24èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 5 août 2022, de 17 h 30 à 19 h

 

Spectacle de poésie : « La liberté »

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le spectacle de poésie sur La liberté.

 

Lire la présentation de cette Rencontre.

 

Nous sommes tous assoiffés de liberté mais nous ne pouvons pas l’avoir à l’infini. Alors n’hésitons à partir sur son chemin au fil des siècles ou même des millénaires. Les poètes l’ont cherchée de tout temps selon leurs conditions de vie, guerre ou paix, bonheur ou malheur, amour ou solitude.

Une partie du public lors de la Rencontre littéraire dans le jardin des Prébendes, du 5 août 2022, consacrée au spectacle de poésie sur la liberté.

Une partie du public.

Virgile né le 15 octobre 70 av. J.-C, décrit la liberté d’une manière étonnante puisqu’il glorifie les combats guerriers mais n’oublions pas que la liberté des uns commence là où finit celle des autres. Par exemple, dans l’Énéide, le Troyen Énée arrive en Italie et mène des combats avant de pouvoir s’installer dans le Latium. (Arrivée d’Énée à Carthage, 1, 12-222)

Hélas, la liberté reste relative. Est-ce encore la liberté que de tuer ? Mais si c’est pour défendre un peuple, qui a tort ? Qui a raison ? Les avis diffèrent selon les interlocuteurs concernés. N’oublions pas que tout est relatif puisque les ennemis d’un jour, d’un siècle, peuvent devenir les amis d’un autre temps pour combattre un danger plus grand. Virgile nous dit :

Je chante les combats, et ce pieux guerrier
Qui, banni par le sort, se rendit le premier
Des rives de Pergame aux champs de Lavinie.
Junon, des fils de Troie implacable ennemie,
Le poursuivit partout sur la terre et les flots ;
Il supporta longtemps de pénibles travaux,
Avant qu’au Latium, libre enfin des batailles,
Il pût fixer ses Dieux, et fonder ses murailles,
D’où sortent les Latins, les Albains nos aïeux,
Et Rome, dont les murs s’élèvent jusqu’aux cieux.

Muse, raconte-moi quelle si grande offense,
Provoquant de Junon la cruelle vengeance,
Attira mille maux sur un roi si pieux :
Tant de haine entre-t-elle aux cœurs même des Dieux !
(…)

(Énéide, livre premier, 1826, page 3)

 

Christine de Pisan (1364 – 1430 ou 1431 ?), née à Venise en 1364 et morte vers 1430 est considérée comme la première femme de lettres ayant vécu de sa plume. Par exemple dans son livre Cent ballades (écrit entre 1364 et 1399), elle alterne les thèmes abordant la souffrance de la mort de son époux, d’autres encore liés aux difficultés de sa vie de veuve. Elle a choisi la liberté de vivre de sa plume et de ne pas se remarier, choix courageux et sans précédent puisqu’elle est la première femme de France à avoir vécu ainsi à son époque où les femmes étaient sous la garde d’un homme avant de l’être sous celle de leur mari. Elle a écrit de nombreux rondeaux dont celui-ci en 1340 :

Je ne sçay comment je dure ;
Car mon dolent cuer font d’yre,
Et plaindre n’oze, ne dire
Ma doulereuse aventure,

Ma dolente vie obscure,
Riens, fors la mort, ne désire ;
Je ne sçay comment je dure.

Et me fault par couverture
Chanter quand mon cuer souspire,
Et faire semblant de rire ;
Mais Dieux scet ce que j’endure ;
Je ne sçay comment je dure.

(Œuvres poétiques, tome premier, page 151)

 

Joachim du Bellay (1522 – 1560), reste un poète assoiffé de liberté même s’il n’a pas pu en vivre. Il a dû gagner sa vie en premier mais a continué d’écrire, de dire la vérité comme dans ce sonnet de son recueil Les Regrets (1558) :

J’ayme la liberté, et languis en service,
     Je n’ayme point la court, et me fault courtiser,
     Je n’ayme la feintise, et me fault deguiser,
     J’ayme simplicité, et n’apprens que malice :
Je n’adore les biens, et sers à l’avarice,
     Je n’ayme les honneurs, et me les fault priser,
     Je veulx garder ma foy et me la fault briser,
     Je cherche la vertu, et ne trouve que vice :
Je cherche le repos, et trouver ne le puis,
     J’embrasse le plaisir, et n’esprouve qu’ennuis,
     Je n’ayme à discourir, en raison je me fonde :
J’ay le corps maladif, et me fault voyager,
     Je suis né pour la Muse, on me fait mesnager,
     Ne suis-je pas (Morel) le plus chetif du monde ?

(Les Regrets, sonnet XXXIX)

 

Louise Labbé (1524 – 1566), surnommée « la Belle Cordelière » et poétesse de la Renaissance, est née à Lyon et morte à Parcieux-en-Dombes où elle est enterrée. Elle a toujours eu l’audace de rester vraie dans ses sentiments sans les édulcorer.

SONNET DE LA BELLE CORDIÈRE

Las ! cettui jour, pourquoi l’ai-je dû voir,
Puisque ses yeux allaient ardre mon âme ?
Doncques, Amour, faut-il que par ta flamme
Soit transmué notre heur en désespoir !

Si on savait d’aventure prévoir
Ce que vient lors, plaints, poinctures et blâmes ;
Si fraîche fleur évanouir son bâme
Et que tel jour fait éclore tel soir ;

Si on savait la fatale puissance,
Que vite aurais échappé sa présence !
Sans tarder plus, que vite l’aurais fui !

Las, Las ! que dis-je ? Ô si pouvait renaître
Ce jour tant doux où je le vis paraître,
Oisel léger, comme j’irais à lui !

(Œuvres poétiques, Gallimard, page 133)

 

Racan (1544 – vers 1597), poète lyrique, a rencontré Malherbe (1605) puis est devenu un ami et disciple. Il a publié de nombreux livres dont Stances sur la retraite (1618), Mémoires (1672) dans lesquelles il rend hommage à Malherbe. Il est l’un des premiers à être élu à l’Académie française. Dans son livre pastoral Les Bergeries paru en 1625, il célèbre la liberté au contact de la nature par exemple dans cet extrait :

Croyez-vous qu’en ce lieu solitaire et sauvage
En esloignant de nous la crainte et le desir
Esloigne de nos cœurs tout subject de plaisir.
Voyez ces bois espais, voyez ceste verdure,
Ces promenoirs dressez par le soin de nature,
Et ce temple où les cœurs vraiment devotieux
Destinent leur repos à la gloire des cieux,
(…)

(Les Bergeries, acte III, scène II, page 66)

 

Théodore Agrippa d’Aubigné (1552 – 1630), né à Pons (Charente-Maritime) et mort à Genève, est un poète baroque et homme de guerre qui s’est beaucoup battu. Étonnamment dans son livre Les Stances, nous trouvons des poèmes émouvants, montrant à la fois, sa soif de liberté par exemple à travers un écureuil entrevu, contrebalancée par le concret quotidien guerrier et brutal comme dans la stance VII :

Liberté douce et gracieuse,

Des petis animaux le plus riche trésor,

Ha liberté, combien es-tu plus precieuse

Ni que les perles ni que l’or !

Suivant par les bois à la chasse

Les escureux sautans, moy qui estois captif,

Envieux de leur bien, leur malheur je prochasse,

Et en pris un entier et vif.

J’en fis présent à ma mignonne

Qui lui tressa de soie un cordon pour prison ;

Mais les frians apas du sucre qu’on luy donne

Luy sont plus mortelz que poison.

Les mains de neige qui le lient,

Les attraians regars qui le vont decepvant

Plustost obstinement à la mort le convient

Qu’estre prisonnier et vivant.

Las ! commant ne suis je semblable

Au petit escurieu qui estant arresté

Meurt de regretz sans fin et n’a si agreable

Sa vie que sa liberté.

Ô douce fin de triste vie

De ce cueur qui choisist sa mort pour les malheurs,

Qui pour les surmonter sacrifie sa vie

Au regret des champs et des fleurs !

(…)

(Œuvres complètes, tome 3, 1874, pages 83 et 84)

 

Jean de la Fontaine (1621 – 1695) nous enchante de mille-et-une manières avec ses fables si variées. Par exemple, il nous montre qu’il vaut mieux réfléchir deux fois avant de se décider à réagir égoïstement ou d’être pris dans une situation irrémédiable. À quoi nous sert alors notre liberté si c’est pour être dévoré ? Nous pourrions dire d’une autre manière, cette phrase bien connue : « Aidons-nous les uns les autres ».

L’ANE ET LE CHIEN

Il se faut entraider ; c’est la loi de nature.

L’Ane un jour pourtant s’en moqua :
Et ne sais comme il y manqua ;
Car il est bonne créature.

Il alloit par pays, accompagné du Chien,

Gravement, sans songer à rien ;
Tous deux suivis d’un commun maître.

Ce maître s’endormit. L’Ane se mit à paître :

Il étoit alors dans un pré
Dont l’herbe était fort à son gré.

Point de chardons pourtant ; il s’en passa pour l’heure :
Il ne faut pas toujours être si délicat ;

Et, faute de servir ce plat,
Rarement un festin demeure.
Notre Baudet s’en sut enfin

Passer pour cette fois. Le Chien, mourant de faim,
Lui dit : « Cher compagnon, baisse-toi, je te prie :
Je prendrai mon dîné dans le panier au pain. »
Point de réponse, mot ; le Roussin d’Arcadie

Craignit qu’en perdant un moment
Il ne perdît un coup de dent.
Il fit longtemps la sourde oreille :

Enfin il répondit : « Ami, je te conseille
D’attendre que ton maître ait fini son sommeil ;
Car il te donnera sans faute, à son réveil,

Ta portion accoutumée :
Il ne sauroit tarder beaucoup. »
Sur ces entrefaites un Loup

Sort du bois, et s’en vient : autre bête affamée.
L’Ane appelle aussitôt le Chien à son secours.
Le Chien ne bouge, et dit : « Ami, je te conseille
De fuir, en attendant que ton maître s’éveille ;
Il ne sauroit tarder : détale vite, et cours.
Que si ce Loup t’atteint, casse-lui la mâchoire :
On t’a ferré de neuf ; et si tu me veux croire,
Tu l’étendras tout plat. » Pendant ce beau discours,
Seigneur Loup étrangla le Baudet sans remède.

Je conclus qu’il faut qu’on s’entr’aide.

(Les fables de La Fontaine illustrées par Gustave Doré, 1866, pages 220 à 222)

 

Jean de La Fontaine nous propose plusieurs options de vie en laissant le choix à chacun. La liberté n’a pas le même goût pour nous tous. Jusqu’où acceptons-nous d’aller pour la conserver ? Préférons-nous un esclavage tranquille ou de grands espaces et de grands risques ?

LE LOUP ET LE CHIEN

     Un Loup n’avoit que les os et la peau,

Tant les chiens faisaient bonne garde.

Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde.

L’attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l’eût fait volontiers ;
Mais il falloit livrer bataille ;
Et le mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l’aborde humblement,

     Entre en propos, et lui fait compliment

Sur son embonpoint, qu’il admire.
« Il ne tiendra qu’à vous, beau sire,

D’être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.

Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hères, et pauvres diables,

Dont la condition est de mourir de faim.
Car, quoi ? rien d’assuré : point de franche lippée ;

Tout à la pointe de l’épée.

Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin. »
     Le Loup reprit : « Que me faudra-t-il faire ?
– Presque rien, dit le Chien : donner la chasse aux gens

Portants bâtons, et mendiants ;

Flatter ceux du logis, à son maître complaire :

Moyennant quoi votre salaire

Sera force reliefs de toutes les façons,

Os de poulets, os de pigeons ;
Sans parler de mainte caresse. »

Le loup déjà se forge une félicité

Qui le fait pleurer de tendresse.

Chemin faisant, il vit le col du Chien, pelé.
« Qu’est-ce là ? lui dit-il. – Rien. – Quoi ! rien ? – Peu de chose.
– Mais encor ? – Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
– Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas

Où vous voulez ? – Pas toujours : mais qu’importe ?

– Il importe si bien, que de tous vos repas

Je ne veux en aucune sorte,

Et ne voudrois pas même à ce prix un trésor. »
Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor.

(Les fables de La Fontaine illustrées par Gustave Doré, 1866, pages 17 à 19)

 

Florian (1755 – 1795), bien connu pour ses fables, nous raconte des histoires savoureuses qui ont toutes une sentence finale toujours valable. Il nous donne ainsi à réfléchir sur notre manière d’utiliser notre liberté, par exemple dans cette fable où il met en parallèle la manière de vivre d’un paresseux et celle d’un travailleur, puis le résultat obtenu par chacun.

LES DEUX JARDINIERS

Deux freres jardiniers avoient par héritage
Un jardin dont chacun cultivoit la moitié ;

Liés d’une étroite amitié,
Ensemble ils faisaient leur ménage.

L’un d’eux, appelé Jean, bel esprit, beau parleur,

Se croyoit un très grand docteur ;
Et monsieur Jean passoit sa vie

A lire l’almanach, à regarder le temps

Et la girouette et les vents.

Bientôt, donnant l’essor à son rare génie,
Il voulut découvrir comment d’un pois tout seul
Des milliers de pois peuvent sortir si vite ;

Pourquoi la graine du tilleul,

Qui produit un grand arbre, est pourtant plus petite
Que la feve qui meurt à deux pieds du terrain ;

Enfin par quel secret mystere

Cette feve qu’on seme au hasard sur la terre

Sait se retourner dans son sein,

Place en bas sa racine et pousse en haut sa tige.

Tandis qu’il rêve et qu’il s’afflige

De ne point pénétrer ces importants secrets,

Il n’arrose point son marais ;
Ses épinars et sa laitue

     Sechent sur pied ; le vent du nord lui tue

Ses figuiers qu’il ne couvre pas.

Point de fruits au marché, point d’argent dans la bourse ;
Et le pauvre docteur, avec ses almanachs,

N’a que son frere pour ressource.
Celui-ci, dès le grand matin,

Travailloit en chantant quelque joyeux refrain,
Béchoit, arrosoit tout du pêcher à l’oseille.
Sur ce qu’il ignoroit sans vouloir discourir,
Il semoit bonnement pour pouvoir recueillir.
Aussi dans son terrain tout venoit à merveille ;
Il avait des écus, des fruits et du plaisir.

Ce fut lui qui nourrit son frere ;
Et quand monsieur Jean tout surpris

S’en vint lui demander comment il savoit faire :
Mon ami, lui dit-il, voici tout le mystere :

Je travaille, et tu réfléchis ;
Lequel rapporte davantage ?
Tu te tourmentes, je jouis ;
Qui de nous deux est le plus sage ?

(Fables de M. de Florian, 1792, pages 50 et 51)

 

Florian aborde aussi des thèmes où vie et mort sont en jeu. Il veut faire réfléchir les gens sur les faits graves qui existent autour de nous. Jusqu’où va la liberté si elle conduit à la mort d’un autre ? La liberté est alors étendard néfaste et cruel.

LE PARRICIDE

Un fils avoit tué son pere.
Ce crime affreux n’arrive guere

Chez les tigres, les ours ; mais l’homme le commet.
Ce parricide eut l’art de cacher son forfait,
Nul ne le soupçonna : farouche et solitaire,
Il fuyoit les humains, il vivoit dans les bois,
Espérant échapper aux remords comme aux loix.
Certain jour on le vit détruire à coups de pierre

Un malheureux nid de moineaux.
Eh ! que vous ont fait ces oiseaux ?

Lui demande un passant : pourquoi tant de colère ?
Ce qu’ils m’ont fait ? Répond le criminel :
Ces oisillons menteurs, que confonde le ciel,
Me reprochent d’avoir assassiné mon pere.
Le passant le regarde ; il se trouble, il pâlit,

Sur son front son crime se lit :

Conduit devant le juge, il l’avoue et l’expie.

O des vertus derniere amie,

Toi qu’on voudrait en vain éviter ou tromper,
Conscience terrible, on ne peut t’échapper !

(Fables de M. de Florian, 1792, page 130)

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786 – 1859), pionnière de la poésie romantique, piégée par un mari volage, a beaucoup souffert. Malgré tout, elle a gardé sa liberté d’expression. Sa poésie est imprégnée de son mal d’être qu’elle exprime avec délicatesse dans ses poèmes. Elle a très vite été appréciée pour sa beauté d’écriture et pour avoir défendu la cause féminine. Actuellement, elle est mise à l’honneur sur France-Culture. Parmi les grands contemporains qui ont aussi reconnu son talent, citons Yves Bonnefoy. Elle peut exprimer sa soif de liberté tel un oiseau. Voici un de ses poèmes de son livre Bouquets et Prières.

A CELLES QUI PLEURENT

Vous surtout que je plains si vous n’êtes chéries ;
Vous surtout qui souffrez, je vous prends pour mes sœurs :
C’est à vous qu’elles vont, mes lentes rêveries,
Et de mes pleurs chantés les amères douceurs.

Prisonnière en ce livre une âme est contenue :
Ouvrez : lisez : comptez les jours que j’ai soufferts :
Pleureuses de ce monde où je passe inconnue,
Rêvez sur cette cendre et trempez-y vos fers.

Chantez : un chant de femme attendrit la souffrance.
Aimez : plus que l’amour la haine fait souffrir.
Donnez : la charité relève l’espérance ;
Tant que l’on peut donner on ne veut pas mourir !

Si vous n’avez le temps d’écrire aussi vos larmes,
Laissez-les de vos yeux descendre sur ces vers ;
Absoudre, c’est prier. Prier, ce sont nos armes :
Absolvez de mon sort les feuillets entr’ouverts.

Pour livrer sa pensée au vent de la parole,
S’il faut avoir perdu quelque peu sa raison,
Qui donne son secret est plus tendre que folle :
Méprise-t-on l’oiseau qui répand sa chanson ?

(Bouquets et Prières, 1843, pages 5 et 6)

 

Marceline Desbordes-Valmore est à la recherche d’un endroit où elle pourrait trouver un peu de sérénité. Elle l’exprime dans son poème « Refuge » :

REFUGE

Il est du moins au-dessus de la terre
Un champ d’asile où monte la douleur ;
J’y vais puiser un peu d’eau salutaire
Qui du passé rafraîchit la couleur.
Là seulement ma mère encor vivante
Sans me gronder me console et m’endort ;
O douce nuit, je suis votre servante :
Dans votre empire on aime donc encor !

Non, tout n’est pas orage dans l’orage ;
Entre ses coups, pour desserrer le cœur,
Souffle une brise, invisible courage,
Parfum errant de l’éternelle fleur !
Puis c’est de l’âme une halte fervente,
Un chant qui passe, un enfant qui s’endort.
Orage, allez ! je suis votre servante :
Sous vos éclairs Dieu me regarde encor !

Béni soit Dieu ! puisqu’après la tourmente,
Réalisant nos rêves éperdus,
Vient des humains l’infatigable amante
Pour démêler les fuseaux confondus !
Fidèle mort ! Si simple, si savante !
Si favorable au souffrant qui s’endort !
Me cherchez-vous ? Je suis votre servante :
Dans vos bras nus l’âme est plus libre encor !

(Poésies inédites, 1860, pages 124 et 125)

 

Victor Hugo (1802 – 1885), grand romantique, a réfléchi au sens de la liberté, lui qui a dû partir en exil pour ne pas risquer l’emprisonnement ou la mort à cause de ses idées politiques. Dans un poème extrait de La Légende des Siècles, il exprime à travers les oiseaux piégés, sa soif d’espace sans contrainte.

LIBERTÉ !

De quel droit mettez-vous des oiseaux dans des cages ?

De quel droit ôtez-vous ces chanteurs aux bocages,
Aux sources, à l’aurore, à la nuée, aux vents ?
De quel droit volez-vous la vie à ces vivants ?
Homme, crois-tu que Dieu, ce père, fasse naître
L’aile pour l’accrocher au clou de ta fenêtre ?
Ne peux-tu vivre heureux et content sans cela ?
Qu’est-ce qu’ils ont donc fait tous ces innocents-là
Pour être au bagne avec leur nid et leur femelle ?

Qui sait comment leur sort à notre sort se mêle ?
Qui sait si le verdier qu’on dérobe aux rameaux,
Qui sait si le malheur qu’on fait aux animaux
Et si la servitude inutile des bêtes
Ne se résolvent pas en Nérons sur nos têtes ?
Qui sait si le carcan ne sort pas des licous ?
Oh ! de nos actions qui sait les contre-coups,
Et quels noirs croisements ont au fond du mystère
Tant de choses qu’on fait en riant sur la terre ?
Quand vous cadenassez sous un réseau de fer
Tous ces buveurs d’azur faits pour s’enivrer d’air,
Tous ces nageurs charmants de la lumière bleue,
Chardonneret, pinson, moineau franc, hochequeue,
Croyez-vous que le bec sanglant des passereaux
Ne touche pas à l’homme en heurtant ces barreaux ?
Prenez garde à la sombre équité. Prenez garde !
Partout où pleure et crie un captif, Dieu regarde.
Ne comprenez-vous pas que vous êtes méchants ?
A tous ces enfermés donnez la clef des champs 
Aux champs les rossignols, aux champs les hirondelles !
Les âmes expieront tout ce qu’on fait aux ailes.
La balance invisible a deux plateaux obscurs.
Prenez garde aux cachots dont vous ornez vos murs !
Du treillage aux fils d’or naissent les noires grilles ;
La volière sinistre est mère des bastilles.
Respect aux doux passants des airs, des prés, des eaux !
Toute la liberté qu’on prend à des oiseaux
Le destin juste et dur la reprend à des hommes.
Nous avons des tyrans parce que nous en sommes.
Tu veux être libre, homme ? et de quel droit, ayant
Chez toi le détenu, ce témoin effrayant ?
Ce qu’on croit sans défense est défendu par l’ombre.
Toute l’immensité sur ce pauvre oiseau sombre
Se penche, et te dévoue à l’expiation.
Je t’admire, oppresseur, criant : oppression !
Le sort te tient pendant que ta démence brave
Ce forçat qui sur toi jette une ombre d’esclave ;
Et la cage qui pend au seuil de ta maison
Vit, chante, et fait sortir de terre la prison.

(La Légende des Siècles, Tome cinquième et dernier, pages 201 à 203)

 

Maurice Rollinat (1846 – 1903) est connu pour ses poèmes fantastiques et sombres mais aussi pour ceux animaliers comme dans le poème qui suit où deux bêtes maltraitées par leur maître, souffrent ensemble mais osent garder la liberté de s’entraider.

LES DEUX COMPAGNONS

Cet énorme cheval et ce tout petit âne,
Frères en coups de fouet, en jeûnes, en labeur,
Ont pris les mêmes airs d’angoisse et de stupeur,
Pensent le même effroi dans la nuit de leur crâne.

A force de tirer côte à côte, en souffrant,
Ils ont suppléé presque au manque de langage
Par des mouvements d’yeux, d’oreilles, et je gage
Qu’entre eux braire et hennir est un parler courant.

Aussi, lorsqu’en leur pré d’herbe courte et mauvaise,
De la sorte, ils ont pu converser bien à l’aise,
Alors c’est du délire après l’épanchement.

Pleins de la belle humeur que l’un à l’autre insuffle,
Ils se roulent en chœur, et simultanément
Se relèvent tous deux pour s’embrasser le mufle.

(Les Bêtes, pages 129 et 130)

 

Rosemonde Gérard (1871 – 1953), femme d’Edmond Rostand, déploie son talent de conteuse proche de la nature. Voici le début d’un de ses poèmes, où liberté rythme avec farniente et détente en toute tranquillité.

LES CIGALES

(…)
Ces cris au loin multiplié,
C’est midi, c’est midi qui chante.

Sous l’astre qui conduit le chœur,
Les chanteuses, dans l’herbe glauque,
Répètent leur petit cri rauque
De quel infatigable cœur.
(…)

(Les Pipeaux, 1923, page 103)

 

Charles Péguy (1873 – 1914) nous enchante aussi bien par ses élans lyriques que par la force de ses descriptions de la guerre de 1914. Tristesse et beauté se mêlent au fil de la vie et de l’histoire humaine par exemple dans son livre de jeunesse Jeanne d’Arc. L’auteur nous montre combien la vie paraît imprévisible et parfois même incompréhensible comme dans cet extrait en alexandrins où Jeanne d’Arc à Domrémy va tout quitter librement pour sauver la France.

A présent, ô mon Dieu, que je vais commencer,

Si les Anglais ne veulent pas s’en aller bien,
Donnez-moi la rudesse et la force qu’il faut
Pour entraîner les durs soldats et les lancer
Comme un flot débordant qui emporte l’assaut.

A présent, ô mon Dieu, que je vais commencer,

Si les Anglais ne veulent pas s’en aller bien,
Donnez-moi la douceur et la force qu’il faut
Pour calmer les soldats et pour les apaiser
Dans leur pleine victoire, ayant fini l’assaut.

Mais si, la bataille où je vais travailler,

Cette ouvrière est faible, ou maladroite, ou lâche,
Si l’ouvrière est faible à mener les soldats ;

Et si, dans la victoire où je vais travailler,

Cette ouvrière est faible à sa deuxième tâche,
Si l’ouvrière est faible à calmer les soldats ;

Si je travaille mal en bataille ou victoire,

Et si l’œuvre est mal faite où j’ai voulu servir,

Ô mon Dieu pardonnez à la pauvre servante.

(Jeanne d’Arc, 1897, deuxième partie, deuxième acte)

 

Anna de Noailles (1876 – 1933) première femme commandeur de la Légion d’Honneur, première femme à être reçue à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, est une poétesse et une romancière française d’origine roumaine, née et morte à Paris. Elle a toujours voulu avoir le cœur ouvert sur le monde et les gens pour transmettre son message par la poésie. Dans son livre Le Cœur innombrable, elle nous transmet ses états d’âme, étendard pour la liberté d’expression.

L’ARDEUR

Rire ou pleurer, mais que le cœur
Soit plein de parfums comme un vase,
Et contienne jusqu’à l’extase
La force vive ou la langueur.

Avoir la douleur ou la joie,
Pourvu que le cœur soit profond
Comme un arbre où des ailes font
Trembler le feuillage qui ploie ;

S’en aller pensant ou rêvant,
Mais que le cœur donne sa sève
Et que l’âme chante et se lève
Comme une vague dans le vent.

Que le cœur s’éclaire ou se voile,
Qu’il soit sombre ou vif tour à tour,
Mais que son ombre et que son jour
Aient le soleil ou les étoiles…

(Le Cœur innombrable, 1901, pages 151 et 152)

 

Cécile Sauvage (1883 – 1927), poète français, émule de Marceline Desbordes-Valmore, exprime les joies simples apportées dont celles de la maternité et de la nature. Elle est la mère d’Alain Messian et du musicien Olivier Messian. Elle a défendu son choix d’écriture avec des mots délicats qui parlent au cœur comme dans son recueil Le Vallon.

Je ne veux qu’un rêve
A demi-flottant,
Que mon âme brève
Passe en voletant,
Que la brume fine
L’enveloppe aussi ;
Qu’elle s’achemine
Sans autre souci
Que celui d’errer
Avec une brise,
Sur l’arbre léger,
Sur la terre grise.

(Le Vallon, 1913, page 45)

 

Cécile Sauvage a toujours aimé la vie simple, près de la nature qui l’environne. Elle la célèbre en particulier dans son livre Tandis que la terre tourne.

VŒUX SIMPLES

Vivre du vert des prés et du bleu des collines,
Des arbres racineux qui grimpent aux ravines,
Des ruisseaux éblouis de l’argent des poissons ;
Vivre du cliquetis allègre des moissons,
Du clair halètement des sources remuées,
Des matins de printemps qui soufflent leurs buées,
Des octobres semeurs de feuilles et de fruits
Et de l’enchantement lunaire au long des nuits
Que disent les crapauds sonores dans les trèfles.
Vivre naïvement de sorbes et de nèfles,
Gratter de la spatule une écuelle en bois,
Avoir les doigts amers ayant gaulé des noix
Et voir, ronds et crémeux, sur l’émail des assiettes,
Des fromages caillés couverts de sarriettes.
Ne rien savoir du monde où l’amour est cruel,
Prodiguer des baisers sagement sensuels
Ayant le goût du miel et des roses ouvertes
Ou d’une aigre douceur comme les prunes vertes
A l’ami que bien seule on possède en secret.
Ensemble recueillir le nombre des forêts,
Caresser dans son or brumeux l’horizon courbe,
Courir dans l’infini sans entendre la tourbe
Bruire étrangement sous la vie et la mort,
Ignorer le désir qui ronge en vain son mors,
La stérile pudeur et le tourment des gloses ;
Se tenir embrassés sur le néant des choses
Sans souci d’être grands ni de se définir,
Ne prendre de soleil que ce qu’on peut tenir
Et toujours conservant le rythme et la mesure
Vers l’accomplissement marcher d’une âme sûre.
Voir sans l’interroger s’écouler son destin,
Accepter les chardons s’il en pousse en chemin,
Croire que le fatal a décidé la pente
Et faire simplement son devoir d’eau courante.
Ah ! vivre ainsi, donner seulement ce qu’on a,
Repousser le rayon que l’orgueil butina,
N’avoir que robe en lin et chapelet de feuilles,
Mais jouir en son plein de la figue qu’on cueille,
Avoir comme une nonne un sentiment d’oiseau,
Croire que tout est bon parce que tout est beau,
Semer l’hysope franche et n’aimer que sa joie
Parmi l’agneau de laine et la chèvre de soie.

(Tandis que la terre tourne, 1910, pages 62 à 64)

 

Marie Noël (1883 – 1967), poétesse française contemporaine, nous transmet la force de son vécu, l’intensité de ses émotions positives après la guerre. Elle veut « faire chanter le verbe », positiver et pardonner le passé douloureux par exemple dans son poème « Dialogue » :

Sa compagne lui dit : « Je rêve de vengeance.
(…)

– Je lui dirais : j’allais manger, mange mon pain.

– S’il revenait aveugle et pleurant l’infidèle
(…).

– S’il revenait lépreux, lui qui dans son bel âge
Se détourna de vous avec un air moqueur,
(…).

– Enfin ! murmurerai-je entre ses bras, enfin ! »

(Les Chants de la Merci, 2003, page 19).

 

Paul Éluard (1895 –1952) a toujours été assoiffé de liberté, dans sa vie et dans ses écrits. Ce poème très connu qu’il a écrit pendant la seconde guerre mondiale, en témoigne.

LIBERTÉ

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom
(…)

Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom
(…)

(Poésie et vérité 1942)

 

Catherine Réault-Crosnier a soif de paix, d’aide aux plus fragiles et refuse la haine, la violence des guerres.

TOUT PERMETTRE ?

La liberté des uns
Commence là où finit
Celle des autres.

Doit-on laisser les humains
Saccager, brûler
Et tuer l’amitié,
La bonté, le partage ?

Doit-on laisser les voleurs
Gaspiller le bien des autres,
Les revendicateurs casser tout
Sans se sentir concernés ?

Est-ce normal que des gens
Salissent, saccagent
Tandis que d’autres réparent
Les dégâts qu’ils ont faits ?

NON ! STOP au laxisme
Malfaisant qui détruit trop !
NON, tout n’est pas permis
Car
La liberté des uns
Commence là où finit
Celle des autres.

 

Catherine Réault-Crosnier vous propose de réfléchir au vrai sens de la liberté, celle qui peut nous aider tous à vivre en paix les uns avec les autres alors posons nous la question :

LIBRE DE QUOI ?

La liberté totale n’existe pas
Elle reste fragile
Car celle des uns finit
Là où commence celle des autres.

La liberté de tuer, d’humilier,
Rabaisser, annihiler,
Ne doit jamais être
La vision de la réalité.

N’oublions jamais que nous sommes
Des êtres vivants, bâtis pour aider,
Construire un monde de paix
Et non de guerre et de haine.

Créons un univers « humain »
Au vrai sens du terme,
Aidant les petits, les fragiles,
Permettant à tous de s’épanouir.

Refusons le massacre
Des délaissés, des affamés
Pour laisser place aux gens
Qui sont prêts à aider.

Perdons cette soif de pouvoir
Outrancier, haineux
Entrainant la folie
Des vices et des tueries.

Soyons des bâtisseurs de Paix
Au vrai sens du terme
Pour construire un monde
Où règne la Paix des cœurs.

 

Avril / août 2022,

Catherine Réault-Crosnier

 

Bibliographie :

– Virgile, L’Énéide, traduite en vers français par Louis Duchemin, tome premier, Imprimerie de Firmin Didot, Paris, 1826, VI + 433 pages.
– Œuvres poétiques de Christine de Pisan, publiées par Maurice Roy, tome premier, Librairie de Firmin Didot et Cie, Paris, 1886, XXXVIII + 320 pages.
– Joachim du Bellay, Les Regrets et autres oeuvres poetiques, à Paris, de l’imprimerie de Federic Morel, 1558, 103 pages (non paginé)
– Louise Labé, Œuvres poétiques, Gallimard, collection Poésie, Paris, 1983, 188 pages.
– Les Bergeries de Mre Honorat De Bueil chevalier sieur de Racan, chez Toussainct du Bray, Paris, 1625, 30 + 142 pages.
– Œuvres complètes de Théodore Agrippa d’Aubigné, Tome 3, A. Lemerre éditeur, Paris, 1874, 448 pages.
– Les fables de La Fontaine illustrées par Gustave Doré, Librairie de L. Hachette et Cie, Paris, 1866, LX + 864 pages.
– Fables de M. de Florian, Imprimerie de P. Didot l’aîné, Paris, 1792, 358 pages.
– Marceline Desbordes-Valmore, Bouquets et Prières, 1843, Dumont éditeur, Paris, 307 pages.
– Poésies inédites de Madame Desbordes-Valmore, publiées par M. Gustave Revilliod, Imprimerie de Jules Fick, Genève, 1860, 282 pages.
– Victor Hugo, La Légende des Siècles, Tome cinquième et dernier, Calmann Lévy éditeur, Paris, 1883, 328 pages.
– Maurice Rollinat, Les Bêtes, poésies, Bibliothèque Charpentier, E. Fasquelle, Paris, 1911, VII + 234 pages.
– Rosemonde Gérard, Les Pipeaux, bibliothèque Charpentier, Fasquelle éditeurs, Paris, 1923, 320 pages.
– Charles Péguy, Jeanne d’Arc, 1897, La librairie de la Revue socialiste, Paris, non paginé.
– Anna de Noailles, Le Cœur innombrable, Calmann Lévy éditeur, Paris, 1901, 192 pages.
– Cécile Sauvage, Le Vallon, Mercure de France, Paris, 1913, 219 pages.
– Cécile Sauvage, Tandis que la terre tourne, Mercure de France, Paris, 1910, 185 pages.
– Marie Noël, Les Chants de la Merci, NRF Poésie /Gallimard, Paris, 2003, 213 pages.
– Paul Éluard, Poésie et vérité 1942, Les éditions de La Main à plume, Paris, 1942, 26 pages. Manuscrit d’origine en ligne à l’adresse : https://www.franceculture.fr/litterature/liberte-poeme-damour-devenu-hymne-de-la-resistance

 

*
*   *

Monsieur Emmanuel Denis, maire de Tours, à la fin de la Rencontre du 5 août 2022, dans le jardin des Prébendes.

Monsieur Emmanuel Denis, maire de Tours, à la fin de la séance a remercié et félicité les organiseurs et les lecteurs, pour ces moments de littérature en plein air, qui ont lieu pour la vingt-quatrième année.
(Photo et légende mises en ligne avec l’accord de M. Emmanuel Denis - Courriel du 8 août 2022.)