DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

CONTOURS DU JOUR QUI VIENT

de Léonora Miano

 

aux Éditions Plon, 277 pages, 2006

 

Léonora Miano est née au Cameroun et a déjà publié en 2005, un roman, « L’intérieur de la nuit » (aux éditions Plon), classé parmi les meilleurs livres de l’année. « Contours du jour qui vient » est paru en novembre 2006 et a reçu le prix Goncourt des lycéens 2006. Ces deux livres ont la même puissance d’écriture.

« Contours du jour qui vient » est bâti sur la vie de tous les jours. Il est bordé de deux citations : l’une pour débuter ce livre, est mystique et provient de L’Ecclésiaste, l’autre est sous le sceau de la poésie rédemptrice et provient d’un poème d’Édouard Glissant :

« (…) Ne soyez pas les mendiants de l’Univers (…) » (p. 277)

L’ensemble est fractionné en chapitres : prélude : absence (p. 15), premier mouvement : volition (p. 47), interlude : résilience (p. 129), second mouvement : génération (p. 149), coda : licence (p. 227). Ces titres sortent de la banalité et sont porteurs d’un message. L’auteur veut déjà nous faire signe car ses écrits sont orchestrés comme dans un morceau de musique et ont un souffle qui parle de sa volonté de passer à l’acte (volition) et de résistance aux chocs (résilience) car la vie peut être cruauté mais aussi réflexion.

L’Afrique est omniprésente ici. Léonora Miano décrit les simples faits du quotidien dans leur cruauté, avec leurs vices, leurs violences, la force de la puissance du sexe, des sectes et leurs conséquences sur la population générale :

« En trois ans, j’en ai vu passer, de ces filles. Elles viennent ici, y demeurent quelques semaines, des mois parfois, puis disparaissent. Je ne sais pas ce qu’elles deviennent, (…) » (p. 52)

« La police raflait les vagabonds dans ton genre. Des bandes de braqueurs sévissaient également, que l’envie de s’amuser avec toi pouvait titiller. (…) Très vite, tu as pris la place d’Epupa que son crime avait conduite en prison. Tu t’es mise à prêcher aux carrefours de la ville, ces lieux hantés par des esprits de toutes sortes. » (p. 75)

En parallèle de cette trame concrète, Léonora Miano laisse parler le cœur d’une petite fille que sa mère bat parce qu’elle ne l’a jamais acceptée :

« Toute cette colère n’a jamais rien eu à voir avec moi. Il m’a fallu arriver ici et devenir une ombre pour voir, au-delà des apparences, la détestation profonde que tu as de toi-même, de tout ce qui vient de toi. » (p. 20)

« Tu avais eu ce regard un peu fou qui précédait tes crises de violence, avant de déclarer qu’il n’y avait pas assez à manger pour nous deux. » (p. 21 et 22)

L’enfant passe du statut de l’enfant martyr à celui de l’enfant errant, avec toujours l’interrogation et la souffrance :

« Pourquoi les mères n’aiment pas forcément leurs filles. Pourquoi la douleur et l’errance, pourquoi la solitude et pourquoi la folie. » (p. 124)

« Le jour se lève et c’est toujours la nuit, puisque tu es encore là. Ma mère haineuse, ma mère assassine. » (p. 125)

Puis vient le temps de la solitude et de la faim, le temps de l’emprise de gens qui récupèrent les enfants à la rue. Elle avance sur ce terrain miné en essayant de comprendre la vie qui se déroule sous ses yeux, comme celle d’une autre petite fille si proche de la sienne :

« Elle ne sait pas comment se suicider. Son beau-père a abusé d’elle, et c’est elle qui se sent coupable. Sa mère l’a torturée, et c’est elle que la honte ne quitte plus. Le monde dans lequel elle vit ne l’autorise pas à se plaindre, (…) » (p. 108)

Le lecteur ne peut rester insensible à la vision du quotidien débordant de haine, sévices, famine, vols, meurtres, développements des bidonvilles. L’enfant pourra-t-elle accéder à son identité et comprendre sa mère ? Pourra-t-elle comprendre le sens de la vie parmi tous ses drames ?

« Où aller en partant de nulle part ? » (p. 231)

L’enfant aura besoin de revoir cette mère qui peut de l’extérieur, paraître inhumaine mais qui est plutôt une égarée, une malade déconnectée de la réalité dans ses accès de violence. Heureusement l’enfant a grandi et arrive à faire face à la réalité, à accepter l’image de sa mère déséquilibrée :

« Il m’arrive parfois de songer que rien de tout cela ne s’est pas produit, que j’ai simplement marché, que je me suis perdue, et que j’ai maintenant retrouvé mon chemin. » (p. 273)

« Savoir que la paix n’existe qu’en raison du tumulte, et le plaisir à cause de la douleur. » (p. 175)

« Le bonheur va et vient. On ne peut pas l’emprisonner. C’est un grand voyageur. » (p. 140)

« Ne m’enfante plus, mère : laisse-moi te recréer. » (p. 213)

Tout n’est pas fini. Une étoile se lève dans la nuit avec l’émouvante rencontre de la grand-mère et de l’enfant puis de l’enfant avec un garçon qui la suit de loin :

« J’ai une grand-mère qui dit que je suis chez moi et qui chante pour m’endormir. (…) Je suis une petite fille. Il a fallu marcher si longtemps, pour enlacer, ne serait-ce qu’un instant, la silhouette de mon enfance… » (p. 246)

« Soudain, il est devant moi et je me demande quel sentier il a emprunté. Il ne dit rien et me fixe des yeux. » (p. 256)

Alors le titre du livre rejoint les derniers mots prononcés par la petite fille et l’amour est esquissé à l’aube d’une possible renaissance :

« Je prends la main de Mbalé, et c’est le cœur ardent que j’étreins puissamment les contours du jour qui vient. » (p. 275)

 

22 janvier 2007

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

Mis en ligne avec l'aimable autorisation de Mme Léonora Miano, par courriel en date du 7 mars 2007.