6èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 6 août 2004, de 17 h 30 à 19 h

 

LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR

par Hélène BOURLIEUX

Hélène BOURLIEUX lisant son texte sur Léopold Sédar SENGHOR, lors des 6èmes Rencontres littéraires au jardin des Prébendes, à Tours, le 6 août 2004.

 

 

Il portait le sobriquet de « qui n’a pas honte » soit SÉDAR. Baptisé LÉOPOLD. Il est né le 15 août 1906 et porte pourtant, comme date officielle de naissance, le 9 octobre. Il s’agit de :

LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR.

La légende veut qu’à sa naissance, un grand baobab se fendit sur toute sa longueur, pour laisser échapper les forces spirituelles qui vont l’influencer.

Léopold Sédar SENGHOR grandit dans la brousse et sera éduqué par son oncle maternel. « C’est lui qui m’ouvrit le monde «des choses sacrées » et qui m’apprenait à révérer les Ancêtres ».

Toute son œuvre reflète l’enchantement de ces années dans son village, qu’il appelle le « Royaume d’Enfance », un monde magique, plus réel que le monde réel, il est sur-réel, il est animé par les choses invisibles qui régissent l’Univers.

Entre sept et huit ans, il entre à la mission catholique, il y apprend le wolof et le français. Il passera son baccalauréat au lycée de Dakar, puis part pour la France où il suit les cours de la Sorbonne et du Lycée Louis-Le-Grand.

Lors de ses premières vacances, il parcourt la Touraine à bicyclette.

À Paris, il rencontre Aimé CÉSAIRE qui rendit familier le concept de négritude. « La négritude est un fait, une culture, c’est l’ensemble des valeurs des peuples d’Afrique et des minorités noires d’Amérique, d’Asie et d’Océanie » dira Senghor. « La notion de Négritude nous intéressait, avoua Claude POMPIDOU, mais mon mari et moi, nous trouvions que Senghor en parlait trop ».

Senghor repart au Sénégal pour y préparer une thèse. C’est à cette époque que « le poète est tombé en politique ». En effet après une carrière dans le gouvernement français, il devint le premier Président de la République du Sénégal indépendant. Senghor le catholique (admirateur de Teilhard de Chardin, « Il m’a rendu la foi » dira t-il) sera réélu par cinq fois, de façon tout à fait démocratique, dans un pays à 90 % musulman.

Il quitta le pouvoir de son plein gré ; ce qui lui permit de dire : « J’ai quitté le pouvoir pour redevenir simple poète ».

Pendant ses études à Paris il avait pris la nationalité française afin de pouvoir présenter l’agrégation de grammaire. Il fit donc son service militaire en France. Démobilisé il est nommé professeur au Lycée Descartes de TOURS. Il se définit lui-même dans ses rapports avec ses élèves : « comme un frère aîné qui aide son cadet à s’aider lui-même par un dialogue à l’africaine. »

Le soir, il donne des cours de français gratuits, à l’intention des ouvriers. Contrairement à certains Noirs, il admet la plaisanterie ; mais il ne feint pas l’humilité : il signe ses lettres familières : « le Ghôr » (le mâle), et en montrant la paume de ses mains cuivrées « des mains de seigneur » dit-il.

Il fait l’effet d’être parfaitement intégré et il est unanimement regretté lorsqu’en 1938, il part enseigner près de Paris.

C’est à TOURS qu’il écrit ses poèmes : À L APPEL DE LA REINE DE SABA, faisant suite à l’attaque de l’Éthiopie (1935, le Négus (Hailé Sélassié) dut s’exiler et l’Éthiopie fut réunie à l’Érythrée et à la Somalie pour former l’Afrique Orientale Italienne), et AUX TIRAILLEURS SÉNÉGALAIS, en hommage à ses compagnons d’armes.

Léopold Sédar SENGHOR a regroupé ses écrits littéraires et politiques dans un ouvrage intitulé : « LIBERTÉ 1 », suivie de « LIBERTÉ 2 », puis 3, 4 et 5. Mais c’est surtout son ŒUVRE POÉTIQUE qui lui est importante.

Ses premiers poèmes sont inspirés par la poésie orale de son enfance et sont regroupés dans POÈMES PERDUS.

 

« PRINTEMPS DE TOURAINE

Mais moi
Plus faux qu’une maîtresse je te sais,
Printemps de Touraine.

Tu n’es qu’une pâle jeune fille
Aux yeux d’émail bleus,
Aux poignets de lait blanc

(…) »

 

La collection de ces poèmes CHANTS D’OMBRES a été inspirée par le philosophe Henri BERGSON et écrit sur le thème de l’exil et de la nostalgie, le poème FEMME NOIRE est sans doute le plus connu, sinon le plus médiatisé :

« (…)

Femme nue, femme obscure
Huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l’athlète, aux flancs des princes du Mali
Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau

(…) »

 

HOSTIES NOIRES, recueil dans lequel la formation chrétienne de l’auteur a donné naissance à une attitude proprement « senghorienne » : le pardon.

Voir sa PRIÈRE DE PAIX (pour Georges et Claude Pompidou)

Et qui commence par cette phrase :

« Seigneur Jésus, à la fin de ce livre que je T’offre comme un ciboire de souffrances »

 

Le recueil ÉTHIOPIQUES est un hymne au pays natal et par delà le Sénégal, à l’Afrique toute entière, où l’Afrique se confond avec la femme et inversement.

 

NOCTURNES

« (…)

J’étais assis sur la prose d’un banc, le soir.

(…)

Et le père de mon grand-père lisait le visage de la fiancée sur l’étain des fontaines.
Mais quelle douceur à la fin du jour ! Et c’est l’Été dans les rues de mon cœur. »

 

Dans le recueil POÈMES DIVERS :

 

« LE PORTRAIT

Voici que le Printemps d’Europe
Me fait des avances
M’offre l’odeur vierge des terres,
Le sourire des façades au soleil
Et la douceur grise des toits
En douce Touraine.

(…) »

 

Dans les LETTRES D’HIVERNAGE :

 

« TU PARLES

Tu parles de ton âge, de tes fils de soie blanche.

(…)

J’aime tes jeunes rides, ces ombres que colore d’un vieux rose

(…) »

 

Dans les ÉLÉGIES MAJEURES :

 

« ÉLÉGIE POUR GEORGES POMPIDOU

(…)

Sur l’autel des paroles échangées, je t’offre ce poème, comme une libation.

(…) »

 

Dans son œuvre intégrale on trouve aussi des DIALOGUES SUR LA POÉSIE FRANCOPHONE, des TRADUCTIONS de poèmes africains et de ballades africaines, de même qu’un lexique.

Car si SENGHOR écrivit en français, il décora son langage de mots africains, non par pittoresque mais de manière à rendre les choses plus présentes : « Il suffit de nommer la chose pour qu’apparaisse le « sens », nommer l’un c’est nommer l’autre, car tout est signe pour les Négro-Africains. »

Le Nègre communique avec le monde par l’oreille. Dans la savane, dans la forêt, il est pressé de présences qui lui parlent à mi-voix, il entend vibrer jusque dans les mollets les génies de la terre. Craignant la solitude il vit en état de dialogue.

Le rythme est au centre de sa poésie et Senghor fait souvent appel à un instrument de musique, par exemple le TAM-TAM :

« Écoute au loin battre ton cœur nocturne, rythme et sang du tam-tam, tam-tam sang et tam-tam » dans son poème « À NEW YORK »

La musique chez Senghor représente l’âme de la poésie, pour lequel le poète est un griot.

Son écriture se caractérise par des mots-béton, soit groupés par des traits d’union :

« Diseur-des-choses-très-cachées »,
« Maître-de-science-et-de-langage »,
« Navires-de-terre »
(automobiles) ;

par l’omission d’un mot, souvent le verbe :

« Car ta seule rivale la passion de mon peuple » ;

par l’usage irrégulier de la coordination sans rapport avec ce qui précède :

« CAR ta seule rivale », comme dans le vers précédent ;

par l’usage peu cohérent de la ponctuation souvent manquante, ou alors trop accentuée pour permettre au lecteur européen de marquer le rythme.

 

Dans son œuvre, Senghor le catholique a comparé son Afrique qui a souffert de la traite négrière et de la colonisation, au supplice du Christ.

En fait, on ne peut adhérer à la poésie de SENGHOR que si on prend conscience de la foi qui transpire en toute son œuvre.

Parmi les œuvres de Senghor, il ne faut pas oublier son ANTHOLOGIE DE LA NOUVELLE POÉSIE NÈGRE ET MALGACHE DE LANGUE FRANÇAISE, et son recueil CE QUE JE CROIS.

Léopold Sédar SENGHOR a reçu de nombreux prix internationaux. Il était membre de plusieurs Académies, en particulier membre de l’Académie française, entre le Duc de Mirepoix et Valéry Giscard d’Estaing.

 

Le président à qui le poète soufflait ses paroles, le jardinier du langage qui avait composé les paroles de l’hymne sénégalais, s’est éteint en Normandie auprès de sa seconde épouse. Il est enterré à JOAL « Nourri des leçons de l’Europe et de la France en particulier, j’ai voulu revenir au Sénégal, à ma terre sérère pour m’y enraciner, vivant et mort ».

Je vous remercie et j’espère vous avoir donner l’envie de jeter un œil ! qui sait les deux ! dans la poésie de Léopold Sédar Senghor.

 

Hélène BOURLIEUX

 

Bibliographie :

- Léopold Sédar SENGHOR, par Joseph Roger de BENOIST avec témoignage de Cheikh Hamidou KANE, Beauchesne Éditeur

- Léopold Sédar SENGHOR, collection poète d’aujourd’hui, Éditions Pierre Seghers (petit livre que j’ai rapporté personnellement de la « Librairie universitaire et technique », de Dakar en décembre 1973)

- Léopold Sédar SENGHOR- Œuvre poétique, Éditions du Seuil

- Léopold Sédar SENGHOR - recueil prêté par la Bibliothèque de TOURS

- ainsi que les recherches faites sur Internet.

 

 

… et pour terminer, voici :

 

« JARDIN DES PRÉBENDES

Jardin des Prébendes

(…)

Que tu m’es ami,
Pathétiquement pareil
À l’âpre passion des plaines rousses, immobiles la-bas, en Sénégambie. »