8èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 25 août 2006, de 17 h 30 à 19 h

 

Michael SADLER,

un humoriste anglais amoureux de la Touraine

Portrait de Michael SADLER par Catherine RÉAULT-CROSNIER.

 

 

Réponse de Michael SADLER

 

(Retranscription de Catherine RÉAULT-CROSNIER, mise en ligne avec l'aimable autorisation de Michael Sadler en date du 28 août 2006)

 

Je remercie Catherine ; je pense qu’ils ont parlé de quelqu’un d’autre et je suis extrêmement flatté et très content.

Michael Sadler pendant le débat avec le public, le 25 août 2006.

Je veux repréciser quelque chose : vous aurez peut-être l’impression que je suis fou de poireau alors je vous explique : c’est un légume que j’aime beaucoup. Je suis arrivé à la maison avec une botte de poireaux britanniques à planter et c’est vrai que j’ai trouvé la terre extrêmement dure. Les artisans retapaient la maison. Dans le camion, il y avait un marteau piqueur. Je suis un jeune garçon un peu bricoleur et j’adore les légumes. J’ai repiqué mes poireaux avec le marteau piqueur. En fait, en Touraine, par un été comme le nôtre en ce moment, c’est très efficace. Ce que je ne savais pas, c’est que le voisin, Aimé Matou, le paysan d’à côté, me regardait de derrière une vache ; les vaches sont très pratiques pour se cacher et comme ça, j’ai eu une certaine réputation d’excentricité dès mon arrivée dans le village parce que j’avais une mécanique potagère légèrement étonnante.

Vers la fin du livre, je participe au concours de jardins fleuris et au milieu de la nuit, j’ai eu une idée extraordinaire, une illumination. Mon rival pour le concours de jardins fleuris, est Aimé Matou qui m’a vu planter mes poireaux au marteau-piqueur. Je me lève au milieu de la nuit et je repique mes poireaux dans la plate-bande et je m’en vais et je gagne. Pourquoi ? J’avais repiqué mes poireaux pour que mes poireaux écrivent en poireaux, dans le jardin : « Vive la France ! » Oui, c’est un peu démago, c’est une stratégie qui m’a permis de gagner une coupe magnifique et de reperdre l’amitié d’Aimé Matou qui n’était pas du tout content de moi.

Dans ces textes très élogieux que vous avez écoutés ce soir, il y a un mot qui m’a énormément plu, c’est le mot étonnement. Pour un anglais éternel que je suis, je sais que j’ai l’air extrêmement latin, physiquement, n’est-ce pas ? Je suis mince, les cheveux noirs, la barbe comme ça, mais non, je suis extrêmement rosbif. Un des grands plaisirs que la France offre quotidiennement à un étranger, c’est l’étonnement. La France est un pays de la complexité, de la difficulté intelligente. La langue française est une langue extraordinaire mais c’est une langue très exigeante et je dirais la même chose pour les vins, les vins français sont extraordinaires mais assez complexes. Dans un Châteauneuf-du-Pape, il y a treize cépages. Dans cette complexité, réside la beauté du vin, le mystère du vin et c’est un vin qui change d’année en année car les pourcentages des cépages ne sont jamais pareils ; le climat n’est jamais pareil, le terrain est difficile. Donc le vin change ; le vin est un produit naturellement complexe et séduisant par sa complexité. La langue française, c’est la même chose, la langue française est complexe mais vit de cette complexité dans un monde trop simple et je suis sûr que la langue française était la langue de la civilisation européenne très large au XVIII° siècle. Ce soir, je fais l’appel des Prébendes, que cette langue française qui était la langue de la civilisation redevienne la langue de la civilisation ! La langue de l’avenir, ce n’est pas l’anglais qui est une très belle langue qui est mondialement utilisée donc dévaluée car elle devient une langue véhiculaire, une langue de communication mais pas de beauté ni de précision. Donc gardons ensemble, nous les français, cette complexité comme pour les vins, qui a un avenir glorieux pour la France.

Je reviens à cette notion d’étonnement dans la complexité, l’étonnement devant cette magnifique différence entre la vie anglaise et la vie française. Je reviens à mon livre. J’étais invité dans un repas de mariage. J’étais le seul Anglais. C’étaient des copains paysans. Puisque j’étais l’Anglais de service, il fallait que je mange tout. Je suis prêt à tout manger. Je mange les oreilles de cochon pour le petit déjeuner. Une parenthèse : l’ambassadeur de la Grande-Bretagne est passé chez nous cet été, c’est simple, je lui ai servi pour le déjeuner, une oreille de cochon. Il était horrifié, suivi par un peu de mamelle, un pied ou deux, un déjeuner simple.

Alors, j’étais à ce déjeuner de communion et j’ai mangé pour mon pays, j’ai tout mangé et j’ai probablement tout bu. Vers six heures du soir, j’avais gagné ; je me lève pour partir avec un peu de difficulté. J’avance, le long de la table en tréteaux, en me tenant à la nappe chic SuperU en papier et je dis : « Denise, je m’en vais. Hic ! » Et Denise dit : « Non, Sadler, tournez le menu ». Je tourne le menu, « Dîner ». J’en étais à mi-chemin. Alors les Français, vous êtes vraiment extraordinaire. On a mangé de midi à six heures et demi du soir. On s’arrête. On fait une petite promenade comme ça, on regarde le ciel… et puis sept heures, apéritif. Chapeau ! Mais c’est l’Europe. Alors je recommence et je remange mais je me suis dit, il faut quand même que je crée un petit peu de place dans le système de stockage que j’utilise pour digérer. Je me suis dit, il faut absolument que je fasse un trou supplémentaire dans ma ceinture Marks and Spencer en cuir 100% pur porc. Je suis allé dans la grange. Sur l’établi, j’ai vu qu’il y avait un casque à souder alors je n’ai jamais soudé de ma vie mais j’ai toujours pensé que souder était une activité virile, intéressante. Je mets le casque à souder sur ma tête. Évidemment, j’avais enlevé ma ceinture pour faire un trou dedans, mon pantalon tombe par terre. Ça arrive. Je prends le clou et le marteau et à ce moment-là, la maîtresse de maison arrive dans la grange et voit son invité de marque avec un casque à souder sur la tête, un marteau à la main et son pantalon autour de ses chevilles et là, je pense qu’elle a compris ce que c’était qu’un Anglais.

Juste un dernier mot sur l’étonnement, ce sentiment de gêne absolument délicieux, de gêne et d’embarras d’être dans une situation qu’on ne maîtrise pas. C’est fantastique. On ne maîtrise pas tout. La vie quotidienne a un côté dangereux que j’aime beaucoup et que je recherche. Il y a une citation qui me revient là, ça fait très intello, du grand dramaturge Ionesco, comme moi, lui Roumain, moi Anglais et tous les deux ayant choisi la langue française comme langue de création. J’écris en français et je me traduis après en anglais. J’aime la difficulté. Je fais l’amour dans un hamac, tout ça… Ionesco a parlé de la beauté de l’étonnement et la nécessité de garder l’esprit à même d’être étonné par la vie de tous les jours. Ionesco a dit que le péché originel, c’est la perte de la faculté de s’émerveiller et je pense honnêtement que je ne risque pas de tomber dans ce péché originel parce que la France est une source perpétuelle d’émerveillement.

Si vous voulez, vous pouvez me poser des questions ou si vous voulez comme en France, je donne la réponse, vous posez la question après.

 

- Les guinguettes sont redevenues à la mode et c’est extrêmement français. Est-ce que vous avez l’occasion d’aller dans ces guinguettes ?

- Est-ce que c’est une invitation ? Il y a des guinguettes à Tours. J’ai écrit un doctorat dans le temps quand j’étais petit, en Angleterre, en partie sur Proust et le mot guinguette est un mot qui évoque tout de suite d’une façon proustienne, plein de souvenirs mais c’est des souvenirs de cinéma. La guinguette pour moi, c’est « Copains » dans « La Belle Équipe » de Julien Duvivier, un film magnifique de 36, et pour moi, la guinguette, c’est l’accordéon. J’adore l’accordéon. Il y a deux instruments qui sont contradictoires, qui me donnent la chair de poule nationale pour deux nations, l’accordéon pour la France –jouez de l’accordéon et je pleure comme un Français– et enfin je suis Anglais, la cornemuse. Je ne dis pas que c’est exactement le même son mais la cornemuse, ça donne une fierté d’Écossais –je ne suis pas Écossais mais je mets le kilt tout de suite–, je ne mets jamais le kilt pour l’accordéon. Donc les guinguettes, pour moi, c’est la chanson de Jean Gabin de « La Belle Équipe », mais je chante terriblement… J’accepterais avec plaisir votre invitation.

- C’est un lieu d’observation intéressant pour un regard étranger.

- C’est le Front populaire, c’est 36.

- L’esprit n’a pas changé, c’est cela qui est bien, cela a traversé toutes les années.

- C’est une histoire un peu guinguette, mais c’est une histoire écossaise. Parfois, on peut se lamenter que des plaisirs simples, comme les bals populaires, manquent. Ce qui est bien dans une guinguette, c’est qu’il y a un orchestre qui joue et on danse. J’étais prof à la fac, mon premier travail ; j’étais prof de littérature française à l’université de Glasgow ; j’avais quinze ans à l’époque (rires dans le public) ; les étudiants ont fait une fête en hiver pour le nouvel an et ils boivent énormément. C’était une fête agréable mais un peu sordide. Ils picolent mais durs. Ils ont le sens de la fête nordique mais cela manquait de l’élégance française et subitement, il y avait une panne de courant. On était plongé dans le noir. La musique s’arrête et subitement après une minute, ils sortent des cornemuses et ils jouent et dansent et c’était magnifique cette espèce d’atavisme culturel, cette musique. Lorsque l’on commence à danser comme ça, au son de la cornemuse, le whisky devient beaucoup plus acceptable et même nécessaire.

 

- Enchanté de poser une question. Au niveau gastronomie, avez-vous en arrivant en France, découvert le pain ou l’avez-vous eu en Angleterre avant ?

- Le problème quand je parle gastronomie, je salive et je ne peux plus parler. Le pain anglais pendant très longtemps, était un pain épouvantable que les Anglais achètent dans des supermarchés, du pain accordéon. C’est sous plastique, vous faites ça (Michael Sadler rapproche ses mains), c’est mince, vous faites ça (Michael Sadler écarte ses mains), ça s’élargit mais malheureusement, ça ne joue pas de la musique. C’est un pain qui est très traître car les Anglais font des sandwichs avec et puis souvent le morceau supérieur du pain se colle contre le palais et on n’arrive pas à parler. Subitement dans les soirées en Angleterre, m m m m m m m défor… mation . Non, on n’a pas de déformation. Il n’y a pas de problème de dentition ou de buccalité avancé, c’est juste le morceau supérieur du sandwich qui est collé contre le palais. Oui, ce pain-là n’est pas fantastique.

Les Anglais qui viennent en France ont une idée romantique de la baguette. Parlons de la baguette. Il y a des baguettes qui naissent comme les éphémères, les papillons, des baguettes qui naissent à midi et meurent à deux heures de l’après-midi, il y a alors un raidissement de la baguette, la baguette alors n’est pas très mangeable. Je pense que la France commence à redécouvrir la bonne baguette et la vraie farine. La France était le pays du pain. Pendant un certain temps, le pain français a traversé une mauvaise passe mais de plus en plus, à Paris, il y a des boulangers qui deviennent spécialistes du vrai pain et travaillent avec un levain. Je mange très peu parce que je suis svelte, un pain extraordinaire en Touraine, qui est fait à la boulangerie de Vou, « Jean-Paul Frangeul ». Les boulangers de Vou font un pain bio extraordinaire. Le vendredi soir, on arrive de Paris –on habite Montparnasse–, on prend le train à six heures dix, je suis marié à une Tourangelle, on quitte la maison à six heures, on court comme des fous, on prend le train, on arrive à Saint-Pierre-des-Corps, je prends ma magnifique Renault qui a fait 350 000 kilomètres et qui roule au GPL, on va à la boulangerie de Vou ouverte jusqu’à sept heures et demi, il y a Patricia et Jean-Paul qui avec ses palettes, tire du four, chauffé au bois, des miches de pain extraordinaires. On prend des miches de pain. C’est biblique, c’est très atavique cette odeur, cette sensation de tenir du pain chaud. On revient à la maison, je coupe une grosse tranche de pain frais ; je me sers un verre de Chinon, un petit Cravant, frais de la cave. Une lampée de Chinon très simple, une bouchée de pain, je suis de retour en Touraine et je me sens bien. Donc le pain, oui, et je vous invite un vendredi soir.

Les Anglais essaient, il y a beaucoup de pain biologique en Angleterre, mais le problème avec le pain biologique anglais, c’est très souvent qu’il faut l’acheter avec une brouette parce que ça pèse des tonnes. Ce n’est pas nécessairement la légèreté. La France a de ce point de vue, un peu de pain sur la planche.

 

- Il n’y a pas de hamac en Angleterre ?

- Non, là, vous posez des questions sur la libido anglaise. Je pense que pendant très longtemps, les Anglais ont eu un complexe d’infériorité par rapport aux « latins lovers ». Les Français ont la réputation d’être des séducteurs extraordinaires qui savent bien parler aux femmes. Don Juan n’est pas anglais, il vient du continent. Quand j’étais petit, en Angleterre, il y avait une invasion de jeunes Français de treize-quatorze ans gominés, bronzés, Lacoste avec raquettes de tennis et puis mes copines partaient avec des Français et moi, je restais de mon côté, un peu potelé, boutonneux, dans mon coin donc je voulais ma revanche. J’ai fait tout ce que je peux pour remplacer dans le cœur des Françaises, le « latin lover » par un concept, un être extraordinaire que vous avez devant vous, le rosbif lover mais mes secrets, je ne vous les dévoile pas.

 

- Vous parliez de vins tout à l’heure, que vous compariez à la langue. Je ne sais pas si vous avez vu le film « Mondo vino » où malheureusement nos vins sont quand même transformés par rapport à ce qu’ils pourraient être pour être exportables et à un goût international. Quelle est votre opinion sur cette modification de nos vins ?

- C’est une question complexe. J’ai deux réponses, une commerciale et une d’esthète du palais. Je pense qu’il y a une crise de la viticulture française. Il faut relever le gant, savoir comment vendre les vins français sur un marché international face aux vins du Nouveau Monde par exemple, les vins australiens, de la Nouvelle Zélande, les vins américains. Quand je vais dans un supermarché, en Angleterre, –on vénère les supermarchés en Angleterre–, dans le rayon des vins qui fait quarante à cinquante mètres, il y a très peu de vins français. Il y a le vin mono cépage ou le vin avec une étiquette racoleuse et des goûts très simples, comme le rouge australien. C’est souvent plus de la confiture que du vin, trop de fruits, trop de soleil, trop de sucre et on ne peut pas manger avec mais les australiens ont su bien vendre leurs vins. Je pense qu’il faut que la France apprenne à se battre sur le marché international mais la qualité française –c’est la même chose pour le cinéma, pour la langue–, la qualité française est vendable. Les gens sont assoiffés de qualité, assoiffés de complexité. La France aborde ce problème avec beaucoup d’intelligence. Si c’est une bonne idée de mettre des copeaux de chêne, au fond des fûts, je ne sais pas. C’est truquer le vin. La VDQS va permettre de mettre des copeaux dans les fûts. Je suis très ému par le problème actuel des viticulteurs qui ont un excédent dans le Bordelais, de 56 000 hectolitres et j’essaie d’aider les viticulteurs français : Vouvray pour le petit déjeuner, Chinon léger et Pétrus le soir.

 

- Bonjour. Je ne vous connais pas. Je vous découvre avec plaisir par une amie. Vous me faites penser à …

- À Alain Delon.

- Non, Daninos, et plus précisément à un personnage qu’il a créé, le major Thompson. Vous parlez de la gastronomie. Ça, c’est bien parce que Jean Giraudoux a dit qu’il y avait deux pays civilisés au monde, c’est-à-dire la France et la Chine parce qu’elle avait une cuisine et une politesse. Je pense qu’en France et en Angleterre, il n’y a pas que ce travers ou cet intérêt ? Pour vous, quel est le pire des travers que les Français puissent avoir ? et la plus belle des qualités ?

- Des travers de porc, ce n’est pas très bon, c’est trop gras. Il y a quelque chose que je n’aime pas en France, c’est si minuscule et c’est si petit de ma part, c’est ridicule, que des Français en rentrant dans un magasin, ne tiennent pas la porte pour la personne qui est derrière et ça me met hors de moi. Enfin si la personne est petite et boite un peu et a l’air un peu malade, je la rattrape et je lui dis : « Excusez-moi, M., quand même… » Si la personne est musclée et forte comme ça, je ne dis rien. Tout est relatif. Il faut tenir la porte.

Dans les rapports entre la Presse et les hommes politiques, la France pourrait changer. La France devrait écouter la BBC poser des questions aux hommes politiques ; les questions sont très dures. Lorsque les présidents de la République peuvent choisir les journalistes, peuvent choisir les questions, faire la mise en scène, la démocratie ne fonctionne pas complètement à fond. Il faut quand même une franchise, il faut être étonné, il faut rendre la vie un peu difficile aux hommes politiques. Je suis sûr qu’ils répondraient avec beaucoup plus de convictions, beaucoup plus d’ardeur, beaucoup plus de patience. Un peu plus de muscle dans les rapports politiques sur le plan de la communication.

Ce que j’aime, votre vivacité, votre théâtralité, vous vivez bien vos journées. Il n’y a pas de moment mort dans vos journées, pas de moment d’ennui. On dit bonjour en France et puis c’est une pièce de théâtre : « Ah, mais, non, ah ». En Angleterre, (il fait les yeux ronds et ne prononce pas un mot), ce n’est pas la même chose.

 

- Je voudrais savoir, vous avez maîtrisé vos livres avec la langue française, et vous les traduisez en anglais. Pendant que vous imaginez vos textes, est-ce que vous aviez quelquefois de petits arrêts en disant : « Ah, je suis en France, il ne faut pas que je pense english ». C’est pour savoir si syntaxiquement, vous n’avez pas eu des hésitations, entre english et french.

- Il y a des moments de temps en temps. Ma première lectrice, c’est Lulu, ma muse et pour moi, c’est une lectrice essentielle, elle est dure mais très honnête. Moi, j’aime ce que je fais, c’est bon, c’est drôle. Seulement Lulu… elle n’aime pas. Il y a cette magnifique différence de mentalité que j’ai même avec une femme que j’aime et avec qui j’ai vécu trente-six ans. Il y a des sous-entendus, des ellipses que je ne maîtrise pas en français. Il y a un truc qui manque, ce n’est pas dit, en Angleterre, l’esprit va fournir ce qui manque. L’esprit français ne va pas nécessairement le fournir.

J’essaie de séduire Lulu pour qu’elle accepte ce que je pense être drôle. Par exemple, la blague de Dieppe, pendant six mois, j’ai essayé de la convaincre. J’ai fait des chèques, j’ai acheté des bouquets de fleurs... « Non, non, je ne comprends pas ». Il y a des moments où je bute sur une difficulté pour dire ce que j’ai envie de dire en tant qu’Anglais avec ma mentalité anglaise. Quand vous êtes traducteur de vos propres livres, si c’est difficile, vous mettez autre chose à la place.

Écrire dans une langue étrangère, me permet de dire des choses sur moi et sur la vie que je n’oserai pas dire en anglais. J’ai plus de liberté en français. La France me permet d’être l’Anglais que je suis. Je suis plus Anglais en France que si je vivais en Angleterre. Il y a trop d’Anglais en Angleterre. Ils sont partout. Combien y a-t-il d’Anglais ce soir ? Ah, deux !

 

- En tant qu’Anglaise, j’ai eu énormément de mal à maîtriser le subjonctif imparfait ; je suis étonnée que vous l’utilisiez.

- Si, je pense qu’il faut toujours utiliser les choses qui ne servent à rien. Il faut toujours utiliser le maximum de subjonctifs. La langue française est très riche. J’essaie d’utiliser des mots qui bluffent les Français qui eux ne les utilisent pas. J’ai dit à Lulu qu’elle était d’une beauté immarcescible. Elle ne m’a pas embrassé. Elle est allée voir dans le dictionnaire pour être sûre que ce ne soit pas vache. Ça vient du verbe mascerer qui vient du latin du XI° siècle, qui veut dire faner. « Immarcescible » veut dire qui ne fane pas donc je lui ai dit : ta beauté ne flétrit jamais, Lulu. Lulu m’a donné des mots. Dans « Cabotin », Lulu m’a donné le rouge ponceau.

 

- Avez-vous vu les pochettes des livres de Michael Sadler en anglais ? Le premier étonnement, c’est d’abord que le titre n’est pas complètement traduit en anglais.

- C’est le « french touch ». Le melon (pochette de « An Englishman in Paris »), les bottes (pochette de « An Englishman à la Campagne »), ça existe, mais les caleçons (pochette de « An Englishman Amoureux »), j’ai dit « non », il sort le 14 février à Londres, vous avez devant vous quelque chose de très rare, la couverture refusée d’un livre qui n’existe pas.

- Sur la couverture de celui-ci, il y a marqué « Molière rencontre Benny Hill ». Comment le prenez-vous ?

- J’aime plus Marivaux que Molière mais j’aime beaucoup Molière. Il a un côté extraordinaire. Ce que j’adore dans Molière, c’est que c’est un acteur auteur. Benny Hill est mal vu des Anglais, bien vu des Français. Benny Hill a le sens de la farce, de l’humour, de la folie, de l’absurdité qui est magnifique. J’aime Claudel et Benny Hill, les andouillettes et Mallarmé, la vie comme ça, la diversité de la vie.

 

- Est-ce que vous vous sentez plus un humoriste anglais écrivant en français ou carrément un humoriste français ?

- Je pense que je ne pense pas trop. Je ne me conceptualise pas. J’écris comme je suis. Qui suis-je ? Que sais-je ?, disait Montaigne ? Je ne sais pas mais probablement j’écris pour manifester mon incompréhension de ce que je vis.

En traduisant, on a émoussé un peu l’acuité du regard donc vivant en France et en français, on se parle en français à la maison. Je pense que la langue vient naturellement mais je n’ai pas un point de départ idéologique. Mes livres qui se vendent bien en France, font rire les Français et font rire les Anglais. Il y a beaucoup de choses communes.

 

- Au niveau de vos livres, de la trilogie, est-ce que vous pensez la continuer parce que moi, je verrai bien une Comédie humaine dans le style « Un Anglais à la plage », « Un Anglais au restaurant », etc. Pourquoi pas ou avez-vous d’autres projets ?

- C’est mon moi fictif. Dans un certain temps, je le reprendrai avec beaucoup de plaisir. J’ai envie d’écrire quelque chose de différent

 

Je vous remercie d’être venus. C’est très sympathique d’être venus me voir. Merci de vos questions.

- Merci et un grand bravo pour tout ce que vous avez fait pour nous. Vous nous avez charmés.

- C’est réciproque.

 

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