Maurice Rollinat à Châteauroux

 

 

(Texte lu (sauf les poèmes) le samedi 7 mars 2015 lors du dévoilement du nouveau totem devant la maison natale de Maurice Rollinat à Châteauroux.)

 

Catherine Réault-Crosnier lisant son texte Maurice Rollinat à Châteauroux, le 7 mars 2015.

Catherine Réault-Crosnier pendant la lecture de son texte "Maurice Rollinat à Châteauroux".

 

La famille de Maurice Rollinat était déjà liée à Châteauroux par le grand-père paternel de Maurice Rollinat, Jean-Baptiste Rollinat (né à Argenton-sur-Creuse en 1775) qui s’est installé à Châteauroux après son mariage avec Anne Rondeau (Régis Miannay, Maurice Rollinat, poète et musicien du fantastique, p. 12). François Rollinat, le père du poète, (né à Argenton-sur-Creuse en 1806), débuta comme avocat au barreau de Châteauroux vers 1828 et exerça dans cette ville jusqu’à sa mort (sauf dans la période où il fut représentant de l’Indre à l’Assemblée constituante puis à l’assemblée législative, 1848 – 1851)

François Rollinat et sa femme Isaure née Didion se sont mariés le 11 avril 1842 (id., p. 31). Leur premier enfant, François-Émile est né le 24 décembre 1843, « dans la maison qu’ils habitaient rue de la Préfecture à Châteauroux » (id., p. 35). Plus de quatre ans après, le 29 décembre 1846, naît Maurice, dans une maison située rue de Déols (id., p. 52), nommée ensuite avenue de Paris, actuellement 7 avenue Marcel Lemoine, ici même. Nous ne savons pas s’ils habitaient dans la maison donnant sur la rue ou dans deux petites maisons situées sur l’arrière. Leur logement étant exigu avec deux enfants, ils emménagent en juin 1847, dans une maison plus spacieuse, 5 rue des Notaires (actuellement le 9). Maurice Rollinat a donc vécu six mois dans sa maison natale.

Maurice Rollinat fut baptisé à Châteauroux, le 20 janvier 1847 par le curé de l’église Saint-André, M. Molat. Maurice avait pour marraine, sa tante maternelle, Emma Didion et pour parrain, son oncle, Auguste Barthélémy Poterlet.

À l’âge de neuf ans et demi, il écrit son premier poème connu, à la plume, à l’encre violette, d’une écriture appliquée, sur une page de cahier d’écolier, peut-être avec l’aide d’un de ses parents (poème daté du 19 septembre 1856). Ces deux quatrains pourraient constituer un début de sonnet :

Comme une douce mélodie,
Au fond du cœur quand j’écoutais,
Parler l’espérance chérie,
C’était sa voix que j’entendais.

Souvenir, fleur de la pensée,
Doux parfum, prête à mes accents,
Ton charme est comme une rosée
Sur mon front, du ciel, oh descends

Son père, sa mère ou son frère, ont pu le conseiller dans sa démarche mais nous pouvons penser qu’il en est l’auteur car il y a une faute d’orthographe à « rozée » écrit avec un « z » et il manque le point final. De plus, nous retrouvons l’ambiance du poème « Le Ciel » paru à l’âge adulte (Les Névroses, p. 46) dont voici trois vers :

Le ciel est le palais des Âmes
Et des bonheurs éternisés : (…)
Les cœurs s’y donnent des baisers !

Continuons de suivre la vie de Maurice Rollinat à Châteauroux. Il est allé à l’école Saint-Pierre, établissement religieux, aujourd’hui école Léon XIII (Régis Miannay, op cit, p. 59). Il était très gai à cette époque et aimait faire des farces, pas toujours dans le goût de tous par exemple, il a tenu l’harmonium avec talent jusqu’à ce qu’il soit interdit pour avoir joué un air de connotation douteuse. À partir de la quatrième, il suit les cours au Lycée impérial (id., p. 59). Il est un élève moyen mais déjà grand amateur de musique, de théâtre et de poésie.

Maurice écrira un poème manuscrit « Dédié à mon père, pour sa fête, De concert avec maman » puis un autre à sa mère. Ces poèmes de circonstance pour la fête des pères ou des mères, montrent son attachement filial. Le premier est un chant à la gloire de son père. Il est constitué de six strophes de six vers avec des cassures de rythmes volontaires (ici 12/12/8/12/12/8), trait caractéristique de sa poésie à l’âge adulte, qui lui permet de mettre en valeur ses textes et de leur donner un rythme musical original.

Maurice Rollinat est encore au lycée lorsqu’il répond en 1862, à une lettre de son frère. Nous découvrons un adolescent gai, heureux d’avoir des nouvelles, donnant des marques d’affection. Il confie à Émile : « Tes lettres je t’assure nous causent bien du plaisir ! (…) En effet, lorsque le facteur apporte une lettre de toi, vite maman, court avertir, le papa, et le petit Maurice ». Il annonce aussi à Émile qu’il a été « second en vers latins ». Nous constatons que son affection pour son frère n’est pas un leurre ; il s’exclame : « oh ! tu as du cœur et de la sensibilité ! (…). Je t’embrasse de toute mon âme. » (collection particulière)

Dans ses poèmes, Maurice Rollinat n’a jamais décrit un endroit précis (en dehors de « L’étang rouge » près de Mézières-en-Brenne). Il n’est donc pas surprenant qu’il n’ait pas évoqué sa ville natale.

Nous connaissons deux poèmes manuscrits de sa jeunesse publiés dans Les Névroses, à quelques différences près (de ponctuations), en particulier « Ballade de l’arc-en-ciel » (Les Névroses, p. 128) et « Ballade de la petite Rose et du petit Bluet » (id., p. 178). Ils sont la preuve que Maurice Rollinat ne reniait pas ses premiers écrits d’enfant et d’adolescent :

BALLADE DE L’ARC-EN-CIEL

A François Captier

La végétation, les marais et le sol
Ont fini d’éponger les larmes de la pluie ;
L’insecte reparaît, l’oiseau reprend son vol
Vers l’arbre échevelé que le zéphyr essuie ;
Et l’horizon lointain perd sa couleur de suie.
Lors, voici qu’enjambant tout le coteau rouillé,
Irisant l’étang morne et le roc ennuyé,
S’arrondit au milieu d’un clair obscur étrange
Le grand fer à cheval du firmament mouillé,
Bleu, rouge, indigo, vert, violet, jaune, orange.

Les champignons pointus gonflent leur parasol
Qui semble regretter l’averse évanouie ;
Le grillon chante en ut et la rainette en sol ;
Et mêlant à leur voix sa stupeur inouïe,
Le soir laisse rêver la terre épanouie.
Puis, sous l’arche de pont du ciel émerveillé
Un troupeau de brouillards passe tout effrayé ;
Le donjon se recule et de vapeurs se frange,
Et le soleil vaincu meurt lentement noyé,
Bleu, rouge, indigo, vert, violet, jaune, orange.

Tandis que dans l’air pur grisant comme l’alcool
Montent l’acre fraîcheur de la mare bleuie
Et les hennissements des poulains sans licol,
Le suprême sanglot de la nature enfuie
Va s’exhaler au fond de la nue éblouie,
Et sur l’eau que le saule a l’air de supplier,
Du cerisier sanglant à l’ocreux peuplier,
Dans une paix mystique et que rien ne dérange,
On voit s’effacer l’arc impossible à plier
Bleu, rouge, indigo, vert, violet, jaune, orange.

ENVOI.

O toi, le cœur sur qui mon cœur s’est appuyé
Dans l’orage du sort qui m’a terrifié,
Quand tu m’es apparue en rêve comme un ange,
Devant mes yeux chagrins l’arc-en-ciel a brillé,
Bleu, rouge, indigo, vert, violet, jaune, orange.

 

BALLADE DE LA PETITE ROSE ET DU PETIT BLUET

Nomade confident des herbes et des plantes,
Impalpable éventail du sol âpre et roussi,
Caresse des lacs morts et des rivières lentes,
Colporteur de l’arôme et du murmure aussi,
Le zéphyr m’a conté l’histoire que voici :
« Dans un mélancolique et langoureux voyage
Que je fis tout au fond d’un jardin sans grillage
Où des quatre horizons le mystère affluait,
J’entendis tout à coup le charmant babillage
De la petite rose et du petit bluet. »

Sans doute quelque fée aux mains ensorcelantes
Leur donnait le pouvoir de cheminer ainsi,
Car elles s’en allaient, ces fleurettes parlantes,
Du matin jusqu’au soir, vagabondant par ci,
Par là, causant d’amour et n’ayant nul souci.
Leur tendresse n’était que de l’enfantillage,
Mais pourtant dans les coins ombrés par le feuillage
Le couple si folâtre était parfois muet,
Et je n’entendais plus le joli verbiage
De la petite rose et du petit bluet.

Un matin, au parfum des corolles tremblantes
Tout le jardin chanta sous le ciel éclairci ;
Le bassin réveilla ses rides somnolentes,
Le sapin fut moins triste et le serpent transi
Parut se délecter sur le roc adouci.
Le papillon, l’oiseau qui vit de grappillage
Et l’abeille qui met tant de fleurs au pillage
Dans un brin de soleil dansaient un menuet,
Et j’appris que c’était le jour du mariage
De la petite rose et du petit bluet.

ENVOI.

Toi qui fais sur ma bouche un si doux gaspillage
De baisers qui sont frais comme le coquillage,
Princesse maladive au corps souple et fluet,
Daigne te souvenir jusque dans le vieil âge
De la petite rose et du petit bluet.

 

Après son baccalauréat, il a tout d’abord travaillé chez Maître Landry, avoué à Châteauroux (Régis Miannay, op cit, p. 92), mais son travail lui répugne. Amer et révolté, il traverse une période de relative inactivité artistique (id., p. 62). En contrepartie, il consacre beaucoup de temps aux plaisirs faciles et à la provocation. À cette époque, jeune adulte, il exprime avec véhémence, sa soif d’indépendance et son rejet de la vie routinière et bourgeoise de Châteauroux.

En 1867 (le 13 août), il est très marqué par la mort de son père qu’il aimait beaucoup. Il quitte alors Châteauroux pour Orléans puis Paris (1868) où il s’inscrit pour des études de droit ; peu à peu la poésie et la musique deviennent ses activités principales. (id., p. 63)

Sa mère hérite de leur maison d’habitation de Châteauroux, mais elle choisit de retourner dans une maison plus petite, celle devant laquelle nous sommes (7, avenue Marcel Lemoine).

À l’âge adulte, Maurice Rollinat reviendra rarement à Châteauroux (id., p 486), plutôt par obligations familiales que par plaisir, pour revoir sa mère, des amis. (Il préfèrera Bel Air, propriété familiale achetée par son père, à Ceaulmont, et après son succès parisien et sa fuite, il résidera en Creuse, à Fresselines.)

Il est aussi venu une fois, à l’improviste, à Châteauroux, (en novembre 1899), au Pierrot Noir, cabaret dirigé par le fameux Maurice Brimbal qui est aussi le fondateur de la revue Le Gargaillou et le directeur du cinéma L’Apollo. Maurice Brimbal vouait une véritable « vénération » à Maurice Rollinat. Après avoir écouté les habitués déclamer ses textes, Maurice Rollinat accepta de dire quelques poèmes mais il ne revint jamais, peut-être par nostalgie d’un passé perdu, peut-être à cause de son état de fatigue. Il lui restait encore quatre années à vivre. Il est mort le 26 octobre 1903, dans la maison de santé d’Ivry.

Le jeudi 29 octobre 1903, le cortège funèbre s’est tout d’abord réuni en gare de Châteauroux où le corps du poète venait d’arriver d’Ivry par voie ferroviaire. En tant que chevalier de la Légion d’honneur, il a été accueilli par la musique militaire. Le service religieux a eu lieu en l’église Saint-André. Parmi les membres de sa famille proche, citons sa femme, Marie Rollinat née Sérullaz, sa mère Isaure Rollinat, M. et Mme Saint-Pol Bridoux et leurs enfants. Ensuite la musique municipale a accompagné le convoi entre l’église et le cimetière, en jouant une marche funèbre. (Revue du Berry du 15 mars 1904, article d’Albert Liger)

Maurice Rollinat enterré dans la tombe familiale, au cimetière Saint-Denis de Châteauroux, reste malgré le temps, présent en cette ville au XXIe siècle, à travers ses poèmes et par l’association des Amis de Maurice Rollinat qui entretient son souvenir.

 

Catherine Réault-Crosnier

 

Le 7 mars 2015, dévoilement du nouveau totem devant la maison natale de Maurice Rollinat, à Châteauroux.

Le 7 mars 2015, à 11 h, le nouveau totem placé devant la maison natale de Maurice Rollinat (7, avenue Marcel Lemoine)
a été dévoilé par le Maire de Châteauroux, M. Gil Averous, et la présidente de l’association des Amis de Maurice Rollinat, Catherine Réault-Crosnier, devant un public d’environ soixante personnes.

 

NB : Pour avoir plus d’informations sur Maurice Rollinat et l’Association des Amis de Maurice Rollinat, vous pouvez consulter sur le présent site, le dossier qui leur est consacré.