Rencontre avec des poètes en région Centre, lors des cinquièmes ambassades de poésie.

 

JEAN-CLAUDE PINSON : POÈTE ET PHILOSOPHE

 

 

Jean-Claude PINSON est né en 1947 dans la banlieue de Nantes. Il enseigne l’esthétique à l’université de Nantes. C’est un poète et un théoricien. Parmi ses écrits, il a publié un traité de philosophie sur HEGEL, le droit et le libéralisme. Aux Éditions Champ Vallon, il publie en 1991 "J’habite ici", en 1993 "Laïus au bord de l’eau", en 1995 "Habiter en poète", en 1997 "Abrégé de philosophie morale".

Jean-Claude PINSON refuse le défaitisme qui est un trait de caractère de nombreux auteurs contemporains. Avec une ironie grinçante, il n’hésite pas à les qualifier de "mines de poissons tristes". Il se sent pleinement associé à ces philosophes et applique aussi ce terme à lui-même dans un but d’autocritique. Il veut rester réaliste bien qu’étant philosophe, rendre compte de la trame de la vie de tous les jours. Il aime jouer avec les titres puisque "Habiter en poète" n’est pas un livre de poésie mais de philosophie alors que "Abrégé de philosophie morale" contrairement aux apparences, est un livre de poèmes sur la matière ordinaire de sa propre existence.

Dans son livre sur Hegel, Jean-Claude PINSON nous parle des rapports entre individus pour garantir leurs droits face à l’État. Il pose le problème de la subjectivité de la liberté et du concept de la volonté. Il ne nie pas la particularité personnelle, le droit d’être soi-même. Loin de là, il l’exalte. Il veut une politique adaptée à l’individu, "une politique moderne qui ne soit pas une liberté illusoire manipulée par la main invisible de la substance". Il recherche dans l’expression de la diversité, le règne de la sagesse, du monde de l’esprit.

"Habiter en poète" est un essai sur la poésie contemporaine. Jean-Claude PINSON aborde l’actuelle problématique lyrique, celle de Francis PONGE, d’Yves BONNEFOY, ... Il veut "que le monde soit habité par la poésie et que philosophie et poésie s’unissent comme dans le romantisme allemand". "Avec Hegel, Holderlin et Schelling, s’ouvrait un âge poétique de la philosophie". Il questionne le monde :

"Comment habiter en poète lorsque l’on croit sans limite l’empire des langages binaires ou médiatiques ?"

Jean-Claude PINSON tente l’expérience de l’impossible pour arriver à un compromis, "véritablement habiter en une existence à la fois enracinée sur la terre et tournée vers le divin". Alors la poésie prendra pleinement sa place :

"La poésie est ce qui enracine l’acte d’habiter entre ciel et terre, sous le ciel mais sur la terre, dans la puissance de la parole".

Pour appuyer sa thèse, Jean-Claude PINSON cite Yves BONNEFOY, Jacques REDA, poète de la circulation lyrique, Fernando PESSOA. Ce qu’il veut, c’est "habiter une contrée davantage dansante".

Dans "Abrégé de philosophie morale", Jean-Claude PINSON veut être le poète du réalisme contemporain. Il n’hésite pas à mettre l’objet au premier plan, que ce soit "la boite à chaussures dans un paysage" ou un "magasin implanté" :

"Vague de supermarchés
Quelques arbres
Boites à chaussures posées là
Sans grand souci de faire un paysage,
Un charme encore un peu bucolique".

Il veut résolument aborder les problématiques contemporaines comme par exemple :

"On traverse le grand hall
Ces airs d’arrogance
Un peu dégling ..."

Il veut aussi parler de philosophie, de bonheur, de l’amour, de l’amitié. Étant professeur de philosophie dans un lycée, il relève le défi de mettre le poème dans la réalité quotidienne la plus concrète, la plus crue :

"Philologie, philosophie, philatélie, psychologie, ethnologie et compagnie".

Sur un ton familier, il veut faire comprendre le réel, même le plus insignifiant en apparence et lui donner un sens. Sa poésie est pulsion, rythme. Elle n’est pas spontanée mais travaillée. Il s’adresse au lecteur. La poésie n’est plus portée par la communauté. Il sait que le poète vit dans un rêve inaccessible.

Il décrit son cadre de vie de professeur au quotidien :

"On s’envole ... le dernier étage.
C’est là qu’est bien sûr la philosophie
( ... )
On suit de longs couloirs
Pays de lumignons dans la pénombre
( ... )
Moi qui rêvais d’être chéri
Des muses, c’est raté
Mais il est vrai
( ... )
Ce n’est pas le pays des fées".

Il n’hésite pas aussi à montrer qu’il est désabusé dans ses espérances :

"Comment échapper à la marée mercantile ( ... ) ?"

Il ne veut pas se leurrer. Il sait que les étudiants ne viennent pas que pour étudier :

"La fac est un bazar
Où l’on échange aussi
Ses facultés sexuelles
Sous le manteau
De l’herbe à planer".

La sexualité, la drogue font partie de la vie de nombreux étudiants ; il ne se leurre pas, certains "se font manger par de petits boulots (vendeurs de pizzas)", d’autres dorment peu, "ceux qui font aussi la nuit, la fête". Mais il faut garder espoir, "vivre en vue d’un bonheur mieux que mesquin".

Après la vie estudiantine, Jean-Claude PINSON part en Vendée, sur les plages, voir "l’agitation moléculaire de la matière humaine enveloppée dans la vibration bleue et ventée où se diluent les touches de couleurs des maillots, des parasols, des voiles ( ... ), parfum d’huile solaire, la mer est là sans être là". Le poète nous parle aussi des "maillots huilés d’otaries" en pensant aux "divinités marines". L’image paraît originale pourtant René BOYLESVE, au début du siècle, dans son journal "Les feuilles tombées", avait fait cette même comparaison avec les otaries. Quelle coïncidence ! Pour sa part, Jean-Claude PINSON l’utilise comme une image crue de la vie quotidienne.

L’auteur veut aller jusqu’au brutal néant de tout mais il aime aussi "longer à pied la Loire". Il place sa foi dans ses poèmes et il cite BATAILLE :

"L’œuvre d’art dans laquelle on ne sent pas passer le désir de prodige, ne peut être que médiocre".

 

En conclusion, Jean-Claude PINSON recherche le prodige dans les problématiques contemporaines ; il va "cherchant dans les montagnes la voix du vide" comme les poètes chinois et dans le monde où il vit, c’est un chercheur en marche. Il nous dit :

"On écrit toujours un peu pour sauver quelque chose de soi et du monde actuel auquel on appartient".

Puisse Jean-Claude PINSON continuer à chercher dans la réalité quotidienne, la présence de la poésie !

 

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

08.03.1998

Bibliographie :

Jean-Claude PINSON, Hegel, le droit et le libéralisme, PUF, philosophie d’aujourd’hui.

Jean-Claude PINSON, Habiter en poète, Éditions Champ Vallon, 1995.

Jean-Claude PINSON, Abrégé de philosophie morale, Éditions Champ Vallon, 1997.

Émission sur France-Culture, "Poésie sur paroles" de Jean-Baptiste PARAT, du 20 septembre 1997, sur Jean-Claude PINSON.

Rencontre avec des poètes en région centre, Éditions CRL, 1997, "Les ambassades 1997", colloque de TOURS, les 4 et 5 avril 1997.