4èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES

Vendredi 2 août 2002, de 17 h 30 à 19 h

 

Hommage à Annie SPILLEBOUT

(1916 - 1998)

par Catherine RÉAULT-CROSNIER

Catherine RÉAULT-CROSNIER présentant Annie SPILLEBOUT, aux 4èmes rencontres littéraires des Prébendes à TOURS, le 2 août 2002.

 

Annie Spillebout était pour moi, une grande amie en poésie. Elle est née sous le nom de Collin, le 28 août 1916 et est décédée à Tours, le 26 juin 1998. Son mari, Monsieur Gabriel Spillebout, Professeur émérite à la faculté des Lettres de Tours à partir de 1979, connaissait bien ses talents de poète et l’a incitée à publier trois recueils de poésie, « Le fer et l’eau » en 1973, « Trois heures du matin » en 1975 puis « Brimbelles » en 1978.

Ces trois livres ne contiennent qu’une partie de son œuvre mais sont représentatifs de son style classique, emprunt de nostalgie, de cris de douleurs, d’émotion profonde, de romantisme.

En 1975, Annie Spillebout est lauréate de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre. En 1983, elle obtient un grand prix de poésie classique, le prix Maurice Rollinat.

Elle était membre de l’Académie Berrichonne,

présidente d’honneur des amis de René Boylesve,
vice-présidente d’Art et Poésie de Touraine,
membre des amis de Maurice Rollinat,
membre du jury du prix Maurice Rollinat depuis 1987,
membre des amis de Marcel Proust,
membre des amis de Rabelais,
membre des amis de Paul-Louis Courier,
membre des amis de George Sand à Carpentras,
membre de l’association de la défense de la langue française.

Marcel Proust et Maurice Rollinat étaient ses deux auteurs préférés mais elle s’intéressait à la littérature de tous les siècles et n’hésitait pas à aborder la littérature étrangère.

Elle aimait utiliser de préférence des formes moyenâgeuses comme la ballade, le rondel et même le pantoum, plutôt que les formes habituelles qu’elle savait pourtant manier avec habileté. Elle recherchait les formes avec retour ce qui créait un refrain à ses poèmes en même temps qu’un leitmotiv lancinant. Les idées fortes qu’elle voulait transmettre, ressortaient alors avec plus de vigueur et de musicalité.

Dans le poème « Sur le thème de l’aventure », elle nous confie dans un murmure « Si je pouvais partir » et ces paroles reviennent pour insister sur son désir, sur cet élan imaginaire, un peu comme dans « Le bateau ivre » d’Arthur Rimbaud :

« Si je pouvais partir, comme une Romantique,
Partir vers des pays d’où l’on ne revient pas !
Vers un Orient factice, ou quelque Pacifique
Où je retrouverais des Gauguins pas à pas.

( ...)

Si je pouvais, mon Dieu, d’une harmonie florale
Orner ce qui me reste à vivre de printemps !
N’être qu’un chant jailli d’une ardente chorale
Et ne plus adorer que la fuite du temps.

Alléger ma lourdeur, puis assécher mes larmes,
Rire comme l’on rit quand on n’a pas vécu ;
Croire à de vieux gris-gris et retrouver des charmes
Pour mourir de bonheur au paradis perdu ... »

 

Dans ce voyage de rêve, elle nous parle de Gauguin et « du paradis perdu » et d’« adoration de la fuite du temps » ce qui ne peut que nous rappeler le livre « À la recherche du temps perdu » de son auteur préféré Marcel Proust.

Dans son premier livre « Le fer et l’eau », les titres à eux seuls contiennent le message du poète, ses thèmes préférés : la nature, les voyages, la nostalgie, les douleurs.

La nostalgie, l’acceptation de la vie même lorsqu’elle est cruelle, Annie Spillebout l’exprime avec force dans « Bonheurs », « Soir », « Impuissance », « Continuité », « Ceux qui restent », « Néant », « Vieillesse », ... Ici jaillit toute l’intensité d’émotion de ce poète devant les douleurs de la vie comme dans le poème « Ceux qui restent » :

« Dans les soirs quotidiens où les choses pareilles
Tisseront leur cruelle et calme indifférence,
Nous serons là, raidis dans le mensonge immense,
Et d’insipides mots dérouleront leur chaîne.

Et le feu rougeoyant au fond de nos cervelles,
Nos gestes coutumiers et leur même cadence
N’en sauront pas trahir l’horreur et la démence,
Qui viendront s’affaisser au bord de nos prunelles.

Si l’un de nous parfois, sortant de soi quand même,
Poussait l’atroce cri d’impuissante révolte,
Le monde quotidien le prendrait à la gorge,
Et la mort du silence endormirait sa haine. »

 

Le poète exprime ici l’intensité de sa douleur par « la mort du silence » pour endormir « la haine » ; c’est un cri venant du plus profond de son intimité, un appel au secours. Ce livre se termine avec « Dieu fuyant », poème d’angoisse où elle essaie de trouver la foi :

« Je tends mon corps, désespéré (...)
Vers ce Dieu jamais rencontré ... »

 

Ce texte murmure des choses qu’on n’ose pas dire car qui dans la douleur, n’a pas douté de Dieu ?

Dans « Trois heures du matin », son deuxième livre, elle nous parle de son passé comme dans « Image alsacienne » où le poète promène ses pensées sur les bords du Rhin :

« Vous rappelez-vous bien mes âmes,
le canal de la Marne au Rhin
que, par de beaux jours, nous longeâmes ? »

 

Chez Annie Spillebout, tout poème descriptif comporte un message, ainsi celui des bords du Rhin, nous parle des âmes qui sont celles des défunts que le poète aima.

Après l’Alsace, Annie nous raconte Paris à travers « Les pigeons de Notre Dame ». On connaît l’attrait que ces oiseaux ont exercé sur elle. Annie aimait les regarder, les écouter, les nourrir. Elle traite ici de deux sujets en parallèle, de la Vierge Marie qu’elle supplie et des pigeons roucouleurs qui, eux aussi, sont un baume venu du ciel pour soigner ses blessures à l’âme :

« (...)

En cette aurore où les pigeons,
sur les corniches de l’église,
avaient de somptueux frissons,
m’attendiez-vous, madone exquise ? »

 

Elle termine son poème par « Notre Dame des Sept Douleurs ? ». Marie, elle aussi, a souffert dans son âme en perdant son fils et Annie se sent proche d’elle.

Les affres de la guerre n’ont pas été sans marquer sa vie comme dans le poème « Déportés » et elle voudrait que la paix revienne mais des images la hantent, « les soldats qui partent », « la pluie grise », « l’aube froide ». Elle ne sait pas si elle doit espérer, comme dans « Souvenir de guerre » :

« Mes espoirs ont traîné leurs misérables pas ».

 

Bien que n’étant pas native de la Touraine, Annie Spillebout a écrit « Devant la Loire » car une rivière permet toujours à un poète d’exprimer la fuite du temps et ses pensées :

« Elle a donc passé, ma vie tant aimée,
elle a donc passé comme une rivière. »

 

Dans son dernier livre « Brimbelles », Annie nous parle aussi de poètes qu’elle aime comme Baudelaire dans « Tu chériras la mer » où elle essaie de retrouver l’ambiance de ce poème qu’elle aime à travers ses mots personnels, sa sensibilité à fleur de peau. Voici le final de ce texte :

« Dans son algue une âme est verte et fuyante :
sur le sable mou ton nom s’est tracé
mais la mer montant, lécheuse, appuyante,
la mer impassible a tout effacé ... »

 

Comme tout être déchiré, Annie Spillebout a ressenti l’angoisse d’être seule comme dans « Solitude » et les mots « Je suis seule » reviennent comme un marteau qui frappe et frappe encore dans un monde où l’on ressent la perte de ceux qui ont disparu.

 

En conclusion, Annie Spillebout est un poète de profonde émotion, qui nous confie ses pensées intérieures en des vers qui touchent les cordes de l’âme. La musique des mots nous berce pour mieux nous émouvoir. Chez Annie, la douleur est si intense qu’elle nous dit « Qu’on n’en parle plus » ; c’est d’ailleurs le titre du dernier poème du recueil « Brimbelles » :

« «  ... Qu’on n’en parle plus. » ... Qui se souviendra
des jours enchantés remplis de vos rires !
Quand je pâlirai sur le blanc du drap,
Qui se souviendra ?

Les beaux soirs heureux, les soleils qui virent,
les mots prononcés,
les tendres passés,
l’or de vos cheveux, l’argent de vos rires,
quand je m’en irai, chiffonnant le drap,
qui s’en souviendra ? ... »

 

Lorsqu’Annie me lisait ce poème, je lui répondais que je ne l’oublierais pas. Nous, tous ses amis, ses proches, nous garderons son souvenir et c’est le moment de lui redire notre fidélité dans le temps, au-delà de la mort.

Oui, Annie, nous ne t’oublierons pas, ni la musique de tes vers, ni les mots prononcés, ni les moments heureux qu’avec toi, nous avons partagés.

« Qui se souviendra ? » nous dit le poète. Annie, si tu nous entends, sache bien que nous ne t’oublierons pas.

 

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

Août 1998, remanié en 2002 pour les 4èmes rencontres littéraires des Prébendes.

 

Un hommage plus complet peut être lu sur le présent site. Vous pouvez lire sur ce site trois poèmes d'Annie SPILLEBOUT ayant participé aux "Murs de poésie de TOURS" : "Les pigeons" en 2000, "Tu chériras la mer..." en 2001 et "Qu'on en parle plus" en 2002.