus beaux cadeaux que l’on puisse apporter sans leurrer l’enfant malade.

« Un deuil peut nous faire grandir » (p. 87) Nous oublions souvent que c’est dans l’adversité que nous devenons plus sages et savons apprécier la beauté et la bonté parce que nous approchons de la finalité de la vie qui est dans la mort. Positivons la vie quand cela est possible : « Si, au lieu de maudire notre destin pour ce que nous n’avons pas, nous faisions tous un petit effort pour être heureux de ce que nous avons, comme le monde serait transformé ! » (p. 104)

Elisabeth Kübler-Ross se rend compte que nous pourrions tous basculer un jour dans l’horrible ou dans le beau, selon les circonstances, que nous avons tous en nous, le germe d’Abel et de Caïn, que nous sommes en puissance « un Hitler » ou « une mère Teresa » (p. 116). Nous sommes tous ambivalents et devons nous battre pour faire émerger le meilleur de nous-mêmes. Pour vaincre nos « impulsions meurtrières », notre « désir de se venger » (p. 116), il faut nous appuyer sur la sagesse et sur l’amour, tout en reconnaissant notre fragilité. Elisabeth Kübler-Ross nous conseille de « Choisir la vie en dépassant la souffrance » (p. 163)

Il ne faut pas voler la mort des autres. Ce ne doit pas être un sujet tabou, une honte comme quand vient ce type de réflexion : « Vous devriez n’y plus penser, cela fait plus d’un an ! » (p. 182) Non, nous ne devons pas avoir honte de conserver le souvenir, l’émotion, l’amour : « Mieux vaut avoir aimé et perdu ce qu’on aimait que de n’avoir pas aimé du tout. » (p. 184) Nous devons vaincre notre réticence devant le corps mort car il n’est pas anormal de l’approcher et même de le toucher : « nous nous sommes approchés du cercueil, nous avons touché le corps et elles m’ont demandé pourquoi il était froid et dur (…), (…) il avait quitté son enveloppe terrestre et comme elle ne servait plus, elle n’avait plus besoin d’être douce, d’avoir la chaleur et le mouvement. » (pp. 193 et 194) « Beaucoup craignent la mort. Mais nous craignons seulement ce que nous ne comprenons pas. On ne peut avoir peur que si l’on est ignorant. Le corps n’est que le lieu de séjour pour l’âme, (…). » (p. 210)

Elisabeth Kübler-Ross veut nous faire tendre vers une certaine philosophie de vie : « Essaie toujours de sourire, peu importe de quoi (…) afin que ta lumière puisse éclairer, égayer la vie de ton prochain. » (p. 209) « Vivez un jour à la fois, mais vivez chaque jour comme s’il devait être le dernier. » (p. 208)

 

11 avril 2011

Catherine RÉAULT-CROSNIER