19èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 11 août 2017, de 17 h 30 à 19 h

 

Spectacle de poésie « Le bonheur »

Poèmes lus à plusieurs voix avec Michel Caçao à la guitare

Kiosque à musique du jardin des Prébendes dessiné à l'encre de Chine par Catherine Réault-Crosnier.

 

Lire la présentation de cette rencontre.

 

1 – Introduction : À courir après le bonheur, nous pouvons passer à côté sans le voir. Le bonheur est fragile. Les poètes peuvent encore rêver et le découvrir pour le semer. Ainsi il pourra germer tout autour du monde.

Savez-vous que le bonheur peut être dans le jardin des Prébendes à Tours, avec les poètes ? Si « Le bonheur est dans le pré » avec Paul Fort, il faut le saisir au vol, sinon il risque de nous échapper :

« Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite. Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite. Il va filer. »

(Paul Fort, Ballades du beau hasard, p. 20)

Il est urgent de cueillir le bonheur avec Jacques Prévert et son cancre qui dessine son visage « sur le tableau noir du malheur » tandis que Louis Aragon exprime la fragilité du bonheur dans « Il n’y a pas d’amour heureux » (La Diane française, I, p. 1004) ou « Qui parle du bonheur a souvent les yeux tristes » (Le Roman inachevé, II, p. 256).

Partons sur le chemin du bonheur avec de nombreux poètes qu’ils soient du passé ou du présent.

Rencontre du 11 août 2017 dans le jardin des Prébendes à Tours, consacrée au spectacle de poésie sur "Le bonheur".

 

2 – Arthur Rimbaud : Commençons par « Ma bohême » d’Arthur Rimbaud (1854 – 1891) interprété par Michel Caçao qui nous apporte la lumière de sa guitare près des étoiles de Rimbaud dans son errance :

MA BOHÈME

Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.
– Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !

(Arthur Rimbaud, Œuvres, Poésies, p. 71)

 

3 – Joachim du Bellay (1522 – 1560) : Voyageons avec ce poète qui regrette le temps passé et son pays natal :

Heureux qui comme Ulysse, a fait un beau voyage

Heureux qui comme Ulysse, a fait un beau voyage ;
Ou comme cestuy là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son aage !

Quand revoiray-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Revoiray-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup d’avantage ?

Plus me plaist le séjour qu’ont basty mes ayeux,
Que des palais Romains le front audacieux :
Plus que le marbre dur me plaist l’ardoise fine,

Plus mon Loyre Gaulois, que le Tybre Latin,
Plus mon petit Lyré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la doulceur Angevine.

(Joachim du Bellay, Les Regrets, p. 54)

 

4 – Honorat de Bueil Seigneur de Racan (1589 – 1670) a trouvé le bonheur en vivant caché, loin du monde menteur, près de la nature. En écrivant dans son livre Les Bergeries, pastorale en cinq actes, « Heureux qui vit en paix du laict de ses brebis, » il a certainement pensé à son prédécesseur Joachim Du Bellay (1522 – 1560) et à son vers si connu : « Heureux qui comme Ulysse, a fait un beau voyage ». Mais écoutons la poésie de Racan, reflétant le bonheur dans la paix et l’harmonie des champs :

Heureux qui vit en paix du laict de ses brebis,
Et qui de leur toison voit filer ses habits ;
Qui plaint de ses vieux ans les peines langoureuses,
Où sa jeunesse a plaint les flames amoureuses ;
Qui demeure chez luy comme en son élément,
Sans cognoistre Paris que de nom seulement,
(…)

Et, lorsque le soleil, en achevant son tour,
Finissoit mon travail en finissant le jour,
Je trouvois mon foyer couronné de ma race.
A peine bien souvent y pouvois-je avoir place.
L’un gisoit au maillot, l’autre dans le berceau ;
Ma femme, en les baisant, devidoit son fuseau.
Le temps les ménageoit comme chose sacrée ;
Jamais l’oisiveté n’avoit chez moy d’entrée.
Aussi les dieux alors bénissoient ma maison ;
(…)

(Honorat de Bueil Seigneur de Racan, Les Bergeries, acte V, scène 1ère, pp. 109 et 110)

 

5 – Jean de La Fontaine (1621 – 1695) : Les fables de La Fontaine ont eu un succès considérable et restent d’actualité, telle la fable :

LE SAVETIER ET LE FINANCIER

Un Savetier chantait du matin jusqu’au soir :

C’était merveilles de le voir,

Merveilles de l’ouïr ; il faisait des passages,

Plus content qu’aucun des sept sages.

Son voisin, au contraire, était tout cousu d’or,

Chantait peu, dormait moins encor.

C’était un homme de finance.

Si, sur le point du jour, parfois il sommeillait,

Le Savetier alors en chantant l’éveillait,

Et le Financier se plaignait,

Que les soins de la Providence

N’eussent pas au marché fait vendre le dormir,

Comme le manger et le boire.

En son hôtel il fait venir

Le chanteur, et lui dit : « Or çà, sire Grégoire,

Que gagnez-vous par an ? –Par an ? Ma foi, Monsieur,

Dit, avec un ton de rieur,

Le gaillard Savetier, ce n’est point ma manière

De compter de la sorte ; et je n’entasse guère

Un jour sur l’autre : il suffit qu’à la fin

J’attrape le bout de l’année :

Chaque jour amène son pain.

– Eh bien que gagnez-vous, dites-moi, par journée ?

– Tantôt plus, tantôt moins : le mal est que toujours ;

(Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes,)

Le mal est que dans l’an s’entremêlent des jours

Qu’il faut chommer ; on nous ruine en Fêtes.

L’une fait tort à l’autre ; et Monsieur le Curé

De quelque nouveau Saint charge toujours son prône.

Le Financier, riant de sa naïveté

Lui dit : Je vous veux mettre aujourd’hui sur le trône.

Prenez ces cent écus ; gardez-les avec soin,

Pour vous en servir au besoin.

Le Savetier crut voir tout l’argent que la terre

Avait depuis plus de cent ans

Produit pour l’usage des gens.

Il retourne chez lui : dans sa cave il enserre

L’argent et sa joie à la fois.

Plus de chant ; il perdit la voix

Du moment qu’il gagna ce qui cause nos peines.

Le sommeil quitta son logis,

Il eut pour hôtes les soucis,

Les soupçons, les alarmes vaines.

Tout le jour il avait l’œil au guet ; et la nuit,

Si quelque chat faisait du bruit,

Le chat prenait l’argent. A la fin le pauvre homme

S’en courut chez celui qu’il ne réveillait plus !

Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme,

Et reprenez vos cent écus. »

(Jean de La Fontaine, Fables, livre VIII, pp. 207 et 208)

 

6 – Jean Racine (1639 – 1699) est plus connu comme dramaturge, auteur de tragédies, Phèdre, Bérénice, Andromaque ; il sait raisonner avec sagesse par exemple dans :

Sur le bonheur des justes, et sur le malheur des réprouvés.

Heureux, qui de la sagesse
Attendant tout son secours,
N’a point mis en la richesse
L’espoir de ses derniers jours !
La mort n’a rien qui l’étonne ;
Et, dès que son Dieu l’ordonne,
Son âme, prenant l’essor,
S’élève d’un vol rapide
Vers la demeure où réside
Son véritable trésor.

(Jean Racine, Hymnes et cantiques spirituels, p. 298)

 

7 – Jean-Jacques Rousseau (1712 – 1778) : Cet écrivain, musicien philosophe est fascinant. Se promenant dans une allée du parc du château de Chenonceau, il a écrit un long poème qui révèle son goût du bonheur dans la nature. En voici un extrait :

L’ALLÉE DE SILVIE

Qu’à m’égarer dans ces bocages
Mon cœur goûte de voluptés !
Que je me plais sous ces ombrages !
Que j’aime ces flots argentés !
Douce et charmante rêverie,
Solitude aimable et chérie,
Puissiez-vous toujours me charmer !
De ma triste et lente carriere
Rien n’adouciroit la misere,
Si je cessois de vous aimer.
Fuyez de cet heureux asyle,
Fuyez de mon ame tranquille,
Vains et tumultueux projets ;
Vous pouvez promettre sans cesse
Et le bonheur et la sagesse,
Mais vous ne les donnez jamais.
Quoi ! L’homme ne pourra-t-il vivre,
A moins que son cœur ne se livre
Aux soins d’un douteux avenir ?
Et si le tems coule si vîte,
Au lieu de retarder sa fuite,
Faut-il encor la prévenir ?
(…)

(Jean-Jacques Rousseau, Œuvres complètes, La Pléiade, tome II, pp. 1146 à 1149)

 

8 – Jean-Pierre Claris de Florian (1755 – 1794) : Florian est un fabuliste de la même veine que La Fontaine. Dans « Le grillon », il nous enseigne qu’il vaut mieux réfléchir deux fois avant de se plaindre et d’éviter de trop paraître.

LE GRILLON

Un pauvre petit grillon

Caché dans l’herbe fleurie

Regardait un papillon

Voltigeant dans la prairie.

L’insecte ailé brillait des plus vives couleurs ;

L’azur, le pourpre et l’or éclataient sur ses ailes ;

Jeune, beau, petit maître, il court de fleurs en fleurs,

Prenant et quittant les plus belles.

Ah ! disait le grillon, que son sort et le mien

Sont différents ! Dame nature

Pour lui fit tout, et pour moi rien.

Je n’ai point de talent, encor moins de figure ;

Nul ne prend garde à moi, l’on m’ignore ici-bas :

Autant vaudrait n’existait pas.

Comme il parlait, dans la prairie

Arrive une troupe d’enfants :

Aussitôt les voilà courants

Après ce papillon dont ils ont tous envie.

Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l’attraper.

L’insecte vainement cherche à leur échapper,

Il devient bientôt leur conquête.

L’un le saisit par l’aile, un autre par le corps,

Un troisième survient, et le prend par la tête :

Il ne fallait pas tant d’efforts

Pour déchirer la pauvre bête.

Oh ! oh ! dit le grillon, je ne suis plus fâché ;

Il en coûte trop cher pour briller dans le monde.

Combien je vais aimer ma retraite profonde !

Pour vivre heureux, vivons caché.

(Jean-Pierre Claris de Florian, Fables, pp. 101 et 102)

 

9 – Sully Prudhomme (1839 – 1907), ce Parnassien est le premier écrivain à recevoir le prix Nobel de littérature (le 10 décembre 1901). Il a trouvé le bonheur dans la musique :

LA MUSIQUE

Ah ! chante encore, chante, chante !
Mon âme a soif des bleus éthers.
Que cette caresse arrachante
En rompe les terrestres fers !

Que cette promesse infinie,
Que cet appel délicieux
Dans les longs flots de l’harmonie
L’enveloppe et l’emporte aux cieux !

Les bonheurs purs, les bonheurs libres
L’attirent dans l’or de ta voix,
Par mille douloureuses fibres
Qu’ils font tressaillir à la fois…

Elle espère, sentant sa chaîne
A l’unisson si fort vibrer,
Que la rupture en est prochaine
Et va soudain la délivrer !

La musique surnaturelle
Ouvre le paradis perdu…
Hélas ! Hélas ! il n’est par elle
Qu’en songe ouvert, jamais rendu.

(Sully Prudhomme, Tendresses et Solitudes, p. 92)

 

10 – François Coppée (1842 – 1908) : Dramaturge et romancier français, il est l’un des poètes les plus populaires de la seconde moitié du XIXe siècle. Certainement la fraîcheur, la spontanéité de ses textes, traces d’un certain bonheur, y ont contribué.

LA CUEILLETTE DES CERISES

Espiègle ! j’ai bien vu tout ce que vous faisiez,
Ce matin, dans le champ planté de cerisiers
Où seule vous étiez, nu-tête, en robe blanche.
Caché par le taillis, j’observais. Une branche,
Lourde sous les fruits mûrs, vous barrait le chemin
Et se trouvait à la hauteur de votre main.
Or, vous avez cueilli des cerises vermeilles,
Coquette ! et les avez mises à vos oreilles,
Tandis qu’un vent léger dans vos boucles jouait.
Alors, vous asseyant pour cueillir un bleuet
Dans l’herbe, et puis un autre, et puis un autre encore,
Vous les avez piqués dans vos cheveux d’aurore ;
Et, les bras recourbés sur votre front fleuri,
Assise dans le vert gazon, vous avez ri ;
Et vos joyeuses dents jetaient une étincelle.
Mais pendant ce temps-là, ma belle demoiselle,
Un seul témoin, qui vous gardera le secret,
Tout heureux de vous voir heureuse, comparait,
Sur votre frais visage animé par les brises,
Vos regards aux bleuets, vos lèvres aux cerises.

(François Coppée, Promenades et Intérieurs, 1920, pp. 59 et 60)

 

11 – Michel Caçao sait si souvent nous enchanter avec ses paroles et sa musique. Il sème Le bonheur des mots :

AU BONHEUR DES MOTS

Les mots s’animent en balbutiant
Aux premiers songes d’un écrit
Ambitieux parfois, impatients
De partage et de rêverie

Créant la phrase ils s’émerveillent
Un trait, un point, souffle virgule
Chantent les vers puis nous conseillent
Écrire sa joie en majuscule

Les mots s’enlacent et s’abandonnent
Au rythme de quelques sonnets
Ils s’épanouissent et affectionnent
L’instant rayonnant d’un couplet

Ils sont la joie, ils sont la peine
Les mots de notre inspiration
D’une amitié parfois certaine
Rage aussi de contradiction

Les mots s’invitent et vagabondent
Au bleu profond de la mémoire
L’âme bohème ou furibonde
Ils sont conteurs de notre histoire

Scintillent les mots et se blottissent
À la croisée flou d’un regard
Filant discrets ils s’enhardissent
Bonheur posé lèvres buvard

S’aimant discrets ils s’enhardissent
Bonheur des mots en nos regards.

 

12 – Guy de Maupassant (1850 – 1893) : Disciple de Flaubert, auteur de contes, nouvelles, romans, ses poèmes sont peu connus. Sa tristesse est fréquente dans son œuvre ; pourtant dans le poème « Enfant, pourquoi pleurer », il veut effacer les larmes.

ENFANT, POURQUOI PLEURER ?

Enfant, pourquoi pleurer, puisque sur ton passage
On écarte toujours les ronces du chemin ;
Une larme fait mal sur un jeune visage,
Cueille et tresse les fleurs qu’on jette sous ta main.

Chante, petit enfant, toute chose a son heure ;
Va de ton pied léger, par le sentier fleuri ;
Tout paraît s’attrister sitôt que l’enfant pleure,
Et tout paraît heureux lorsque l’enfant sourit.

Comme un rayon joyeux ton rire doit éclore,
Et l’oiseau doit chanter sous l’ombre des berceaux,
Car le bon Dieu là-haut écoute dès l’aurore
Le rire des enfants et le chant des oiseaux.

(Guy de Maupassant, Œuvres complètes, Des vers, p. 157)

 

13 – Arthur Rimbaud (1854 – 1891) a été un adolescent révolté et un poète de génie avant de tout quitter pour voyager. Son talent n’a jamais fini de nous séduire :

SENSATION

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.

(Arthur Rimbaud, Œuvres, Poésies, p. 33)

 

14 – Maurice Rollinat (1846 – 1903) : Ce poète souvent pessimiste et ténébreux, présente étrangement le bonheur : philosophique, spontané, près de la nature, apportant la sérénité. Le bonheur est aussi proche de lui lors de sa réconciliation avec sa bien-aimée. De manière plus mystique, il voit le bonheur au Ciel, palais des Âmes.

MAGIE DE LA NATURE

Béant, je regardais du seuil d’une chaumière
De grands sites muets, mobiles et changeants,
Qui, sous de frais glacis d’ambre, d’or et d’argent,
Vivaient un infini d’espace et de lumière.

C’étaient des fleuves blancs, des montagnes mystiques,
Des rocs pâmés de gloire et de solennité,
Des chaos engendrant de leur obscurité
Des éblouissements de forêts élastiques.

Je contemplais, noyé d’extase, oubliant tout,
Lorsqu’ainsi qu’une rose énorme, tout à coup,
La Lune, y surgissant, fleurit ces paysages.

Un tel charme à ce point m’avait donc captivé
Que j’avais bu des yeux, comme un aspect rêvé,
La simple vision du ciel et des nuages !

(Maurice Rollinat, Paysages et Paysans, p. 145)

 

LA VRAIE JOIE

Au printemps ramenant sa joie,
Le Juste au cœur tendre et meurtri
Savoure, ivre en dedans, sans cri,
La félicité qui le noie.
Devant ce feuillage nourri
Qui, si frais, tremble et se déploie
Il faut que son espoir aigri
Se réillusionne et croie !
Au bruit du ruisseau qu’il côtoie
Sa raison même s’attendrit,
Le vent qui court, l’eau qui tournoie,
Insecte, oiseau, tout le festoie.
Il régale son corps guéri
De la lumière qui flamboie,
Fraternellement il coudoie
Le vieil arbre désamaigri,
En lui le regret se flétrit,
La sérénité reverdoie ;
Et le soir, au ciel qui rougeoie,
Son rêve extasié sourit,
Blanc des blancs reflets qu’en l’esprit
Sa conscience lui renvoie :
Toute son âme alors fleurit
Dans le paradis de la joie !

(Maurice Rollinat, Paysages et paysans, pp. 313 et 314)

 

Maurice Rollinat heureux en toute simplicité, revit comme dans son poème « Le Vent d’Été » caractérisé par l’empreinte de la sensualité et du besoin de solitude pour se ressourcer dans la nature, facettes incontournables de la vie et de l’œuvre du poète :

LE VENT D’ÉTÉ

A Léon Tillot

Le vent d’été baise et caresse
La nature tout doucement :
On dirait un souffle d’amant
Qui craint d’éveiller sa maîtresse.

Bohémien de la paresse,
Lazzarone du frôlement,
Le vent d’été baise et caresse
La nature tout doucement.

Oh ! quelle extase enchanteresse
De savourer l’isolement,
Au fond d’un pré vert et dormant
Qu’avec une si molle ivresse
Le vent d’été baise et caresse !

(Maurice Rollinat, Les Névroses, p. 213)

 

15 – Citations d’écrivains et aphorismes : Nous cherchons partout le bonheur et pouvons passer notre vie à nous plaindre de ne pas l’avoir. Les écrivains en parlent, chacun à leur manière. Laissons-leur la parole :

Honoré de Balzac (1799-1850) : « Il y a du bonheur dans toute espèce de talent. » (Le cabinet des antiques)

Romain Rolland (1866-1944) : « Le bonheur est de connaître ses limites et de les aimer. » (Jean-Christophe)

Jules Renard (1864-1910) : « Le bonheur, c’est d’être heureux ; ce n’est pas de faire croire aux autres qu’on l’est. » (Journal du 19 octobre 1906)

Pierre Choderlos de Laclos (1741-1803) : « J’avoue bien que l’argent ne fait pas le bonheur ; mais il faut avouer aussi qu’il le facilite beaucoup. » (Mme la Marquise de Merteuil dans Les liaisons dangereuses)

Georges Feydeau (1862-1921), reprend le proverbe en lui donnant un sens ironique : « – Oh ! alors, ça n’est pas grave ! l’argent ne fait pas le bonheur. – Oui, c’est même à se demander pourquoi les riches y tiennent tant ! » (Hortense a dit : « Je m’en fous ! »)

Jules Renard (1864-1910) : « Si l’argent ne fait pas le bonheur, rendez-le ! » (Journal du 26 décembre 1905)

Guy Gilbert (1935-), prêtre des loubards, écrit : « La richesse, c’est comme la santé. Son absence engendre la misère et sa possession ne garantit pas le bonheur. Si l’on en fait un dieu, l’argent devient un maître tyrannique qui sèche le cœur, rend sourd et aveugle. » (Vagabond de la bonne nouvelle, p. 88)

 

16 – Émile Verhaeren (1855 – 1916), poète belge flamand, symboliste, a loué le bonheur avec délicatesse, près de l’or, du ciel clair, des pétales et des vols d’oiseaux ou de manière plus mystique près de « la douceur de l’âme » :

OH ! CE BONHEUR

Oh ! ce bonheur
Si rare et si frêle parfois
Qu’il nous fait peur !

Nous avons beau taire nos voix
Et nous faire comme une tente,
Avec toute ta chevelure,
Pour nous créer un abri sûr,
Souvent l’angoisse en nos âmes fermente.

Mais notre amour étant comme un ange à genoux
Prie et supplie
Que l’avenir donne à d’autres que nous
Même tendresse et même vie,
Pour que leur sort, de notre sort, ne soit jaloux.

Et puis, aux jours mauvais, quand les grands soirs
Illimitent, jusques au ciel, le désespoir,
Nous demandons pardon à la nuit qui s’enflamme
De la douceur de notre âme.

(Émile Verhaeren, Les Heures Claires, pp. 51 et 52)

 

17 – Francis Jammes (1868 – 1938) est un poète de la délicatesse et de la nature. Il a aussi donné une dimension mystique au bonheur :

PRIÈRE POUR QUE LES AUTRES AIENT LE BONHEUR

(…)
Donnez à tous tout le bonheur que je n’ai pas,
et que les amoureux qui vont se parler bas
dans la rumeur des chars, des bêtes et des ventes,
se boivent des baisers, la hanche sur la hanche.
Que les bons chiens paysans, dans un coin de l’auberge,
trouvent la soupe bonne et s’endorment au frais,
et que les longs troupeaux des chèvres traînassantes
broutent le verjus clair aux vrilles transparentes.
Mon Dieu, voici : négligez-moi si vous voulez…
Mais… merci… Car j’entends, sous le ciel de bonté,
ces oiseaux qui devraient mourir dans cette cage,
chanter de joie, mon Dieu, comme une pluie d’orage.

(Œuvre poétique complète, tome I, Le Deuil des primevères, p. 317)

 

18 – Antoine de Saint-Exupéry (1900 – 1944) a bâti le bonheur sur la solidité des sentiments et non sur le concret d’apparence éternelle et pourtant si vite annihilé. Ainsi le bonheur ne se possède pas. Il est là en chacune de nos âmes et ne demande qu’à jaillir au jour :

(…) Et d’ailleurs le bonheur parfois serait pour le riche de naviguer, pour le forgeron de s’enrichir et pour le marin de ne rien faire. Ainsi t’échappe ce fantôme sans entrailles que vainement tu prétendais saisir. (Citadelle, p. 248)
(…)

« Ne me demande donc point à moi, chef d’un empire, de conquérir le bonheur pour mon peuple. Ne me demande point à moi, sculpteur, de courir après la beauté : je m’assiérai ne sachant où courir. La beauté devient ainsi le bonheur. Demande-moi seulement de leur bâtir une âme où un tel feu puisse brûler. » (id., p. 250)

 

19 – Catherine Réault-Crosnier nous apporte sa vision du bonheur loin du bruit, dans l’inaperçu, les petites choses de la vie qui peuvent devenir l’essentiel si elles sont emplies d’amour et de partage.

AUBE DE PENTECÔTE

Le bonheur n’est-il pas
Dans l’inaperçu,*
Dans les choses simples
De la vie quotidienne,
Un sourire de tendresse,
Un regard d’amour,
Un geste de paix,
Une caresse pour essuyer
Les larmes d’un malade,
Une présence silencieuse
Auprès de la douleur,
Une douceur infinie
Qui va dans les profondeurs de l’âme ?

Le bonheur n’est-il pas
Dans tout ce qui est petit,
Fragile, fugace mais aussi
Fort de son sens ?
Des pétales volant au vent,
Le chuchotement d’un torrent,
Les cloches d’une église
Sonnant dans le lointain,
Le chant des oiseaux tout près ?

Il y a tant de trésors
À cueillir sans bruit,
Il y a tant d’instants fugaces
À apprécier
Quand ils sont porteurs
De la lumière du cœur
Et celle de Dieu,
Là est le bonheur,
Près de la délicatesse
De l’invisible amour.

 

20 – Dans les Béatitudes (selon St Matthieu (5, 3 – 12) du Nouveau Testament, le bonheur est dans le cœur de chacun, et dans le don aux autres :

Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des Cieux est à eux.
Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.
Heureux les affligés, car ils seront consolés.
Heureux les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés.
(…)

Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.
Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.

 

21 – Dans le poème « La vraie joie » de Catherine Réault-Crosnier, vous comprendrez que faut-il pour être heureux ?… À la fois beaucoup et peu selon notre exigence.

LA VRAIE JOIE

La joie du cœur
Ne fait pas de bruit.
Elle n’est pas dans
L’aisance matérielle
Ni dans l’apparence,
Ni dans les honneurs,
Ni dans le superflu.

Ne cherchons pas à être
Au goût du jour,
À la mode ou reconnu.

En passant inaperçu,
Dans la grâce des petits riens,
Dans le don, la prière,
Nous vivons avec Dieu.

 

22 – Dans « Le vrai bonheur » de Catherine Réault-Crosnier, nous vous proposons, si vous êtes d’accord avec le texte lu, de reprendre le refrain « Que je le fasse ».

LE VRAI BONHEUR

Là où je peux apporter le bonheur,
Que je le fasse,

Que ce soit par un sourire,
Que ce soit par un regard,
Par une main tendue,
Que ce soit par une présence,
Que je le fasse,

Que ce soit par l’écoute,
Que ce soit par l’amitié sincère,
Par le respect de la différence
Pour éviter la violence,
Que je le fasse,

Là où je peux apporter un peu d’humanité,
Que je le fasse,

Que ce soit par une parole bienveillante
Ou par le silence,
Par un don, un partage,
Que ce soit par une prière,
Que je le fasse,

Alors, presque sans le savoir,
J’approcherai le vrai bonheur.

 

FINAL :

Terminons avec le bonheur presque impalpable et pourtant bien présent près de la nature avec un poème de Michel Caçao, « Rivages ». Vous pourrez reprendre après lui, le refrain : « Caressez les vagues, / Le soleil et le vent/ Quand les reflets musardent / Au creux de l’océan ».

 

Août 2014 / Août 2017

Catherine Réault-Crosnier

 

 

Bibliographie :

– Louis Aragon, Œuvres poétiques complètes, La Pléiade, Gallimard, Paris, 2007, tome I, 1641 pages, tome II, 1701 pages.
– Honorat de Bueil Seigneur de Racan, Œuvres complètes, tome I, P. Jannet Libraire, Paris, 1857, 360 pages.
– Joachim du Bellay, Les Regrets, Collection des cent chefs d’œuvre, éditions Robert Laffont, Paris, 1958, 251 pages.
– Jean-Pierre Claris de Florian, Fables, Collection des cent chefs d’œuvre, éditions Robert Laffont, Paris, 1958, 250 pages.
– François Coppée, Promenades et Intérieurs, Librairie Lemerre, 1920, 117 pages.
– Paul Fort, Ballades du beau hasard, Garnier Flammarion, 1985, 364 pages.
– Francis Jammes, Œuvre poétique complète, tome I, J et D éditions, Biarritz, 1995, 807 pages.
– Jean de La Fontaine, Fables choisies mises en vers, Éditions Garnier Frères, Paris, 1962, 576 pages.
– Guy de Maupassant, Œuvres complètes, Des vers, Louis Conard libraire-éditeur, Paris, 1908, XXXII + 168 pages.
– Sully Prudhomme, Tendresses et Solitudes, Librairie Lemerre, Paris, 1920, 117 pages.
– Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle, Le Livre de Poche, Gallimard, Paris, 1967, 635 pages.
– Jean Racine, Œuvres poétiques, tome quatrième, chez Lefèvre et Brière, Paris, 1824, 324 pages.
– Arthur Rimbaud, Œuvres, France Loisirs, Paris, 1982, XIX + 297 + 32 pages.
– Maurice Rollinat, Les Névroses, G. Charpentier, Paris, 1883, 399 pages.
– Maurice Rollinat, Paysages et Paysans, Bibliothèque Charpentier, Paris, 1899, 332 pages.
– Jean-Jacques Rousseau, Œuvres complètes, La Pléiade, Gallimard, Paris, tome II, 1961, 103 + 1999 pages.
– Émile Verhaeren, Les Heures du Soir précédées de Les Heures Claires, Les Heures d’après-midi, Mercure de France, 1922, 197 pages.