DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

FRAPPE-TOI LE CŒUR

d’Amélie Nothomb

 

aux Éditions Albin Michel, 2017, 169 pages.

 

Amélie Nothomb, romancière belge d’expression française au succès immense, sort un livre par an depuis 1992. Grand prix du roman de l’Académie française pour Stupeurs et tremblements en 1999, elle n’a jamais fini de nous surprendre avec ces écrits captivants, décapants et sombres.

« Frappe-toi le cœur », ces paroles d’Alfred de Musset servent de titre à son livre. Amélie Nothomb nous entraîne sur des chemins imprévisibles. Nous suivons le flot de la vie de Marie, jeune, insouciante, belle, légère et envoûtante, voulant toujours avoir la première place aux regards des hommes, sans en choisir un. Enfin, suite au déclic d’un amoureux argenté et reconnu, passionnément épris, elle se marie et a très vite une fille. Son monde bascule car le bébé est magnifique et elle n’accepte pas cette concurrence.

Marie a besoin d’être le centre du monde, de ressentir la volupté des regards posés sur elle seule. Ressentir la souffrance des autres, hommes et femmes, était pour elle une grande jouissance.

L’élu, Olivier, « le plus beau garçon de la ville », « fils du pharmacien », « amoureux fou d’elle » est « gentil, drôle » (p. 10), sympathique, dévoué, attentif, prêt à satisfaire ses moindres désirs. Même si elle ne l’aime pas vraiment, ils se marient. Olivier correspond à son attente car il lui apporte l’aura d’une classe supérieure, l’argent, la renommée. Peu lui importe le reste qui pour d’autres, est l’essentiel.

Sa vie bascule en un instant, lorsqu’elle tombe enceinte rapidement. Olivier rayonne de bonheur mais pas elle. Elle n’accepte pas sa grossesse, se réfugiant dans le sommeil. Son mari attentif, prêt à tout, quitte même son travail à sa demande, pour lui apporter au lit des « œufs mollets », cuits juste avant, pour elle ! (p. 16)

Pendant neuf mois, elle ment à Olivier attendri de l’attente de ce petit, lui cachant qu’elle vit « sa grossesse comme une longue absence. » (p. 17) Elle reste indifférente. Pour elle, le fœtus est déjà un « étranger » (p. 18) et je dirai même, un intrus.

« Soudain, l’existence se métamorphosa » pour Marie (p. 28) car sa fille Diane juste-née, devient une rivale par sa beauté et son sourire béat. Marie, jalouse, s’occupe matériellement de l’enfant sans la regarder, juste pour les soins élémentaires alors que le père surinvesti, prend le relais dès qu’il est là, pour le bonheur de Diane. Étonnamment, à quatre ans, Diane, surdouée, aime sa mère et comprend à sa manière, qu’elle ne correspond pas à son attente. En effet, dans sa quête de gloire jamais assouvie, Marie « n’était jamais que pharmacienne et non Reine ». (p. 47)

À l’inverse, Diane, a soif d’amour maternel : « L’amour de la fillette pour sa mère était si grand qu’elle pourrait aller jusqu’à concevoir ce que sa naissance avait représenté pour Marie : la fin de son espoir d’idéal, la résignation. » (p. 47) Elle saisit à sa manière, l’injustice qui n’ira que crescendo après l’arrivée de son frère Nicolas puis de sa sœur Célia car sa mère les embrasse, leur parle mais pas à elle. Diane parvient « à outrepasser sa douleur » (p. 47) et continue d’aimer sa mère.

À l’école, elle refait surface car sa maîtresse est attentive à tous, et encore plus, quand son frère la rejoint. Dans son désarroi, Diane prie instinctivement. Amélie Nothomb affirme : « Ils ont un vague instinct, sinon du sacré, au moins de la transcendance. » (p. 50)

Avec l’arrivée de sa sœur, Diane prend conscience que le désamour de sa mère ne provient pas de sa condition féminine puisque Marie se comporte avec Célia comme avec son frère. Diane à cinq ans, ressent une grande souffrance qui aurait pu l’entraîner aux hurlements, à l’aliénation. « Hypnotisée par la scène, elle composa une adresse muette à celle pour qui elle aurait tout donné » (p. 54). Intérieurement, elle comprend l’injustice, la jalousie de sa mère ; elle prend conscience du désamour de sa mère envers elle : « tu m’aimes à peine, tu m’aimes si peu que tu ne penses même pas à dissimuler un rien ta passion folle pour ce bébé. » (p. 55) « Elle se transforma en une créature désenchantée dont l’obsession fut de ne pas sombrer dans le gouffre que cette situation avait creusé en elle. » (p. 55)

Sa mère continue de pouponner Célia bien au-delà de l’âge habituel, la gardant contre elle, dans un sac kangourou, pour « sentir en permanence l’amour de sa vie contre son ventre » (p. 61), la rendant inconsciemment dépendante, prisonnière d’elle. Dorlotée à outrance, Célia devient à l’école, une enfant « insupportable, habituée à ne subir aucune contrainte. » (p. 62) Alors, Diane, par sa voix ferme et aimante, l’aide à ne plus crier, ne plus faire de colères, à obéir aux consignes.

En grandissant, Diane ressent de plus en plus fort le désamour de sa mère d’autant plus qu’elle la voit prodiguer à outrance, devant elle, des étreintes à Olivier et à Célia. Diane manque de sombrer dans le désespoir. Son père le perçoit et propose à sa fille aînée d’aller vivre en semaine chez ses grands-parents, ravis de l’avoir, de l’aider et de l’aimer.

Quand elle revient, son père lui donne toujours des marques de son amour, son frère, Célia aussi mais en cachette.

Arrivée à l’adolescence, Diane se comporte différemment des autres filles, ne cherchant pas à être courtisée. Elle est respectée malgré tout : « quelque chose en elle suscitait la crainte et décourageait la bassesse. Sa mère continuait à être l’unique à ne pas être séduite. » (p. 78)

À l’âge adulte, Diane, à force de volonté, devient un médecin apprécié de tous.

Sa mère a oublié son désamour. Pour Diane, « À quoi cela rimerait-il d’adresser des reproches à une personne incapable de s’analyser, à plus forte raison avec autant d’années de retard ? » (p. 103). Pour Amélie Nothomb, ce n’est pas un hasard ; elle souhaite insister sur l’importance d’une action réfléchie en lien avec le présent et la conscience d’une erreur grave chez l’autre sinon tout est inutile et même destructeur pour soi et pour l’autre. Elle analyse avec justesse l’attitude de cette mère, « expression d’un narcissisme dévoyé ». (p. 104)

Ce comportement malsain n’est hélas, pas exceptionnel et l’auteur nous en donne d’autres exemples, celui d’un des professeurs d’université de Marie, à l’amitié possessive, étouffante et celui de Mariel, psychiquement maltraitée par sa mère. Marie adulte, connaîtra cette jeune et l’aidera dans son calvaire. (p 137)

Diane se reconstruit peu à peu psychiquement, prenant conscience que « le mépris était pire que la haine. Celle-ci est si proche de l’amour, quand le mépris lui est étranger. » (p. 162) Amélie Nothomb reprend les mots de Flaubert : « La bêtise, c’est de conclure » (p. 162). Oui, en face de l’absurdité nocive, le mieux est d’effacer peu à peu les dégâts et de se rebâtir.

Elle nous fait comprendre qu’il vaut mieux ne pas répondre.

Et l’assassin, où est-il ? Il faut attendre la fin du livre pour le comprendre à demi-mots. Mais nous pouvons nous poser la question, l’assassin est-il vraiment le coupable ou, même si Amélie Nothomb ne nous le dit pas directement, une autre personne bien pensante en façade et estimée de tous ?

 

8 mars 2018

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

Suite à l’envoi de cet essai aux éditions Albin Michel pour Amélie Nothomb, voici sa réponse du 29 mars 2018 :

Chère Catherine Réault-Crosnier,

Merci pour votre courrier que j’ai lu avec attention.
Votre essai est admirable. Je vous remercie de me lire avec tant de talent.
Bien cordialement.