3èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES

Vendredi 17 août 2001, de 17 h 30 à 19 h

 

PHILIPPE NÉRICAULT-DESTOUCHES

ET SES COMÉDIES À LA MODE DE MOLIÈRE

(1680 - 1754)

Portrait de Philippe NÉRICAULT-DESTOUCHES, dessiné par Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

Qui n'a jamais dit ou entendu :

"Les absents ont toujours tort."
"Chassez le naturel, il revient au galop."
"La critique est aisée, et l’art est difficile." ?

Autant d’adages répétés dont on ne sait pas toujours la provenance. Ces dictons créés par Philippe NÉRICAULT-DESTOUCHES, sont toujours d’actualité à l’aube du XXI° siècle. Cet écrivain dont nous allons parler maintenant, est donc toujours connu même s’il reste méconnu et ces écrits ont traversé les siècles.

Philippe NÉRICAULT-DESTOUCHES est né à Tours, en 1680. Une rue de Tours porte son nom. Rares sont les tourangeaux pouvant parler de cet auteur, même parmi ceux qui habitent la rue portant son nom. Pourtant cet écrivain mérite de retenir notre attention. N’oublions pas qu’il fut élu à l’Académie française dont il devint par la suite, le directeur et que ses comédies furent jouées de nombreuses fois, par exemple ses œuvres furent applaudies plus de deux mille fois à la Comédie Française et Madame de POMPADOUR aimait jouer des rôles dans ses pièces. Que ces quelques propos nous engagent à mieux connaître cet auteur si apprécié de son temps. Tout d’abord, essayons de décrire sa vie.

Pendant la lecture de la rencontre sur Philippe NÉRICAULT-DESTOUCHES, le 17 août 2001

Sa biographie :

Philippe NÉRICAULT-DESTOUCHES est né à Tours le 7 avril 1680 dans une famille noble du nom de NÉRICAULT et originaire de Richelieu en Poitou. Son père était maître écrivain et organiste à l’église Saint-Étienne située rue de la Scellerie, à proximité de la cathédrale et aujourd’hui disparue. Il épousa en seconde noce, Gabrielle BINET qui avait dans ses ancêtres un écrivain. Philippe fit ses études à Tours, au collège des Jésuites, puis comme externe à Paris. Il se serait enfui de la maison paternelle vers l’âge de dix-sept ans, pour, d’après d’ALEMBERT, éviter les persécutions de sa famille qui voulait le faire entrer dans la magistrature. Pour vivre, il s’engage dans une troupe de comédiens de province mais il conserve toujours une pureté de mœurs et son attachement à la religion.

Il devient directeur de troupe et prononce un discours devant un ambassadeur de France en Suisse, Monsieur le marquis de PUYSIEULX, qui fut charmé de son esprit et le forma au métier de secrétaire, puis secrétaire d’ambassade, en Suisse. Il faisait déjà des vers, sur des sujets religieux. Il soumit ses essais à BOILEAU qui l’encouragea puis il s’initie à l’art dramatique. Dès sa première comédie, il fait de la morale car il pense que la comédie est faite pour instruire :

"Pour réfléchir, Messieurs, la matière est fort ample.
Amants, maris jaloux, profitez de l’exemple :
Soyez de bonne foi, croyez qu’on l’est aussi ;
Et, pour prendre leçon, venez souvent ici."

Les parents de NÉRICAULT-DESTOUCHES craignent que leur fils ne se déshonore en exerçant la profession de comédien et ils donnent de sa jeunesse, une version différente, celle d’un jeune homme, sérieux et travailleur, ayant bien réussi ses études, s’occupant de poésie jusqu’à ce qu’un ambassadeur suisse le remarque et l’engage dans la diplomatie. Cette version, un peu différente de la réalité, est bien sûr idéaliste mais la réalité citée plus haut, n’entache en rien l’honneur de ce jeune homme.

Il fait jouer en Suisse, en 1709, "Le Curieux Impertinent", comédie en trois actes et en vers. Cette comédie est jouée ensuite dix-sept fois à la Comédie Française, ce qui est une preuve de son succès. C’est cette pièce qui le fait connaître, même si son succès ne dure pas très longtemps. Ceci encourage le jeune écrivain dans sa voie.

Sa seconde pièce est "L’Ingrat", comédie en cinq actes et en vers, qui comprend de jolis détails et de bonnes scènes. C’est l’histoire d’un homme qui se vante et donne des leçons à son valet. Suit "L’Irrésolu" qui lui vaut peu de succès, de part le caractère indécis et froid du personnage principal et le manque de rebondissement de l’intrigue. Des passages sont cependant à remarquer comme celui des deux femmes entre lesquelles l’irrésolu n’arrive pas à choisir même après avoir pris l’une des deux pour femme. Il dit en pensant à l’autre :

"J’aurais mieux fait, je crois, d’épouser Célimène."

En 1715, il fait jouer "Le Médisant", qui aura un succès d’estime. Cependant la succession de ses succès théâtraux, lui permirent d’obtenir le mérite et l’amitié du Régent.

Après diverses négociations diplomatiques, en particulier comme secrétaire d’ambassade à la cour d’Angleterre, il se marie secrètement avec une anglaise catholique. Le Régent mourra avant d’avoir pu récompenser son protégé comme il souhaitait le faire. Le gouvernement français cependant, lui offre le titre d’ambassadeur de Russie mais il le refuse pour se consacrer à la culture et aux lettres.

Le 25 août 1723, il est élu à l’Académie française. Il écrit d’après un fait observé, "Le Triple Mariage", comédie en un acte et en prose puis "L’Obstacle imprévu". Il prend une place de choix parmi les auteurs comiques de son époque, grâce au succès du "Philosophe marié" en 1727, que l’on considère comme son chef d’œuvre et dans lequel il allie avec art, l’intrigue, les traits de caractère, les anecdotes et le dénouement. Là, il sait arriver à des situations cocasses à rebondissement, dans un style élégant, facile et naturel. Critiqué, il répond par une autre pièce, "L’Envieux" où certains se reconnurent puisqu’elle fit taire les commérages…

En 1732, "Le Glorieux" augmente sa renommée. C’est son deuxième chef d’œuvre : il y crée des personnages d’un comique profond dans des situations fort à propos.

En 1736, il imprime "Le Dissipateur ou L’honnête friponne" qui fut joué 252 fois ! et dans lequel il dénonce "ces frivoles saillies, ces débauches d’esprit, ces faux brillants, ces sales équivoques, ces mœurs basses… et vicieuses" qui caractérisaient alors fort bien la libertine époque de la Régence. Voici un extrait de cette pièce qui témoigne de l’ingéniosité de la femme amoureuse dont la servante s’appelle Finette. Toutes les deux sauront éviter la ruine du comte dépensier et naïf qui a pour serviteur Pasquin :

Finette :

"Tu sais bien que Gripon,
votre honnête intendant, est un maître fripon
."

Pasquin :

"Le fait est clair. Eh bien ?"

Finette :

"Le comte le menace
de le faire danser au milieu d’une place,
si de son brigandage il ne fait pas raison.
Gripon, qui sent son cas digne de pendaison,
vient de nous apporter, par les ordres du comte,
soixante mille écus, dont on lui tiendra compte
sur ce qu’il doit lâcher par restitution.
Sa taxe étant payée, on portera Cléon,
par l’appas toujours sûr d’une modique somme,
à signer que Gripon est un très-honnête homme ;
tel est le marché fait entre le comte et lui
."

Pasquin :

"Quel est le plus fripon de vous tous ?"

Finette :

"Aujourd’hui
pareille question est un peu trop subtile ;
on passe sur l’honnête, et l’on songe à l’utile
."

Pasquin :

"Ta maîtresse, à coup sûr, s’occupe du dernier,
et laisse aux sots le soin de songer au premier
."

Finette :

"Ma maîtresse prétend que rien n’est plus honnête
que sa façon d’agir, et se fait une fête
de ruiner Cléon, afin de lui garder
ce qu’elle sauvera
."

(Extraits de l’acte III, scène II de "Le Dissipateur")

NÉRICAULT-DESTOUCHES est donc moralisateur mais il est bien accepté de part sa manière comique de montrer les travers de la société. Il aime insister sur le but de ses comédies, comme pour se justifier :

"Je ne conviens pas que ce soit un crime de s’occuper à composer des comédies si, en les composant, on a pour objet de réformer les mœurs, de combattre le vice et de mettre l’honneur et la vertu dans le plus beau jour."

Il publie ensuite "L’Ambitieux et l’Indiscrète", tragi-comédie en cinq actes et en vers (1737), "La belle Orgueilleuse" ou "L’Enfant gâté", comédie en un acte (1741), "L’Amour usé" en un acte et en prose, "L’Homme singulier", "La Force du naturel", "Le Mariage de Colin et de Ragonde" composé en 1714 et joué en 1742.

À soixante ans, il renonce à l’art dramatique. Il étudie alors la théologie et écrit des dissertations pour les incrédules, qui paraissent dans le "Mercure". Plusieurs de ses comédies ne seront jouées qu’après sa mort. Très productif, plus de huit cent épigrammes resteront inédits.

En 1742, il devient directeur de l’Académie française et fait élire VOLTAIRE quatre ans plus tard. Il meurt à Fortoiseau près de Melun, en 1754 et est enterré en l’église de Villiers-en-Bière où une épitaphe marque encore le lieu de son dernier repos. Deux de ses comédies posthumes eurent du succès au théâtre :

- "La Fausse Agnès", caricature comique,
- "Le Tambour nocturne" en cinq actes (joué en 1762).

On peut citer d’autres ouvrages posthumes et la liste est longue. En 1757, l’ensemble de ses œuvres fut publié à l’Imprimerie Nationale, par son fils. En 1811, on retrouve l’ensemble de ses "Œuvres dramatiques" par M de SENONE, à Paris, en six volumes puis une nouvelle édition en 1822.

Son portrait, peint par l’ARGILLIÈRE, se trouve à l’Académie ; son buste fait par BERRUER en 1781, est au vestibule du Théâtre-Français.

Actuellement, il est difficile d’accéder à ses écrits, en dehors des bibliothèques : pourtant deux de ses livres se trouvent sur le site Internet GALLICA ("Le Glorieux" et "Le Dissipateur"). L’ensemble de ses œuvres existe encore dans une édition de luxe (chez Jean-Baptiste VOYAU, 21 rue de l’Échiquier, 75010 PARIS).

Pourtant Philippe NÉRICAULT-DESTOUCHES mérite de sortir de l’oubli : même si beaucoup de critiques ont estimé que cet écrivain n’avait pas la philosophie ni le naturel, ni la force de MOLIÈRE, ni la gaieté originale de REGNARD, ni la verve de PIRON. Ces avis sont discutables ; on ne peut pas contester la valeur de plusieurs de ses œuvres dont "Le Glorieux", "Le Philosophe marié"… qui ont leurs qualités propres : un comique à tout épreuve, l’art de créer des phrases à l’allure de dictons et qui franchiront les siècles, une créativité passionnée dans le but de distraire tout en montrant les travers des gens de son époque. N’hésitons donc pas à nous imprégner de ses écrits.

 

Analyse de son théâtre :

Pour continuer, nous allons vous jouer quelques extraits d’une de ses pièces maîtresses, "Le Glorieux" : c’est l’histoire d’un comte qui s’estime au-dessus de tous mais dont le passé n’est pourtant pas si simple. Derrière cette analyse de caractère, se trament deux histoires d’amour qui se chevauchent et dont le dénouement n’apparaît qu’à la fin. N’oublions pas par ailleurs, d’être attentifs aux dictons qui sillonnent ces passages.

Dans le premier extrait de l’acte I, scène IV, Lisette, femme de chambre d’Isabelle, se renseigne sur le comte par l’intermédiaire de son valet Pasquin et a des surprises sur la renommée du comte :

Lisette :

"Ah ! Que nous allons rire !"

Pasquin :

"Et de quoi donc ?"

Lisette :

"Son faste,
sa fierté, ses hauteurs, font un parfait contraste
avec les qualités de son humble rival,
qui n’oseroit parler de peur de parler mal,
qui par timidité rougit comme une fille,
et qui, quoique fort riche et de noble famille,
toujours rampant, craintif, et toujours concerté,
prodigue les excès de sa civilité ;
pour les moindres valets rempli de déférences,
et ne parlant jamais que par ses révérences
."

Pasquin :

"Oui, ma foi, le contraste est tout des plus parfaits,
et nous en pourrons voir d’assez plaisans effets
.
Ce doucereux rival, c’est Philinte, sans doute ?
Mon maître d’un regard doit le mettre en déroute
."

Lisette :

"Mais ce comte si fier est donc bien riche aussi ?
Du moins il le paroît
."

Pasquin :

"Riche ? Non, dieu merci :
car c’est là, quelquefois, ce qui rabat sa gloire ;
et tout son revenu, si j’ai bonne mémoire,
vient de sa pension et de son régiment ;
mais il sait tous les jeux et joue heureusement :
c’est par là qu’il soutient un train si magnifique
."

Dans ce premier extrait, Lisette, la domestique d’Isabelle, commence à comprendre que le comte à l’aspect extérieur si pompeux, n’est peut-être pas aussi glorieux qu’il veut le paraître.

Dans l’acte III, scène IV, Isabelle répond au comte dans une tirade morale typique du style de NÉRICAULT-DESTOUCHES et dont on peut tirer des réflexions fines encore d’actualité de nos jours, ce qui explique que ces dictons ne sont pas passés de mode et se retrouvent spontanément dans la bouche des tourangeaux du XXI° siècle, souvent sans y penser et sans le savoir. Écoutons donc Isabelle parler pour ne pas laisser passer ces phrases caractéristiques :

Isabelle :

"Je vous laisse le soin de l'application ;
et, de la modestie embrassant la défense,
je soutiens que par elle on voit la différence
du mérite apparent au mérite parfait.
L'un veut toujours briller, l'autre brille en effet
sans jamais y prétendre, et sans même le croire.
L'un est superbe et vain, l'autre n'a point de
gloire.
Le faux aime le bruit, le vrai craint d'éclater ;
l'un aspire aux égards, l'autre à les mériter.
Je dirai plus. Les gens nés d'un sang respectable
doivent se distinguer par un esprit affable,
liant, doux, prévenant ; au lieu que la fierté
est l'ordinaire effet d'un éclat emprunté.
La hauteur est partout odieuse, importune.
Avec la politesse, un homme de fortune
est mille fois plus grand qu'un grand toujours
gourmé,
d'un limon précieux se présumant formé,
traitant avec dédain, et même avec rudesse,
tout ce qui lui paroît d'une moins noble espèce ;
croyant que l' on est tout quand on est de son sang,
et croyant qu'on n'est rien au-dessous de son rang."

Le Comte :

"Ce discours est fort beau ; mais que voulez-vous dire ?"

Isabelle :

"Lisette, mieux que moi, saura vous en instruire.
Je lui laisse le soin de vous interpréter
un discours qui paroît déjà vous irriter."

Le Comte :

"Non, de grâce, avec vous souffrez que je m' explique.
Cette fille, après tout, est votre domestique ;
ne me commettez pas."

Isabelle :

"Quand vous la connoîtrez,
des gens de son état vous la distinguerez,
et vous me ferez voir une preuve fidèle
de vos égards pour moi dans vos égards pour elle.
Elle connoît à fond mon esprit, mon humeur ;
écoutez, profitez, et méritez mon cœur.
Adieu."

La tirade finale du Glorieux est l’apothéose de la pièce qu’elle clôt comme un feu d’artifice de vérité : Lycandre, père du comte, renoue avec ce dernier. Lisimon, amoureux de Lisette, apprend que celle-ci a un père de qualité. Isabelle, elle, laisse parler son cœur alors les yeux du comte se dessillent et il comprend enfin que sa soif de gloire est vaine et qu’il doit choisir entre elle et son amour :

Lisimon, à Lycandre :

"Et moi, de mon côté, je veux que ma famille
puisse donner un rang sortable à votre fille :
car avec de l' argent on acquiert de l' éclat ;
et je suis en marché d' un très beau marquisat,
dont je veux que mon fils décore sa future.
Dès ce soir, Monsieur Josse, il faudra le conclure.
Allez voir le vendeur ; et que demain mon fils
ne se réveille point sans se trouver marquis."

Lisimon au comte :

"Êtes-vous satisfait ?"

Le Comte :

"On ne peut davantage."

Lisimon :

"Bon ! Nous allons donc faire un double mariage."

Isabelle au comte :

"Mon cœur parle pour vous ; mais je crains vos hauteurs."

Le Comte :

"L’amour prendra le soin d’assortir nos humeurs,
comptez sur son pouvoir ; que faut-il pour vous plaire ?
Vos goûts, vos sentimens feront mon caractère
."

Lycandre :

"Mon fils est glorieux mais il a le cœur bon.
Cela répare tout
."

Lisimon :

"Oui, vous avez raison.
Et, s’il s’est entiché d’un peu de vaine gloire,
avec tant de mérite on peut s’en faire accroire
."

Le Comte :

"Non, je n’aspire plus qu’à triompher de moi ;
du respect, de l’amour, je veux suivre la loi.
Ils m’ont ouvert les yeux ; qu’ils m’aident à me vaincre.
Il faut se faire aimer, on vient de m’en convaincre ;
et je sens que la gloire et la présomption
n’attirent que la haine et l’indignation
."

 

Rapprochements avec RABELAIS et MOLIÈRE :

Philippe NÉRICAULT-DESTOUCHES est indéniablement un homme de théâtre qui a sa place dans le XVIII° siècle et j’espère que les extraits de ses œuvres vous ont convaincus. Cet écrivain sait si bien nous distraire en nous faisant réfléchir ! Certains de ses contemporains l’ont comparé avec RABELAIS et MOLIÈRE. Essayons de rapprocher ces auteurs au travers de quelques extraits de leurs œuvres.

Par exemple, écoutons la sagesse de l’humaniste RABELAIS né à la Devinière, près de Chinon, en 1494, dans un extrait de "La vie très horrificque du grand Gargantua", dans le chapitre 43 intitulé "Comment Gargantua rencontra la patrouille de Picrochole et comment le moine tua le capitaine Tyravant puis fut fait prisonnier par les ennemis" :

"… selon les vraies règles militaires il ne faut jamais acculer son ennemi au désespoir. Une telle extrémité multiplie ses forces et accroît son courage déjà abattu et défaillant ; il n’y a pas de meilleure chance de salut pour des gens ébranlés et à bout de fatigue que de n’espérer aucun salut . Combien de victoires ont été arrachées par les vaincus des mains des vainqueurs quand ceux-ci ne se sont pas raisonnablement limités, quand ils ont voulu anéantir complètement leurs ennemis et les détruire totalement, sans accepter d’en laisser un seul pour aller porter les nouvelles. Ouvrez toujours à vos ennemis toutes les portes et tous les chemins ; allez jusqu’à leur faire un pont d’argent pour les renvoyer."

RABELAIS nous conseille la sagesse plutôt qu’une gloire vaine dans la guerre et qui peut aller à la catastrophe. De même, Philippe NÉRICAULT-DESTOUCHES dans sa comédie "Le Glorieux" aborde le thème de la gloire inutile et mauvaise conseillère. Par exemple, Lisette, servante d’Isabelle, se permet de donner des conseils au comte :

"Votre orgueil a percé. Vos hauteurs, vos grands airs,
vous décèlent d' abord, malgré la politesse
dont vous les décorez. La gloire est bien traîtresse.
Le discours d' Isabelle étoit votre portrait,
et son discernement vous a peint trait pour trait.
Dût la gloire en souffrir, je ne saurois me taire.
Je ne vous dirai pas : " changez de caractère ",
car on n' en change point, je ne le sais que trop.
Chassez le naturel, il revient au galop ;
mais du moins je vous dis : " songez à vous contraindre,
et devant Isabelle efforcez-vous de feindre ;
paroissez quelque temps de l' humeur dont elle est,
et faites que l' orgueil se prête à l' intérêt. "
voilà mon sentiment. Profitez-en ou non,
mon cœur seul m'a dicté cette utile leçon.
Votre gloire irritée en paroît mécontente,
je lui baise les mains, et je suis sa servante."

(acte III, scène V)

Philippe NÉRICAULT-DESTOUCHES aime comme RABELAIS, saler ses textes d’une pointe d’ironie, ici c’est la servante qui se permet de donner des leçons au maître. RABELAIS, lui, aime jouer de sa verve littéraire avec un humour qui lui est caractéristique comme dans un extrait du "Tiers Livre" au chapitre 32 intitulé "Comment Rondibilis déclare que le cocuage est l’un des apanages naturels du mariage" :

"Mon ami, nous pouvons considérer la lune comme une bonne image de la nature des femmes. Sur ce point particulier entre autres : elles se cachent, se contiennent et dissimulent quand elles sont en vue et en présence de leurs maris. Quand ils sont absents, elles prennent leurs aises, se donnent du bon temps, traînent, courent, mettent de côté leur hypocrisie et se dévoilent ; de même la lune est visible dans le ciel et sur la terre, non pas quand elle est à la conjonction du soleil, mais elle reluit en sa plénitude et apparaît toute entière, notamment pendant la nuit, quand elle est à son opposition, c’est-à-dire le plus loin du soleil. C’est ainsi que sont toutes les femmes."

 

Quant à MOLIÈRE, grand homme de théâtre, il a su nous parler avec des sentences toute faites comme dans "L’Avare", par la bouche de Valère :

"Je n’ai jamais vu de réponse plus impertinente que celle-là. Voilà une belle merveille que de faire bonne chère avec bien de l’argent ! C’est une chose la plus aisée du monde, et il n’y a si pauvre esprit qui n’en fît bien autant ; mais, pour agir en habile homme, il faut parler de faire bonne chère avec peu d’argent."

(acte III, scène I)

Dans "Le Bourgeois Gentilhomme", MOLIÈRE met dans la bouche de Madame Jourdain des propos qui tombent comme des dictons : "… il y a longtemps que je sens les choses, et je ne suis pas une bête." (scène II de l’acte IV)

La suite de cette même tirade est très moraliste et édifiante ce qui était habituel à cette époque :

"Cela est fort vilain à vous pour un grand seigneur, de prêter la main, comme vous faites, aux sottises de mon mari. Et vous, madame, pour une grand’dame, cela n’est ni beau ni honnête à vous de mettre de la dissension dans un ménage et de souffrir que mon mari soit amoureux de vous."

En même temps, la verve endiablée des personnages nous entraîne dans une étude de caractère très fine ce qui caractérise bien MOLIÈRE et son esprit malicieux rit de la ruse des serviteurs comme dans "Les fourberies de Scapin" quand les plaignants se rencontrent, dans la scène VI de l’acte III :

"Géronte :

Ah ! seigneur Argante, vous me voyez accablé de disgrâce.

Argante :

Vous me voyez aussi dans un accablement horrible.

Géronte :

Le pendard de Scapin, par une fourberie, m’a attrapé cinq cents écus.

Argante :

Le même pendard de Scapin, par une fourberie aussi, m’a attrapé deux cent pistoles.

Géronte :

Il ne s’est pas contenté de m’attraper cinq cents écus, il m’a traité d’une manière que j’ai honte de dire. Mais il me la payera.

Argante :

Je veux qu’il me fasse raison de la pièce qu’il m’a jouée.

Géronte :

Et je prétends faire de lui une vengeance exemplaire."

Philippe NÉRICAULT-DESTOUCHES a ce même état d’esprit, celui de faire rire, faire gagner ceux qui le méritent et lui aussi, sait d’une manière désinvolte, rire aux dépens de ceux qui se croient les plus forts, comme par exemple dans la scène V de l’acte III de "Le Glorieux" que nous avons lu tout à l’heure, lorsque Lisette se permet de donner des conseils au comte.

 

 

Que ces derniers extraits unissant l’art de RABELAIS, de MOLIÈRE et de NÉRICAULT-DESTOUCHES puissent nous convaincre que Philippe NÉRICAULT-DESTOUCHES est un écrivain à part entière, lui qui sait si bien nous distraire en décrivant les mœurs de son temps. Et maintenant à nous d’utiliser sa philosophie dans notre vie quotidienne. Il nous incite à la tolérance, en nous disant : "La critique est aisée, et l’art est difficile". Sachons être philosophe comme lui et apprécier ses textes à leur juste valeur !

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

 

BIBLIOGRAPHIE :

BURNER. A, Revue d’Histoire Littéraire de la France, Philippe NÉRICAULT-DESTOUCHES, essai de biographie (suite de 1931)
DESTOUCHES, Le Glorieux, comédie en cinq actes, collection des petits chefs d’œuvre, Paris
HANKISS Jean, Philippe Néricault Destouches, l’homme et l’œuvre, Éditeur Slatkine, 1981
Le Magazine de la Touraine, "Le gratin tourangeau", numéro hors série, 4ème trimestre 2000
Philippe NÉRICAULT-DESTOUCHES, Le Dissipateur ou l’honnête friponne, comédie, GALLICA (http://www.bnf.fr/)
Philippe NÉRICAULT-DESTOUCHES, Le Glorieux, comédie en vers en cinq actes, GALLICA (http://www.bnf.fr/)
MOLIÈRE, L’Avare, comédie en cinq actes, Éditions EDDL
MOLIÈRE, Le Bourgeois Gentilhomme, comédie-ballet en cinq actes, Classiques Larousse
MOLIÈRE, Les Fourberies de Scapin, comédie en trois actes, Classiques Larousse
RABELAIS, Œuvres complètes, France Loisirs, 1987