DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

EVERYMORE

Edgar Allan Poe and the mystery of the universe

 

Par Harry Lee Poe

 

Éditions Baylor University, 213 pages, 2012

 

 

Après avoir fait paraître en 2008, son magnifique ouvrage Edgar Allan Poe : An illustrated Companion to His Tell – Tale Stories, le Pr Harry Lee Poe a publié fin 2012, Everymore Edgar Allan Poe and the mystery of the universe, un livre étonnant par la richesse des recherches du Pr Harry Lee Poe, qui nous fait découvrir de très nombreuses facettes de cet écrivain hors du commun et de son œuvre ; en plus de son attirance pour la science-fiction, le fantastique, nous approfondissons le côté philosophique, mystique, cosmologique d’Edgar Poe… Tout un univers s’ouvre devant nous. Au vu de la fascination qu’Edgar Poe a exercé sur Maurice Rollinat qui a même traduit de manière très personnelle, certains de ses poèmes, je vous propose une analyse de ce livre, validée par les Pr George Poe et Harry Lee Poe. Je les remercie infiniment, pour leur avis sur ce texte de présentation et leurs commentaires élogieux. Le Pr George Poe nous transmet les impressions de son cousin Harry Lee Poe qui « est très flatté par ce que vous écrivez et reste admiratif devant votre perspicacité critique et littéraire. » (courriel du 27 janvier 2014). Ce livre doit être lu par tous ceux qui aiment Edgar Poe et veulent mieux le comprendre.

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Ce n’est pas un hasard si le Pr Harry Lee Poe de l’Union University (USA), arrière-arrière petit-fils du cousin germain du père d’Edgar Poe, président émérite du Musée Poe de Richmond et lauréat du prix Edgar Poe 2009 pour son étude biographique sur Poe, a choisi pour titre de son livre, Everymore. C’est certainement en écho à Edgar Poe qui a écrit le poème le plus célèbre en Amérique, « The Raven » (Le Corbeau) qui répète « Nevermore » tout au long du poème. Harry Lee Poe a en effet choisi de traiter ici, non pas le « Nevermore » (Jamais plus) mais le « Evermore » (Toujours), pour plusieurs raisons : Edgar Poe n’a jamais fini de nous interpeller et de plus, la mort n’est pas pour lui, une fin en soi car il est persuadé que Beauté et Amour, « Beauty and Love » (p. 85) persisteront toujours dans l’univers.

Le Pr Harry Lee Poe a choisi un plan composé de chapitres aux titres significatifs : The Problem of Edgar Allan Poe, The Problem of Suffering (de la souffrance), The Problem of Beauty, The Problem of Love, The Problem of Justice, The Problem of the Universe et pour finir par Ex Poe’s Facto (Après le fait de Poe).

Harry Lee Poe détaille la vie de cet écrivain et nous entraîne vers la souffrance qu’Edgar Poe vit intensément. « Why do the innocent suffer? » (p. 31) (Pourquoi l’innocent souffre-t-il ?) Edgar Poe a aussi le sens de l’honneur exacerbé (p. 33) et un sens profond de la justice et de l’intégrité (p. 34). Il est marqué dès son jeune âge et tout au long de sa vie, par des deuils. « His preoccupation focused on Beauty » (p. 64). La Beauté (p. 59) est une exigence pour lui, à côté de « sadness », la tristesse (p. 67), de la « Melancholy » (p. 67). Si le chagrin et le désespoir dominent dans « The Raven » (Le Corbeau), ils côtoient une ordonnance rythmique et métrique (p. 70), magistrale qui caractérise l’attirance d’Edgar Poe pour une logique mathématique.

Harry Lee Poe nous montre qu’Edgar Poe tend aussi vers une vision cosmique de la Beauté, « Beauty tell us about the universe » (p. 80), vers une idée philosophique de la beauté en lien avec la poésie, « Beauty in ‘‘The Poetic Principle’’ » (p. 80). Il considère la beauté comme un immortel instinct de l’esprit humain, « ‘‘immortal instinct’’ of the human spirit », une représentation d’une « transcendent experience » (p. 80). Poe dépasse les frontières de la mort et va au-delà de la tombe, « beyond the grave » (p. 83) ; pour lui, la Beauté appartient à l’immortalité.

Edgar Poe est imbibé d’oppositions : tristesse et mort contrastent avec beauté et amour. En recherche de justice, il condamne la corruption de l’affection par exemple dans « A Black Cat », (p. 89), et la dépendance alcoolique – qu’il a vécu lui-même (p. 90) – et l’horreur de la violence (p. 90). Poe a affirmé alors son indignation morale (pp. 89 et 91). À l’opposé, l’amour pour Edgar Poe, peut être doux, dans ses poèmes, exprimant passion, force de conduite, affection calme, amitié (p. 86).

Harry Lee Poe ne cache pas la dépression maniaque d’Edgar Poe ni ses troubles bipolaires ; il nous explique que pour Poe, la douleur est le prix à payer pour l’amour, « Melancoly and sadness, the pain of grief » (p. 107), la douleur du chagrin.

Harry Lee Poe fait aussi référence à Shakespeare qui passionnait Edgar Poe (p. 102). Il montre l’imprégnation shakespearienne dans plusieurs œuvres d’Edgar Poe, par exemple dans « Three Sundays in a Week », assemblage de « science fiction », de « theory of relativity » et de « romantic comedy » (p. 102).

Dans « The Domain of Arnheim » (p. 103), l’imagination poétique domine à côté de la corruption de l’amour par la violence (p. 104). La mort n’est pas la mort pour Poe. En effet, au lieu de se poser la question de la survivance de l’amour après la mort, Edgar Poe se pose la question non de la fin mais de la source de l’amour, « source of Love » (p. 108). En conclusion de ce chapitre, la violence et l’amour chez Edgar Poe sont près de la joie et de l’horreur comme dans l’œuvre de Shakespeare (p. 107). Harry Lee Poe nous fait remarquer que tous deux ont la même vision de l’amour romantique, associant joie et folie d’aimer pouvant aller jusqu’à l’horreur (p. 107) et la perversité (p. 108).

Dans le chapitre « The Problem of Justice » (p. 109), le rôle de la justice est décrypté de manière philosophique à travers le mystère d’une histoire « The Murders in the Rue Morgue ». Tel un cryptogramme ou un puzzle (p. 117), les pièces s’emboîtent mathématiquement les unes dans les autres pour nous révéler en final l’énigme, « riddles » (p. 117) car Edgar Poe garde un raisonnement scientifique et même astronomique tout en se questionnant sur l’existence du mal, « the problem of evil » qui le hante (p. 109). Il développe des thèmes qui s’opposent puissamment, vrai et faux, bien et mal, « a powerful sense of right and wrong, good and evil » (p. 110).

De plus, Harry Lee Poe détaille la vision mystique de la justice dans l’œuvre d’Edgar Poe qui cite la Bible, par exemple le prophète Nathan et le roi David en tant que criminel réhabilité (p. 121). Edgar Poe est hanté par la perversité de l’homme et la notion de culpabilité (p. 123). Le crime devient perte de connexion avec la création et l’univers, « the loss of a sense of right and wrong destroys a person’s humanity » (p. 124). Pour Edgar Poe, la justice est au cœur de la compréhension de l’univers (p. 124) mais il faut aussi se défendre pour survivre, alors la suspicion peut conduire au meurtre (p. 127). Edgar Poe raisonne et rationalise comme Descartes et en même temps, incroyablement, se laisse guider par son imagination (p. 128). Il explore le problème de la souffrance, de la perversité, de la culpabilité à la recherche d’une vision universelle et d’une unité de pensée (p. 132).

Dans le chapitre « The Problem of the Universe » (p. 133), Harry Lee Poe développe la vision de la poésie d’Edgar Poe, animée d’un rythme, concourant à la création de la beauté, « rhythmical creation of beauty » (p. 133). Son poème en prose « Eureka » en est un exemple. Edgar Poe a aussi proposé une vision de la théorie cosmologique et astrophysique du Big Bang (p. 134). Dans un poème « Al Aaraaf » de son second recueil de poésie, astronomie et beauté ne sont pas incompatibles car « Poe was a rationalist and a romantic at the same time » (p. 135).

Familier de la Bible (p. 110), Edgar Poe croit à la création du monde comme lorsqu’il affirme : « Because Nothing was, therefore All Things are. » (p. 133), « Comme Rien n’était, donc Toutes Choses sont ». Dans « The plot of God » (Le plan de Dieu) (p. 143), Harry Poe nous montre qu’Edgar Poe perçoit Dieu à travers la souffrance physique de Jésus, de son incarnation (p. 144). Il est persuadé que pour être heureux, nous devons avoir souffert (pp. 144 et 145) et il relie la souffrance à la spiritualité (p. 145). De plus, il garde un côté spirituel (p. 147) à travers sa vision de la Beauté, de l’Amour, de la Justice (p. 147).

Edgar Poe a aussi été un des pionniers de la science-fiction en unissant rationnel et imagination. Dans « Eureka », sa vision cosmique anticipe Einstein (p.148). Avec Edgar Poe, nous côtoyons la gravité, l’électromagnétisme sans renier intuition et rêve en poésie. (p. 150)

Harry Lee Poe nous explique que pour Edgar Poe, le commencement de l’univers implique la volonté première de Dieu (p. 152) puis il montre que la science est changeante (p. 154) mais la Vérité immuable. Pour lui, attraction et répulsion (p. 156) s’accompagnent comme matériel et spirituel, « body and soul » (corps et âme) (p. 155). Il définit un Big Bang mais l’associe à la relativité, à l’évolution des espèces, le rend proche des mathématiques et de la poésie (p. 158). Il rejoint Lewis, Darwin, Boudha (p. 162) en acceptant l’idée d’annihilation.

Dans le chapitre « Ex Poe’s Facto », nous approchons le mystère de la vie et de la mort de Poe (p. 165), les théories proposées (p. 166), les essais d’explications de sa pensée (p. 167) qui est vaste et étonnante comme son explication de la préservation de l’identité individuelle après la mort (p. 170). Pour lui, Beauté, Amour, Justice viennent de Dieu et « La souffrance est le coût de la Beauté et de l’Amour » (p. 170). « God is Love », Dieu est Amour (p. 175) et Jésus ressuscité en est un exemple concret dans une vision cosmologique puisqu’il casse la perversité (p. 175) et réconcilie le monde (p. 174). De plus, pour Edgar Poe, science, religion et art sont « at the intersection of the rational, the empirical and the imaginative », à l’intersection du rationnel, de l’empirique et de l’imaginaire (pp. 175 et 176).

En conclusion, dans Everymore, le Pr Harry Lee Poe a décortiqué avec art et en profondeur, le fonctionnement de la pensée d’Edgar Poe, nous permettant ainsi de mieux connaître cet écrivain tant apprécié de Maurice Rollinat. Le regard d’Harry Lee Poe est étonnant sur la vie, les pensées et l’œuvre d’Edgar Poe avec ses contrastes, les mathématiques près de l’intuition, la philosophie, la théologie, le mystique près de l’astronomie, l’univers, le cosmique. Harry Lee Poe nous permet de mieux cerner la pensée d’Edgar Poe pour y trouver la source de la Justice, de l’Amour, de la Beauté près de la philosophie et du cosmos pour approcher l’éternité. Ses histoires extraordinaires emplies de rationalisme et de fiction, fascinent toujours le public. Il reste un mystère (p. 176).

 

Janvier 2013

Catherine Réault-Crosnier