10èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 1er août 2008, de 17 h 30 à 19 h

 

L’abbé Pierre :

une parole au service de l’amour

Portrait de l’Abbé Pierre par Catherine Réault-Crosnier.

 

Lire la présentation de cette « rencontre ».

 

L’abbé Pierre nous a quittés le 22 janvier 2007 et nous pouvons lui rendre hommage en tant qu’homme de paroles et d’action. Sa parole est restée simple, efficace et proche de nous tous et plus particulièrement des pauvres. Il a bien sûr un lien éloigné avec la Touraine mais comme il est passé presque partout en France, il est venu plusieurs fois à Tours et à chacune de ses visites, c’était un choc tant il parlait chaleureusement, pour faire passer son message de fraternité ; la communauté Emmaüs d’Esvres-sur-Indre (37) est là pour témoigner de sa présence dans notre région. Sa parole n’est pas à proprement dite une parole d’écrivain mais il a la force des orateurs. La puissance de ces mots a un poids énorme puisqu’elle a permis de sensibiliser les foules à la charité. Il a donc tout à fait la place dans ces rencontres et au fil de sa biographie, nous analyserons son œuvre concrète puis ses écrits.

 

Le public lors de la Rencontre littéraire du 1er août 2008, consacrée à l’abbé Pierre.

Le public à l’ombre des arbres, au début de la rencontre...

 

Sa biographie

« À Lyon, dans le quartier de la Croix-Rousse, qui regroupe les plus vieux ateliers de tisseurs de soie, une petite maison s’élève, rue des Gloriettes, d’où l’on découvre tout le parc de la Tête-d’Or et le Rhône. C’est là que naît le 5 août 1912, Henri Grouès (le futur abbé Pierre). » (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 17) Il fait partie d’une famille bourgeoise de huit enfants et a toujours eu beaucoup d’amour pour ses parents.

À 12 ans, il découvre le charisme de son père, membre des Hospitaliers-Veilleurs (œuvre de charité) (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 21) qui va soigner les pauvres. Pour l’enfant, c’est tout un monde qu’il découvre, avec ses odeurs, son ingratitude apparente, son côté provocateur envers le riche, sa misère. Il fait partie des scouts qui l’appelaient « Castor méditatif » car il avait déjà l’intuition de ce qu’il devait faire (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 41). À 19 ans, il découvre saint François d’Assise. Il prend alors la décision radicale d’offrir sa part du patrimoine familial à diverses œuvres de charité. En 1931, il entre chez les Capucins. Il y renonce cinq ans après, étant d’une santé fragile : « Je suis rentré au couvent en 1931. (…) Je ressors du couvent trois mois avant la mobilisation (…). » (Abbé Pierre, Bernard Kouchner, « Dieu et les Hommes », p. 149). En 1938, il est ordonné prêtre.

Lui qui voulait une existence contemplative, va se trouver propulsé dans le monde pour y vivre avec passion les choses les plus extravagantes. Mobilisé comme sous-officier dans les Alpes et en Alsace, il est atteint de pleurésie ; en 1940, il est à l’hôpital. En 1942, il est vicaire à la cathédrale de Grenoble et entre dans la résistance. Il ouvre sa porte aux juifs pourchassés et leur procure de faux papiers. Il les aide à passer la frontière, en particulier, un frère du général de Gaulle. Il nous le dit avec son franc parler :

« J’étais d’autant plus grillé que quelques mois plus tôt j’avais fait passer à la barbe des Allemands le plus jeune frère du général de Gaulle, qui était paralysé, aussi grand que le général, raide comme une poutre, et qu’il fallait porter… » (Abbé Pierre, Bernard Kouchner, « Dieu et les Hommes », p. 156)

En 1943, il entre dans la clandestinité et organise le maquis en Chartreuse et dans le Vercors. Il acquit son surnom, « Pierre », pendant la résistance. En mai 1943, il est arrêté par l’armée allemande, il s’évade, traverse l’Espagne et part de Gibraltar vers Alger, où il rejoint le général de Gaulle en juin. Il reste vingt-trois mois en clandestinité.

De 1945 à 1951, il est député de Meurthe-et-Moselle sous l’étiquette MRP, Mouvement républicain populaire, démocrate chrétien, mais il figure en tant qu’indépendant. « Aux élections suivantes, en juin 1946, l’abbé Pierre composera sa liste lui-même (…) choisissant des hommes et une femme acquis à son programme basé sur la réforme de la Constitution, le droit au travail, la renaissance du génie national, la justice (…) » (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 36 et 37). Il est de tous les combats pour la dignité de l’homme, contre les gens sans logement.

Au printemps 1946, il est obligé de quitter son logement à Saint-Germain-des-Prés, il achète alors une très grande maison délabrée à deux étages à Neuilly-Plaisance, dans la banlieue est de Paris, en Seine Saint-Denis :

« En 1947, le pays traverse l’orage de l’agitation sociale : grève des métallos, des transports en commun. (…) De nombreux jeunes sont venus à Neuilly-Plaisance pendant les week-ends et les grandes vacances de l’été 1947. (…) Ils ressentent un dégoût de la vie ; est-il possible de croire en un monde juste et beau ? Pour lutter contre cette amertume, cette tentation de l’absurde, Henri Grouès prend la décision de clouer au 38 avenue Paul-Doumer une pancarte avec ce nom : « Emmaüs ». » (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour » p. 45 et 49)

En 1949, la crise du logement est atroce en France, en cette après-guerre ; il accueille alors un homme désespéré, Georges, puis de nombreux déshérités. Georges qui sera le premier compagnon d’Emmaüs, avait tenté de se suicider et l’abbé Pierre lui dit :

« « (…) Tu veux mourir, il n’y a rien qui t’embarrasse. Avant de te tuer, viens me donner un coup de main, après tu feras ce que tu voudras. »
Et tout est changé pour lui. Il n’est plus de trop, il est nécessaire. (…) D’habitude, on donne au malheureux. Là, on lui dit : « Tu es malheureux ? Donne-moi. » »
(Abbé Pierre, Bernard Kouchner, « Dieu et les Hommes », p. 230)

Georges va devenir le symbole des paumés, de ceux qui n’ont plus confiance en la vie et qu’Emmaüs est prêt à accepter.

En 1949, l’abbé Pierre fonde les communautés des chiffonniers d’Emmaüs. Les compagnons fouillent les poubelles, ratissent les décharges à la recherche d’objets monnayables. Il multiplie les conférences, les réunions pour alerter l’opinion publique. Il demande du pain et un toit pour tous. « Emmaüs est devenu une récupération d’hommes à l’occasion d’une récupération de choses. » (Courrier Français du 26 janvier 2007). Cette même année, il présente le premier projet de loi pour protéger les objecteurs de conscience, statut qui sera voté en 1962 (Abbé Pierre, Bernard Kouchner, « Dieu et les Hommes », p. 163).

Aux côtés de l’abbé Pierre, il y a dès le départ, Lucie Coutaz qui sera la co-fondatrice et secrétaire d’Emmaüs ; elle restera dévouée à cette cause pendant trente-neuf ans.

En août 1949, l’abbé Pierre recherche de l’argent pour acheter des baraques afin d’agrandir la maison de Neuilly-Plaisance devenue trop petite :

« Or, les prochains d’un curé-député, ce sont ses collègues députés. L’abbé ira les « taper » les uns après les autres, dans les couloirs, en commençant par le président de la République, Vincent Auriol, et le président de l’Assemblée, Édouard Herriot. » (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 54)

« En l’automne 1951, Emmaüs consolide sa légende. Quelques misérables, ex-taulards, buveurs, bagarreurs, oubliés, rejetés, se sentent désormais utiles. Ils offrent un toit à des familles, à des bébés ; eux pauvres types dont la famille a été brisée. (…) On les entend ; on ne les écoute pas. » (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 66)

En 1951, il construit des maisons d’urgence sur des terrains achetés, en Île-de-France. En 1952, le chiffre d’affaires d’Emmaüs s’accroît, grâce à la vente des chiffons, de vieilles ferrailles. On commence alors à aller fouiller dans les décharges. L’abbé Pierre utilisait déjà la presse comme moyen pour faire comprendre à tous, l’urgence de réagir : « « Il faut crier, hurler cette scandaleuse crise du logement. Il faut qu’elle devienne un scandale public, une honte nationale, une affaire d’État. Pour secouer les grands, réveiller les riches, alerter l’opinion, l’appui de la grande presse nous est indispensable », disait-il alors. » (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 168)

Bien sûr faire travailler les rejetés, n’est pas sans poser problème. L’alcoolisme en autre, est un fléau, de même que l’insociabilité, la maladie qu’il faut gérer au quotidien (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 86).

En 1952, afin d’obtenir des fonds pour le mouvement Emmaüs, l’abbé Pierre participe au jeu « Quitte ou double ». Il parvient à remporter 254 000 francs. « Sur les mêmes ondes, durant cet hiver où les médias lui sont acquis, il lance ce qui devient la campagne des billets de cent francs. « - Vous êtes des millions d’auditeurs et si chacun de vous envoyait un billet de cent francs… » Le résultat, inespéré, justifie une idée au départ improvisée. En quelques jours, c’est un million qui parvient à Emmaüs. » (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 145)

En 1954, l’hiver est rude : moins 15° à Paris, moins 30° en Alsace. Une femme puis un enfant de trois ans meurent de froid. C’est le déclic pour alerter l’État, il lance un appel qui deviendra célèbre, sur les ondes de Radio-Luxembourg (future RTL), au bulletin de 13 heures, le 1er février :

« Mes amis, au secours ! Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée... Chaque nuit, ils sont plus de 2000 recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant l’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent ! (…) Chacun de nous peut venir en aide aux sans-abri. Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain : 5000 couvertures, 300 grandes tentes américaines, 200 poêles catalytiques. Déposez-les vite à l’hôtel Rochester, 92 rue de la Boétie. Rendez-vous des volontaires et des camions pour le ramassage, ce soir à 23 heures, devant la tente de la Montagne-Sainte-Geneviève. Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l’asphalte ou sur les quais de Paris. Merci ! »

De cet élan de charité, 500 millions ont été récoltés ; ils vont servir à construire la première tranche des logements du Plessis-Trévise (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 176).

Des chèques, des couvertures, de la nourriture, des dons arrivent et sont stockés à l’hôtel Rochester et à la gare d’Orsay. Des tentes de fortune sont installées pour abriter les sans-logis. Le Parlement vote à l’unanimité quelques jours plus tard, des crédits (dix milliards de francs) dix fois supérieurs à ceux qu’il refusait un mois plus tôt, pour réaliser immédiatement 12 000 logements d’urgence pour les plus défavorisés en France. L’appel du 1er février est entendu et les journalistes parlent de « l’insurrection de la bonté », de « la croisade de la charité », du « miracle de la bonté » (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 149). C’est la première grande victoire de l’abbé Pierre que cette chaîne de solidarité, de générosité imprévisible qui fait boule de neige et chaud au cœur. Oui, le miracle de la charité a bien eu lieu et il relève d’un autre mystère, « celui du geste d’Amour anonyme et exemplaire. » (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 537) Par opposition à ce miracle de la bonté, l’abbé Pierre parle de l’enfer qui « n’est pas celui du monde ouvrier et communiste, mais celui des bidonvilles (…). » (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 209).

Il fonde la SAHLM Emmaüs qui gèrera un parc locatif de 10 000 logements en Île-de-France. Sollicité de partout, il s’épuise et doit être opéré à plusieurs reprises. La maladie est pour lui, un moment où il renoue avec son désir de solitude, de contemplation, d’adoration. Son corps épuisé de surmenage, se ressource dans des cures de repos imposés. Les médecins lui prescrivent une semaine entière de sommeil. Il part ensuite trois mois en convalescence à Beni-Abbès, sur les traces du père P. de Foucauld. (Il y retournera trente ans plus tard).

En 1957, il est opéré d’une hernie diaphragmatique et prépare son testament sous forme poétique juste avant l’opération :

« Depuis près de quarante ans
j’espère mourir…
Mourir
c’est-à-dire être indéfectiblement dans l’Unité
dans l’Unique Universelle Unité de l’Amour,
(…)

Il n’existe, il ne peut exister, qu’un seul Mal :
c’est
douter du pardon
(…) »

(Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 351 et 352)

 

En 1964, il est fait don à l’abbé Pierre d’une demeure bourgeoise, entourée d’un grand parc de deux hectares, à Esteville en Seine-Maritime. Selon les vœux de l’abbé Pierre, celle-ci sera transformée en maison de retraite à partir de 1972 pour accueillir les vieux compagnons. Il l’appelle « la Halte » : « (…) lorsqu’il a fallu choisir un nom pour cette communauté, sans hésiter, je l’appelai « la Halte » : sur une route qui conduit vers l’Infini. » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 133)

De 1955 à 1965, il fait de nombreux voyages à l’étranger et anime de nouvelles communautés. Il entreprend des cycles de conférences et entre en contact avec les plus grands : le président Eisenhower à la Maison Blanche, le Docteur Albert Schweitzer, le savant Einstein, le roi du Maroc, Mohammed V, Indira Gandhi en Inde.

En 1967, il lance SOS Familles pour lutter contre le surendettement. En 1969, la première assemblée générale d’Emmaüs international a lieu à Berne (CH), pour fédérer les groupes (350 dans 37 pays) et soutenir des actions de développement (chantier naval en Colombie, banques rurales en Inde, mutuelle au Bénin). Elle adopte le Manifeste universel du mouvement Emmaüs, garantissant l’authenticité des groupes d’Emmaüs.

Il était assailli de coups de téléphone mais répondait toujours présent. En 1980, il soutient Coluche et ses « Restaurants du cœur ». En 1984, il crée la Banque alimentaire et le « Noël de l’abbé Pierre ». En 1985, il fonde Emmaüs France pour rassembler toutes les branches nationales (104 communautés, près de 4000 compagnons). En 1987, il crée la fondation Abbé Pierre pour encourager les initiatives privées en faveur du logement ; celle-ci est reconnue d’utilité publique en 1992.

En 1989, un film « Hiver 54 » de Denis Amer, le fait connaître aux jeunes. En 1991, il lance Emmaüs-Alternative pour accueillir des SDF et des malades du sida.

En 1990, il participe à l’élaboration de la loi Besson en faveur du logement des défavorisés. En 1996, il choque en soutenant son vieil ami, Roger Garaudy. En juillet, dans « La Croix », il demande pardon à ceux qu’il a pu blesser.

En 1998, il fête ses soixante ans de sacerdoce. En 2001, il accepte de porter les insignes de grand officier de la Légion d’Honneur. En 2004, il est classé en tête des personnalités préférées des Français. Il demandera et obtiendra de ne plus figurer dans ce sondage pour laisser la place aux jeunes (FOP-JFDD). Le 1er février 2004, il participe sur l’esplanade du Trocadéro à Paris, aux cinquante ans de l’appel de l’hiver 1954.

L’abbé Pierre avait préparé sa mort. Sur son testament, il demande la protection légale du nom « abbé Pierre » et précise l’organisation de ses funérailles. Bernard Violet, biographe du fondateur d’Emmaüs a relaté que l’abbé Pierre lui avait confié son testament. Dans celui-ci, il demande à ses légataires de récupérer ses « différents objets personnels » comme « des comptes courants dont la gestion sera désormais confiée à des successeurs ». (…) « Il fait remettre au musée des sapeurs-pompiers de Paris, sa légendaire pèlerine noire qu’un colonel de pompiers lui avait donnée lors de la fameuse insurrection de la pauvreté de février 1954 ». (…) « Il fait parvenir au pape un paquet contenant un ostensoir fabriqué avec une lampe de poche. » (…) Il avait aussi préparé les chants de ses funérailles dont un « chant grégorien en latin, un Magnificat en français et sur le chemin du cimetière d’Esteville le chant des adieux. » (La Nouvelle République d’Indre-et-Loire du 23 janvier, page III)

Il est mort le lundi 22 janvier 2007, à quatre-vingt-quatorze ans. Un hommage national lui a été rendu le vendredi 26 janvier à la cathédrale Notre-Dame de Paris. Il a choisi d’être inhumé à Esteville, au nord de Rouen, à côté de Lucie Coutaz, sa secrétaire pendant quarante ans et cofondatrice d’Emmaüs (morte en 1981) et à côté de Georges, le premier compagnon d’Emmaüs.

Mais l’abbé Pierre n’est pas vraiment mort car son œuvre continue. « Aujourd’hui, Emmaüs, c’est trois cent cinquante groupes dans trente-sept pays, cent quatre communautés en France avec près de quatre mille personnes, plus d’une cinquantaine de comités actifs sans communauté. (…) En outre, un « manifeste universel d’Emmaüs », des statuts d’Organisation non gouvernementale (ONG) ont été rédigés, discutés, publiés. » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 121) L’un des paris d’Emmaüs, c’est de montrer que des exclus d’un système social et économique peuvent vivre dignement de la récupération (récupération d’objets, de vêtements, d’appareils ménagers, ramassage gratuit au domicile, dons en matériel, recyclage des matières premières).

La Fondation Abbé Pierre a pour objet d’agir pour que les personnes démunies puissent accéder à un logement décent. Elle finance des projets liés à l’habitat en France et à l’étranger, elle sensibilise l’opinion et interpelle les pouvoirs publics. En particulier, elle veut éradiquer les taudis.

 

L’abbé Pierre et la Touraine

De nombreuses personnalités se rappellent de l’abbé Pierre et de son action partout dans le monde et aussi en Touraine. Par exemple, Bernard Chevalier, ancien président d’université, historien, militant chrétien, se rappelle de l’installation des premiers compagnons d’Emmaüs rue Fromentel à Tours, en 1971. Grâce à leur travail, ils s’achètent un terrain, route de Loches où ils sont installés aujourd’hui encore (Courrier français du 9 février 2007).

Geoffroy Pasquire, bénévole de Tours Nord, a côtoyé l’abbé Pierre par les camps de jeunes et y a découvert la vie en communauté, la solidarité, le partage (Courrier français du 9 février 2007).

Robert Levasseur est l’un des premiers fidèles de l’abbé Pierre en Touraine. Il fait la connaissance de la première communauté d’Emmaüs de Neuilly-Plaisance en 1952.

Jean Marquis, militant de toujours du mouvement Emmaüs, est l’ancien président d’Emmaüs en Touraine. Il a bien connu l’abbé Pierre qui lui a rendu visite lors de ses passages en Touraine (échange téléphonique du 1er décembre 2007).

L’abbé Pierre est venu en mars 1991 à Tours Nord, inaugurer l’avenue des Compagnons-d’Emmaüs (La Nouvelle République, édition d’Indre-et-Loire, 23 janvier 2007, page 2).

En 1979, l’abbé Pierre s’est rendu à Esvres et il a rappelé qu’ « Emmaüs est le nom d’une localité de Palestine où des désespérés retrouvèrent l’espérance. » (La Nouvelle République, édition d’Indre-et-Loire, 23 janvier 2007, p. 2)

« Trois ans plus tard, il fêtait les dix ans des Compagnons en Touraine. Et en avril 1990, il était là, présent, aux premières assises du mondialisme de Touraine. » (La Nouvelle République, édition d’Indre-et-Loire, 23 janvier 2007, p. 2)

 

Son portrait

Avec son béret plat, ses lunettes, sa cape noire et en vieillissant sa canne, il est toujours resté un homme d’action, ce qui est étonnant pour quelqu’un qui aurait voulu être capucin. Enfant chétif, jeune homme fragile, rien ne laissait supposer qu’il allait devenir célèbre en entraînant les foules à aider les pauvres. Il va devoir faire avec sa santé délicate, pendant toute sa vie mais cela ne l’empêchera pas d’atteindre quatre-vingt-quatorze ans, lui qui avait hâte de trouver le repos auprès du Père.

« La silhouette se complète. Ce sont la barbe noire toujours hirsute, le béret sur l’oreille, les décorations sur la soutane, la démarche à trois –avec la canne- qui entrent au Parlement. » (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 36)

L’abbé Pierre est de santé fragile et il est régulièrement sérieusement malade comme en cet hiver 1953. Mais il ne baisse pas les bras et repart toujours au travail, tant qu’il y a des malheureux qui ont besoin de lui.

Le sourire malicieux, il avait une dose d’humour qui contribuait à son succès médiatique, par exemple lorsqu’il se décrit lui-même : « Les gens me croient parfait et moi, je connais mes défauts. Mais si je leur citais la liste de mes péchés, ils trouveraient le moyen de dire : quelle humilité cet homme ! » (La Nouvelle République, édition d’Indre-et-Loire, 23 janvier 2007, p. II)

Dans le journal « L’Est républicain », Sacha Simon le décrit ainsi : « Une barbe noire, le regard fiévreux. Un visage qui, sans la soutane, pourrait être aussi bien celui d’un mystique que d’un condottiere. Mais qu’on ne s’y trompe pas ; il y a la soutane, il y a la veste de cuir au revers de laquelle l’aumônier porte les plus belles décorations françaises. » (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 120 et 121)

Marek Halter dans la préface du livre « Dieu et les Hommes » de l’abbé Pierre (p. 7), parle de l’orateur : « L’abbé Pierre devant les micros fut l’inventeur de la loi du tapage, il s’est fait la voix des hommes sans voix. »

Denis Lefevre le présente comme : « bricoleur et homme de réflexion », « homme de dialogue », « frêle », « fragile mais qui masque un dynamisme hors du commun », « globe-trotter », « mystique », « prêtre aux propos souvent iconoclastes et anticléricaux », « résistant » et « défenseur des objecteurs de conscience », « Européen convaincu », « homme politique réformiste », « créateur boulimique mais si peu doué pour l’organisation », « chroniqueur avisé des maux de ce monde », « auteur prolifique », « personnage qui, depuis l’âge de huit ans, souhaite mourir, mais vit passionnément »… (Abbé Pierre, « Je voulais être marin… », p. 8 et 9)

 

Le public sous le kiosque à musique, lors de la Rencontre littéraire du 1er août 2008, consacrée à l’abbé Pierre.

... puis sous le kiosque à musique, après une petite ondée.

 

Son œuvre littéraire

L’abbé Pierre n’a pas écrit pour écrire, n’a pas choisi de publier un livre. C’est sa vie qui a déclenché l’envie des autres de parler de lui comme Pierre Lunel. De même, Bernard Kouchner a été attiré par ce prêtre hors du commun et a voulu échanger avec lui. Ainsi est né « Dieu et les Hommes », dialogue de deux hommes complices, « le prêtre et le médecin, le croyant et l’incroyant, l’ancien député et le ministre récent, celui qui partagea la misère extrême et celui qui vécut les guerres lointaines dans le malheur des autres. » (Abbé Pierre, Bernard Kouchner, « Dieu et les Hommes », p. 7) « Bernard Kouchner pense que l’abbé Pierre a imaginé l’action humanitaire moderne ; (…). » (Abbé Pierre, Bernard Kouchner, « Dieu et les Hommes », p. 8)

Bernard Kouchner croit l’homme mauvais et accuse le mal d’exister. L’abbé Pierre lui répond : « L’homme n’est pas mauvais, mais capable du meilleur ou du pire, libre. (…) [Dieu] n’envoie pas que la bonté, il nous envoie la liberté ! Avec cette liberté, tu peux être bon ou mauvais. » (Abbé Pierre, Bernard Kouchner, « Dieu et les Hommes », p. 28 et 43)

L’abbé Pierre a fait le choix d’écrire pour transmettre son message d’amour et de charité comme dans « Mon Dieu… pourquoi ? » qui a pour second titre « Petites méditations sur la foi chrétienne et le sens de la vie ». Là encore c’est le fruit d’un partage avec le philosophe Fréderic Lenoir, directeur du magazine « Le Monde des religions ». Dans cet ouvrage, l’abbé Pierre livre sur le ton de la confidence, son avis sur des problèmes délicats de notre monde contemporain, la chasteté des prêtres, la sexualité, la prostitution, le fanatisme religieux, la guerre en Irak, l’homosexualité, le mal et la souffrance, la place du christianisme parmi les autres religions (quatrième de couverture).

Avec ses paroles fortes et directes, il sait nous interpeller et nous faire réfléchir et agir sans tarder. Il a le sens de la parole juste. Philippe Martinet, journaliste au Courrier Français l’a interviewé lors de ses passages en Touraine : « (…) c’était toujours un choc tant il parlait chaleureusement. (…) L’entretien commençait doucement, dans un souffle, puis, peu à peu, la machine humaine se chauffait, la voix s’amplifiait et, de petit ruisseau du début, on passait à un formidable fleuve de paroles pleines de bon sens et de chaleur humaine. » (Courrier français du 26 janvier 2007)

Tous ses propos sont éclairés de la lumière de sa foi, par exemple lorsqu’il pense à la mort :

« Souvent j’écris simplement : « Seigneur, viens ! » Car ce sont les moments où j’ai l’espérance que cette fois, ça y est, que cette fois, enfin ! je vais quitter les ombres du temps… » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 7)

« Comment résister au mal ? (…) Pour lutter contre le mal, l’Adoration est le remède absolu. » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 20)

Si autour de lui, on parle de la diminution de la foi, il réplique du tac au tac que non : « Pour beaucoup, la foi se confondait avec la coutume. » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 111)

Il décrit alors son idéal de foi : « Tout porte à croire qu’une véritable religion va renaître pour l’homme, non pas intégriste mais intégrée. » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 111)

Il a une confiance inébranlable en Dieu et la mort n’est pas triste pour lui : « Pourquoi devrais-je avoir peur ? La mort est un rendez-vous sans cesse repoussé avec un ami. Elle est la rencontre avec l’Éternel Amour dans le Toujours de l’au-delà du temps. » (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 533)

L’abbé Pierre n’est pas seulement un croyant ; il a la carrure d’un prophète.

L’abbé Pierre est aussi poète quand cela l’aide à faire passer son message. Ses poèmes parlent tous avec le cœur :

« Nous avons menti.
Non, l’univers n’est pas à nous.
Non, les richesses ne sont pas à nous.
Non, nous-mêmes, corps, esprit, ne sommes pas à nous.
Mais, Père, Amour, tout est à Vous.
(…)
 »

(Abbé Pierre, « Je voulais être marin… », p. 69)

Ou encore dans un poème intitulé « Vivement la fin du monde » :

« Anges gardiens
Mais où êtes-vous ? (…)
Il y a trop de larmes
et de ventres creux
et de dos grelottants
et de mains vides
Parmi trop de ventres trop pleins
de rires animaux (…)
Que le partage soit fait (…)
Il y a trop de malheur
Il y a trop de débine
Parmi trop
de salauds distingués.
 » (2 août 1952)

(Abbé Pierre, « Je voulais être marin… », p. 114 et 115)

Il est toujours prêt à dialoguer avec l’autre en recherche, par exemple dans une prière datée de 1994, dont voici un extrait poétique et intense :

« (…) fais-nous comprendre
Que le véritable « non » à la misère,
C’est le « oui » agissant à la justice.
(…) »

(Supplément de la revue Prier de mars 2007, p. 44, dans le cadre d’un hommage)

L’abbé Pierre peut aussi citer des poèmes pour appuyer ses idées, par exemple un de saint Jean de la Croix dont voici un passage :

« (…)
Cette source éternelle est cachée en ce pain vivant
pour nous donner la vie,
mais c’est de nuit
(…) »

(Abbé Pierre, « Testament… », p. 72)

 

L’abbé Pierre est aussi philosophe spontanément sans chercher à l’être, peut-être grâce à ses années d’études religieuses chez les capucins et aux hommes d’église près desquels il a cherché conseil et appui  :

« L’infini ne peut être partiel : on ne peut pas être infini par rapport au temps et pas par rapport aux autres dimensions. L’infini est un absolu. Or nous l’atteignons sur ce plan, sur le plan du temps. » (Abbé Pierre, Bernard Kouchner, « Dieu et les Hommes », p. 58)

« Nous rebondissons de l’Absolu majuscule à l’absolu dans le minuscule et de si brève durée qui est l’homme. » (Abbé Pierre, Albert Jacquard, « Absolu », p. 23)

L’abbé Pierre aime à prendre position vis-à-vis du bien et du mal :

« Devant toute humaine souffrance, selon que tu le peux, emploie-toi non seulement à la soulager sans retard, mais encore à détruire ses causes.
Emploie-toi non seulement à détruire ses causes, mais encore à la soulager sans retard.
Nul n’est, sérieusement, ni bon ni juste ni vrai, tant qu’il n’est résolu, selon ses moyens, à se consacrer d’un cœur égal, de tout son être, à l’une comme à l’autre de ces deux tâches. Elles ne peuvent se séparer sans se renier »
(Abbé Pierre, Bernard Kouchner, « Dieu et les Hommes », p. 232)

Nous pouvons dire que l’abbé Pierre se sent attiré par la pitié et ne peut y être indifférent. Il a le sens de la pitié ainsi que l’entend le philosophe Bergson : « La pitié vraie consiste moins à craindre la souffrance qu’à la désirer. (…) » (Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, Œuvres, p. 16)

Tous ses propos ont un fil conducteur, la morale guidée par l’amour. Ainsi il peut expliquer pourquoi il aime jusqu’au meurtrier :

« J’ai de la haine pour les actes mauvais des hommes, mais je ne peux pas avoir de la haine pour les personnes. Ce que je ressens plutôt, c’est de l’accablement : « Comment est-ce, Dieu, possible ? » » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 15)

« Le vrai péché, c’est le vice, c’est-à-dire l’installation dans un comportement destructeur pour nous-mêmes ou pour les autres. » (Abbé Pierre, « Mon Dieu… pourquoi ? », p. 92)

Pour lui, l’homme n’atteint sa plénitude qu’avec les autres : « Croire en la vie, c’est croire en d’autres. » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 47)

Son amour est toujours tourné vers l’autre : « Aimer, c’est : quand tu souffres, toi, l’autre, qui que tu sois, j’ai mal… et toutes mes énergies se lèvent pour, unies aux tiennes, nous guérir ensemble de ton mal devenu le mien, pour ma joie dans ta joie, et ta joie dans la mienne. » (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 9) Si l’abbé Pierre parle ainsi, c’est toujours en communion avec le Christ, à la lumière de sa foi.

Ce n’est pas par hasard que l’abbé Pierre appelle ses pauvres, « les pauvres de Jésus-Christ ». (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 128)

Il se sent appelé à servir ceux qui choquent, qui sont écartés : « Vous méprisez l’ivrogne qui titube dans la rue et la prostituée qui fait le trottoir ? Vous avez tort. » (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 128)

À ceux qui ne se sentent pas concernés par le malheur des autres, l’abbé Pierre dit : « Quand l’objet de la colère est le mal, elle est vertu. L’indifférence devant le mal est le vice. » (Abbé Pierre, Bernard Kouchner, « Dieu et les Hommes », p. 231)

Il y a amour et Amour alors l’abbé Pierre différencie bien la sexualité et ses pulsions, de la vie stable du couple :

« La tendresse d’une femme, celle de chaque jour, je ne l’ai jamais vécue. De cela, j’ai éprouvé une souffrance constante, quotidienne, toute ma vie. (…) Il y a sans doute un abîme entre la tendresse et le plaisir. C’est pourquoi il me paraît plus réaliste de parler de joie. » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 69 et. 70)

Pour l’Amour avec un grand A, il dit :

« La foi est un acte d’Amour. » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 73)

« C’est la Vie, la vie intime de l’Éternel sur laquelle un petit coin du voile nous est levé pour nous faire percevoir la vie sans fin qui est dans cet éternel Amour. » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 83)

Et encore : « L’amour. Être heureux de la joie de l’autre. (…) mettre ma joie dans ta joie, pour ta joie dans la mienne, la mienne dans la tienne, nos joies ensemble au service de la joie de tous. » (Abbé Pierre, Bernard Kouchner, « Dieu et les Hommes », p. 23)

Il parle de l’engagement des prêtres et des vœux prononcés :

« Aujourd’hui on ordonne des hommes mariés non seulement dans l’Église orthodoxe, mais dans l’Église catholique, chez les maronites ou les coptes, qui ont le choix du mariage ou du célibat. » (Abbé Pierre, « Mon Dieu… pourquoi ? », p. 28) « (…) il existe des femmes très rationnelles et qui ont de remarquables capacités d’organisation. On voit mal pourquoi refuser à ces femmes (…) l’accès aux ministères ordonnés. » (Abbé Pierre, « Mon Dieu… pourquoi ? », p. 44)

« Il faut libérer l’Église de la tutelle romaine sur toutes les Églises locales, de son centralisme politique et juridique. C’est une des conditions pour que l’église devienne pleinement évangélique et pour la réconciliation de tous les chrétiens dans l’unité. » (Abbé Pierre, « Mon Dieu… pourquoi ? », p. 80 et 81)

L’abbé Pierre rend hommage à ceux qu’il a rencontrés et qu’il a trouvé merveilleux, ses parents d’abord :

« À l’éveil de la vie, il y a mon père, l’être de mon père, sa manière d’être, (…) un modèle par sa vie spirituelle, par sa vie d’hommes d’affaires et par sa vie au service des pauvres. » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 53) « C’est trois ans plus tard, peu avant mon départ au noviciat, que j’ai eu une vraie rencontre avec ma mère. (…) elle m’a fait la confidence de ce qu’était sa vie, au plus profond. » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 54)

Il y eut des prêtres, le père Michel, jésuite de son enfance, Pierre Teilhard de Chardin, Zunio Weissmann, un homme de la clandestinité, Daniel Gigan, le père Lubac, un ami intime, François Garbit, un grand ami de confiance, Mlle Coutaz, la secrétaire d’Emmaüs pendant trente ans et qui s’est dévouée à la cause d’Emmaüs sans se lasser :

« Sans elle, rien de ce qu’on m’attribue n’existerait. Comme le disent en riant les anciens : « Si le père avait été seul, il n’y aurait jamais eu un sou dans la caisse ! » Si elle veillait au grain, ce n’était pas pour que s’accomplisse quelque grande œuvre, c’était simplement pour qu’on bouffe le lendemain » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 58)

« Rencontrer vraiment des hommes et des femmes a été l’une des chances de ma vie. » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 61)

Le message de l’abbé Pierre est universel, pour tous les hommes et les femmes de bonnes volontés, sans distinction de parti politique :

« S’il est vrai qu’à droite on prône la bienfaisance uniquement pour refuser les réformes, à gauche, pour hâter la révolution finale, vous restez les bras ballants devant les détresses immédiates. Je réponds non à l’un comme à l’autre. » (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 71)

Il reste lui-même et prend position même sur des thèmes controversés. Par exemple, il n’hésite pas à répondre sur des sujets délicats de l’actualité comme l’homosexualité, la contraception, l’avortement, le préservatif :

« Je sais à quel point certains homosexuels ont été rejetés, humiliés. Cette exclusion, cette malédiction en a conduit certains à devenir provocateurs. C’est dommage, parce qu’ils accroissent ainsi la souffrance de leur vie. » (Courrier Français du 26 janvier 2007)

« S’il arrive que nous fautions, n’ajoutons pas le crime à la faute. Celui qui, dans la faute, se ficherait pas mal du risque de contamination et n’userait pas de préservatif, celui-là serait un criminel. » (Courrier Français du 26 janvier 2007)

Au risque de choquer les gens bien pensants, il ne renie pas ses convictions personnelles haut et fort :

« Il y a des cas où un chrétien peut considérer qu’hélas l’avortement est le moindre mal. » (Abbé Pierre, Bernard Kouchner, « Dieu et les Hommes », p. 175)

« Pour en revenir à la limitation des naissances, elle ne rend pas le mariage sans objet. Demeure en effet le soutien mutuel des époux qui est, nous le savons, autant une fin au mariage que la procréation. » (Abbé Pierre, « Testament…  », p. 108)

L’abbé Pierre aime prononcer des phrases qui accrochent la pensée pour mieux faire réfléchir et il sait manier l’humour sans en avoir l’air :

« (…) le meilleur des préservatifs, c’est la fidélité, mais l’être humain trébuche, il est fragile, il doit se protéger de la contagion et préserver les autres (…) » (Abbé Pierre, Bernard Kouchner, « Dieu et les Hommes », p. 181)

Il est un féministe au bon sens du terme, c’est-à-dire qu’il veut que la femme ait sa place à part entière et il le crie haut et fort, au risque de gêner les susceptibilités bien pensantes :

« Malheureusement, au sein de l’église, la place de la femme est trop souvent celle de la « bonne du curé ». Ce n’est pas normal ! Où est-il dit dans l’Évangile que le sacrement de l’ordre devait être réservé à l’homme ? » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 23)

Il veut aussi que la femme reste femme et s’épanouisse dans la beauté de sa féminité :

« J’espère pour en revenir à notre société, que les femmes ne vont pas jouer à l’homme, oubliant ce qui fait leur spécificité, caractérisée par des dons naturels que l’homme n’a pas. (…) Par les cycles qui rythment la vie de son corps, la femme est liée à l’universel, à l’universel vivant ; elle vit en union mystérieuse avec la pulsation de l’univers. Je pense qu’il y a là une richesse de l’humanité, quelque chose comme du sacré. » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 24 et 25)

Il s’exprime aussi vis-à-vis de la vieillesse et de la mort proche avec beaucoup de délicatesse et de respect de l’homme : autant il souhaite aider les gens âgés pauvres et délaissés, les mourants, autant il refuse l’acharnement thérapeutique qu’il dit « inadmissible », sans dériver vers l’euthanasie. Il sait trouver les mots justes et forts : « Je suis convaincu, au contraire, que l’on verra de plus en plus de gens afficher sur leur porte : « Je refuse qu’on utilise la technique pour me faire survivre quand je n’aurai plus toute ma lucidité. » » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 134)

Voici l’abbé Pierre orateur, qui sait parler vrai, haut et fort, s’engager au risque de gêner ceux qui ne veulent pas se mouiller : paroles directes, paroles d’aide, paroles du cœur encore et toujours. C’est un battant qui a l’art de faire de la morale sans que ses mots paraissent désuets. On peut le considérer comme un orateur passionné, au service des petits par exemple lorsqu’il dit : « La vie, c’est apprendre à aimer. » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 181)

Voir cet homme malade parler avec tant d’enthousiasme, de justesse et de vivacité, relève presque du miracle. Dans ces conférences, il commençait doucement, dans un souffle puis peu à peu, sa voix s’amplifiait et devenait un formidable fleuve de paroles pleines de bon sens et de chaleur humaine. Son message est universel et bouscule nos idées préconçues, nos égoïsmes de gens vivants dans un pays de consommation. Il sait nous faire penser à ceux qui n’ont rien :

« Il faudrait prendre le temps de s’asseoir à côté de celui qui mendie. Mais combien d’entre nous dispose de ce temps ? Il faut pourtant obligatoirement prendre du temps pour écouter, et aider les autres qui sont dans la misère. » (Courrier Français du 26 janvier 2007)

L’abbé Pierre était un homme de prière, un prêtre au plus profond de son cœur comme il l’a exprimé dans ses livres comme « Testament… ».

Sa foi est enracinée dans sa philosophie de la vie d’une manière très cartésienne :

« Mon espérance repose sur ces certitudes : d’une part, l’Éternel existe, puisque de l’Être est ; d’autre part, en moi qui ne suis que quelques kilos de matière, il y a un Moi, un sujet, qui est différent justement de la matière, car ce Moi n’est pas un composé décomposable… » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 77)

De même la mort est un thème qui lui est cher dans la sérénité :

« Après la mort nous sommes dans ce que j’appelle « le toujours de l’au-delà du temps ». (…)La mort, c’est la rencontre prodigieuse, éblouissante, de l’Infini, de l’Éternel, de l’Amour. » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 97 et 98)

L’abbé Pierre sait utiliser des paroles fortes qui frappent juste et nous font réfléchir et agir :

« Quand la misère ne se montre plus, nous avons vite fait d’y devenir indifférents. Pourvu qu’elle ne soit pas visible et qu’elle ait le bon goût de ne pas gâter notre bonheur, notre petit confort, nous sommes tranquilles. » (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 63)

L’abbé Pierre met la parole au service du partage, un don d’amour désintéressé, ouvert à tous. Les mots qu’il prononce, montrent qu’il est à part entière un homme de concret et d’actions, bien qu’il ait besoin de se ressourcer dans le silence régulièrement pour mieux agir. Il sait nous motiver naturellement car il parle au cœur :

« Tu es mort dès que tu peux être heureux sans les autres. Il y a les beaux morts, ce sont les bien-pensants qui vont à la messe, qui pratiquent la morale… Toi, tu es vivant dès que tu ne peux pas être heureux sans les autres. » (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 79)

 

Conclusion

Cet apôtre de la paix et de la justice n’est jamais resté insensible face à la souffrance. Il était toujours prêt à lancer des messages simples et essentiels d’amour et de fraternité, à sonner aux portes des puissants pour faire reculer la misère. Toute sa vie, il a lutté d’abord contre l’occupant nazi puis contre la pauvreté. Il a été un écrivain à part entière qui a su trouver les mots pour sensibiliser les gens au partage et à la misère. Comme il sait si bien nous le dire : « Il serait bon qu’Emmaüs reste comme une allumette qui, minuscule, peut embraser la forêt. Cela seul importe : que l’étincelle existe. » (Abbé Pierre, « Testament… », p. 127)

Les paroles de l’abbé Pierre sont un miroir de ses actes, par leur puissance de charité et d’humanité ; elles font de lui, un prophète. « Va, fais comme tu sais… », (Pierre Lunel, « 40 ans d’amour », p. 532) nous dit l’abbé Pierre. À chacun de suivre sa route en mettant son cœur au service de tous.

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

 

BIBLIOGRAPHIE

- Abbé Pierre, Je voulais être marin, missionnaire ou brigand, Carnets intimes inédits, Le cherche midi, Paris, 2002, 231 pages

- Abbé Pierre, Albert Jacquard, Absolu, Éditions du Seuil, Paris, 1994, 183 pages

- Abbé Pierre, Bernard Kouchner, Dieu et les Hommes, éditions Robert Laffont, Paris, 1993, 235 pages

- Abbé Pierre, Testament…, Bayard éditions, Paris, 1994, 181 pages

- Abbé Pierre, Mon Dieu… pourquoi ?, éditions de Noyelles, Paris, 2005, 108 pages

- Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, Œuvres, Presses Universitaires de France, Paris, 1959, 1628 pages

 - Pierre Lunel, 40 ans d’amour, l’Abbé Pierre et Emmaüs, Le Temps des Apôtres, Édition n°1, 1992, 540 pages

 

Pages trouvées sur Internet

- Sur le site de la Fondation Abbé Pierre : http://www.fondation-abbe-pierre.fr/abbe_pierre.html, « Biographie de l’abbé Pierre »

- Sur l’encyclopédie libre Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Abb%C3%A9_Pierre

- Texte de l’appel de 1954 : http://www.emmaus-france.org/raci_docs.section/pages/doc_refBC11C60A0.html

 

Dans les journaux

- « J’aimais son état d’indignation permanent », La Nouvelle République du Centre-Ouest, édition d’Indre-et-Loire, 23 janvier 2007, page 2

- « L’hommage des Français à l’apôtre des pauvres et des mal-logés », La Nouvelle République du Centre-Ouest, édition d’Indre-et-Loire, 23 janvier 2007, pages III et V

- Emmanuel Romer avec Claire Lesegretain et Bertrand Révillion, « Abbé Pierre : Une vie de combats et d’engagements », Le Courrier français de Touraine, 26 janvier 2007

- Philippe Martinet, « L’Abbé Pierre : la vie, c’est apprendre à aimer… », Le Courrier français de Touraine, 26 janvier 2007

- Jean-Yves Bonin, « Il a essayé d’aimer ! », Le Courrier français de Touraine, 9 février 2007