"Mur de poésie de Tours" 2003Poètes dont une rue de Tours porte le nom

 

PORTRAIT DE CLIMÈNE

 

Il faisait nuit quand, seul, de l’aimable Climène
Je voulus peindre un soir l’esprit et les appas.
Vains efforts, pour prix de ma peine,
Je l’admirais toujours et ne la peignais pas.
Apollon vint à moi ; ce Dieu, par sa présence,
Fit briller un éclat dans les lieux d’alentour
Plus beau que n’est l’éclat du jour :
Faible mortel, dit-il, connais ton impuissance,
Le portrait de Climène est l’ouvrage des dieux.
Le soin de la tracer est un soin digne d’eux.
À ces mots, Apollon le commençait lui-même,
Quand l’Amour, à l’instant, parut et vint à nous :
Cet air si charmant et si doux,
Qui brille dans ses yeux auprès de ce qu’il aime,
Était banni par le courroux.
Cessez, dit-il, d’exciter ma colère,
Apollon, et quittez un dessein téméraire :
Le portrait de Climène est l’ouvrage des dieux,
Dites-vous; mais je suis encore au-dessus d’eux ;
Et si de ce mortel l’entreprise fut vaine,
Quand vous voulez peindre Climène,
Sachez qu’il est autant de distance entre nous,
Qu’il en est d’un mortel à vous.
Ce discours n’a rien qui m’étonne,
Dit Apollon au dieu des cœurs ;
L’Amour est jeune, on lui pardonne
D’un peu de vanité les flatteuses douceurs.
J’aime à voir un débat que Climène a fait naître ;
Sans y penser, ici nous faisons son portrait
Et plus noble et plus grand que nous ne l’eussions fait.
Oui, ce débat fera connaître
Combien nous l’estimons tous deux ;
Et le spectacle de deux dieux
Jaloux de peindre une mortelle
Est un éloge du modèle
Qui le met presque au-dessus d’eux.

 

Extrait de « Journaux et œuvres diverses »

 

MARIVAUX

(1688 - 1763)

 

Pierre Carlet, dit MARIVAUX a écrit des romans « La Vie de Marianne », « Le Paysan parvenu », des articles de journaux, des comédies « La Double Inconstance », « Le jeu de l’amour et du hasard », « Les Fausses Confidences ». Il se montre critique vis-à-vis de la poésie classique et il excelle dans la parodie et le pastiche. Dans ses comédies, il mêle le rire et l’émotion avec subtilité, d’où le terme de « marivaudage ».

 

Une allée de Tours porte son nom.