DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

COMME UN CHANT D’ESPÉRANCE

 

de Jean D’ORMESSON

de l’Académie française

 

Éditions Héloïse d’Ormesson, 121 pages, 2014

 

Après de nombreux livres parus au fil d’une vie comme Au revoir et merci (1966), Au plaisir de Dieu (1974), Dieu, sa vie, son œuvre (1980), Presque rien sur presque tout (1996), Le Rapport Gabriel, après la vie, après le plaisir, après Dieu, après l’ange, que pouvait nous offrir Jean D’Ormesson ? Il manquait Comme un chant d’espérance, titre aux larges ouvertures sur l’immensité du monde et de l’être. Le voici, il vient de naître sous la plume d’un agrégé de philosophie qui ne se lasse jamais de se tourner vers un ailleurs ni de partager avec nous, ses réflexions venues des profondeurs de sa pensée, dans l’intime conviction qu’il existe rien qui est aussi tout.

Jean d’Ormesson commence son livre par une référence à un autre académicien, tourné lui aussi vers l’au-delà, François Cheng : « Contenant la promesse du Tout, le Rien désigne le Non-être, le Non-être n’étant autre que ce par quoi l’être advient. » (p. 7)

Il part à la recherche de nos origines au plus lointain perçu, du « big bang », « début absolu » (p. 26). « Le hasard règne sur les avatars de la matière, de la vie, de l’histoire. » (p. 28) Mais sommes-nous vraiment le fruit du hasard ? Pour lui, la création du monde « était, elle est, elle sera décidée et acquise de toute éternité. » (p. 36) Avec le temps, l’espace dont nous ne distinguons pas nettement le début et la fin, « le hasard tombé de cette main de l’Éternel » (p. 51).

Nous sommes liés au passé, au présent, au futur, trois en un, indissolubles, inséparables, liées de toute éternité. Pourtant le seul réel est le moment présent, si fugace… (p. 36), « Le présent est une espèce d’éternité au rabais (…), sans cesse pressé de passer et pourtant toujours là. » (p. 40) Il est antinomique de réunir le présent à l’ensemble du temps, passé, présent, futur et pourtant cette notion n’est pas inconcevable. Jean d’Ormesson nous fait partager ce « cauchemar apprivoisé », ce « vertige » du temps lié à la pensée. En effet, le temps nous entraîne dans une spirale, un tourbillon ; Jean d’Ormesson en tire une conclusion : « le temps est un miracle et l’éternité est toute simple » (p. 40) comme « Le début attire la fin. La mort est l’autre nom de la vie. » (p 42) Ainsi la mort ne devient plus une fin en soi mais un appel à son intégration dans le mouvement de l’univers, dans le temps et l’espace. « Jailli du néant, le monde, plongé dans le temps, est, dès son origine, un retour au néant. » (p. 42) Cette formulation pourrait nous paraître en contradiction avec la notion de création du monde « de toute éternité » (p. 36) Mais il ne faut pas juger sur un instant : il faut savoir attendre car le philosophe nous confie aussi : « Dieu est sans doute un mystère. (…) du mystère du rien est sorti le mystère de notre tout » (p. 46) : ainsi les oppositions au lieu de s’entrechoquer, se complètent, interfèrent l’une sur l’autre.

Comment imaginer le début du monde il y a « des milliards d’années ? » (p. 79) Jean d’Ormesson nous propose de jouer avec les oxymores dans le temps « si évident, si complexe et si improbable » (p. 46) « Pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien ? » (p. 54)

Jean d’Ormesson ne nie pas la difficulté d’exister, de vivre « La vie est une (…) épreuve pour l’homme doué de pensée et de liberté » (p. 77) ; il exprime cette notion avec beaucoup de poésie : « Le monde est une vallée de larmes. Et une vallée de roses. » (p. 66) Là encore, les deux termes s’opposent dans une sorte de complémentarité.

« Le problème du mal et de la souffrance n’en finit pas de tourmenter les hommes » (p. 68). Jean d’Ormesson retourne au début de la création « Et puis, la pensée surgit. Et le mal avec elle. » (p. 68) Il ne trouve pas de sens à lui donner.

Jean d’Ormesson part sur le chemin du mysticisme, affirmant : « Le propre du christianisme, qui se distingue à cet égard de toutes les autres religions, est que Dieu s’est fait homme et qu’il est amour. » (p. 87) « la doctrine de Jésus est un humanisme. » (p. 90) Jean d’Ormesson cite les paroles du Christ, paroles de charité, de don de soi : « Le royaume de Dieu est au milieu de vous… Aimez-vous les uns les autres… » (p. 89) Dieu et les hommes sont indissociables puisque « Si vous voulez aimer Dieu, il faut aimer les hommes. » (p. 91) Dieu est lié aux hommes comme les hommes sont liés à Dieu (p. 92), comme liés par un cordon ombilical. « Le monde n’existerait pas sans Dieu et il ne serait rien sans les hommes (…), étape obligée (…). » (p. 113)

Jean d’Ormesson repart dans l’immensité de l’univers et clame sa foi : « Dieu est dans le temps, dans la lumière, dans la marche des astres. Il est aussi dans le vent, et dans l’eau, dans la fleur qui s’ouvre (…). Il est aussi dans ce qui meurt et dans ce qui disparaît, dans le soleil qui se couche (…), avec le vieillard en train d’agoniser » (p 109). Je dirai même que Dieu est dans la nuit, dans nos nuits. Il a connu tous les états même la mort pour ressusciter et nous entraîner à sa suite.

Le philosophe nous confie un texte anonyme, placardé dans une église, comme chemin de vie et de sagesse, pour une confiance en la beauté au-delà de tout outrage :

« Allez tranquillement parmi le vacarme et la hâte
et souvenez-vous de la paix qui peut exister dans le silence. (…)
Avec toutes ses perfidies et ses rêves brisés, le monde est pourtant beau. »
(pp. 116 et 117)

Les dernières lignes de ce livre sont tournées vers « la gloire de Dieu » (p. 120), régnant sur « ce tout primordial dont l’autre nom est ce rien où nous retournerons et que, dans notre folie, nous appelons le néant. » (p. 121)

 

13 novembre 2014

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

Mis en ligne avec l’aimable autorisation de Jean d’Ormesson et des éditions Héloïse d’Ormesson (courriel du 1er décembre 2014).