4èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES

Vendredi 9 août 2002, de 17 h 30 à 19 h

 

 Thérèse PLANIOL

Médecin, chercheur, écrivain

Portrait de Thérèse PLANIOL par Catherine RÉAULT-CROSNIER.

 

Thérèse PLANIOL est mondialement connue en tant que pionnier de la médecine nucléaire de la seconde moitié du XXème siècle. Elle a choisi sa vocation médicale à l’âge de douze ans. Professeur agrégé à Paris, professeur et chef de service au CHU de Tours, spécialiste en médecine nucléaire et ultrasons ; elle est aussi tourangelle de cœur puisqu’elle a adopté cette région, il y a une cinquantaine d’années, en achetant le château de Saint-Senoch, dans le Lochois, exactement en 1951. Si j’ai souhaité parler d’elle, c’est qu’elle est, en plus d’un grand professeur de médecine et d’un chercheur de renommée mondiale, officier dans l’Ordre de la Légion d’Honneur, un écrivain et un poète de qualité et de grande sensibilité. Je la remercie d’avoir si bien accueilli ma demande et d’avoir accepté d’être présente parmi nous.

 

Thérèse PLANIOL, après une vie médicale très active, est arrivée à l’âge de la retraite et a ressenti le besoin d’écrire, tout d’abord pour confier sa vie exceptionnelle au papier et par là, laisser à tous, un témoignage avec son livre « Une femme, un destin » (éditions Rive Droite)

Son deuxième livre « Herbes folles hier, femmes médecins aujourd’hui », est un éloge aux femmes qui se sont battues pour réussir en médecine, à une époque où les portes n’étaient pas vraiment ouvertes aux femmes pour des carrières de haut niveau.

Thérèse PLANIOL avait déjà en elle, le germe de l’écriture omniprésent, puisqu’elle a écrit des poèmes durant son enfance, sorte de jardin secret pour dire ses émotions. Durant sa vie active, elle créait quelques lignes sans avoir toujours le temps de terminer son poème. Elle laissait sur le papier, un premier jet, quelques idées. Depuis 1996, elle a retrouvé ce don de son enfance enfoui et elle écrit à nouveau des poèmes. Elle classe actuellement ses poèmes et envisage leur publication prochainement. Elle aborde le temps qui passe, la nature, l’amour, la Grèce... toujours avec émotion. Ce sera peut-être son troisième livre.

4èmes Rencontres littéraires des Prébendes - 09 août 2002 - Thérèse PLANIOL et Catherine RÉAULT-CROSNIER

4èmes Rencontres littéraires des Prébendes - 09 août 2002 -
Thérèse PLANIOL et Catherine RÉAULT-CROSNIER

Tout d’abord, partons à la découverte de son premier livre « Une femme, un destin ». Celui-ci peut servir de biographie : enfant de l’Assistance Publique, Thérèse PLANIOL s’est battue toute sa vie pour réussir. Elle allie une intelligence hors du commun avec une féminité indéniable et une volonté irrésistible, si je dis irrésistible c’est parce qu’elle lui a permis de réussir là où d’autres auraient baissé les bras. Cette force de caractère est extraordinaire et lui a permis, elle, enfant « recueilli », de faire des études longues et coûteuses et de passer outre les à priori : bien sûr, en tant que femme, beaucoup l’auraient vue en infirmière si elle aimait la médecine, plutôt que de briguer un poste haut placé. Mais elle n’avait que faire des préjugés et savait ce qu’elle voulait. Elle nous confie :

« C’est là guerre qui m’a aidée, parce qu’alors toutes les structures ont volé en éclats. »

Elle ne doit sa réussite qu’à sa ténacité et à son intelligence. Cela paraît presque un conte de fées lorsque l’on lit son livre et que l’on comprend toutes les difficultés qu’elle a dû surmonter : réticence liée à son origine, à son sexe dit faible - Une femme réussirait aussi bien qu’un homme ou même mieux ? Cela était impensable pour certains... -, réticence liée à ses supérieurs hiérarchiques qui pensaient qu’elle voulait décrocher la lune... Son livre est un chant d’espoir pour les désespérés :

« Ce livre est à la fois une thérapie personnelle, un document sur le milieu médical de l’époque et… un message que je souhaitais adresser à tous ceux qui désespèrent. » (interview à La Nouvelle République du Centre Ouest en 1996)

Enfin reconnue telle qu’elle était, Thérèse PLANIOL part à la recherche de son identité, de son passé, elle, l’enfant « recueilli ». Après une succession d’angoisses, de démarches vaines, d’entêtements, elle va finir par obtenir là aussi ce qu’elle cherchait :

« Ça vaut vraiment la peine de savoir d’où on vient. »

Elle aura la joie de découvrir qu’elle avait un grand-père médecin, interne des Hôpitaux de Paris, agrégé de physique, et qui lui était en tout point semblable.

Dans ce livre, quatre courants se détachent : tout d’abord sa ténacité dès l’école communale, ténacité qui ne la quittera jamais et lui permettra après maintes épreuves d’accéder à la faculté de médecine de Tours. Ensuite, son côté intellectuel scientifique qu’elle esquissera à peine dans son livre pour ne pas trop insister mais pourtant… « Elle a été un chercheur fécond, un enseignant brillant (…), l’un de ceux qui ont fait la médecine nucléaire, ce vaste champ du diagnostic médical et de la recherche basé sur l’emploi des isotopes radioactifs, » nous dit Maurice TUBIANA de l’Académie des Sciences. Par ailleurs son affectivité est omniprésente et sa recherche de l’amour sera comblée quand elle fera la connaissance de M. René PLANIOL, chercheur français travaillant aux États-Unis, être d’exception, avec lequel elle vivra jusqu’à la mort de celui-ci, trente-deux ans plus tard. Le dernier courant de ce livre concerne sa volonté de connaître ses origines quelles qu’elles soient. Bien sûr, elle appréciera de savoir que son grand-père paternel était médecin mais elle n’omettra pas de connaître les difficultés de sa mère et de sa famille pour essayer de les comprendre.

Après cette vue d’ensemble sur son livre, détaillons les points essentiels : Thérèse PLANIOL est née à Montmartre, en 1914. Confiée à l’Assistance Publique, elle eut tout d’abord une famille attachante, une nourrice qui l’accueille malgré son tempérament « turbulent et jaloux ». Thérèse accepte mal de partager sa place avec l’enfant de la famille et sa nourrice décide de s’en séparer. Elle crie sa souffrance profonde. Sa nourrice a choisi pour elle, sa belle-sœur. Thérèse est assoiffée de lecture, imbattable en orthographe, mal acceptée à l’école car elle refuse d’être humiliée et est différente... Elle est déjà une femme de combat. À douze ans, la femme qui l’élève, tombe très malade et Thérèse la soigne, lui fait ses piqûres. À partir de ce moment, elle a décidé d’être docteur pour sauver les gens. Elle est la deuxième du canton au certificat d’études. Assoiffée de lecture, elle dévore tous les livres de la bibliothèque de l’école : « Andersen, Grimm, Perrault, Walter Scott, Dickens, Georges Eliot, Tolstoï ». Elle réussit ses Brevets, fait preuve de personnalité, pouvant aller jusqu’à gifler sa maîtresse quand celle-ci la punit injustement. Elle n’est jamais restée passive devant l’injustice !

Après les déboires de l’école, elle fait l’apprentissage d’autres injustices dont celle de la condition féminine qui lui ferme la porte de la faculté de médecine... Elle prépare donc la licence ès Sciences et mène de front, deux certificats : mathématiques et chimie. Elle réussit mais n’obtient qu’un travail dans l’administration. Elle profite de ce temps pour commencer par hasard des recherches sur sa famille et elle lit :

« 30 Mars 1915 : Dupeyron Suzanne, 23 ans, dépose en vue d’abandon une fille, Thérèse, née le 25 décembre précédent, 38 rue Damrémont, Paris XVIII°. Père inconnu. La mère déclare ne pouvoir garder cet enfant, vu qu’elle a déjà à sa charge une fille de vingt mois et sa propre mère impotente. » (page 62)

La guerre lui permet d’être acceptée pour faire ses études de médecine car « on manque de médecins. » C’est la chance de sa vie. Lors de son premier stage à Bicêtre, elle est impressionnée. Reçue externe, elle se passionne pour la médecine pratique. Elle obtient une place d’interne à l’Hôpital des Enfants Malades, chez 1e Professeur Robert DEBRÉ. Thérèse n’est pas juste une intellectuelle avide de connaissances. Elle sait être émue devant son impuissance à guérir :

« La peine que je ressentis devant cet enfant qu’on ne sut pas empêcher de mourir se doubla d’un amer sentiment de révolte. N’était-ce pas la pire des injustices, l’injustice de la mort qui frappe un être innocent ? L’horreur de l’inéluctable dû à notre incapacité. » (page 83)

Bientôt elle se rend compte que la pédiatrie n’est pas sa voie mais plutôt la recherche en biologie. Elle s’intéresse alors aux éléments radioactifs.

Chaque été, elle retourne dans l’Auvergne de son enfance pour revoir ceux qu’elle aime et qui l’ont élevée.

En 1942, elle est Externe des Hôpitaux et a vingt-sept ans. Elle recherche à nouveau ses origines. Elle trouve l’adresse de sa mère et demande à la voir incognito, sous un faux prétexte : elle se présente comme une assistante sociale et l’interroge :

« - Vous n’avez pas cherché à savoir ce qu’elle était devenue ?
- Une fois j’ai demandé des nouvelles. On m’a dit qu’on allait la placer en province, chez de braves gens. J’ai pensé que ça vaudrait mieux pour elle que d’être ici dans la misère.
 » (page 88)

Elle apprend le nom de son père, Henri PERSON et sa mère n’est pas sans cœur puisqu’elle dit :

« J’aurais quand même bien voulu qu’elle soit heureuse, cette petite. » (page 89)

Thérèse continue à jouer le jeu de l’assistante sociale mais ce n’est pas sans émotion qu’elle répond :

« Ne regrettez rien. Elle est sûrement heureuse, votre deuxième fille. » (page 89)

Thérèse arrêtera là ses investigations pour l’instant. Côté travail, elle devient chercheur isotopiste sous l’égide du Professeur Maurice TUBIANA et elle suit un cycle d’enseignement complémentaire sur les radio-isotopes, organisé par le Commissariat à l’Énergie Atomique. Elle se sent à l’aise là, dans ce « champ de la médecine basé sur l’emploi des isotopes radioactifs dans le diagnostic et la thérapie. » (page 92)

René PLANIOL qu’elle a rencontré, souhaite la revoir et lui écrit :

« Nous pourrions aller dans cette région de Touraine dont je suis sûr que vous apprécieriez la douceur et la beauté, ... » (page 92)

Son futur mari avait déjà pressenti leur attachement réciproque pour cette région de France. La Touraine va donc devenir terre d’accueil pour Thérèse. Elle lit les lettres de René et y puise le réconfort dont elle a tant besoin. Il prépare son retour :

« Hôtel retenu : le Choiseul à Amboise. »

Quel souffle passionné, quelle douceur et quelle tendresse se dévoilent ici, à travers des mots simples et intenses ! Quel bel hommage à son amour !

Robert DEBRÉ est alors en vacances dans sa délicieuse demeure des Madères à Vernou et ils déjeunent un jour chez lui.

Après la Touraine, René PLANIOL l’emmène en Bretagne puis en Auvergne, revoir sa famille adoptive qui leur fait fête. René emporte ensuite Thérèse en Amérique, à New York car c’est le coup de foudre :

« Tu es folle ? Tu pars en Amérique avec un homme que tu connais depuis un mois ! » (page 97) lui dit une amie. Mais elle n’entend rien. Chaque jour, René écrit des notes qu’elle compulsera plus tard pour forger son livre. En Amérique, la vie n’est pas facile ; elle ne trouve pas de travail. Ils décident de revenir en France. Elle voudrait reprendre un travail mais sa santé est défaillante. Elle en profite pour lire tous les documents publiés et accessibles en France sur les radio-isotopes. Pendant deux ans, elle prépare sa thèse dans le service du Professeur Robert DEBRÉ sur le passage du sodium radioactif dans les méningites de l’enfant et met au point un test pour faciliter le diagnostic précoce et le pronostic de la méningite tuberculeuse. Son travail obtient la Médaille d’argent de la Faculté. Sous une apparence de vie routinière dans un laboratoire de neurophysiologie, elle fait des recherches sur l’utilisation des isotopes. Elle s’installe à la Pitié-Salpêtrière ; elle devient chef de laboratoire de la Faculté attaché à la chaire de neurochirurgie en plus de son poste de chargé de recherches à l’Institut National d’Hygiène. Combattante, elle continuera de lutter pour s’imposer car « Le travail progressait encore, ce qui augmentait les difficultés. » (page 126)

Elle met au point une nouvelle méthode de diagnostic des tumeurs cérébrales. Elle obtient l’agrégation de physique médicale à la deuxième tentative. Elle souhaite créer un centre d’examens non invasifs, en associant d’abord l’échographie à la gamma-encéphalographie (GEG) :

« - Monsieur, vous savez combien je m’intéresse aux ultrasons. Ils font partie des méthodes physiques de mon labo.
- Vous avez déjà assez à faire ! Vous voulez tout
. (…) » (page 143 )

Thérèse PLANIOL ne baisse jamais les bras. Elle sait que sa lutte incessante ne sera jamais terminée. Dans sa passion pour son travail, elle ne désarmera jamais. Elle finit par obtenir un poste de chef de service aux Explorations Fonctionnelles par Méthodes Physiques (EFMP) mais elle attend qu’une place de professeur titulaire de chaire à la Faculté de Tours soit créée pour elle. On lui conseille en attendant de « rester tranquille ! ». Vu son caractère, c’était heureusement impossible. Elle part donner des conférences au Pérou, à Mexico et partout elle est reçue comme une « grande dame ». Elle revoit le Professeur Robert DEBRÉ qui répond à ses projets d’un centre régional :

« Mais c’est magnifique ! Bien sûr il faut venir à Tours. Vous remuerez ces tourangeaux endormis. Et puis on a besoin de vous. » (page 150)

Le Professeur DESBUQUOIS la soutient aussi. Elle devient en 1968, titulaire de la chaire de biophysique nouvellement créée à Tours. Dans cet univers médical bouillonnant d’activités, Thérèse sait encore admirer le ciel :

« Depuis que je le connais, le ciel de Touraine me fait rêver. Il contient tous les ciels du monde et les montre selon sa fantaisie. » (page 159)

Oui, Thérèse PLANIOI, est bien amoureuse de la Touraine. Elle aime la « lumière oblique, transparente et dorée sur les maisons blanches, les sables de la Loire, les ondulations verdoyantes du Lochois. » (page 159), tout ce qui l’avait séduite lors de son premier séjour à Amboise en 1947.

Nommée à Tours en 1968, elle s’y installe avec joie. Mais les aléas de la vie ne sont pas terminés. De nouveau acculée par manque de moyens financiers, elle n’hésite pas à écrire simplement au président de la République... ! Et celui-ci lui alloue enfin le crédit qui lui était refusé auparavant. Mais vous l’avez deviné, elle ne se repose jamais sur ses lauriers et elle a comme elle le dit « De quoi m’occuper sans relâche. » (page 165)

Elle loue un petit appartement à Tours dans le paisible quartier des Prébendes, au 42, rue Roger Salengro, pour pouvoir ainsi voir son mari presque quotidiennement. Elle retourne dans son château de Saint-Senoch pour le week-end. Elle a un accident de la route près de chez elle et seule sa volonté farouche lui permet de s’en sortir. En 1972, elle organise avec son équipe, un Colloque international de Médecine nucléaire à Tours puis crée la Société Française d’Ultrasons en Médecine et en Biologie dont elle est la Présidente fondatrice.

Son mari est nostalgique de sa vie rongée par le travail et par le peu de temps pour se voir. Il lui dit : « Pensez-y ». Elle en souffre mais que faire ? Elle est nommée Chevalier de la Légion d’Honneur. Elle limite ses déplacements car son mari est fatigué.

Il est victime d’un accident de la route au même endroit où Thérèse avait eu son accident de voiture. Il meurt, laissant celle-ci avec un grand vide :

« Respectant un vœu passé dans les non-dits je le fis inhumer dans son cher Saint-Senoch, à la place du parterre de roses qu’il avait plantées pour moi, près du bosquet rond où il avait passé tant d’heures. » (page 185)

Elle souffre de cette absence. Elle quitte le service du CHU de Tours, le 6 novembre, noyée sous « l’amoncellement de cadeaux et de remerciements ». C’est pour elle, un baume pour le cœur. Et après ? Après, elle vit sous le charme de cette élégante demeure, avec le souvenir de son mari, proche de la nature, recevant ses amis avec le sourire et la douceur qui la caractérisent. « Ne pas s’attendrir, j’avais repris la route » (page 198), nous confie-t-elle.

Cet amour, elle veut l’éterniser dans des poèmes qui sont un hymne à la beauté de l’amour, tel celui-ci :

« JE T’AIME

 

Je vis en toi
Tu vis en moi

Je t’aime

Chaque soir, chaque aurore
À chaque instant du jour

Je t’aime

Chaque mot, chaque chant
Est un hymne à l’amour

Je t’aime

Gravissant tes monts
Traversant les plaines

Je t’aime

Malgré la souffrance
L’angoissant silence
Le noir de l’absence

Je t’aime

Loin des vieux tourments
Loin des clairs moments
Loin de la vie même

Je t’aime »

 

 

Son deuxième livre « Herbes folles hier, femmes médecins aujourd’hui » est de la même veine que le premier dans le sens où c’est la passion qui conduit son auteur. À travers les destins de ces femmes qui se sont battues et ont réussi, Thérèse PLANIOL se retrouve, elle qui s’est aussi battue et a réussi. Elle souhaite rendre hommage là, aux femmes pour démontrer s’il n’en était besoin, qu’elles aussi, peuvent réussir si on leur en donne les moyens.

Ce livre de 338 pages, est composé de trois parties. Dans la première, l’auteur nous narre l’historique de la place des femmes en médecine. Aux temps libéraux du Moyen Âge, succède une dure période d’ombre de sept cents ans, temps pendant lequel les femmes se sont effacées, puis c’est l’explosion. Elles réapparaissent comme des êtres vivants au XIXème siècle, avec de vraies battantes en Amérique, en Grande-Bretagne, en France ; elles luttent contre les préjugés solidement établies et pour conquérir une place qu’elles méritent.

En 1850, les femmes étaient encore réduites aux rôles de « sage-femmes et d’infirmières » (page 33). Pourtant, durant le Moyen Âge, certaines femmes ont eu une place de premier plan, par exemple en Allemagne, l’abbesse Hildegarde Von Bingen, érudite, médecin par les plantes, écrivain (page 30) mais bien vite à Paris, « un édit de 1313 interdit aux femmes de pratiquer la chirurgie » (page 31). Thérèse PLANIOL nous montre l’effort de certaines femmes pour arriver à franchir les barrières de l’exclusion du monde médical, au XIXème siècle. Par exemple, Elisabeth BLACKWELL a été la première femme américaine à devenir un médecin de renommée internationale (page 40), Lydia FOLGER, le « premier professeur d’anatomie et d’obstétrique en Amérique, diplômée en 1850 » (page 41), Elisabeth GARRETT, « la première femme inscrite à l’ordre des médecins britanniques » (page 45), Augusta KLUMPFE et d’autres en France dont Françoise DOLTO. Même si quelques-unes arrivent à la thèse de doctorat, l’égalité de la profession médicale ne pouvait pas réussir sans l’émancipation de la femme. Thérèse PLANIOL nous entraîne dans leur lutte. La guerre de 1940 sera favorable à la promotion de la femme par manque de bras.

Dans la seconde partie, l’auteur nous dresse des portraits de femmes médecins d’aujourd’hui pour nous apporter la preuve qu’elles existent et ont réussi, même si certains voulaient encore en douter.

Thérèse PLANIOL sait nous les présenter d’une manière attrayante, en les interviewant. Chacune nous parle de sa réussite médicale, de sa vie de couple et de famille et des difficultés pour tout concilier, mais aussi de la joie à avoir réussi, ne regrettant pas ses choix, d’être pleinement épanouie. Parmi une soixantaine de portraits pris sur le vif, nous pouvons citer Annie JACQUET, « mère de trois filles, praticien hospitalier au CHU de Tours depuis 1992 » qui nous confie comme Édith PIAF : « Mais, je ne regrette rien » (page 101), Josette DALL’AVA-SANTUCCI, Professeur, Chef de service de Physiologie et d’exploration fonctionnelle à l’hôpital Cochin (page 113) et aussi écrivain, Mireille BROCHIER, Professeur émérite, ex-Chef de service de cardiologie du CHU de Tours et qui était à Alger, la seule femme interne puis la seule femme chef de clinique. Thérèse lui demande :

« À choisir, recommenceriez-vous la même vie ? »

Elle n’hésite pas :

« Oui sans aucun doute. » (page 134)

Il y a encore de nombreuses autres femmes dont Sylvie GISSELBRECHT, médecin, chercheur sur l’oncologie cellulaire et moléculaire à l’hôpital Cochin, Annette ALFSEN, ex-directeur de recherche CNRS, Claudie ANDRÉ-DESHAYS, la seule femme française médecin de l’espace, Marie-Claude TESSON-MILLET, directeur du « Quotidien du Médecin », Michèle BARZACH, médecin gynécologue puis Ministre de la Santé… En tout trente neuf portraits.

Pour terminer, Thérèse PLANIOL dialogue avec les hommes et à ces regards qui se croisent, elle demande « Encore un peu de patience » (page 331) pour ces « blés en herbe » (page 335) qui ne demandent qu’à mûrir avec le temps. Certains hommes n’hésitent pas à reconnaître les valeurs des femmes dont le Professeur Jean BERNARD qui confie :

« ... mes élèves femmes étaient supérieures aux hommes, parce qu’elles avaient à triompher de plus grandes difficultés que les garçons. » (page 301)

Le Professeur d’immunologie, Patrice DEBRÉ, petit-fils du Professeur Robert DEBRÉ ne voit « pas de différence entre les hommes et les femmes au niveau des aptitudes. » (page 312), en dehors de « la chirurgie et la réanimation parce que, d’une part c’est physiquement très dur, et d’autre part c’est très difficilement compatible avec une vie de famille et des enfants. » (page 312)

Cependant Thérèse PLANIOL nous met en garde contre la persistance de « machisme, de misogynie », (page 330) mais elle reste optimiste :

« La marche vers l’égalité est irréversible, c’est une question de temps, l’affaire d’une génération. » (page 330)

Il est vrai qu’à voir des femmes de caractère comme elle, on comprend qu’elle espère la résolution du « problème de l’antinomie séculaire entre le concept d’égalité et la différence naturelle des sexes. » (page 338) Femmes phares, pionnières, merci pour le message que vous nous apportez et merci à Thérèse pour sa modestie, laissant la parole aux autres femmes, pour mieux gagner l’homme à sa cause.

 

 

Thérèse PLANIOL a su avoir toujours confiance en l’avenir. Sa vie a été dominée par la passion, passion de découvrir, de s’enrichir, d’aimer. Là où beaucoup d’autres auraient baissé les bras, elle, a relevé les manches et a refusé de se laisser abattre. Au risque de tout perdre, elle a préféré le goût de la lutte et y a tout gagné. Au faîte de sa gloire, elle a continué à être humble et poète, et à reconnaître combien l’être humain est petit et fragile :

« ALLER - RETOUR »

 

On vient au monde un moment

En criant

On sort du monde un moment

En jouant

On rit du monde un moment

En chantant

On prend le médicament

On s’endort

Après un autre moment

On ressort

On retrouve ses tourments

Près du port

On prend la rafale un moment

Sous le vent

On laisse le monde un moment

Dans l’effort

On en sort heureusement

En mourant
Commodément
 »

 

Poète, Thérèse PLANIOL l’est vraiment et ses poèmes reflètent sa grande sensibilité, ses états d’âme sur la mort, le temps qui passe, l’amour, la nature, avec des mots simples et forts, profonds et musicaux. Par exemple, dans le poème intitulé « Le temps », Thérèse PLANIOL part à la recherche du temps perdu par un rythme saccadé avec des couplets dont le premier vers est toujours un adjectif déterminant le temps : imperturbable, inépuisable, impitoyable, inconcevable, inexorable, insaisissable, incalculable alors que 1e dernier vers est plaqué en deux mots « Le temps », refrain lancinant, leitmotiv revenant comme un accord de musique. Nostalgie et réalisme dominent ici :

LE TEMPS

 

Imperturbable
Il nous regarde passer
Le temps
Cruel ou indifférent,
Aimable et parfois souriant
Il nous regarde passer
Le temps

Inépuisable
Il donne un peu de lui-même
Le temps
De dire un petit « je t’aime »
Et de repartir en pleurant
Personne ne trouve son content
De temps

Impitoyable
Nous avons beau rejeter dans
Le temps
La page noire, la page en sang,
Laisser des blancs,
Vouloir fixer les bons moments
Tenter d’effacer ses outrages.
Il s’en moque bien
Le temps

Inconcevable
Il est l’avant, il est l’après
Le temps
Il tourne et tourne sans arrêt
Et de ses innombrables mains
Il comprime nos lendemains
En se jouant de nos destins
Le temps

Inexorable
Si avec sa belle assurance
La physique le fait marcher droit
Et prétend à sa connaissance
En le croyant innocent
Lui seul sait où il va
Le temps

Insaisissable
Il est le maître de nos actions
Des vides qui nous semblent longs
Des plongées de méditation
Le temps

Incalculable
Indifférent aux équations
Nourri d’hiver et de printemps
Dans sa grandeur impénitent
N’est-il pas qu’une illusion
Le temps ?

 

Mais même si le temps s’en va, il ne faut pas rester indifférent devant la vie quotidienne et Thérèse PLANIOL dans son poème « Trop de tout » nous confie son désarroi devant l’abondance d’indifférence, de leurres, de désespoir, de haine. Ce poème est un cri, un appel au secours : comment faire pour trouver du goût à la vie ?

TROP DE TOUT

 

(…)

Il y a trop de tout, Paul Valéry,
Trop d’indifférence et de haine
Pourquoi n’avez-vous pas écrit
Comment liquider les chaînes
Et détruire tous les venins
Pour trouver du goût à la vie
Sans la terreur du lendemain ?

 

Puis ce poète aborde l’angoisse du passé avant la naissance :

TU ES

 

Tu apparais on ne sait quand
Tu émerges d’on ne sait où
Mais es-tu vraiment apparu
De quel ailleurs es-tu venu

(…)

 

Et le temps sème au fur et à mesure des couplets, la souffrance, la désespérance. Le temps s’égoutte vers le point final comme un couperet qui tombe :

L’instant où les ponts sont coupés
Toi tu poursuis indifférent
Ta route vers l’éternité
Implacable tu es… tu es

Tu es le Temps Tuez le temps

 

Ce jeu de mots final est un pied de nez moqueur à la mort qu’elle veut tuer par un cri parti du cœur. Heureusement la nature est là pour panser les plaies et Thérèse PLANIOL jongle avec les couleurs pour composer un bouquet de fleurs, un hymne à la renaissance, un feu d’artifice de joie, orange, bleu, rose, or jaillissent dans le poème :

IKEBANA

 

Aime et savoure l’orange ardente

Dans les vagues bleutées de l’horizon du soir

Prolonge de tes mains savantes

Le doux moment entre nuage et pluie

Cueille un bouton de rose blanche

Une perle d’eau sur la feuille verte

Aime l’automne qui a pris l’or de tes cheveux

De la nuit le bleu profond

Le soleil et la fleur

Les nuages et l’automne
Avec toi dormiront
Tout renaîtra demain
Sous une autre couleur

 

Ce poème de douceur est un baume pour le cœur et il nous entraîne dans la profondeur de l’union avec la nature et son mystère apaisant. L’amour est aussi un des thèmes favoris de ce poète. Nous l’avons déjà remarqué avec le poème « JE T’AIME » dont les vers sont plaqués comme des accords de musique. Avec « AVEU », l’amour charnel passe même si le souvenir entretient la présence au-delà de l’absence ; l’amour profond reste bien ancré dans le temps c’est pourquoi Thérèse PLANIOL peut nous confier :

«  (…)

Si je ne t’aime pas passionnément
C’est parce que, vois-tu, je t’aime infiniment »

 

Mais la pensée oscille entre l’infini et la cruauté du présent comme dans « COUPABLES », poème qui rappelle la folie destructrice de l’homme, et plus particulièrement un fait récent, l’écrasement des deux tours jumelles à New York. Là encore, ce poème est un cri, une question « Pourquoi ? » devant la douleur, l’injustice :

Pourquoi ici la paix et le vent du silence
Pourquoi là-bas la faim, la faim dans la tourmente
Pourquoi ici du feu, de l’air, du pain
Pourquoi là-bas la haine et les grands froids

Et des hommes d’enfer
Des coups, du sang, du fer
Des planches entassées
Des corps déchiquetés

D’inhumaines douleurs en fous hululements
Restes de vies perdues en vains gémissements

Coupables, coupables, tous coupables

 

Je vais terminer par le début, oui le début de ce livre de poésie à paraître, ce livre pas encore né. Sa préface envisagée est un hymne comme celui de Paul ÉLUARD dans son poème « Liberté ». Ici, c’est Thérèse PLANIOL qui nous confie dans un cri :

POURQUOI J’ÉCRIS

 

J’écris pour ceux qui m’aiment, (…)

J’écris pour moi, pour explorer, plongeur attentif, les paysages profonds de mes fonds sous-marins, pour retrouver les épaves brisées, insolubles dans l’océan de la vie qui les a enrobées de la rouille ou des coraux de la mémoire.

J’écris pour voir bouger au ralenti les visages oubliés qui ont un moment coulé dans le fleuve ardent de ma jeunesse.

J’écris pour retrouver mes bonheurs, effacer mes regrets, (…)

J’écris pour ignorer le temps qui passe, le temps qui lasse, et qui s’entasse au gré du vent.

J’écris pour revoir sans passion, du dehors et du dedans, se dérouler la vie de l’autre moi, si proche que je ne voyais pas.

J’écris l’incommunicable que je glisse dans le monde des interlignes.

J’écris sans m’émouvoir de l’heure qui tremble, à l’abri des grands sentiments, afin que nous continuions à vivre ensemble, dans la sérénité de l’accomplissement.

J’écris pour vous, pour moi, pour eux là-bas.

 

 

Oui, c’est vrai, il restera la trace de l’écrit, de la grandeur d’âme de chacun et celles de Thérèse PLANIOL n’ont pas fini de nous éclairer. Sachons à travers sa présence et ses mots, garder la beauté de sa vie passionnante. Oui, Thérèse PLANIOL, nous vous remercions pour cette belle leçon de courage qui peut redonner espoir à chacun d’entre nous, si nous savons comme vous, mettre la passion de la vie au-dessus de tout !

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

BIBLIOGRAPHIE :

La Nouvelle République du Centre Ouest, article « Thérèse PLANIOL, une femme, un destin »

Thérèse PLANIOL, « Une femme, un destin ». 230 pages, 1996, Paris, Éditions Rive Droite

Thérèse PLANIOL, « Herbes folles hier, femmes médecins aujourd’hui », 345 pages, 2000, Éditions Cheminements

Thérèse PLANIOL, poèmes dactylographiés.