MAURICE ROLLINAT ET LA POÉSIE VOLCANIQUE
(Conférence de Régis Crosnier illustrée de peintures à la cire de Catherine Réault-Crosnier, lue à quatre voix avec des poèmes mis en musique par Michel Caçao, à la médiathèque de Châteauroux le 8 mars 2025, dans le cadre du Printemps des Poètes.)
La poésie volcanique est une expression métaphorique difficile à cerner. Elle peut évoquer l’explosion notamment des passions, des émotions… Elle peut évoquer des transformations à l’instar d’une coulée de lave qui modifie le paysage. Elle peut aussi évoquer des dangers.
Chez Maurice Rollinat, certains de ses aspects peuvent se retrouver dans sa poésie. Il a été un observateur de la société de son époque. Dans sa jeunesse, il a beaucoup décrit la nature. Sa période parisienne a surtout été influencée par Edgar Poe et Charles Baudelaire. Quand il s’est installé à Fresselines, il a d’abord réfléchi sur les comportements humains, puis c’est la nature et la vie à la campagne qui l’ont principalement inspiré.
Il est difficile de parler de poésie volcanique par rapport à ses écrits de jeunesse. Néanmoins, il a composé une épopée « La sarabande infernale » qui peut entrer dans cette catégorie. Dans ce poème écrit d’un seul tenant, avec des vers longs, alexandrins, alternant avec d’autres plus courts, octosyllabes, pour opposer les rythmes en même temps que les idées et nous faire entrer dans une danse diabolique. Tout est frisson, épouvante, hurlements, gémissements, grouillements, ténèbres. La nature est déchaînée. L’angoisse va crescendo ; elle est de plus en plus pesante. Le final nous étonne car il s’oppose aux vers précédents : l’homme enfin, en dernier recours, a « invoqué le bon Dieu » et la paix est revenue.
La Sarabande Infernale La nuit était tombée : au lointain le tonnerre Hurlait de moments en moments ; Et parfois des éclairs illuminaient la terre Plus rapides que des torrents. Tout dans le monde alors dormait dans le silence, seuls, les chouettes, les hiboux, Gémissaient dans leur triste et fauve résidence : Les murs qui pullulent de trous. Dans le ciel nuageux ne brillait pas la lune ce merveilleux astre des nuits ; Et, parfois, les échos au milieu de la brune reproduisaient d’étranges bruits. Tout à coup, retentit au milieu d’une plaine une triste et lugubre voix, – Le silence pensif reprend son mort domaine – mais pour la deuxième fois ; Un bruit se fait entendre, et soudain une ronde de spectres, de gnomes affreux, d’êtres appartenant sans doute à l’autre monde se forme sur le val poudreux. La nuit était sans lune : au milieu des ténèbres ces maudits suppôts de Satan, Se livraient en hurlant à des danses funèbres sur le bord fauve d’un étang. Ils criaient en dansant, et l’écho de la lande retentissait lugubrement ; Et parfois aux clameurs de l’effroyable bande se mêlaient les sanglots du vent. Tout à coup, les clameurs et les rondes cessèrent ; L’écho résonnait d’un grand bruit : Puis, l’écho se taisant, elles recommencèrent… en ce moment c’était minuit. Mais, le bruit de nouveau, vint arrêter les danses : au loin le galop d’un cheval retentissait… alors des hurlements immenses s’élevant du groupe infernal, accueillirent ce bruit qui s’approchait encore… Bientôt un cavalier parut, monté sur un coursier blanc, qui d’un pas sonore arpentait la lande d’Orut. « Détruisons, détruisons, cet homme téméraire, crièrent pleins d’affreux transports, Les gnomes qui dansaient « voyons que veut-il faire Parmi des squelettes de morts. « cette lande est à nous, et celui dont l’audace veut affronter notre courroux auprès de nous, jamais ne trouve grâce toujours il périt sous nos coups. Et le nouveau venu vit la bande effroyable l’entourer d’un cercle fatal. Un prestige secret, grand, indéfinissable agissait sur le blanc cheval, car il ne bougeait plus, il n’avait plus d’haleine, et la sueur coulait à flots sur ses membres tremblants, ses jarrets avaient peine à se tenir sur leurs sabots. Mais soudain… Les démons rentrèrent dans la terre, La lune parût au ciel bleu ; C’est que le cavalier, ne sachant plus que faire avait invoqué le bon Dieu. Juillet 1863 (Poèmes de jeunesse…, pages 83 et 85) |
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Arrivé à l’âge adulte, il propose à l’éditeur Lemaire en 1871, Tentations ; ce premier livre comporte vraisemblablement des poèmes qui pourraient entrer dans cette catégorie, mais nous n’en connaissons pas le contenu.
Dans les cafés du Quartier latin ou aux séances des Hydropathes, il aimait dire « Le Soliloque de Troppmann », très long poème inspiré de l’histoire de Jean-Baptiste Troppmann, meurtrier de la famille Kinck. Cette affaire l’a beaucoup marqué. Il avait déjà écrit en 1871, un premier poème sur lui intitulé « Les Assassins » (inédit, collection particulière). Fernand Maillaud, dans ses notes pour une conférence prononcée le 22 février 1930 à Guéret, écrit : « Quand il venait à Paris, il m’emmenait voir Pantin et me racontait le drame de Troppmann en 70. Il cherchait le champ où il avait enterré ses victimes. ». On pourrait dire que cette affaire provoque chez Maurice Rollinat, une explosion des émotions. Voici la fin du poème :
LE SOLILOQUE DE TROPPMANN (…) Eh bien, non ! Satan mon compère J’allais jeter blouse et casquette, Je me drapais dans le mystère Eh bien, soit ! A la rouge Veuve Qu’importe ! Jusqu’à leur machine, Et maintenant, croulez, ténèbres ! (Les Névroses, pages 284 à 292) |
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Il participe en 1876, à un petit recueil collectif Les Dixains réalistes avec dix poèmes. Dans le numéro 46, une grenouille et un serpent se rencontrent et Maurice Rollinat nous donne le frisson, la gueule grande ouverte du serpent faisant penser à Satan. La conclusion est inattendue avec le poète qui se met dans la peau de la victime.
XLIV O funeste rencontre ! Au fond d’un chemin
creux (Les Dixains réalistes, page 48 – sera repris légèrement modifié dans Dans les Brandes, sous le titre « La gueule ») |
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Maurice Rollinat est un observateur de la vie parisienne. Il n’hésite pas à décrire ses travers, de ceux qui, tels une coulée de lave, peuvent détruire une vie. Dans « La Buveuse d’absinthe », il montre la déchéance de l’être humain avili mais jamais il ne se moque ; il garde une certaine pitié de l’être dépravé :
LA BUVEUSE D’ABSINTHE Au docteur Louis Jullien Elle était toujours enceinte, Elle vivait dans la crainte Par les nuits où le ciel suinte, Ceux que la débauche éreinte Dans Paris, ce labyrinthe Elle allait, prunelle éteinte, Oh ! cette jupe déteinte Sa voix n’était qu’une plainte, Quelle farouche complainte Je la revois, pauvre Aminte, Elle effrayait maint et mainte Quand elle avait une quinte Elle râlait : « Ça m’esquinte ! Or elle but une pinte Et l’agonie était peinte Quand son amant dit sans feinte : (Les Névroses, pages 270 à 272) |
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La nature peut aussi avoir un côté dévastateur, tel un volcan. Lorsque l’orage éclate et que la tempête se déchaîne, les conséquences peuvent être dramatiques comme dans le poème « L’Allée de peupliers » :
L’ALLÉE DE PEUPLIERS A Leconte de Lisle. C’était l’heure du rêve et de l’effacement : Pendue au bord des cieux pleins d’ombres et d’alarmes Et, comme un souffle errant de brasier refroidi, Ce fut donc par un soir lourd et sans lune bleue, Alors, les vieux trembleurs, si droits et si touffus, Mais l’orage éclata ; l’autan lâcha ses
hordes, Comme un frisson humain dans les vrais désespoirs |
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Maintenant le tonnerre ébranlait la vallée ; Sur des fonds sulfureux teintés de vert-de-gris C’était un bruit houleux, galopant,
élastique : Un vol prodigieux d’aigles estropiés Un vaste éboulement de sable et de rocailles Des fous et des blessés agonisant la nuit Mais, degré par degré, l’orage eut moins de
force, Et toujours, entre tous mes soirs inoubliés, (Les Névroses, pages 130 à 132) |
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L’homme peut aussi être malade. Dans le poème « La Céphalalgie », la douleur, ce « supplice inventé par Satan », telle une coulée de lave, envahit le cerveau et rend la vie très difficile.
LA CÉPHALALGIE A Louis Tridon. Celui qui garde dans la foule Celui qui s’en va sous la nue, Celui qu’une odeur persécute, Celui qui rase les vitrines Celui qui va de havre en havre, Celui qui chérit sa maîtresse Celui qui hante le phtisique, Celui qui, des heures entières, Celui dont l’âme abandonnée « Cette fois ! je me suicide Cet homme a la Céphalalgie, (Les Névroses, pages 300 et 301) |
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Le cratère d’un volcan en activité peut faire penser à « L’Enfer [qui] brûle, brûle, brûle » et on peut imaginer que « Le Diable [y] rôde et circule ». C’est ce que nous décrit Maurice Rollinat dans la « Villanelle du Diable ».
VILLANELLE DU DIABLE A Théodore de Banville. L’Enfer brûle, brûle, brûle. Il guette, avance ou recule Dans le bouge et la cellule, Il se fait fleur, libellule, Puis, la moustache en virgule, Partout où l’homme pullule, De l’alcôve au vestibule C’est le Monsieur noctambule Là, flottant comme une bulle, |
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Il est grand seigneur, crapule, En toute âme il inocule Il promet, traite et stipule Et se moquant sans scrupule Il rend le bien ridicule Chez le prêtre et l’incrédule Gare à celui qu’il adule Ami de la tarentule, – Minuit sonne à ma pendule : (Les Névroses, pages 323 à 325) |
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Le premier poème du livre L’Abîme s’intitule « Le Facies humain ». Il a été publié dans La Jeune France du 1er juin 1883, sous le titre « La Face humaine » et avec la date de mai 1883. Il y décrit sa déception par rapport à la vie parisienne, à travers des sentiments comme « la douleur et la honte, / La colère et l’orgueil, la peur et le regret ». Cette explosion de regrets est exposée avant qu’ « Impitoyablement [surgisse] la Vérité / Sur ce masque imbibé de la sueur de l’âme. »
LE FACIES HUMAIN Notre âme, ce cloaque ignoré de la sonde, Si la face de l’homme et de l’eau taciturne Pour l’esprit souterrain, c’est une carapace Peut-être y lirait-on la douleur et la honte, Qui donc a jamais vu les haines endormies, La joue, en devenant tour à tour blême et rouge, Se rapprochant ou non, battantes ou baissées, L’âme écrit seulement ce qu’elle veut écrire |
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Elle exerce avec art son guet et sa police Calculant sa mimique et dardant sa vitesse, La strideur de son cri profond et solitaire Et l’homme a beau savoir combien le Mal nous ronge. Pourtant, il vient une heure où le visage exprime C’est lui qui, du fin fond de cette cave obscure, Alors le facies du coupable qui souffre Et contre l’attentat qu’elle crie et proclame (L’Abîme, pages 1 à 5) |
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Installé à Fresselines, Maurice Rollinat continue à réfléchir à « l’Abîme humain », premier titre prévu pour son livre. Voici maintenant quelques extraits de poèmes montrant des défauts humains qui, telle une coulée de lave, peuvent envahir la société.
L’HYPOCRISIE Elle est dans l’homme et dans la bête, Mais c’est surtout dans l’âme humaine, (L’Abîme, pages 14 à 18)
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LA GRIMACE Avec certain sourire louche (L’Abîme, pages 43 et 44)
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LA MÉDISANCE La Médisance est un moustique Mais a-t-elle instinct ou tactique, (L’Abîme, pages 47 et 48)
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LA COLÈRE Tous, les naissants et les adultes, Comme l’ouragan tient les mers, (L’Abîme, pages 57 à 63)
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La vie à la campagne est bénéfique pour le poète. Dans ses livres La Nature et Paysages et Paysans, ses réflexions sont beaucoup plus positives. Son regard sur la société a évolué et il nous a été difficile d’y trouver des aspects volcaniques.
Dans Les Apparitions, on va retrouver des réflexions sur la condition humaine mais exprimées d’une manière plus calme. Néanmoins, dans le poème « L’Incendie », des expressions comme « l’Enfer », « la fournaise » ou « la tragédie / Diabolique de l’incendie » peuvent faire penser aux destructions causées par une éruption volcanique.
L’INCENDIE Ce jour-là, dissipant sa brume coutumière, A mi-côte, engourdi comme un lézard des pierres Une forêt flambait, brûlant les paysages, Je m’enfuis… sous mes pas le sol était pareil Diabolique de l’incendie !… (Les Apparitions, pages 204 et 205) |
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La poésie volcanique chez Maurice Rollinat concerne principalement sa période parisienne. Le flux des passions et des émotions s’est alors traduit dans des poèmes qui sont surtout des réflexions sur la société et les comportements humains qu’il dénonce.
Décembre 2024 / mars 2025.
Régis Crosnier.
NB : Pour avoir plus d’informations sur Maurice Rollinat et l’Association des Amis de Maurice Rollinat, vous pouvez consulter le site Internet qui leur est consacré.
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