4èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES

Vendredi 30 août 2002, de 17 h 30 à 19 h

 

GRÉGOIRE DE TOURS,

PÈRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE

(vers 538 - 594)

Portrait de Grégoire de Tours, en peinture à la cire, par Catherine RÉAULT-CROSNIER.

 

GRÉGOIRE DE TOURS est l'un des successeurs de saint Martin et le dix-neuvième évêque de Tours. Il est connu en tant qu’historien grâce en particulier à son « Histoire des Francs » qui lui a valu son surnom de « Père de l’Histoire de France ». Il peut être considéré comme un tourangeau d’adoption car même s’il est né en Auvergne, il a vécu vingt et un ans en Touraine. Habile médiateur à la carrure de chroniqueur, il nous apporte son témoignage sur la société et l'époque mérovingiennes ainsi que sur l'histoire de l'Église de Tours.

 

Sa biographie :

Grégoire de Tours est né le 30 novembre 539 ou 538 dans le territoire des Arvernes, dans la ville qui deviendra Clermont-Ferrand. Il s'appelait Georgius Florentius Gregorius ; ses deux premiers prénoms, Georges Florent, sont ceux de ses père et grand-père paternel auxquels Grégoire a été rajouté, en souvenir de son arrière grand-père, Grégoire de Langres qui fut conte de Langres puis évêque de Langres. Sa famille native d'Auvergne, était l'une des plus célèbres familles sénatoriales et cléricales de cette province.

Son père Florentius est sénateur d'Auvergne. Possédant une solide richesse foncière, il verra ses biens pillés lors de la répression après la révolte de la noblesse arverne contre le roi franc. Il réussira à récupérer ses biens pour les léguer à ses trois enfants, Petrus, diacre à Langres, Georges Florent Grégoire, notre futur évêque de Tours et une fille épouse de Justinius. Un des frères de Florentius, Gallus, était évêque de Clermont-Ferrand de 525 à 551. Il servait une deuxième génération de rois francs d’Austrasie, dirigée par Childebert II et dont la capitale fut d’abord Reims, puis Metz. Ce royaume rivalisait avec ceux de Neustrie, future Normandie, dirigée par Chilpéric et dont la capitale était Soissons, et de Burgondie franque dont la capitale était Orléans, puis Chalons. Dans cette dernière, des parents de Grégoire étaient évêques comme à Langres et à Lyon.

Sa mère, Armentaria, était une femme pieuse. Elle descendait de Vettius Epagathus, l’un des martyrs de Lyon en 177 et de Léocadius, grand sénateur. Son oncle Nicetius fut évêque de Lyon, un autre Gundulfris reconquit Marseille pour Childebert II. Elle sut transmettre sa foi à GRÉGOIRE DE TOURS qui, très tôt, voulut rentrer dans les ordres.

GRÉGOIRE DE TOURS est élevé dans une ambiance religieuse très forte, assistant à des pèlerinages, des narrations de miracles, de vie de martyrs… Dès l’âge de sept ans, il a des visions miraculeuses que ses parents ne mettent pas en doute. Que ce soit du côté paternel ou maternel, il avait pour ancêtres, une famille de sénateurs et d’évêques. Ceci peut expliquer en partie, son attrait pour la religion et les études.

Orphelin de père à dix ans, il est confié par sa mère à son oncle paternel, Gallus, évêque de Clermont. Il lui servit de père et lui inspira le goût des livres ecclésiastiques. GRÉGOIRE DE TOURS est un fervent défenseur des saints et des reliques. Devenu lecteur puis sous-diacre, il perfectionne ses connaissances avec son grand-oncle maternel, évêque de Lyon, NICETIUS (saint Nizier). En 563, il vient à Tours, pour faire un pèlerinage au tombeau de saint Martin, pour recouvrer la santé. Guéri, sa foi n'en est que confirmée. II retrouve à Tours un parent de sa mère, l'évêque EUPHRONIUS et décide de rester dans cette ville. Il est alors ordonné diacre en 563. Il ne connaît rien de plus naturel que le surnaturel.

Quand l'évêque de Tours, son cousin EUFRONIUS, meurt en 573, GRÉGOIRE DE TOURS est désigné par le roi d'Austrasie, SIGEBERT, pour lui succéder. II est sacré évêque de Tours à Reims en 573. C’est GRÉGOIRE DE TOURS qui précise lui-même cette date, en écrivant au sujet de son ordination :

« La cent soixante douzième année après la mort du bienheureux pontife Martin, la douzième du règne du très glorieux roi Sigebert, l’évêque Eufronius étant mort, je reçus quoiqu’indigne le fardeau de l’épiscopat, (…) » (GRÉGOIRE DE TOURS, Miracles de saint Martin, cité par Charles LELONG, Grégoire de Tours, page 20)

Mais SIGEBERT, roi de Reims, a des ennemis en particulier son frère, CHILPÉRIC Ier, roi de Soissons qui voudrait prendre sa place. Les autres évêques contestent la nomination de l'évêque de Tours, par le roi et non par le pouvoir ecclésiastique. Mais GRÉGOIRE DE TOURS a aussi été nommé par le peuple qui l'apprécie déjà et malgré les divergences d'opinions, il restera évêque. Sa foi tient de la passion sans limites, d'une ardeur irrationnelle et son talent de prédicateur l’a certainement aidé à être choisi. Pour lui, « Les rois sont donnés aux peuples par la faveur divine. » (Charles LELONG, Grégoire de Tours, page 39) donc il s’en remet à la justice céleste.

Venance FORTUNAT, poète qui rédigea la vie de sainte Radegonde et deviendra évêque de Poitiers, est un ami de GRÉGOIRE DE TOURS ; il a voulu célébrer en vers, l'intronisation de cet évêque :

« Battez des mains, heureux peuples, qui possédez enfin l'objet de vos désirs ;
Votre Pontife est arrivé ; rendez à Dieu vos actions de grâces.
Voici venu l'espoir du troupeau, le père du peuple, l'ami de la cité.
Que les brebis se réjouissent, elles possèdent un pasteur.
Leurs regards inquiets, leurs vœux louables le demandaient.
Qu'elles le contemplent ! il est venu : que leur allégresse lui fasse fête !
Son mérite, sa modestie lui ont conquis les droits du sacerdoce.
Il se nomme Grégoire : l'évêque de la ville, le Pasteur du troupeau...
La main vénérable du pontife Egidius l'a consacré au Seigneur,
Pour qu'il soit la joie du peuple, pour qu'il soit aimé de Radegonde...
Plein d'allégresse, il marchera sous les clefs de Pierre, au milieu des dogmes de Paul,
Jusqu'aux chœurs célestes qu'environne une lumière éblouissante..
Par les mérites de Martin, pendant de longues années, ô Grégoire,
Pais à Tours le troupeau dont tu es le pasteur.
Sois le guide des conciles sacrés, la règle des fidèles ;
Que par ton exemple l'honneur acquis déjà s'accroisse encore ;
Que tes discours donnent aux peuples la lumière évangélique,
Et qu’en toi brillent tous les dons du ciel. »

4èmes Rencontres littéraires des Prébendes - 30 août 2002

Sa vie d’évêque :

GRÉGOIRE DE TOURS en tant qu’évêque, a fréquenté les hauts personnages de son époque, notamment les rois mérovingiens, jouant un rôle diplomatique certain lorsqu’il donnait son avis. Sujet de Sigebert, roi de Reims, qui le fit élire évêque de Tours, il fut ensuite celui de CHILPÉRIC, roi de Soissons et de GONTRAN, roi de Bourgogne. Il a exercé ses missions d’évêque et d’historien avec vigueur et a présidé pendant vingt-et-un ans aux destinées de son église. Son évêché était important, comprenant trente-quatre paroisses rurales, six monastères ruraux, quatre oratoires ruraux, deux ermitages, ceux de Chinon et de Marmoutier. À Tours, il existait trois églises proches des bords de la Loire, Saint-Lidoire, Sainte-Monegonde et Saint-Julien. Dans le futur vieux Tours, Saint-Martin était entouré d’un faisceau d’églises proches. Les partages ecclésiastiques ont souvent démembré la province ecclésiastique, par exemple après la mort de CHILPÉRIC, la Touraine fut cédée à CHILDEBERT et les autres cités proches ne purent être réunies qu’en 592. GRÉGOIRE DE TOURS essaya de gérer au mieux les biens de l’église.

Il observe les rivalités et les guerres qui se succèdent à son grand désespoir : guerres opposant les rois mérovingiens CHILPÉRIC Ier et SIGEBERT, CHILPÉRIC et MÉROVÉE, son fils. Il défend les droits de saint Martin contre la sauvagerie des descendants de Clovis. Il faudra attendre la mort de CHILPÉRIC pour que la paix revienne enfin. GRÉGOIRE DE TOURS a cherché à intervenir en médiateur entre les différents prétendants, à la recherche de la paix. Il a joué un rôle politique auprès des petits-fils de CLOVIS, les rois CHILPÉRIC et GONTRAN. À la fin de sa vie, il servira de médiateur entre GONTRAN, roi de Burgondie et son neveu et fils adoptif, CHILDEBERT II, souverain austrasien de GRÉGOIRE DE TOURS.

« « La douleur envahit son âme » au spectacle des guerres civiles » par exemple (cité par Charles LELONG, Grégoire de Tours, page 71) celles de Manthelan. Les citoyens de Tours et ceux de Manthelan s'entredéchirèrent : SICHAIRE célébrait les solennités de la naissance du Seigneur, dans le bourg de Manthelan. Pendant ce temps, son serviteur est frappé d'un coup d'épée et tué. Deux camps se forment, les uns pour Manthelan et les autres pour Tours. Dans la mêlée, beaucoup furent tués. AUSTREGISIL en profita pour enlever l'or et l'argent. Il fut jugé coupable ; SICHAIRE le sachant, tua sa famille pour se venger et enleva leurs biens à son tour. GRÉGOIRE DE TOURS leur dit à tous :

« Gardez-vous, ô hommes ! de persévérer dans vos crimes, de peur que le mal n'aille encore plus loin. (…) Soyez pacifiques, je vous en conjure ; (...) » (Charles LELONG, Grégoire de Tours, page 116 et 117). Mais les combattants encore en vie ne l'écoutent pas et SICHAIRE est molesté à son tour pour venger les autres. La justice arrive à tempérer l'affaire par serments de chacun jusqu'à ce que la tuerie ne reprenne. Elle ne finira que par manque d'hommes. La leçon de morale de l'auteur n'aura servi à rien mais GRÉGOIRE DE TOURS a essayé de rétablir la paix.

Ardent défenseur de la doctrine chrétienne, GRÉGOIRE DE TOURS combattait les hérésies et l’arianisme, hérésie chrétienne répandue par ARIUS et ses disciples, qui niait la consubstantialité du Fils avec le Père et qui fut condamnée au Concile de Nicée en 325. Bâtisseur, trouvant la basilique Saint-Martin détruite dans un incendie en 559, il la fait reconstruire plus vaste et plus haute puis il la dédie à Saint-Martin, pendant la dix-septième année de son épiscopat (Guy-Marie OURY, La ville de Tours, page 24). Il fit aussi restaurer de nombreuses églises et y apporter des reliques pour en faire des lieux de pèlerinage. Il exalta la mémoire de tourangeaux dont saint MEXME, disciple de saint MARTIN, saint OURS de Loches, saint VENANT, sainte MONEGONDE, les saintes MAURE et BRITTA… Il promut bienheureux l’abbé SENOCH qui accomplit de nombreux miracles de son vivant. Il développe le culte de saint MARTIN et veut en faire une sorte de « Lourdes des temps mérovingiens ». Saint MARTIN est le protecteur de la ville de Tours qui devint capitale religieuse de la Gaule. GRÉGOIRE DE TOURS proclame que saint MARTIN est l’égal des apôtres. Il disposait d’une énorme puissance temporelle et influençait énergiquement les décisions du peuple.

La basilique subit de graves dégâts par la suite, après des incendies répétés. Il établit le monastère qui, à l'époque, s'appelait Majus ou Major Monasterium devenant ensuite Marmoutier.

Si GRÉGOIRE DE TOURS est connu actuellement, c'est grâce à son œuvre, en particulier à son « Histoire des Francs », composée de dix livres d'histoire mais aussi plus accessoirement à ses sept livres de Miracles principalement sur saint JULIEN et saint MARTIN, un sur la Vie des Pères, un traité sur la marche des étoiles (De cursu stellarum) à visée liturgique, un commentaire du psautier (dont il reste la préface et les titres de chapitres), ces deux derniers étant presque totalement perdus (Charles LELONG, Grégoire de Tours, pages 59 et 60).

Il écrit son premier livre, « De miraculis S. Martini », entre 574 et 593, pour édifier et fixer pour les générations futures, les souvenirs de saint MARTIN, à travers au total « quatre livres en deux cent sept chapitres » (Charles LELONG, Grégoire de Tours, page 59). II y décrit en particulier, la guérison miraculeuse du mari d'une de ses sœurs. Tous les exemples ont un seul but, conforter la foi des fidèles :

« Je ne puis laisser dans le secret ce que j'ai vu moi-même de la puissance des saints et ce que j'en ai appris... (…) L'église est édifiée toutes les fois qu'on rapporte avec dévotion les actes des saints... ils encouragent ceux qui en écoutent les récits à marcher sur leurs traces… » (GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, cité par Charles LELONG, Grégoire de Tours, page 61)

Lui succédera plus tard, un livre sur saint JULIEN, le grand saint de l'Auvergne, « De miraculis S. Juliani » en cinquante chapitres. Sur ces sept livres de miracles, quatre sont consacrés à saint MARTIN.

Parmi ses livres de Miracles, « De Gloria Martyrium » est composé entre 586 et 588 approximativement. II y décrit en cent sept chapitres, les traditions relatives aux premiers martyrs. Certains faits miraculeux de saint JULIEN de Brioude se déroulent en Touraine, à Langeais, Yzeures, Chinon. GRÉGOIRE DE TOURS aborde la vie des anges, de saint MARTIN et de saint HILAIRE DE POITIERS dans « De Gloria Confessorum » en 587. Vers la fin de sa vie, il rassemble en vingt chapitres, la vie de saints gaulois du IVème, Vème, VIème siècles, dans le livre, « De Vita patrum, La vie des Pères ».

Deux ans après sa nomination au diocèse de Tours, il entreprend de rédiger une histoire des premiers rois Francs. Selon Gustavo VINAY, il aurait écrit son Historia Francorum, entre 576 et 594. Histoire de la création du monde et de l'homme jusqu’en 591, celle-ci permet de mieux connaître l'Histoire des Francs et est son œuvre maîtresse.

Il fixe la persécution des chrétiens dans un livre, « La passion des sept dormants d'Éphèse ». Il n'oublie pas son rôle de prédicateur et traite de liturgie dans « Le Cours des étoiles » (pour enseigner d'après les astres, l'heure des diverses prières et litanies) et un commentaire sur les Psaumes dont il ne reste que la préface et les titres de chapitres.

Sa mort survint vraisemblablement le 17 novembre 594. Son corps fut déposé selon la tradition sous la dalle de la basilique Saint-Martin. D’où il ressort qu’à cette époque, il était vénéré comme bienheureux (Beatus) (Charles LELONG, Grégoire de Tours, page 7). En 1563, il est encore question du « reliquaire de Monseigneur Saint Grégoire ». Ses restes disparurent en novembre 1793. En 596, le nouvel évêque, PELAGIUS, lui succède.

 

Son portrait :

La tradition le dit de petite taille. On peut penser qu'il eût une enfance fragile car il nous parle de ses maladies et malaises dès sa jeunesse :

« …je tombai malade. Atteint de pustules malignes et de fièvre, et ne pouvant plus ni boire, ni manger, je fus si souffrant, qu'ayant perdu tout espoir de vivre en ce monde, je ne songeais plus qu'aux soins de ma sépulture. (...) Alors, quoique très abattu, ayant invoqué le nom du bienheureux pontife Martin, je me remis un peu. » (GRÉGOIRE DE TOURS, Miracles de Saint-Martin, cité par Charles LELONG, Grégoire de Tours, pages 85 et 86)

Plus tard, il ne se déplacera jamais sans son médecin personnel, ARMENTARIUS, ni sans reliques, invoquant saint MARTIN en dernier recours. Ceci prouve plus son angoisse devant la maladie car il a été très actif, a voyagé, a beaucoup écrit et il est difficile de concevoir qu'un grand malade eût pu concilier les deux.

Travailleur, il est aussi pleinement un homme de Dieu et son œuvre parle pour lui car il ne veut en premier, qu’une seule chose, édifier les gens en racontant l’histoire.

Casimir CHEVALIER le décrit ainsi :

« un esprit distingué, un grand caractère, droit, inflexible sur l’honneur, indulgent pour les coupables, tolérant pour les infidèles, miséricordieux pour les ennemis (…) une âme douce, aimante, charitable, (…) ayant le courage de la vérité, en un mot, un grand homme complété par un grand saint » (cité par Charles LELONG, Grégoire de Tours page 9)

Son esprit de droiture ressort encore lorsqu’il avoue ses imperfections littéraires. Historien dans l'âme, il veut, dans une langue simple et à la portée de tout le monde, instruire et se faire entendre de tous. Honnête, il s'excuse en disant : « il m'arrive de transgresser les règles de l'art de la grammaire que je ne possède pas pleinement » (GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, tome I, Introduction, page 34).

Il aurait certainement aimé être un lettré de référence, il connaît ses imperfections, les regrette et en fait le constat en toute honnêteté :

« Je n'ai fait aucune étude de la grammaire et je ne suis pas formé par la lecture savante des auteurs du siècle... » (GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, cité par Charles LELONG, Grégoire de Tours, page 75)

Humilité, sagesse ou vérité entière ? il n’est pas facile de faire la part de ces différents éléments ; ce qui est sûr, c’est que cet écrivain souhaitait faire de son mieux, connaissait ses limites et par modestie, ne voulait pas les cacher. Il reste malgré tout le seul écrivain témoin à nous avoir transmis l’histoire de la période mérovingienne, se basant sur son vécu et sur son savoir pour le passé récent, faisant référence à des historiens qui seraient restés totalement inconnus sans lui, comme OROSE, SULPICE, ALEXANDRE, RENATUS PROFURUS FRIGERIDUS… Son honnêteté domine encore, en cas d’hésitation ou d’ignorance ; il ne le cache pas mais le dit ouvertement, comme par exemple, le doute persistant quant au début de la royauté chez les Francs :

« On ignore généralement quel fut le premier roi des Francs, car Sulpice Alexandre, en parlant souvent de ce peuple dans son histoire, ne nomme nulle part son premier roi. Il se contente de dire que les Francs avaient des chefs ou ducs, (...) » (GRÉGOIRE DE TOURS, L'Histoire des rois francs, page 17)

Gabriel MONOD a loué « ce cœur chaleureux et tendre, la rectitude d’esprit, la noblesse de sa nature, le courage intrépide, un esprit de charité et de désintéressement qui lui a valu à bon droit le titre de saint ». (cité par Charles LELONG, Grégoire de Tours, page 9)

 

Son œuvre :

Son œuvre est un reflet des évènements qu'il a vécus au fil de sa vie, en plus de l'analyse des siècles passés depuis le début du monde. GRÉGOIRE DE TOURS est le seul à avoir décrit l'histoire de son temps à cette époque, en rapport avec les rois mérovingiens et les grands personnages. Il nous donne son avis, jamais neutre et jamais ennuyeux.

Dans son « Histoire des Francs », rédigé entre 576 et 580, il souhaite aborder l'ensemble de l'histoire du monde en dix livres divisés en trente à quarante chapitres, depuis Adam et Ève à l'an 591. Les quatre premiers vont de la genèse à la mort de SIGEBERT Ier en 575. Dans le livre premier, il commence par la Genèse :

« Au commencement, le Seigneur forma le ciel et la terre dans son Christ, qui est le principe de toutes choses, c’est-à-dire dans son Fils, et après dans la création de tous les éléments du monde entier. » (GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, page 36)

Suit la création de l’homme et de la femme puis l’histoire de l’ancien testament. C’est une profession de foi catholique :

« Je crois donc en Dieu le Père tout puissant. Je crois en Jésus-Christ son fils unique, (...) Je crois que le Saint Esprit a procédé du Père et du Fils (…) Je crois que cette Trinité sainte subsiste avec ses personnes distinctes, (…) » (GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, pages 34 et 35).

Sa profession de foi voulait être l'affirmation de sa croyance en la Trinité, controversée à son époque en particulier par les Ariens.

Chaque livre se termine par une récapitulation chronologique dans un souci de bien fixer les dates. Par exemple, pour terminer le livre premier, GRÉGOIRE DE TOURS écrit :

« Fin du premier livre contenant les 5.596 années qui se sont écoulées de l’origine du monde jusqu’à la mort de saint Martin évêque. » (GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, page 69)

Cette minutie de précision le caractérise même si elle se trouve parsemée d’erreurs chronologiques involontaires ; par exemple, à la fin de son livre, lorsqu’il précise :

« De ces années la somme totale est : 5792 années. Ici se termine au nom du Christ le livre dixième des Histoires. » (GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, Introduction, page 10)

Le deuxième livre aborde les origines de la dynastie mérovingienne, son expansion en Gaule jusqu’à la mort de Clovis. Il se termine sous la génération des quatre fils de Clotaire. GONTRAN est décrit par GRÉGOIRE DE TOURS comme le bon roi et évêque et CHILPÉRIC, le roi méchant. Cette analyse caricaturale est là pour servir la foi catholique.

Il veut aussi défendre les petits contre les grands et n’hésite pas à prendre sa plume pour montrer que les impôts trop lourds entraînent des révoltes justifiées :

« Chilpéric fit lever dans tout son royaume des impôts nouveaux et lourds. C’est pour cette cause que beaucoup, délaissant leurs cités et leurs propres possessions, gagnèrent d’autres royaumes, estimant qu’il valait mieux séjourner à l’étranger que de s’exposer à un tel danger. (…) Aussi le peuple limousin, quand il se vit chargé d’un si lourd fardeau, se rassembla le jour des calendes de mars et voulut tuer Marc référendaire qui avait reçu l’ordre d’exécuter ces prescriptions. Et il l’aurait fait certainement, si l’évêque Ferréol ne l’avait sauvé du danger qui le menaçait. Puis saisissant les livres des impositions, la foule rassemblée les incendia et les brûla. » (GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, cité par Jacques MARSEILLE, Le royaume des Francs, page 20)

Son charisme devant l’injustice envers le peuple s'oppose à son intransigeance pour ceux qui combattent les chrétiens. Pasteur vigilant et actif, il est alors sans pitié par exemple vis-à-vis des ariens qu'il appelle des « chiens immondes » (GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, cité par Charles LELONG, Grégoire de Tours, page 72).

Il sut résister aux pressions politiques et a le courage de ses idées : fidèle aux princes d'Austrasie (SIGEBERT et son fils CHILDEBERT), il sait faire respecter la neutralité de l'église dans les conflits. Il oblige à l'arrêt du pillage des soldats de THÉODEBERT (fils de CHILPÉRIC) dans son diocèse. Il sait faire respecter le droit d'asile en la basilique Saint-Martin de Tours, et il eut à déjouer bien des complots.

À partir du cinquième livre, la narration se transforme en un journal vivant, truffé d'anecdotes, de détails. Pour terminer, il nous narre la sécheresse de l'été 591. La conclusion se situe entre avril et août 594 ; c'est une sorte de testament qui récapitule l'ensemble des faits, donne la liste des ouvrages de références, testament certes puisque l'écrivain supplie les générations à venir de ne pas détruire cette somme de connaissances amassées ici :

« Bien que j'aie écrit mes ouvrages dans un style trop rustique, je vous supplie cependant, vous tous évêques qui après mon humble personne gouvernerez l'église de Tours, je vous conjure par l'avènement de Notre Seigneur Jésus-Christ et par le jour du jugement, effroi de tous les coupables, si vous ne voulez pas être confondus par ce jugement, ni être condamnés avec le diable, de ne jamais faire détruire ces livres ni même de permettre qu'on les récrive sous prétexte d'en faire des extraits et qu'on y pratique des coupures ; mais je veux qu'ils demeurent chez vous entiers et intacts tels qu'ils ont été laissés par nous. » (GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, page 16)

Il a trente-quatre ou trente-cinq ans quand il termine le livre IV. Il s'affirme déjà comme un théologien sûr de ses idées, en particulier de l'existence de la Trinité si controversée à l'époque avec la thèse de l'arianisme. Fervent défenseur du catholicisme, il s'engage avec loyauté, même parfois d'une manière naïve qui nous le rend plus proche de nous. Il n'hésite pas à nous donner des exemples discutables mais convaincu, il ne discute pas, il affirme : par exemple, il expose les crimes de CLOVIS lors de sa conquête de la Gaule et n'hésite pas à l'absoudre parce qu'il s'est converti. Il pense que Dieu l'a récompensé malgré ses crimes ce qui peut paraître puéril à un esprit scientifique mais sa foi était au-dessus de tout :

« Pendant cette guerre, un grand nombre d’églises furent pillées par l’armée de Clovis, parce que ce prince était toujours plongé dans les ténèbres de l’erreur. » (GRÉGOIRE DE TOURS, L’Histoire des rois francs, page 24)

GRÉGOIRE DE TOURS enchaîne quelques pages plus loin, avec la conversion du roi qui fait oublier toutes ses fautes :

« Le roi demanda le premier à recevoir le baptême de la main du pontife. Il s’avance, nouveau Constantin, vers le bain sacré pour se laver de la lèpre ancienne qui le couvrait, et faire disparaître dans cette eau salutaire toutes les taches dont il était souillé. » (GRÉGOIRE DE TOURS, L’Histoire des rois francs, page 28)

De même sa foi dans les reliques et les miracles, est absolue, sans discussion possible. Son bon sens et son honnêteté lui font tenir tête seul, dans des situations où personne n'oserait s'engager : par exemple, au procès de l'évêque Ronan PRETEXTAT, il est le seul à le défendre contre le roi CHILPÉRIC qui voulait imposer sa conception personnelle de la Trinité :

« aucun évêque ne lui répondit rien car ils craignaient la fureur de la reine. » (GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, cité par Charles LELONG, Grégoire de Tours, page 103).

GRÉGOIRE DE TOURS alors parle devant tous :

« Ne vous taisez donc pas, mais prêchez tout haut, et mettez devant les yeux du roi ses péchés, de peur qu'il ne lui arrive quelque mal, et que vous ne soyez responsable pour son âme. » (GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, cité par Charles LELONG, Grégoire de Tours, page 104)

Malicieux, GRÉGOIRE DE TOURS décrit cet évêque avec bonhomie. Sa passion lui permet d'oser passer outre les préjugés.

À la mort de CLOTAIRE, il explique comment eut lieu le partage entre les quatre frères avec beaucoup de bon sens.

« Les funérailles de Clotaire étaient à peine terminées, que Chilpéric, le troisième de ses fils, s’empara des trésors de son père réunis au palais de Braine. Aussitôt il distribua ces richesses en présents aux Francs les plus braves et les gagna à sa cause. Avec eux il marcha vers Paris, et s’y établit dans le château qu’avait habité le roi Childebert ; mais on ne lui permit pas longtemps d’y rester ; en effet, ses frères se réunirent tous trois contre lui, le contraignirent à diviser l’empire en quatre parts, et à les tirer au sort.

Le sort donna à Charibert le royaume de son oncle Childebert, dont la capitale était Paris ; à Gontran, celui de Clodomer, capitale Orléans ; à Chilpéric, le royaume de son père Clotaire, capitale Soissons, et à Sigebert, le royaume de Reims, qui avait appartenu à son oncle Thierry. » (GRÉGOIRE DE TOURS, L’Histoire des rois francs, page 64)

GRÉGOIRE DE TOURS n’a pas omis de s’intéresser à la vie locale, aux calamités comme la peste, aux intempéries, séismes, famines qui seraient restés totalement inconnus de nous sans son témoignage, par exemple :

« Cette année-là une famine horrible fit d’affreux ravages dans toute la Gaule. Un grand nombre furent réduits à manger des pépins de raisin, ou des fleurs de noisetier ; d’autres faisaient du pain avec de la racine de fougère desséchée, réduite en poudre et mêlée avec un peu de farine. (…) Les pauvres se vendaient eux-mêmes et se soumettaient à l’esclavage, seulement pour un peu de nourriture. » (GRÉGOIRE DE TOURS, L’Histoire des rois francs, page 148)

Ou encore à deux ans d’intervalle, des crues catastrophiques :

« La cinquième année du règne de Childebert II, il y eut en Auvergne une inondation qui causa de grands ravages. La pluie avait tellement duré douze jours consécutifs, et la Limagne fut tellement couverte d’eau, qu’un grand nombre de cultivateurs ne purent ensemencer leurs terres. La Loire, l’Allier et les autres affluents de ces rivières s’enflèrent tellement qu’ils franchirent les bornes que jusque-là ils n’avaient jamais dépassées. Il y eut une perte énorme de bétail et de moissons, et un grand nombre d’édifices furent renversés. » (GRÉGOIRE DE TOURS, L’Histoire des rois francs, page 96)

« La septième année du règne du roi Childebert, (…), il y eut au mois de janvier des pluies, des éclairs et des grands coups de tonnerre ; des fleurs se montrèrent aux arbres. Une étoile que j’ai dénommée plus haut une comète apparut de telle sorte qu’autour d’elle il y avait une profonde obscurité (…). Il y eut aussi durant cette année une grande épidémie dans la population : des maladies variées, des éruptions accompagnées de pustules et des tumeurs qui ont frappé de mort beaucoup de gens. Beaucoup cependant, en prenant des soins, y ont échappé. Nous avons aussi entendu dire que pendant cette année la peste inguinale a sévi durement dans la ville de Narbonne au point qu’on n’avait pas de répit quand on l’avait attrapée. » (GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, cité par Jacques MARSEILLE, Le royaume des Francs, page 41)

Des secousses sismiques ne sont connus que par ses narrations comme par exemple :

« La ville de Bordeaux fut ébranlée par un tremblement de terre ; ses remparts faillirent être renversés, et la population effrayée s’empressa de sortir de la ville dans la crainte d’être engloutie avec elle. Un grand nombre d’habitants se retirèrent dans les villes voisines. Ce tremblement de terre se fit sentir jusqu’en Espagne, mais avec moins de force. » (GRÉGOIRE DE TOURS, L’Histoire des rois francs, page 97)

Quant à son enseignement historique, il est en premier visuel : il aime décrire le cadre de vie des gens ; il saisit le concret attrayant, aime joindre des exemples, rendant son discours plus spontané. Vers 1610, Claude FAUCHÉ dans ses « Œuvres » le dénomme père de notre histoire, premier historien de la France dans ses œuvres, pour nous avoir fait connaître la Gaule mérovingienne du VIème siècle : grâce à lui, on se souviendra par exemple, de nombreuses villes de France, de faits divers caractéristiques de l’époque, comme de l’assassinat en pleine cathédrale, à Rouen, en 585 ou 586, de l’évêque PRÉTEXTAT qui avait osé reprocher la vie dissolue de la reine FRÉDÉGONDE, ex-maîtresse de CHILPÉRIC, qu’on ne pense pas étrangère à ce crime. Elle provoqua d’ailleurs la mort des fils du roi, issus d’un premier mariage pour que seul le sien, CLOTAIRE, reste en vie. Voici les paroles de cet évêque :

« « (…) Il t’eût fallu faire pénitence et dépouiller l’orgueil qui fermente en toi, pour obtenir la récompense des saints, et conduire jusqu’à l’âge d’homme le fils que tu as enfanté. » Ces paroles blessèrent le cœur de Frédégonde et mirent le comble à sa haine et à sa fureur. » (GRÉGOIRE DE TOURS, L’Histoire des rois francs, page 162)

Le jour de la fête de Pâques, le même évêque chantait les psaumes quand, tout-à-coup :

« un meurtrier se glissa furtivement jusqu’à lui et le frappa de son couteau sous l’aisselle. » (GRÉGOIRE DE TOURS, L’Histoire des rois francs, page 162)

À son époque, Grégoire de Tours de part son courage, sa position, sa force de persuasion, sa foi inébranlable, était vénéré comme un bienheureux et ses restes furent par la suite, déposés dans une châsse, l’une de celles qui, au XVème siècle, entouraient le reliquaire de saint Martin (Charles LELONG, Grégoire de Tours, page 7). GRÉGOIRE DE TOURS était un saint évêque, grand témoin de son temps, écrivain de talent, conteur remarquable qui nous a laissé « des tableaux de mœurs d’un relief et d’un coloris incomparables ». GRÉGOIRE DE TOURS n’a pas été canonisé au sens actuel du terme mais il l’a été par ferveur populaire locale, c’est-à-dire que la tradition populaire chrétienne entérinait à cette époque, la sanctification. Après vingt et un ans d’épiscopat bien rempli, il a été vénéré comme saint puis à partir du Xème siècle, son culte s’est propagé tout d’abord localement à Tours, Poitiers, Clermont et dans de nombreuses abbayes bénédictines puis s’est étendu à toute la France.

GRÉGOIRE DE TOURS a traversé les siècles sans devenir désuet, preuve de sa modernité. L’intérêt de nos contemporains pour GRÉGOIRE DE TOURS ne s’est jamais démenti : en 1994, à l’occasion du 1 400ème anniversaire de sa mort, un colloque international sur « Grégoire de Tours et l’espace gaulois », a eu lieu à l’université François Rabelais de Tours, du 3 au 5 novembre 1994 ; il a été conçu par les Musées Départementaux de la Seine-Maritime. Une exposition documentaire a eu lieu au Musée des Antiquités de la Seine-Maritime, à Rouen, d’octobre 1994 à mai 1995 et conjointement à la Bibliothèque municipale de Tours en octobre 1994. Cette exposition constituée de panneaux avec combinaisons de citations de l’auteur, de textes explicatifs et de reproductions photographiques, est ensuite devenue itinérante dans toute la France. Un catalogue a aussi été édité pour permettre une diffusion plus large.

 

 

GRÉGOIRE DE TOURS a bien été le témoin privilégié d’une monarchie franque en devenir, fondée moins d’un siècle plus tôt par le mérovingien CLOVIS. Mais il n’a pas fait que d’être spectateur, il a voulu apporter son témoignage personnel en tant qu’écrivain, prenant position, redressant les torts, affirmant sa foi, tout cela avec une plume alerte, à la recherche du détail empêchant la lassitude, d’une manière vivante, n’omettant pas de faire parler les personnages. Oui, GRÉGOIRE DE TOURS n’est pas un historien dépassé par le temps ; il reste un journaliste actif et il n’a en rien perdu de la fraîcheur de son discours. Voilà un écrivain, fervent défenseur de la foi chrétienne, qui sait nous distraire en nous instruisant et le fait que ses écrits ont traversé tant de siècles, est là pour montrer qu’il est resté pour les français, le « Père de l’Histoire de France » ! Merci à GRÉGOIRE DE TOURS pour son apport de connaissances et nous tous, les tourangeaux, témoignons de notre fidélité à ses écrits, à sa mémoire.

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

BIBLIOGRAPHIE :

GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, traduit du latin par Robert Latouche, Les Belles Lettres - Denoël, Paris, 1963

GRÉGOIRE DE TOURS, L’Histoire des rois francs, traduit du latin par J.J.E. ROY, Gallimard, Paris, 1990

Célébration nationale du 1 400ème anniversaire de la mort de Grégoire de Tours, Musées départementaux de la Seine-et-Marne, Rouen, 1994

Michel LAURENCIN, Dictionnaire biographique de Touraine, CLD, Chambray-lès-Tours, 1990

Charles LELONG, Grégoire de Tours, CLD, Chambray-lès-Tours, 1995

Charles LELONG, Chilpéric, un grand roi méconnu, Mémoires de l’Académie des Sciences, Arts et Belles Lettres de Touraine, tome 6, 1993, pages 19 à 37

Jacques MARSEILLE, Le royaume des Francs, Nouvelle histoire de la France – Tome 4 : Le royaume des Francs, éditions France Loisirs, Paris, 1998