Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT ET SA SANTÉ

Portrait de Maurice Rollinat pêcheur d'après Allan Osterlind, par Catherine Réault-Crosnier.

 

Recherche documentaire

non exhaustive, réalisée par Régis Crosnier.

 

Version au 9 septembre 2023.

 

– I – Quand Maurice Rollinat parle de sa santé

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 18 février 1871 (écrite à Châteauroux) (collection particulière).

(…) La Poésie me sert de consolation, de dictame, de réconfort ! J’y puise de l’espérance quand la souffrance m’abat, ou bien, j’en fais une amie qui me charme par une conversation douce et sentimentale ! C’est un miroir où mon âme se regarde en face ! C’est une feuille blanche où s’épanche ma pensée triste ou gaie ; en un mot, la Poésie, - telle que je la comprends - c’est une sorte d’écho sympathique vibrant à mes soupirs intérieurs et adoucissant ma pensée par une cadence molle et intime ! à chacun son genre ! Je ne dis pas que je ne me modifierai pas un jour, et que je n’inclinerai pas dans votre sens ! J’ai trop changé depuis trois ans, pour avoir cette prétention ! Mais pourtant, si je base mon opinion sur ma tendance actuelle, je crois que j’aurai toujours l’âme ouverte aux étrangetés du caprice et fermée aux rumeurs des foules ! Je suis de votre avis pour ce qui est du genre personnel et je me confesse humblement de mon erreur qui m’a fait le cultiver par morbidesse et dégout de la vie ; mais bien que la névrose me calcine la cervelle, je suis revenu des éternelles plaintes jérémiaques ! Pas trop n’en faut ! oui, la mort de l’esprit viendrait vite ! Non ! je suis jobesque, c’est à dire résigné ! – Je me dis que l’homme est né pour souffrir, et que la meilleure arme pour lutter contre la souffrance se fabrique avec l’acceptation qu’on en fait patiemment devant Dieu !

Donc, je ne serai plus personnel ! les tableaux de genre m’ont toujours captivé ! J’en ai ébauché quelques-uns. Si jamais, ma santé s’améliore, j’y donnerai le poli final et je tâcherais à force de coups de lime, d’enlever toutes les rugosités triviales qui s’y étalent aujourd’hui ! (…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 6 mars 1871 (écrite à Châteauroux) (collection particulière).

(…)
Non ! – Je ne veux pas me claquemurer de parti pris dans l’Horrible ! Si je l’ai regardé en face, et si je me suis nourri d’étrangetés Baudelairiennes, c’est que la névrose m’avait réduit tout d’abord à cet exclusivisme morbide ! étant si loin de la vie normale, je me composais un monde à part peuplé de fantômes atroces et de cauchemars sans nom ou j’alimentais mon spleen en croyant le calmer dans ce milieu sympathique.

Aujourd’hui, j’en suis revenu, je vous le déclare, et quoique portée fatalement vers les scènes d’horreur, ma pensée vole dans des régions plus consolantes ! – mais il est certain que tant que je serai sous la griffe du mal, je n’aurai pas l’entière possession de moi même, puisque la sérénité d’esprit me manque absolument ! (pour ce qui regarde la composition bien entendu).
(…)

Chose bizarre ! la névrose a doublé mon tact et ma raison, et loin de me détacher du réel, elle m’y a cruellement assujetti ! Tout m’apparaît dans son vrai jour, hors de moi, – et si mon intérieur est halluciné, je vois clair à l’extérieur ! – Expliquer cette anomalie, j’en serai fort en peine, mais elle existe, et je la prouve quotidiennement.
(…)

Je vais laisser dormir la composition ! – il faut que je me soigne, et sérieusement, car la souffrance me ronge et finit par m’enlever tout espoir ! –
(…)

 

[Il parle ensuite de quitter Châteauroux pour aller s’installer à Paris.]

Mais hélas !... – Enfin je m’abandonne au courant de ma destinée ! Puisse t-il me jeter sur une plage tranquille où je me retremperai pour une vie nouvelle ! – En attendant j’ai un soutien moral dans votre bonne amitié, et je m’en servirai comme d’un baume contre la douleur !...
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 28 avril 1871 (écrite à Versailles) (collection particulière).

[Maurice Rollinat a accompagné le 4 avril 1871, son frère Émile à la gare de Châteauroux, en partance pour la maison de santé de Naugeat à Limoges.]

(…) Le lendemain Châteauroux m’est devenu odieux ; notre maison s’est comme ensevelie dans l’horreur, un dégout morbide s’est emparé de mon âme, et j’ai eu soif de m’arracher à cette atmosphère de malheur sans bornes, où les Rollinat semblent condamnés à vivre par une féroce fatalité !… Oui ! j’ai songé sérieusement au suicide ! – sous le coup de cette nouvelle douleur qui ravivait toutes les autres, aux prises avec une maladie mystérieuse qui me torture sans m’abattre, sans position à vingt-cinq ans, exaspéré de ne pouvoir m’abandonner sans contrainte à la fougue de mes tendances, je me suis dit que la vie allait me devenir insupportable et que je ferais bien d’en finir promptement !
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 15 mai 1871 (écrite à Versailles) (collection particulière).

Non ! Je ne me suiciderai pas ! Je materai la douleur par la patience, et si je puis, je la bénirai. – Mais je ne me dissimule pas qu’avant de savoir souffrir, j’aurai bien des défaillances et bien des révoltes. Sous l’angle de la névrose qui me lacère sans relâche, je trouve plus amère encore la coupe des tortures morales, et quand il m’arrive d’y tremper mes lèvres, c’est toujours avec un redoublement d’horreur et de désespoir.

Pourtant, la vraie force de l’homme est toute entière dans l’acceptation sereine de l’adversité, et dans la ferme résolution de tirer de son malheur même la gaieté sévère du penseur, et la tristesse féconde du poëte.

Il faut donc que je me pénètre de cette vérité, et que je m’imbibe de résignation. Du reste, le travail offre aux souffrants une diversion puissante et digne de leurs efforts. Quand on a la ressource de penser, d’écrire, d’effacer pour écrire encore, quand on peut lire, et savourer dans l’ouvrage d’un autre l’expression vraie d’une idée que soi même on n’a pu rendre, et le croquis vivant d’un paysage qu’on n’a pas su peindre, il vous entre dans l’âme un contentement pur qui la soulage et la distrait.

Et puis, la musique apporte aux malheureux l’opium de son harmonie : celui qui jouit, peut rire avec elle ; celui qui souffre peut pleurer dans ses bras au bercement grave de ses andantes mélancoliques. – Trouver dans une mélodie un cri d’angoisse intime qui réponde à celui de sa propre douleur, c’est combler le vide de sa solitude par un écho fraternel.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à un ami [Joseph de Brettes] datée du 30 mai 1871, publiée dans Le Figaro du samedi 8 février 1930, pages 5 et 6, dans l’article « La jeunesse fiévreuse de Rollinat » de Jacques Patin.

Je ne suis pas mort ! au contraire, je vis trop, puisque la souffrance devient pour ainsi dire une condition de mon existence. Quand je t’ai écrit, il y trois ans, j’étais sous la griffe d’une céphalalgie naissante, et je m’en plaignais obstinément. Depuis, le temps a marché et le mal aussi ; tout ce que l’imagination peut concevoir de plus intense en douleur physique, je l’ai ressenti dans le crâne ! Les médecins de tout ordre, qui m’ont vu, sont restés ahuris par mes récits invraisemblables et pourtant si vrais. On a mis sur le compte des nerfs cette maladie inconnue à la science, et l’on m’a recommandé la tranquillité d’esprit, la continence, les promenades et les douches froides !

La cause de mon mal en explique l’effroyable ténacité ! – excès en femmes et en musique, insomnies volontaires pendant des mois entiers, bref, intempérance en toutes choses, absurde prodigalité de ma jeunesse et de mes forces, voilà ce qui m’a réduit à cet état unique dans son genre et dont la fin ne se laisse pas entrevoir.

Tu dois comprendre que sous l’influence d’un pareil tourment, tout mon être s’est modifié de fond en comble : aussi je suis devenu chaste par raison et par dégoût du passé ; comme je dors, j’ai renoncé pour toujours aux nuits folles ou prolongées ; j’ai cassé mes pipes et maudit le tabac, et j’ai délaissé le café pour la promenade. Quant à mes idées morales, littéraires et artistiques, elles se sont imprégnées de morbidesse et d’étrangetés ! Scènes lugubres, événements tragiques ou monstrueux, livre sombre, musique hallucinante, telles sont les sources où mon âme boit la poésie du malheur !

Je ne suis donc plus le Rollinat farceur et léger que tu as connu au collège : maintenant mon rire est affreusement jaune et l’inconstance de ma pensée ne papillonne plus que sur des ronces.

Peu à peu, je suis arrivé à me défier des hommes au point de les craindre et une sorte de misanthropie farouche m’a fait aimer le mystère et la solitude. Ne me rappelant qu’avec des nausées ou des frissons de peur les voluptés anciennes, j’ai plaint ou raillé ceux qui trouvent la joie dans ce qui m’a labouré la tête, et je me suis cramponné de plus eu plus à ma règle de conduite anormale pour les autres et rigoureusement nécessaire pour moi.

Aujourd’hui pourtant, il me semble que le mal diminue par quintes et que mes idées, tout en restant tristes, sont moins suicidantes qu’autrefois. Je me claquemure dans une tempérance invariable. Je suis l’homme du gîte et des endroits déserts. J’aime tout ce qui souffre et je fuis tout ce qui égaye ; je compose de temps à autre quelques poèmes en vers, en prose ou en musique ; je m’amuse à chanter les solennels andantes des grands maîtres, et je me résigne à souffrir en lisant les Fleurs du Mal de Charles Beaudelaire (sic). Voilà un livre inouï de verve et d’architecture poétique. Mais pour le savourer, pour s’y délecter l’âme, il faut souffrir ou avoir souffert des maladies innommables résultant d’une imagination trop sensitive ou d’un cerveau trop ébranlé !… La souffrance, donc, est une clef indispensable pour ouvrir la porte de cette serre bizarre où des fleurs languissantes, mortes ou vénéneuses s’étalent sinistrement dans des vases incomparables pour la richesse des formes et le fini des sculptures. Je te recommande les œuvres de Beaudelaire (sic), à toi garçon sérieux et que le malheur a cruellement éprouvé. Les Fleurs du Mal, la traduction vivante des Histoires extraordinaires d’Edgar Poe, les Petits Poèmes en prose et les Paradis artificiels sont dignes de ton attention et de tes loisirs. Lis sans prévention, pense comme tu sais penser, et après cette lecture sainement approfondie ton esprit verra s’ouvrir des horizons nouveaux, d’où l’inspiration la moins attendue lui viendra fatalement.

Quant à moi, depuis une année, tiraillé par la névrose, nourri de Beaudelaire, j’ai fait un ouvrage poétique où la tristesse domine et qui encadre de son mieux dans des vers consciencieusement et laborieusement repolis des idées neuves, audacieuses et presque toujours impersonnelles. (…)

 

[Après avoir recopié une lettre de George Sand]

En lisant ces lignes tracées par une main si fameuse et si honnête, je n’ai pas hésité un seul instant et je me suis voué à l’art pour toute ma vie, sans fatigue, bien entendu, sous peine de compromettre le mieux que je constate dans ma déplorable santé. Avant quinze jours je serai à Paris installé.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 26 juin 1871 (écrite à Paris) (collection particulière).

(…)
Sans rompre avec Baudelaire qui manie l’étrange et l’innommable avec une originalité quasi créatrice, je suis bien décidé à ne pas abdiquer mes idées personnelles pour imiter servilement les siennes propres ou celles de son sosie poétique Edgar Poë ! – Une certaine bizarrerie de caractère, un goût particulier du surnaturel, et dans ces dernières années, la névrose qui me ronge, m’ont fait trouver dans ces morbides abreuvoirs une eau précieuse et endormante. J’ai bu le poison avec délices, mais je n’en suis pas mort, et je n’en mourrai pas que je sache.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 3 août 1871 (écrite à Paris) (collection particulière).

(…) Je suis bien résolu à rester à Paris ! – c’est même pour cela, que j’ai déjà tâché de me créer un petit emploi. Si Augustine (que je vénère et que j’aime de tout cœur) était parfaitement au courant de ma situation, elle saurait que depuis mon arrivée à Paris, j’ai frappé humblement à plusieurs portes, et que je n’ai pas perdu courage en les voyant toujours fermées !… À tous points de vue, j’ai besoin de travailler, pour ma santé, d’abord, et pour ma bourse, ensuite !
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 1er septembre 1871 (écrite à Paris) (collection particulière).

(…) Paris a du bon cependant, et si jamais, je reviens à la santé, je puiserai aux sources précieuses qu’il contient, et je m’abreuverai de la poésie subtile qui circule dans ses veines de pierre !
(…)

Si, j’avais de la santé, ce serait avec joie que je me lierais avec votre compatriote et ami ; malheureusement je suis si souffreteux, et j’ai besoin d’une si calme solitude, que je me vois forcé de fuir toute société nouvelle.
(…)

Prenez votre saison d’eau, mon cher Ami, et quand vous serez bien imbibé de nature et de santé, venez nous rejoindre à Paris ! – Vous vous caserez vite ! et alors, nous arrangerons notre existence de manière à faire de l’art sans souffrir de l’estomac, ce qui est le Summum de la félicité !! Nous aurons assez de cordes à notre arc pour narguer le spleen ; et j’ai l’espoir qu’au milieu de nos épanchements intimes, la nostalgie ne voudra pas nous lanciner !
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 11 juin 1873 (écrite à Paris) (collection particulière).

(…)
Depuis quelques jours, Frémine est affreusement triste. Il a craché le sang, dit-il, de manière à avoir le droit de s’inquiéter de sa situation physique. Le fait est qu’il est blême, et que son regard n’a plus son rayon vulpesque. Je crois que ce garçon s’est épuisé avec les femmes et qu’il paye aujourd’hui les conséquences de ses excès. La valeur caudale ne dure pas. Un jour arrive où l’organisme ébranlé par des voluptés trop fréquentes s’étiole et se pervertit jusqu’à la souffrance aigüe. C’est mon cas, hélas ! et j’ai beau me condamner à une sorte de chasteté relative, je ne retrouverai jamais la santé que j’ai perdue. Puisse-t-il en être autrement pour Frémine. Il est vigoureusement bâti, et j’espère qu’avec du repos et un régime tenace il arrivera à fortifier sa poitrine contre les sourdes menaces de la phtisie.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 16 juillet 1873 (écrite à Paris) (collection particulière).

(…)
Je dois aller passer 20 jours à Bel-air, dans un mois ou deux. J’en ai grand besoin. J’ai la nostalgie de Gargilesse, et cette affreuse température parisienne redouble mes douleurs de tête : deux tortures qu’un petit congé seul peut assoupir. (…)

En somme, Paris m’embête, et je voudrais bien avoir des rentes pour m’enfuir dans la campagne ! Vivant d’air pur et de viandes saignantes, je serais un tout autre homme, et ma santé se rétablirait peut être.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 4 septembre 1873 (écrite à Paris) (collection particulière).

(…)
Ah ! si j’avais la tête libre, comme j’absorberais tout mon être dans la contemplation artistique des hommes et des choses ! – Malgré le bureau, cette Sibérie des poëtes ; malgré la gêne pécuniaire ; malgré les fâcheux de la camaraderie banale, je saurais assez me recueillir en moi même pour donner à mes pensées l’expression correspondante ; vraie et jamais vulgaire ; poignante, et toujours ciselée ! – Mais, malheureusement, j’ai dans le crâne une tenaille atroce qu’une invisible main s’acharne à enfoncer, à ouvrir, et à refermer sans cesse au milieu de ma cervelle dont les méninges gonflées de sang qui bout, battent sinistrement comme des cœurs malades ! – Est-ce assez horrible, et cependant, c’est ce que je souffre depuis sept années ! – Enfin, j’aurai du courage et du calme jusqu’au bout. Pourtant, si cette névrose ne doit finir qu’avec ma vie, me sentirai-je assez de stoïcisme et de volonté, pour condamner ma pauvre tête à un nouveau martyre, en en faisant le creuset de mes rêves et l’alambic de mes élucubrations ?… Je ne sais ! et plutôt que de résoudre pour ou contre une question si lamentable, je préfère attendre et m’illusionner avec l’espoir d’une guérison possible.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 23 octobre 1873 (écrite à Paris) (collection particulière).

Non ! des amitiés comme les nôtres n’aboutissent pas à l’indifférence. Si je ne vous ai pas encore écrit, c’est que depuis mon retour, je suis littéralement tordu par la névrose. J’ai des crabes dans la cervelle et des idées noires dans l’esprit. Et, je suis d’autant plus désespéré que cette infernale recrudescence de céphalalgie est absolument inexplicable, ma vie étant plus que jamais réglée par l’hygiène et la tempérance en toutes choses. C’est horrible ! Je vous assure qu’il me faut bien du courage pour continuer la lutte avec un ennemi si persévérant dans ses attaques. Enfin ! Je vais aller voir un spécialiste demain. Puisse t-il me soulager un peu, sinon je tomberai dans la monomanie du suicide, le marasme raffinera mon amaigrissement, et je ramperai dans une croissante horreur, à jamais funèbre et dégoûté de l’existence…
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 17 novembre 1873 (écrite à Paris) (collection particulière).

Je passe mon examen le 29 courant ! – Quel qu’en soit le résultat, je serai fort heureux d’en être débarrassé, car les préoccupations de cette nature m’énervent absolument.

Je buche jour et nuit. Le soir, au coin de mon feu maigre je m’aveugle sur des textes de lois dont la compréhension ne m’arrive que par éclairs, après une féroce persévérance. Et je me couche la tête pleine de migraine et d’ombre juridique. Je dors avec la fièvre, et j’ai des rêves étranges ou des préfets macabres défilent en brandissant des bulletins de loi sous l’œil ahuri des conseillers chauves. C’est horrible ! –

Depuis ma dernière lettre, j’ai un peu moins de céphalalgie. Cette petite amélioration durera-t-elle ? – hélas ! à l’heure où je vous écris, je sens l’invasion lente et lourde de mon cerveau par mon impitoyable ennemi. – L’examen m’a tellement absorbé jusqu’à ce jour, que je n’ai pu voir encore le docteur Vulpian. Je vous remercie bien de m’avoir indiqué ce spécialiste ; je ne connais pas un seul étudiant en médecine ; Grellety est dans sa province et Escande est invisible. Comment faire ? – Je vous attends pour aller voir Vulpian. Peut être par vous même ou votre beau frère, connaîtrez vous quelque étudiant en médecine qui pourra me présenter. –
(…)

 

Remarque de Régis Crosnier : Le docteur Alfred Vulpian (1826-1887) était en 1873, professeur de pathologie expérimentale et comparée à l’hôpital de La Salpêtrière. Avec Charcot, il avait décrit la sclérose en plaques (1868) et ses travaux portaient sur la pathologie du système nerveux. Il avait été élu en 1869, membre de l’Académie nationale de médecine. C’est pourquoi Maurice Rollinat s’interroge sur la meilleure manière d’accéder à ce grand professeur. Nous ne savons pas s’il l’a consulté.

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 15 décembre 1874 (écrite à Paris) (collection particulière).

(…)
Hélas ! ma vie sera-t-elle assez longue pour que je puisse réaliser l’œuvre que je rêve. Je ne le crois pas. Si même j’avais une santé normale qui me permît de consacrer tous les jours 7 ou 8 heures à ma tâche bien aimée, je ne penserais même pas à la mort ! – J’aurais la grande routine du travail artistique, et je m’y épanouirais avec une entière sérénité. Malheureusement, la migraine me tenaille, et quand ses pinces se ferment sur mes pauvres méninges, adieu les rêveries raffinées, adieu les études disséquantes, adieu les Vers ! – il faut tout laisser : livre et musique. Et alors, je perds le fil de mes idées ; mon cerveau s’embarrasse et se peuple de cauchemars inféconds, et je n’aurais plus qu’à me suicider, si j’en avais le courage. Enfin ! ne parlons pas de toutes ces misères : mes cheveux repoussent, ma gorge se cicatrise. Espérons qu’à force de tempérance et de résignation, je finirai par moins souffrir, un jour ou l’autre.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 3 septembre 1875 (expédiée de Paris) (collection particulière).

(…)
Je vais cultiver Manet. Il m’est très sympathique, et j’ose dire que mes vers lui plaisent particulièrement. Je ne serais pas étonné qu’il me fit une eau forte pour Le Ramasseur de bouts de cigares dont il raffole et qu’il cite sérieusement comme un chef d’œuvre de poésie brutaliste. Enfin, quoiqu’il arrive, je suis bien décidé à fréquenter les artistes. J’en verrai le plus possible ; c’est le seul moyen d’arriver. Du reste il faut à mes nerfs un jeu de sensations aigues, et ma santé va d’autant mieux que je vis plus dans la fièvre.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette expédiée de Paris le 16 octobre 1875 (collection particulière).

Je vous en prie ne m’accusez jamais d’indifférence à votre égard. Sachez une fois pour toutes que je vous affectionne de toute mon âme et qu’après mon père, vous êtes peut être - aujourd’hui - l’être que j’aime et que je vénère le plus ! – malade ? Je le suis certainement, car depuis quelques semaines j’ai des coliques atroces qui font de mes entrailles une fournaise fécale, et je sens couler dans mes os de torrentielles névroses dont ma résignation est la seule digne. Néanmoins, j’ai la tête plus froide, et par conséquent plus équilibrée. Aussi je lutte avec courage contre le mal physique et contre toutes les angoisses intellectuelles qui me délabrent.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat envoyée de Paris le 29 octobre 1875 (collection particulière).

(…) Je tousse, je suis enroué constamment, j’ai des alternatives de constipation opiniâtre et de relâchement qui me coupent les jambes ; et puis, pour comble de malheur, j’éprouve des malaises d’estomac, que je n’avais jamais soufferts encore. J’ai vu le médecin qui me conseille le repos, le grand air, la bonne nourriture etc. autant de prescriptions irréalisables ! (…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 8 décembre 1875 (écrite à Paris) (collection particulière).

(…) J’étais dans le bureau des naissances : ma besogne était mince, mon collègue était fort intelligent et d’une obligeance quasi fraternelle ! On commence par m’enlever Baldini qui part à la Ville, puis on me colle dans le bureau des décès où la mortalité afflue du matin au soir. – Ma santé semblait s’être un peu relevée ; il y a 15 jours, j’ai été pris de vomissements tels, et d’une si affreuse céphalalgie que j’ai du garder la chambre 7 ou 8 jours, astreint aux purgations les plus poisseuses ! enfin, je n’en finirais pas, si je voulais analyser ma situation lamentable. Pourtant, j’ai quelques petites compensations ça et là. (…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 20 juillet 1877 (expédiée de Paris) (collection particulière).

(…)
Ma mère a bien tort de s’imaginer que je quitte l’administration par pure fantaisie, ou par amour de l’art (ce qui serait ce me semble une raison plausible !). Non ! son calme physique ignorera toujours mes lassitudes et mes abominables malaises. Paris me consume. J’y mange et dors mal, et je sens l’impérieux besoin d’échapper aux fâcheux de toute espèce, artistes ou philistins, pour grincer à mon aise dans la solitude apaisante. Qui sait ? peut-être ne ferai-je plus rien, quand j’aurai pris l’habitude de la campagne, et que ma cervelle rafraîchie me laissera tranquille le plus souvent ? – J’ai toujours été fort hanté par l’idée de la Mort. Mais aujourd’hui, elle se mêle à toutes mes pensées. Pas un projet qui ne soit raillé par elle. Voilà plus de 5 ou 6 sujets que j’abandonne parce que, même en face de l’art, j’entends chuchoter en mon esprit le formidable A quoi bon. Je sais bien que pour être logique, je devrais me tuer ou me laisser mourir de faim. Mais non, je hais la Mort autant que je m’y résigne. Expliquez ce double sentiment, et vous n’aurez pas de peine, mon cher ami, puisque vous aussi vous êtes un triste à qui l’idée de la mort est odieusement familière.

Voilà pourquoi je veux me laisser vivre aussi placidement que possible. Il est certain que la souffrance physique influe sur mon existence d’une façon désastreuse. Calmé, je serais un tout autre homme. Je veux donc m’installer à la campagne et m’y refaire la santé, avant tout le reste. – Après ? nous verrons ! – si j’éprouve le besoin d’écrire, comme l’oiseau celui de chanter, tout naturellement, sans jamais me mettre l’esprit à la torture, bon ! – Mais, pour rien au monde, je ne voudrais revenir habiter Paris dans les conditions actuelles. N’ai-je pas fait œuvre d’Artiste ? – donc en supposant que je sois vidé, ou que je me végétalise volontairement je ne passerai jamais pour un imbécile. Ah ! si vous aviez pu savoir comme j’ai soif de repos, vous auriez certainement plaidé ma cause auprès de maman, dont la cécité à l’endroit de mon état physique est véritablement inqualifiable.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 16 août 1877 (écrite à Saint-Julien de Ratz, Isère, où il est en vacances chez son ami Camille Guymon) (collection particulière).

Mon cher Raoul,

Je vais repartir à la fin du mois pour Châteauroux. J’y resterai quelques jours ; après quoi j’irai me fixer définitivement à Bel Air. Quand vous reviendrez de fait, venez passer une semaine dans ma Thébaïde. Nous aurons tant de choses à nous dire, et de si jolies promenades à faire.

Je suis plus que jamais décidé à n’user de Paris que le moins possible. Les garnis lamentables, et les restaurants mortels m’inspirent une horreur désormais invincible, et je veux que ma santé n’ait plus à souffrir des dérèglements de toute nature auxquels me condamnait fatalement la vie parisienne. Je suis tellement triste et fatigué des hommes que je ne m’ennuierai certes pas dans la solitude. (…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Madame Guymon, la grand-mère de Marie Sérullaz, datée du 19 novembre 1877, publiée par Émile Vinchon dans La vie de Maurice Rollinat, pages 85 à 89.

[Maurice Rollinat a alors fait sa demande de mariage.]

(page 87) (…)
Ma santé n’est pas exempte encore des cruautés de la migraine, mais la vie régulière aura sans doute raison de ma féroce ennemie ; du reste, dès maintenant, j’ai des jours et des semaines très supportables, et mes idées, sans être blanches, se déshabituent de la couleur noire.

(page 88)
En somme, j’ai bon pied, bon œil, un appétit de collégien et je dors huit heures par nuit. C’est vous dire que je me porte assez bien, et que, si pour le reste j’ai des chances d’être agréé, on ne saurait faire de ma santé le motif d’un refus.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette expédiée de Venise le 7 mars 1878 (il est alors en voyage de noces avec sa femme Marie) (collection particulière).

Le Rollinat que vous avez connu sera toujours le même, sauf quelques transformations dans l’humeur dues à la pacifiante compagnie de ma chère petite femme.
(…)

Oh ! mon cher ami, quel suprême tonique et quelle intense délectation qu’une femme vraiment pure et distinguée ! Maintenant, j’ai l’esprit calme, et j’éprouve pleinement cette satisfaction intime après laquelle j’ai tant soupiré. Je suis content de vivre à l’heure qu’il est ; mes pensées se déshabituent peu à peu de la couleur noire, et ma santé s’équilibrera, je l’espère à force de soins et de quiétude.

J’ai souvent la nostalgie de votre savoureuse fréquentation, mais j’avoue que j’ai renoncé, sans regrets à la fiévreuse existence que je menais à Paris. Du reste, dès l’année dernière, j’avais reconnu le vide et l’inutilité, pour ne pas dire l’inconvénient, des camaraderies bohèmes qui usent les nerfs et infécondent le cerveau. (…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette envoyée d’Yvours, Commune d’Irigny-près Lyon (Rhône), le 31 juin 1878 (collection particulière).

(…)
J’ai une dyspepsie flatulente des plus caractérisées : suite de la vie de célibataire à Paris. Enfin grâce à un régime impitoyable, je constate déjà une certaine amélioration. (…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette expédiée d’Argenton-sur-Creuse le 26 août 78 (écrite à Bel-Air où il passe des vacances en compagnie de sa femme Marie) (collection particulière).

(…)
Et puis, la santé physique n’est-elle pas la fée pacifiante qui rassérène les âmes, et qui donne aux penseurs la mélancolie douce et résignée ?... eh bien, oui, l’on doit mourir ! mais, comme cette funèbre idée a moins d’horreur pour un bien portant que pour un maladif ! - Le sang pur et fort qui coule dans les veines, voilà en somme tout le secret de ces bonnes humeurs que j’envie tant ! –

Je le vois bien par moi-même : je ne suis jamais plus désolé que lorsque ma tête ou mes entrailles sont lancinées par la névrose. Que le mal s’engourdisse, et je redeviens confiant, très amusable, on ne peut plus satisfait des autres et de moi même, et je puise alors dans la contemplation de la nature autant d’apaisement que de tristesse ! –

Nous devons donc aussi soigner notre santé, bien restaurer notre machine, s’il en est temps encore, et puis : attendons la fin ! - comme le roseau de la fable. –
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Camille Guymon datée du 19 mai 1879. Extrait publié par Émile Vinchon dans La vie de Maurice Rollinat, pages 110 et 111.

(…) Quel jour viendrez-vous m’y voir, ou dites-moi quand vous serez chez vous. Je compte vous trouver en meilleure santé. Quant à moi, je suis bien souffrant.

 

– Lettre de Maurice Rollinat au Préfet de la Seine datée du 6 juillet 1879, publiée par Georges Lubin dans son article « Que voilà un bon débarras !… ou le Rond-de-Cuir et le Poète » paru dans le Bulletin de la Société "Les Amis de Maurice Rollinat" n° 3 de juillet 1957, pages 4 à 8.

(page 7)

Paris le 6 juillet 1879.

Monsieur le Préfet,

Au mois de janvier 1878, j’ai eu l’honneur d’adresser à votre prédécesseur ma démission de l’emploi de commis que j’occupais à la Mairie du 7ème arrondissement.

Atteint d’une grave maladie qui m’obligeait à quitter Paris, et ne pouvant concilier les soins qu’exigeait ma santé avec les nécessités de ma position administrative, j’avais dans un moment de découragement renoncé à cette position et au bénéfice de mes sept années de service.

Après deux ans de séjour dans le midi, ma santé étant rétablie, je viens, Monsieur le Préfet, vous prier de vouloir bien me réintégrer dans l’emploi dont je me suis volontairement démis, par raison de santé. (…)

Daignez agréer. Monsieur le Préfet, (…)

Maurice Rollinat
Rue Corneille, N° 5, Paris (2)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat envoyée de Paris le 10 janvier 1880 (collection particulière).

(…)
Le bureau est très chargé. Je le supporte de mon mieux, et m’escrime à dépêcher la besogne le plus ponctuellement possible. Mais c’est dur, et mon ventre ne s’en trouve pas bien du tout. La nécessité où je suis d’attendre jusqu’à midi et demi tous les jours avant de faire un repas sérieux ; la réinstallation immédiatement au bureau après le déjeuner ; la mauvaise humeur où me tient le va et vient si agaçant du public, tout cela ne m’arrange pas les entrailles ; tant s’en faut. (…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Camille Guymon datée du 23 janvier 1881 (collection Joseph Thibault). Extrait publié par Régis Miannay, pages 255 et 256 de Maurice Rollinat, Poète et Musicien du Fantastique (Imprimerie Badel, Châteauroux, 1981, XVII + 596 pages).

[Au début de l’année 1881, Maurice Rollinat fait un séjour de deux mois à Cannes avec sa femme dont l’état de santé n’est pas très bon.]

« Quant à moi, je suis toujours le souffrant que vous savez. La vue de la mer me fait du bien. Je sens que je ferais volontiers, du vacillant abîme, le hamac de mon rêve et de mes yeux. Son odeur, son bruit, ses métamorphoses, son calme huileux et son agitation phosphorescente, tout cela me plaît et m’empêche de trop voir le hideux masque de l’homme.

Nous avons trouvé un petit logement, bien suffisant pour nous, au midi, dans la plus belle rue, et à deux pas du port. Les pianos sont introuvables. Nous n’avons pas encore pu nous en procurer un. Pour passer le temps, nous avons pris un (page 256) abonnement de lecture, Mais ce qui vaudrait mieux, ce serait de longues promenades en plein air ; et si le soleil se montrait tous les jours, d’aller le boire et le déguster en vrais lézards, causant peu ou point, nous laissant vivre, l’œil dans le vague et l’âme éparse dans l’air salé ».

 

– Lettre de Louis Tridon à Maurice Rollinat datée du 27 février 1882 (collection Joseph Thibault). Extrait publié par Régis Miannay, page 392 de Maurice Rollinat, Poète et Musicien du Fantastique (Imprimerie Badel, Châteauroux, 1981, XVII + 596 pages).

(…) Vous avez raison de croire que je suis la proie du Nervosisme : dire que j’en souffre ne serait pas assez ; dire que j’en meurs est tout à fait exact. (…)

 

– Brouillon d’une lettre de Maurice Rollinat à Léon Cladel non datée mais vraisemblablement du 7 août 1882. Extrait publié par Régis Miannay, page 250 de Maurice Rollinat, Poète et Musicien du Fantastique (Imprimerie Badel, Châteauroux, 1981, XVII + 596 pages).

(…)
Vous êtes l’acharné de labeur, de courage et de persévérance, Vous avez l’épouse qu’il faut à l’artiste ; ainsi lesté pour la vie de chaque jour, vous pouvez y garder l’équilibre et ne jamais chavirer dans le dégoût. Mais moi, le martyr des nerfs souffrant de partout, le solitaire forcé, le mari sans femme, je traîne ici, (loin) de la ville, la stérilisante hypocondrie et le sempiternel regret d’un avenir brisé.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Charles Buet datée d’août 1882, publiée par Georges Normandy dans son article « Maurice Rollinat (Lettres Inédites) » parue dans La Revue (Ancienne « Revue des Revues ») n° 14 du 15 juillet 1912, pages 151 à 153.

(page 151) (…)

Bel-Air, août 1882.

(…)

(page 152) (…)
Voilà mon existence, mon cher Buet : je mange, je bois, je dors, et je travaille le moins possible. Ah ! si j’avais la santé physique, je serais bien fort contre tout le reste, et la nature se chargerait de me pacifier complètement.
(…) 

 

– Dans un de ses carnets (vraisemblablement entre 1880 et 1883). Extrait publié par André Romane et Jacques Ritreix dans leur article Sur un carnet inédit de Rollinat, paru dans le Supplément littéraire du Figaro du 13 février 1926, page 1.

Plus loin, sont copiés minutieusement des régimes alimentaires pour la guérison d’une maladie d’estomac. A l’un d’eux est adjoint ce consolant appendice : « A l’aide de ces divers moyens associés et prolongés deux ou trois mois, on peut espérer la guérison totale. »

 

– Lettre de Maurice Rollinat à une dame, publiée par Émile Vinchon, page 146 de La vie de Maurice Rollinat, Documents inédits (Laboureur & CIE, Imprimeurs-Editeurs, Issoudun, 1939, 337 pages) [Régis Miannay a daté cette lettre du 22 novembre 1882, voir pages 413 et 414 de Maurice Rollinat, Poète et Musicien du Fantastique].

Madame, je regrette vivement de ne pouvoir me rendre à votre bonne et sympathique invitation ; mais, outre que ma présence à Paris est nécessitée par la correction de mes épreuves, des raisons de santé m’interdisent toute espèce de voyage et d’enfièvrement.

Les quelques soirées que j’ai pu consacrer aux rares sensitifs qui voulaient bien me connaître m’ont harassé jusqu’aux os et je vais payer maintenant de névralgies martyrisantes tous les efforts que j’ai dépensés.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat (de début janvier 1883), publiée dans Fin d’Œuvre, pages 240 à 242.

Paris, 6, rue Oudinot, jeudi 83.

Ma chère maman,

J’ai dû me fatiguer horriblement tous ces temps-ci pour répondre à certaines invitations que j’étais forcé d’accepter. Je me plais à reconnaître qu’on m’a toujours accueilli de la manière la plus chaleureuse, et que mes vers et ma musique ont récolté le plus souvent des enthousiasmes forcenés ; mais je suis à bout de forces, et jusqu’à nouvel ordre, je renonce absolument à toute espèce d’agitation artistique ou autre.

(…) Des sociétés littéraires et musicales m’ont offert d’être membre de leur jury, et des propositions me sont venues de l’étranger pour me faire entendre à prix d’or dans les cercles artistiques des plus grandes cités ; mêmes propositions à Paris de la part des curieux et curieuses très riches. Inutile de vous dire, ma chère maman, que j’ai refusé toutes ces offres. Ma dignité et ma santé s’opposent à des acrobaties de ce genre ; je ne suis pas un acteur de profession, et je ne prostituerai jamais sur un tréteau la pudeur et le respect que je dois à mon art essentiellement sauvage et philosophique.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Alphonse Ponroy datée du 20 novembre 1883. Extrait publié par Émile Vinchon dans Maurice Rollinat – Étude biographique et littéraire, page 196.

(…) Excusez mon laconisme, mais je suis repris par la dyspepsie et je n’ai pas le courage d’écrire. (…)

 

– Brouillon d’une lettre de Maurice Rollinat à Frédéric Lapuchin non daté (1883 ou 1884), publié par Régis Miannay, page 430 de Maurice Rollinat, Poète et Musicien du Fantastique (Imprimerie Badel, Châteauroux, 1981, XVII + 596 pages).

Rollinat, la même année, avait passé avec Lemoine un accord par lequel il lui procurait dix mélodies (55). Il était donc à la recherche d’un éditeur. Frédéric Lapuchin, le musicien professionnel qui harmonisait sa musique, lui conseilla déjà sans doute de s’adresser à Heugel, comme le montre la lettre suivante de Rollinat :

« Je vous suis très reconnaissant du service que vous m’avez rendu avec tant d’obligeance et je vous remercie cordialement de l’excellent conseil que vous me donnez ; je le suivrai sans doute si ma santé le permet et si la voix me revient, car à bout de forces quand j’ai quitté Paris, je dois encore et strictement me ménager beaucoup. S’il ne m’était pas possible de me rendre chez M. Heugel, vous m’obligeriez infiniment en suppléant le chanteur par le seul piano. Je sais comment vous jouez et je suis d’avance très assuré que pour peu que M. Heugel soit sensitif, il comprendra nettement ma pensée à travers votre interprétation.

Croyez, cher Monsieur, que s’il m’arrive de passer quelque temps ou de me réinstaller à Paris, j’aurai le plus grand plaisir à vous revoir et à reprendre avec vous le petit travail de notation que votre excellente confraternité m’a toujours rendu si agréable » (56).

56 – Brouillon d’une lettre à F. Lapuchin. Elle fut écrite à la fin de 1883 ou en 1884. Ce texte figure dans un registre utilisé par Rollinat pendant cette période (Coll. particulière).

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Jules Barbey d’Aurevilly datée du 9 décembre 1883, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 246 à 250.

(…)
Comment oublierais-je les heures de réconfort que m’a procurées tant de fois votre conversation si pittoresquement humoristique, si vivante, si montreuse, pleine d’instruction, de charme et de salubrité pour l’esprit. Comme vous saviez me sortir de moi et magnétiser ma tristesse ! et puis quelle délectation pour ma curiosité, quand vous vouliez bien me lire – comme vous savez lire – quelques fragments de cet ouvrage impérissable que vous appelez « Poussière » : titre bref comme la vie, nu comme la mort, et pourtant si volumineux dans son laconisme et si fier dans son humilité !

Je m’y plais en vérité dans cette solitude rocheuse et ce n’est certes pas le dégoût qui m’y a cloîtré. Je suis bien trop le maniaque de mon art pour souffrir de la bêtise ou de la rage humaine. Je n’ai ni mépris ni amertume, et je vis quant à la plupart de mes semblables dans une sorte de neutralité somnambulique. En somme, avec l’intime consolation de vos livres et des quelques rares qui sont aussi mes bréviaires, avec mon labeur tenace et mon amour de la campagne, je me suffis à moi-même et j’allongerais volontiers les heures trop courtes pour me sentir vivre davantage.

J’ai dû quitter Paris pour conjurer la détente nerveuse et ramener un peu de force dans mon organisme épuisé. En dépit de ma résistance, j’étais vaincu par le mal physique. Il n’était que temps ! Aujourd’hui je suis encore faible, aphone, valétudinaire, mais tout mauvais symptôme a complètement disparu.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Léon Cladel datée du 17 décembre 1883, publiée par Judith Cladel, dans Portraits d’Hier, n° 31 – 15 Juin 1910, Maurice Rollinat, page 21.

(…)
Je cuisine, je bêche, je me véhicule, j’excursionne et une fois sorti de mon gîte, on ne me rencontre guère que dans les coins et recoins sauvages d’un abandon immémorial et d’un inquiétant particulier : la désolation de la Nature est un calmant pour la mienne, et j’engourdis toutes mes révoltes quand je considère sa résignation. En somme, je vais déjà mieux : l’action me réconforte, le Paysan m’instruit, j’ai mon chien pour comique, mon chat pour sorcier et le temps passe quand même en dépit de la saison rude.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat datée du 19 septembre 1884 (collection particulière).

(…)
Je voudrais, pouvoir vous dire que je vais bien du reste, malheureusement les douleurs de tête et de ventre sont trop rongeuses pour que je les oublie ; je m’applique à les supporter de mon mieux, et je me courbe au travail d’esprit pour me distraire un peu de la souffrance physique.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Charles Buet sans date mais vraisemblablement de début 1885, publiée par Georges Normandy dans son article « Maurice Rollinat (Lettres Inédites) » parue dans La Revue (Ancienne « Revue des Revues ») n° 14 du 15 juillet 1912, page 155.

(…)
Nature d’ermite souffreteux, j’ai besoin de la campagne pour travailler et me refaire ; je veux donc y séjourner encore et le plus longtemps sera le mieux.
(…)

 

– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à Frantz Jourdain datée de septembre 1885, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 257 à 260.

(page 257)

Mon cher Jourdain,

Votre lettre d’un accent si cordial m’a profondément touché, d’autant plus que maintes fois, j’ai su votre sympathie démonstrative et militante pour mon art. Mais, ne m’accusez pas d’ingratitude : mon cœur et mon esprit sont à vous ; ma pauvre nature est seule coupable. Actif, anxieux, temporiseur, sensitif, je subis malgré moi l’engourdissement de l’égoïste habitude. Et puis, je suis si chercheur, si souffreteux ! Comment le plus sincère souvenir pourrait-il déployer son aile entre l’étude et la maladie ! Migraine et dyspepsie me suivent au piano, dans mon cabinet, partout, et président sans cesse au mâchonnement de ma pensée. Excusez donc le poète martyr, et croyez bien que mon amitié vous installe au fond d’elle avec les quelques rares vibrants que j’ai rencontrés sur la terre.
(…)

(page 258) (…) Ah ! sans l’horrible souffrance physique, comme je serais satisfait dans mon désert ! Quelle vie calme j’y mènerais au milieu même de mes labeurs, puisque, pour qui sait la comprendre, la nature l’inspire en le tranquillisant : j’aime ses larmes de pluie, ses rires de soleil, ses douleurs d’orage, et je lui vois tant de grandeur, dans l’accomplissement de sa fatalité que sa fréquentation (page 259) me procure une espèce d’enchantement monotone qui féconde ma patience et purifie ma tristesse !

Enfin si j’ai perdu la santé de mon corps, je conserve encore celle de l’esprit, et tout en piochant l’ « Abîme Humain », je suis un bon régime qui pourra peut-être me soulager. Mais comme il était temps pour moi de renoncer au monde, et que j’ai donc bien fait de quitter Paris !
(…)

 

– Télégramme de Maurice Rollinat à Edmond de Goncourt daté du 28 mars 1886, publié dans le Bulletin de la Société « Les Amis de Maurice Rollinat » n° 39 – Année 2000, page 6.

Depuis deux jours, j’ai été pris d’une fièvre intestinale qui me force à garder le lit. Jusqu’au dernier moment, j’espérais aller à Auteuil, mais le mal est plus fort que ma volonté et m’oblige à remettre ma visite à un autre dimanche.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à ??? datée de mai 1887, en vente sur eBay le 24 janvier 2017.

Bel Air, mai 87.

Monsieur,

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre dernier numéro des Chroniques et je vous envoie mes meilleurs souhaits pour le succès de cette nouvelle Revue, mais j’ai le regret de ne pouvoir devenir votre collaborateur : l’état de ma santé m’interdit désormais toute espèce de travail artistique et je n’ai rien de prêt pour la publication.
(…)

Remarque de Régis Crosnier : De quelle revue intitulée « Chroniques » s’agit-il ? Vraisemblablement de « Les Chroniques – revue littéraire et artistique » dont le premier numéro date de janvier 1886.

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Armand Dayot non datée mais envoyée en 1889. Extrait publié par Jean-Bernard dans son article « Lettre parisienne » paru dans Le Petit Troyen du 7 septembre 1904, page 3.

(…)
Voilà plus de trois mois, mon pauvre vieux, que je suis cloué sur mon lit, souffrant de maux de tête atroces, de vertiges et de nausées. Je ne dors plus, je ne mange plus. Je suis très atteint et mon médecin me prescrit le repos le plus complet.

Je ne saurais dire à quel point je suis peiné de ne pouvoir me rendre à l’appel cordial d’excellents amis, mais hélas ! je suis cloué par le mal et je ne puis plus lutter contre mon abattement.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Claude Monet datée d’août 1890, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 289 et 290.

(…)
Après des crises de souffrance morale ou physique, moi aussi, j’ai fini par vaincre l’abominable décou-(page 290)ragement, et en quelques mois, j’ai abattu pas mal de besogne. Si une bonne fois mon livre de poésies était terminé, je pourrais me donner tout entier à la prose, c’est pourquoi je mets toute mon ardeur à l’achever.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Claude Monet datée de janvier 1891, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 291 à 293.

Fresselines, janvier 1891.

Mon cher Monet,

(…)

Si je m’enferme dans la campagne, c’est pour trois raisons : d’abord mon goût de la nature, ensuite ma santé, et enfin, mon budget qui réclame la plus grande économie. Que mes amis me trouvent une place de 3.000 francs appropriée à mes aptitudes, et je pars immédiatement pour Paris, car vraiment, avec les températures si détestables depuis quelques années, le séjour constant à la campagne devient très dur à pratiquer.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Armand Dayot datée du 9 février 1892. Extrait publié par Régis Miannay, page 523 de Maurice Rollinat, Poète et Musicien du Fantastique (Imprimerie Badel, Châteauroux, 1981, XVII + 596 pages).

Note 75 en référence à un texte de la page 502 :

75 – (…) Rollinat, qui était venu à Paris deux jours avant la soirée de la Bodinière pour voir ses interprètes, n’assista pas à la séance elle-même. Le souvenir des années 1882-1883 était encore présent dans les mémoires. Rollinat redoutait d’être ensuite invité à se produire lui-même dans divers lieux de Paris. Il avait écrit à Dayot le 9 février 1892 : « (…) Je ne prêterai plus le flanc à ceux qui n’ont jamais voulu voir en moi qu’un comédien. Dans l’intérêt de ma santé, de ma dignité, comme aussi de l’interprétation productive, je dois dorénavant m’abstenir de toute exhibition publique. Je suis bien heureux que tu sois de mon avis : tu pourras dès maintenant désabuser ceux qui comptent sur le Rollinat de 83 ». (Collection Thibault). (…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat au Monsieur (?) – Préfecture de la Seine, datée du 21 mars 1892, publiée par Georges Lubin dans son article « Que voilà un bon débarras !… ou le Rond-de-Cuir et le Poète » paru dans le Bulletin de la Société « Les Amis de Maurice Rollinat » n° 3 de juillet 1957, pages 4 à 8.

(page 8)

Rue St-Augustin, 22 – Le 21 mars 1892.

Monsieur,

Madame Ménard-Dorian m’apprend que vous m’attendez pour m’entretenir au sujet d’une place que vous voulez bien m’offrir, au moment où les événements et l’état de ma santé m’obligent à renoncer à mon projet de me fixer définitivement à Paris.

Je vous écris de mon lit en vous priant de vouloir bien m’excuser dans la circonstance de ne pouvoir aller vous remercier en personne.

Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma parfaite gratitude.

Maurice Rollinat.

Remarque de Georges Lubin : Mme Ménard-Dorian avait un salon politique influent, et l’affaire alla très loin, puisque l’arrêté rétablissant Rollinat dans son ancien emploi et le nommant à la mairie du XVIe arrondissement, fut signé par le préfet Poubelle. Rollinat avait-il sollicité cette réintégration ? Directement, non. La preuve positive en est au dossier. Indirectement ? sans doute. Traversait-il alors une période difficile pour ses finances ? Je l’ignore.

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat datée du 15 mai 1992, écrite à Fresselines (collection particulière).

Ma Chère Maman,

J’ai terminé toutes mes affaires avec mes éditeurs, j’ai fait certaines visites nécessaires, et me voilà réinstallé à Fresselines dans ma solitude monotone mais salutaire. En somme, je n’ai pas eu trop à me plaindre de mon séjour à Paris ; chacun, étrangers comme amis, s’est montré charmant pour moi, plein de bons services et d’attentions délicates. Il n’y a que ma santé qui a réellement souffert de cette secousse d’influenza, et l’ébranlement produit dans mon état physique et moral se fait encore sentir fréquemment. Je suis un bon régime et je me réconforte de mon mieux avec des toniques : je compte aussi beaucoup sur la vie calme de l’intérieur, et sur les longues pêches et promenades au bord de la Creuse. À Paris, chose singulière, en dépit de l’énervement qui devait résulter de ma vie fiévreuse, je dormais très bien, sans cauchemars, pendant 7 heures, sans désemparer. Ici, j’aurais le sommeil plus troublé ; je me réveille de temps à autre, avec plus ou moins de difficulté pour me rendormir : j’espère cependant vaincre cette tendance à l’insomnie à force d’exercice et de régularité. (…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Alphonse Ponroy envoyée en 1892. Extrait publié par Émile Vinchon dans Maurice Rollinat – Étude biographique et littéraire, page 197.

(…)
J’ai répondu à Cormeau et à Barrau qu’à mon grand regret ma santé m’interdisait tout déplacement. Le fait est que, depuis plus d’un an. Je suis toujours malade, souffrant des nerfs, torturé par la fièvre et le rhumatisme.
(…)

Remarques de Régis Crosnier :

– Quand Maurice Rollinat parle de « Barrau », il s’agit certainement d’Auguste Barrau, né le 20 juillet 1856 à Challans (Vendée) et décédé le 27 février 1941 à Challans, journaliste et poète qui participa aux séances des Hydropathes. Celui-ci est l’auteur de Fleurs d’Enfer (Auguste Ghio éditeur, Paris, 1884, 151 pages) dans lequel le poème « La Chanson des vers », pages 131 à 134, est dédicacé à Maurice Rollinat (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6264830g/f136) ; ce poème comporte de nombreux thèmes communs avec les écrits de Charles Baudelaire ou de Maurice Rollinat.

– En ce qui concerne « Cormeau », est-ce Henry Cormeau, né le 21 janvier 1866 à Beaupréau (Maine-et-Loire) et décédé en août 1929 à Seiches-sur-le-Loir (Maine-et-Loire) (https://data.bnf.fr/10304433/henry_cormeau/) ? Il est qualifié de romancier et de poète, mais il a été aussi juge de paix et imprimeur. Dans son livre L’Accent de Chez nous – Essai d’une Phonétique du Bas-Anjou (éditions Georges Crès & Cie, Paris, 1922, 312 pages), il fera page 21 en note de bas de page, un parallèle entre la manière de prononcer le mot « août » dans le pays des Mauges avec celle du Berry en illustrant son propos avec un vers de Maurice Rollinat extrait du livre La Nature.

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Anatole Sainson datée d’août 1892. Extrait publié par Émile Vinchon dans Maurice Rollinat – Étude biographique et littéraire, page 197.

(…)
Je suis atteint depuis un mois d’un rhumatisme musculaire qui, malheureusement, ne cède à aucune médication et m’enlève la liberté de mes mouvements ; je ne sais donc pas, mon cher ami, si malgré tout le plaisir que j’en aurais, il me sera possible d’assister à la célébration de votre mariage ainsi qu’au repas de famille auxquels vous nous conviez si cordialement.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat datée d’août 1892, publiée par Hugues Lapaire dans Rollinat Poète et Musicien, pages 158 et 159.

Ma chère Maman,

Depuis ma dernière lettre, j’ai été pris par un rhumatisme musculaire qui n’est pas encore bien apaisé. On m’a mis trois vésicatoires dont j’ai ressenti le bon effet, mais les plaies qui en ont résulté m’ont fait et me font toujours beaucoup souffrir, Sur la place même où on les avait appliqués, des clous sont venus, me tendant la peau, avec des élancements insupportables. En somme, je marche difficilement et douloureusement. Le docteur Bertrand qui m’a soigné de son mieux m’a fait espérer que cette souffrance musculaire disparaîtra sans pouvoir cependant préciser l’époque de la complète guérison.

Encore malade et faible des jambes, je ne sais donc pas au juste quand je pourrai aller vous rejoindre à Bel-Air. Je me soigne énergiquement, et je vais prendre ces temps-ci un peu d’iodure de potassium pour combattre l’état congestif. J’ai passé par conséquent un triste mois d’août, obligé que j’étais de garder la chambre, quand je ne m’alitais pas. Je dois dire que tous mes amis et connaissances du bourg et des environs sont venus régulièrement me voir et prendre de mes nouvelles. Pourtant, ne me sentant pas trop mal, je suis allé dimanche dernier tenir l’orgue à l’Eglise de Fresselines pour la fête patronale. J’avais organisé une jolie messe en musique et mon brave curé en a été très satisfait.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Anatole Sainson datée du 6 janvier 1893. Extrait publié par Émile Vinchon dans Maurice Rollinat – Étude biographique et littéraire, page 198

(…)
« Je suis toujours horriblement souffrant de la sciatique et j’ai besoin de tout mon courage pour me supporter. Enfin chaque jour un peu plus j’apprends la résignation et je me remets au travail sérieusement, ce qui me distrait et me console. » (Lettre à A. Sainson, du 6 janvier 1893)
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 8 février 1893 (expédiée de Fresselines) (collection particulière).

(…)
Quant à me rendre à Châteauroux, en dehors de toute autre question, je suis vraiment trop souffrant pour même y penser. Mon état exige les plus grands soins, et j’ai constamment besoin d’un petit confortable que je ne trouve que chez moi.
(…)

 

– Carte d’invitation de Maurice Rollinat à Henri de la Celle sans date (vraisemblablement de la première moitié des années 1890) (collection particulière).

Cher Monsieur Henri,

Notre hôte, Monsieur Frichon de Vorys aurait quelques renseignements de chasse à vous demander. Voulez-vous nous faire l’amitié de venir ce soir dîner sans façon avec nous (7 h ½). Mon rhumatisme m’a repris de plus belle et c’est un pauvre malade qui vous saura gré d’être venu lui tenir un peu compagnie.
(…)

Remarques de Régis Crosnier : « Monsieur Henri » est le fils aîné du vicomte Charles de la Celle, habitant au château de Puyguillon. Monsieur « Frichon de Vorys » est plus connu sous le nom de Jules de Vorys.

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Eugène Alluaud datée d’août 1893. Fac-similé publié par J. Bhess dans son « Pages Limousines – Maurice Rollinat » paru dans Limoges illustré n° 147 du 1er décembre 1905, pages 1973 et 1974.

(page 1974)
(…)
Pour moi, je travaille en me résignant à souffrir toujours plus ou moins de mon rhumatisme sur lequel le prétendu si bon effet des Eaux d’Evaux ne s’est pas encore fait sentir.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat datée du 25 septembre 1893, écrite à Fresselines (collection particulière).

Ma Chère Maman,

J’espère que vous vous serez toujours bien portée depuis mon départ, et que vous aurez traversé vaillamment ces temps de pluie et d’humidité.
(…)

Depuis mon retour à Fresselines, je n’ai pas vu l’amélioration de mon état s’accentuer sensiblement. J’ai toujours la jambe droite douloureuse, et la gauche engourdie par un fourmillement qui m’agace. Je me sens faible des reins, courbaturé sans cesse, fiévreux et emmigrainé. Enfin ! du moment que je peux encore marcher, aller et venir au bord de la Creuse, c’est le principal, et je me contente philosophiquement de cette existence d’infirme en attendant des jours meilleurs.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Austin de Croze datée du 20 août 1895, publiée dans La Revue félibréenne, tome XIV – Fascicule pour 1898 et 1899, page 111, en réponse à une enquête intitulée « Les poètes, Mistral et le vers libre ».

Mon cher confrère,

Je vis en solitaire dans une campagne perdue, absolument mort à toute espèce de mouvement, questions et controverses littéraires. Je suis d’ailleurs si souffrant que depuis longtemps déjà j’ai dû même renoncer à mes travaux pour me reposer et me soigner exclusivement.

Veuillez donc agréer mes regrets de ne pouvoir accéder à votre demande et recevez, avec ma cordiale poignée de main, l’expression de mes meilleurs sentiments.

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Georges Lenseigne datée du 4 juin 1896, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 297 et 298.

(…)
Pour moi, je suis toujours très souffrant, faible, en proie aux malaises, dans une espèce de convalescence indéfinie. Je me soigne d’une façon méticuleuse, j’ai adopté un régime alimentaire, que je suis sans écart, et je vis animalement, me désintéressant par ma volonté de tout ce qui pourrait m’exciter ou m’inquiéter l’esprit, ne dépensant plus (page 297) d’intelligence que pour les ruses de la pêche, qui reste désormais ma seule et unique préoccupation.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Joseph Pierre datée du 20 août 1896. Extrait publié par Joseph Pierre dans Le vrai Rollinat, pages 46 et 47.

Il m’écrivait, le 20 août 1896, – son volume les Apparitions venait de naître :

« J’ai été très malade à Paris, cet hiver, et depuis cette époque je ne dois une légère amélioration dans ma santé qu’au régime le plus sévère, en ayant soin d’éviter tout espèce de déplacements, fatigues, etc. C’est à peine si j’ai vu ma mère cette année, et je suis revenu de Châteauroux très endommagé par ce court séjour. Je suis donc au regret de ne pouvoir répondre à votre bonne invitation ; je ne vous en remercie pas moins de tout cœur. »

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat écrite à Fresselines le 25 février 1897. D’après une copie manuscrite – collection de la médiathèque Equinoxe (Châteauroux - Indre), dossier « Maurice Rollinat – Correspondance II ».

(…)
Moi, pour le moment, je ne vais pas trop mal à condition de suivre scrupuleusement mon régime et de m’astreindre sans relâche à toutes espèces de précautions. J’ai banni de ma table le vin et le cognac pour les remplacer par le thé, et en somme je m’en trouve très bien pour mon estomac. D’ailleurs, tout n’est qu’habitude ; depuis que je bois du thé à tous mes repas, je prends goût à ce breuvage au point qu’il me manque vraiment quand par hasard j’en suis privé. Je profite de ces belles journées pour respirer l’air tant que je peux au bord de mes deux Creuses. Je fais de jolies pêches de temps à autre et toujours les plus ravissantes promenades. (…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Georges Lenseigne datée du 31 mars 1897, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 298 et 299.

Mon cher ami,

En te remerciant de ta bonne lettre, je t’envoie mon meilleur souvenir et te serre la main de tout cœur.

Hélas ! je suis toujours souffrant, et comme j’ai dû renoncer au travail intellectuel parce qu’il me fatiguait trop, il m’arrive souvent de trouver la vie fade et le temps bien long ! Heureusement, il me reste l’amour du plein air, le goût de la promenade et la passion de la pêche à la ligne, qui me permet (page 299) tout à la fois d’exercer mon activité physique, et de cueillir au passage quelques jolies rencontres et observations naturistes.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Armand Dayot non datée mais avant novembre 1897, publiée par Raoul Aubry dans son article Le suicide de Maurice Rollinat, paru dans Le Temps du 3 novembre 1903, page 3.

(Publiée en intégralité dans le Bulletin de la Société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 21 – Année 1982, pages 5 et 6.)

(…)
Je suis profondément touché de votre excellente lettre et je vous en remercie bien affectueusement. Quand irai-je à Paris ? Je ne sais trop ; je suis ici selon mes goûts dans la solitude ! – Et puis, il me faut la vision du plein ciel, des arbres et de l’eau. Et de quelle rivière, de quels arbres : encavés ravineusement au fond d’un paysage de roches, si effacé, si mort, dans un murmure que je ne sais pas au juste s’il couvre le bruit du silence ou le silence du bruit. C’est là, dans ce site couleur de ruines, que je creuse et recreuse les sujets entamés qui braillent à ma poursuite. J’y fais des ruminants pèlerinages, des haltes obsédées, et je n’en sors guère, le plus tard possible, que pour rentrer dans mon gîte non moins mystérieusement.

Voilà mon existence, et ma santé, s’en trouve bien. D’ailleurs, je n’ai pas la préoccupation de la renommée : j’abandonne cette denrée vide, et je laisse brouter l’égoïsme de ma pensée dans le bon coin de la fantaisie. Je ne travaille que pour moi, plutôt par hygiène morale que par besoin d’esprit ; je ne songe donc pas, de longtemps encore, à aucune espèce de publication nouvelle, et je me contente de manuscrire consciencieusement, au jour le jour, sans nul souci de l’avenir.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Armand Dayot datée du 9 novembre 1897, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 305 à 307.

Mon cher vieux,

Merci de ta bonne lettre. Je ne vais pas trop mal grâce à mon régime que je suis avec la plus stricte (page 306) méticulosité. J’ai repris un peu mon travail que j’entremêle sans fatigue à mes pêches toujours pratiquées avec un nouveau plaisir, et dont le charme constant indemnise la fréquente infructuosité. En somme, tout compte fait de mes souffrances – épreuves et désillusions – j’ai encore du goût et de la curiosité à vivre au milieu des choses éternelles, apaisé par la solitude, distrait et consolé par la monotonie même de mon petit train-train et de mes occupations poético-piscatoresques.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Armand Dayot datée de novembre 1897, publiée par Raoul Aubry dans son article Le suicide de Maurice Rollinat, paru dans Le Temps du 3 novembre 1903, page 3.

… Je ne vais pas trop mal, grâce à mon régime que je suis avec la plus stricte méticulosité. (…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Georges Lenseigne datée du 10 décembre 1897, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 309 à 311.

Mon cher ami,

Merci mille fois de l’intérêt effectif que tu me témoignes si cordialement. Ainsi que je te l’ai déjà dit, je laisse agir en leur en étant reconnaissant ceux de mes amis qui veulent bien s’occuper de moi, mais sans jamais les aider dans leurs démarches : affaire de nature évidemment ! Je ne peux pas vaincre mon (page 310) horreur et ma répugnance à cet égard. Je ne demande et ne désire rien ! plus qu’il y a même cinq ou six ans, je vois nettement le fond des choses. Un seul bien me resterait : la santé. Hélas ! il est endommagé aux trois quarts et il faut tous mes soins pour garder le peu qui en subsiste. L’art lui-même ne m’illusionne plus, je n’ai désormais pour tout plaisir d’existence que la pleine liberté de ma tristesse dans la monotonie de la solitude.

J’aurais peut-être consenti, il y a une vingtaine d’années, à laisser enregistrer ma voix dans un phonographe. Aujourd’hui qu’elle est usée, trouée, détimbrée, méconnaissable pour moi-même, je me refuse catégoriquement à toute communication graphophonique, dis-le à Lorin quand tu le verras ou si tu as l’occasion de lui écrire. (…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Saint-Pol Bridoux datée de décembre 1897, publiée dans la Revue du Berry, janvier 1905, pages 9 et 10.

(…) Merci avec gourmandise du fin gibier que tu nous expédies. Il sera mangé savoureusement en pensant à vous autres, et, pour cette fois je ferai un écart de régime, en remplaçant la tasse de thé par un verre de vin. (…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Georges Lorin datée du 1er janvier 1898. D’après une copie manuscrite – collection de la médiathèque Equinoxe (Châteauroux - Indre), dossier « Maurice Rollinat – Correspondance II ».

(…)
Mélandri m’écrit qu’il t’a rencontré et trouvé en très bon état. Continue donc à faire ce qu’il faut pour garder la santé, la seule magicienne qui même devant le noir de la Mort, a la faculté de faire voir la vie en rose.

Nous n’irons pas à Paris à cause de nos états maladifs.

Quant à chanter dans un phonographe, jamais de la vie ! – Comme je l’écrivais dernièrement à Lenseigne qui m’avait parlé de ton idée. Il y a une quinzaine d’années, je ne dis pas, mais, actuellement que je ne reconnais plus ma voix, je respecte trop le souvenir de ce qu’elle fut, pour en donner le débris à ces mécaniques vocales.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Paulin de Vasson, envoyée de Fresselines le 8 octobre 1898. Publiée par Georges Lubin dans la Bulletin de la Société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 10, juin 1971, pages 23 et 24.

(…)
Quant à moi, mon cher Paulin, qui suis le Coliquart par excellence, je te souhaite la paix du ventre, la Sérénité de l’Estomac (…).

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat datée du 24 décembre 1898. D’après une copie manuscrite – collection de la médiathèque Equinoxe (Châteauroux - Indre), dossier « Maurice Rollinat – Correspondance II ».

(…)
Je vous souhaite surtout la bonne santé qui est en somme la bonne magicienne de la vie, donnant tout à la fois la paix et l’activité, la philosophie et l’illusion.
(…)

Je ne vais pas trop mal et je crois que les froids secs sont encore préférables pour mon état nerveux aux humidités et aux tiédeurs brumeuses.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Saint-Pol Bridoux datée du 21 avril 1899, expédiée de Paris. D’après une copie manuscrite – collection de la médiathèque Equinoxe (Châteauroux - Indre), dossier « Maurice Rollinat – Correspondance II ».

(…)
Malgré ma tempérance et ma vie retirée (puisque je ne suis allé qu’une seule fois en soirée chez Brisson, le gendre de Sarcey) j’ai été grippé depuis le commencement de mon séjour, et je continue à l’être plus ou moins ainsi que Cécile qui supporte son mal avec sa vaillance ordinaire. Aussi serons nous ravis à la fin de ce mois, de regagner notre cher asile de La Pouge, si précieux à nos maladives personnes par son bon air pur et sa bienfaisante mélancolie.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Armand Dayot datée du 25 avril 1899, écrite à Paris. D’après une copie manuscrite – collection de la médiathèque Equinoxe (Châteauroux - Indre), dossier « Maurice Rollinat – Correspondance II ».

(…)
Toujours grippés et bien fatigués, nous repartons lundi prochain pour Fresselines. (…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à « Mon cher confrère » datée du 18 juillet 1899, en vente sur eBay le 11 janvier 2019.

C’est une réponse à une enquête sur l’alcool que lui adresse Fernand Mazade rédacteur de la revue de l’époque : Les Documents du Progrès. (note du vendeur)

Fresselines (Creuse)
Le 18 juillet 99.

Mon cher confrère,

Voici ma réponse à votre charmante lettre donc je suis fort honoré.

Je ne suis partisan ni de l’eau pure ni du lait que je n’aime pas, et j’en redouterais l’affadissement pour l’esprit.

Je ne bois que du thé très chaud à tous mes repas ; avec mon café je ne prends jamais de Cognac.

En ce qui me concerne, la sobriété invariable est la condition première de la production, et, si mince qu’il fut, l’usage de l’alcool stupéfierait mon travail au lieu de l’exciter.

Je donne au Correspondant médical pleine autorisation de publier mon portrait.

Veuillez agréer, mon cher confrère, l’expression de mes sentiments bien sympathiques,

Maurice Rollinat

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Alphonse Ponroy datée du 15 septembre 1899. Extrait publié par Émile Vinchon dans Maurice Rollinat – Étude biographique et littéraire, page 200.

(…)
Quoique souffrant, je continue à observer, ruminer, travailler ; le labeur artistique étant en somme celui qui vous console le mieux et vous donne le plus d’illusion en vous absorbant davantage.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Georges Lorin datée de janvier 1900, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 319 et 320.

(page 319) (…)
De tout cœur nous te retournons nos meilleurs vœux, en te souhaitant surtout la santé sans laquelle on ne jouit guère des prétendus bonheurs de la vie : (page 320) elle est bien vraiment la bonne fée du sang et de l’âme qu’elle entretient dans une sorte de béatitude engourdie et qu’elle fait fraterniser aimablement par leur réciproque insouciance et leur égale sérénité.

Je te souhaite aussi l’acharnement au travail, si absorbant qu’il vous sépare de vos semblables et vous enferme dans une solitude habituelle de rêve et d’élucubration. Avec un pareil genre d’existence on a l’illusionnement et l’oubli. On vit tellement en sa pensée errante et chercheuse, pour et par elle seule, qu’elle finit par vous faire perdre jusqu’au sentiment de la souffrance physique. J’en sais quelque chose, moi, qui, tous ces temps-ci, ai presque ignoré rhumatismes, froidures et train-train de maison à force de m’enfoncer dans la composition musicale.

Grâce au travail obsédant, je coule mes jours doucement hallucinés et je traverse le réel à la façon d’un somnambule.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat datée du 24 février 1900, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 321 et 322.

Ma chère maman,

Je ne sais comment va la population de Châteauroux, mais ici, et dans les environs, tout le monde est malade, le mal de tête règne et la fièvre est installée. Moi-même, en dépit de mon hygiène et de mes soins méticuleux, j’ai senti redoubler les rhumatismes et je souffre actuellement de migraines violentes accompagnées de malaise général et de frissons fiévreux. Pourtant, jusqu’à présent je n’avais pas été trop mal et je m’étais supporté suffisamment pour pouvoir travailler chaque jour la composition musicale pendant des quatre heures de suite. Aussi ai-je beaucoup augmenté mon répertoire en même temps que j’ai acquis plus de science et de doigté. Grâce à mon piano je ne me suis presque pas aperçu de l’hiver, et ces journées froides, humides et pluvieuses ont passé plus vite peut-être que les plus belles journées de printemps ; (…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à ??? sans date (vraisemblablement fin 1900), publiée dans La Croix du 4 janvier 1901, page 1.

On lit dans les Notes d’art, sous la signature du poète Maurice Rollinat :

… Que je vous dise enfin un mot – trop hâtif – du livre de Lucien Donel, de ce Chardon bleu que vient d’éditer luxueusement la Maison de la Bonne Presse, de ce Chardon bleu rêvé par un poète et écrit par un artiste qui sait mettre dans la couleur et la musique des mots, la grâce, le pittoresque, la justesse et la clarté.

Ce livre m’a confisqué à moi-même par sa lecture attachante, ce qui n’est pas chose facile, car pour être prenable, je suis bien trop égoïstement harcelé par mes éternels soucis de souffrance physique, de gestation inquiète, de labeurs vétilleux. Je dois à cette si tendre et mélancolique histoire de bonnes heures d’émotion saine et bienfaisante.
(…)

Remarque de Régis Crosnier : Lucien Donel est un pseudonyme utilisé par l’abbé Lucien Jouve, aumônier du lycée de Châteauroux.

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Saint Pol Bridoux datée de décembre 1900, écrite à Fresselines (collection particulière).

Merci du beau lièvre, mon cher St Pol. Nous le dégusterons en buvant à votre santé à tous. Malheureusement, en fait de verre, je ne pourrai lever à votre intention qu’une tasse, car, plus que jamais je suis au thé. Ces temps continûment humides ont amené dans mon état une recrudescence de rhumatisme qui s’est porté aux entrailles et me fait horriblement souffrir. Avec cela, maux de tête, courbature générale : c’est évidemment une forme d’influenza que je soigne à coups de quinine et d’antipyrine. Quel ennui pour moi ! J’étais si en veine de labeur et de trouvailles. Enfin ! j’espère qu’un bon régime et, pendant quelque temps, l’abstention de toute sortie par l’humidité, auront raison de cette crise.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Yvette Guilbert datée du 28 décembre 1900, publiée par Yvette Guilbert dans, Mes lettres d’amour (Les éditions Denoël et Steele, Paris, 1933), pages 66 et 67.

(page 66) (…)
Soyez donc sans appréhension sûre que vous devez être de la si nerveuse et vibrante compréhensivité de votre nature, qui n’a fait que gagner (page 67) à la souffrance, et que la maladie n’a pu qu’aiguiser encore. Je ne peux pas aller à Paris, mais voici ce qu’il faut faire : venez à Fresselines avec votre mari, j’ai de quoi vous loger et vous offrir ma toute simple, mais cordiale hospitalité ainsi qu’à Arsène Alexandre. Entendez-vous donc tous avec lui et arrivez le plus tôt possible ; de cette manière, je pourrai vous donner toutes les indications que vous me demandez et je vous montrerai parmi mes poésies et musiques, celles qui auraient le plus de chance de convenir au public parisien.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Armand Dayot expédiée le 1er janvier 1901. D’après une copie manuscrite – collection de la médiathèque Equinoxe (Châteauroux - Indre), dossier « Maurice Rollinat – Correspondance II ».

Très touchés de tes bons souhaits, nous te retournons les nôtres de tout cœur, en faisant des vœux sincères pour que vous vous portiez tous bien, car la vraie bonne Fée de la vie, celle qui ravit la bête en illusionnant l’âme, c’est encore et toujours la santé.
(…)

Si je vais à Paris, ce qui se pourrait quoique je sois bien à court d’argent et d’une santé des plus souffreteuses, je ne manquerai pas d’aller te voir. (…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Yvette Guilbert reçue le 4 janvier 1901, publiée par Yvette Guilbert dans, Mes lettres d’amour (Les éditions Denoël et Steele, Paris, 1933), pages 67 et 68.

Le 4 janvier 1901, je reçois de Rollinat la nouvelle de son arrivée à Paris (moi n’ayant pu l’aller voir).

J’ai un tel désir de vous entendre, dit-il, que ma santé en a ressenti comme une bonne influence, cette soirée est bien le 11 janvier au soir, n’est-ce pas ? Je suis radieux à l’idée que je vais pouvoir vous applaudir à mains réelles, et que mes bravos vous seront criés par ma voix vivante.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Gustave Geffroy datée de janvier 1901, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 323 et 324.

(page 324) (…)
Je suis toujours très souffrant des entrailles, mais je me soigne et je travaille de mon mieux avec une brique chaude sur le ventre.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat datée de mai 1901. D’après une copie manuscrite – collection de la médiathèque Equinoxe (Châteauroux - Indre), dossier « Maurice Rollinat – Correspondance II ».

Ma chère maman

L’autre jour, quand je vous ai écrit, j’étais si souffrant de la migraine que j’ai oublié de vous dire combien j’avais été impressionné par la mort de Monsieur Albéric Desgouttes. Hélas ! ainsi va la vie : nous ne pouvons vieillir qu’à la condition de voir disparaître autour de nous tous ceux que nous avons connus et aimés.

Je ne sais quelle température vous avez en ce moment à Châteauroux, mais ici, elle est abominable, continuant en pluies, vents, orages et bourrasques les cinq mois de froidure dont pour ma part j’ai tant souffert. La campagne qui serait si réjouie et si charmante avec un vrai soleil et un bel azur est au contraire languissante et presque laide avec ses pauvres floraisons tourmentées, secouées par les rafales, noyées par les averses, en quelque sorte obscurcies et décolorées par l’ombre des airs hostiles et le reflet fumeux des mauvais nuages. Je comptais bien pourtant qu’Avril et Mai seraient les chers magiciens de mon cœur et de mes yeux et qu’ils m’indemniseraient par leur suave douceur de tout le mal enduré pendant cet hiver maudit.

Et puis, je comptais, puisque les deux Creuses s’étaient tenues grandes depuis six mois, qu’il y aurait beaucoup de truites au printemps, et que je pourrais faire quelques belles pêches. Or, le temps est si peu de saison que l’on ne voit pas plus de moucherons sur l’eau que de fourmis par les chemins, par conséquent, aucune circulation de poisson ! J’en suis donc réduit en fait de pêche à la ligne à tromper simplement du fil dans l’eau, sans aucun espoir de réussite. Enfin ! la sortie est encore une distraction et je suis heureux dans mes souffrances, d’avoir encore de bonnes jambes qui me permettent de monter et de descendre comme une chèvre par les côtes et les ravins.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette expédiée de Fresselines le 17 juillet 1901 (collection particulière).

(…)
Moi, je suis toujours souffrant des entrailles et de la tête, comme vous m’avez connu. Moins, cependant ; je me supporte mieux ; et, si je n’étais pas rongé par le ver solitaire qu’a dû me donner un traitement à la viande crue, je dominerais assez mon mal, pour le prendre en patience.

Enfin ! j’espère que mon ami, le docteur Humbert, chirurgien en chef du midi, va me trouver un spécifique qui me délivrera de cet Hôte abominable !
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat datée du 1er septembre 1901 (collection particulière).

Ma Chère maman,

Bien que je sois toujours très souffrant du ventre, j’éprouve pourtant un grand soulagement moral en me sachant enfin débarrassé de l’horrible ver solitaire qui me rongeait depuis si longtemps.

En effet, l’autre jour, après avoir pris sous forme de capsules une poudre de fougère mâle, j’ai rendu le tænia qui mesurait certainement une trentaine de mètres ; le même jour je l’adressais à Paris, à un pharmacien de mes amis, lequel, après un méticuleux examen, vient de m’écrire que j’ai expulsé le ver, avec la tête, c’est à dire complètement, sans aucune possibilité qu’il puisse se reformer. À moins que j’en ai d’autres sur lesquels le médicament n’a pu agir de manière suffisante, je suis donc délivré absolument de cet odieux locataire, mais, il a exercé de tels ravages dans mes intestins que j’en subirai le contrecoup longtemps encore ; ce n’est qu’à force de régime que je finirai peut être par ramener le calme dans mes entrailles. Je suis bien guéri de toute alimentation à la viande crue, et je renonce pour jamais à tout ce qui tient de près ou de loin à la charcuterie si tentante qu’elle puisse être.

J’aime à espérer que ces temps lourds et orageux ne vous fatiguent pas trop. Ici, les journées sont brûlantes, mais les soirs nous indemnisent par leur fraîcheur, et, en somme, à part une vingtaine de jours cruels, j’aurai beaucoup moins souffert de la chaleur, cette année.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat datée de septembre 1903, publiée par Hugues Lapaire dans Rollinat Poète et Musicien, pages 220 et 221.

Un grand malheur vient de m’arriver ; celle qui pendant vingt ans avait été ma compagne si dévouée, ma pauvre Cécile, est morte, hélas ! et me voilà seul encore une fois !
(…)

(page 221)
Je suis bien malheureux, bien triste, et souffrant toutes les angoisses.
(…)

Remarque de Régis Crosnier : Isaure Rollinat lui répondra en ces termes le 2 septembre 1903 : « Mon bien cher Maurice / Le malheur qui vient de te frapper est très douloureux pour toi, et moi, j’en ressens le contre-coup, te sachant dans un état de santé des plus triste ! mais du courage mon cher enfant la divine Providence qui dès maintenant t’inspire la bonne voie du retour à la vie conjugale ne peut manquer de t’assister dans ta déplorable position c’est le vœu le plus ardent pour lequel je n’ai jamais manqué pendant les 20 années écoulées de solliciter le Ciel, pour ta réconciliation avec Marie à la fin de ma triste carrière ce désir devient de plus pressant. / Je t’embrasse de tout mon cœur, aussitôt que tu le pourras donne moi de tes nouvelles. / Ta malheureuse mère. » (collection particulière).

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Anatole Sainson datée de septembre 1903. Fac-similé publié par Émile Vinchon dans La Philosophie de Maurice Rollinat (Jouve et Cie éditeurs, Paris, 1929, 77 pages), entre les pages 64 et 65.

Je suis abîmé dans mon chagrin, mais je tâche de réagir et si j’ai autant de force que de volonté, il faudra bien que j’arrive à dominer tant d’affliction. Si seulement je n’étais pas si malade ! Enfin ! j’aurai du courage et de la résignation, mais que je suis donc malheureux ! Tâchez de venir me voir le plus tôt possible et de passer quelque temps avec moi ! J’en ressentirais tant de consolation.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat datée du 1er octobre [1903], écrite à Limoges (collection particulière).

(…)
Que durera le traitement ? je l’ignore ; plusieurs mois, sans doute. Le médecin que le docteur Ballet a chargé de me surveiller, m’a trouvé mieux, et il me l’a dit et fait remarquer à plusieurs reprises, quoiqu’il en soit, je me sens toujours bien malade, angoissé, troublé, et sensiblement affaibli.

Cet affaiblissement, paraît-il, ira en augmentant, puisqu’il résulte du traitement même que je subis : il faut me débiliter le plus possible pour dominer les nerfs, après quoi, on me remontera par des fortifiants.

J’ai grand besoin de toute ma patience, et je me cramponne à ma volonté pour réagir. Enfin ! le médecin m’inspire confiance et courage.
(…)

Remarques de Régis Crosnier :

– La lettre a été expédiée de Limoges car Maurice Rollinat était alors hébergé par son ami le peintre Eugène Alluaud. Il semble que cette lettre soit la dernière écrite par Maurice Rollinat (à notre connaissance). Celui-ci décèdera le 26 octobre 1903, dans la maison de santé d’Ivry.

– Le docteur Gilbert Ballet est né le 29 mars 1853 à Ambazac (Haute-Vienne) et décédé le 17 mars 1906 à Paris. C’est un neurologue et un aliéniste ; il a été formé par le professeur Jean-Martin Charcot dont il a été le chef de clinique. C’est un ami d’Eugène Alluaud.

 

– Le Radical du 4 janvier 1908, page 1.
« Échos – Ce qu’ils boivent ».

Nous annoncions dernièrement que la Revue avait eu l’heureuse idée de faire une enquête sur les boissons favorites de nos artistes et de nos écrivains. Elle publie aujourd’hui les réponses qui lui sont parvenues. Voici quelques-unes des plus intéressantes. Elles ne datent pas d’hier, leurs auteurs étant tous trois décédés.
(…)

« Je ne suis partisan ni de l’eau pure ni du lait, que je n’aime pas, et j’en redouterais l’affadissement pour l’esprit. Je ne bois que du thé très chaud à tous mes repas ; avec mon café, je ne bois jamais de cognac.

« En ce qui me concerne, la sobriété invariable est la condition première de la production, et, si mince qu’il fût, l’usage de l’alcool stupéfierait mon travail au lieu de l’exciter.

« Maurice Rollinat. »

(…)

 

– II – Quand des membres de la famille ou ses amis parlent de la santé de Maurice Rollinat

– Lettre de Léon Bloy à Maurice Rollinat datée du 8 août 1882, publiée par Joseph Bollery, pages 19 à 23, dans Léon Bloy, Ses débuts littéraires du « Chat Noir » au « Mendiant Ingrat » 1882-1892, Éditions Albin Michel, Paris, 1949, 465 pages.

(page 19) (…)
Vous m’écrivez une longue lettre éloquente pour me raconter vos souffrances. Toute souffrance vraie est faite pour me remuer le cœur et surtout lorsqu’elle est soufferte par Rollinat. Mais, cher ami, souvenez-vous que vous m’en avez fait l’aveu : votre mal est surtout physique. Si la santé vous était rendue, vous seriez le plus heureux des hommes. Vous me l’avez dit, et je sens que cela doit être. Vous n’avez pas fait le tour du monde moral et vous ne pouvez pas être désenchanté ni ulcéré de ce qui ne vous est pas connu. Votre misérable santé a développé en vous une rare et merveilleuse faculté d’aperception de ce que j’appellerais le grand secret de la nature, secret de douleur, secret de lamentation… mais aussi secret d’espérance et de délivrance future. Si vous n’aviez pas souffert dans votre partie sensible, vous n’auriez pas vu les profondes, les indicibles, les divines tristesses de (page 20) toute chose créée. Votre génie tout seul vous eût laissé dans votre petit bourbier crapuleux du bonheur.

La maladie a été pour vous comme une révélation religieuse extérieure en attendant l’autre. (…)

 

– L’Hirondelle – Revue littéraire, pédagogique et artistique – Organe hebdomadaire de l’Académie de l’Ouest, n° 44 du 31 octobre 1885 et n° 45 du 7 novembre 1885.
Article « Maurice Rollinat – L’Homme et l’Artiste – I » d’Alphonse Ponroy.

(page 346) (…)
Maurice Rollinat est souvent souffrant, mais il n’en est pas aigri pour cela ; il s’appelle cependant l’Angoisse personnifiée, mais il est au nombre de ces résignés pleurant leurs maux dont il parle quelque part ; il est bout-en-train, amusant et comique, et chez lui, il vous fait parfois rire jusqu’à pleurer et à briser le ceinture de votre pantalon. (…)

 

– Lettre de Cécile Pouettre à Lucien Descaves datée du dimanche 19 (vraisemblablement août 1894). D’après une copie manuscrite – collection de la médiathèque Equinoxe (Châteauroux - Indre), dossier « Maurice Rollinat – Correspondance II ».

(…)
Nous avons eu et avons un bien vilain été, on se croirait fin d’automne. (…) Maurice va assez bien quoique ce temps lui procure quelques retours de douleurs dans sa jambe.
(…)

 

– Lettre de Cécile Pouettre à Lucien Descaves datée du 24 octobre (vraisemblablement 1894). D’après une copie manuscrite – collection de la médiathèque Equinoxe (Châteauroux - Indre), dossier « Maurice Rollinat – Correspondance II ».

(…)
Maurice souffre un peu de sa jambe, mais l’état général de sa santé est satisfaisant. Il a mis volontairement son cerveau en friche, durant tout l’été et se remettra au travail dès que les longues veillées au coin de l’âtre l’y solliciteront.
(…)

 

– Lettre de Cécile Pouettre à Lucien Descaves expédiée de Paris, datée du 19 février 1896. D’après une copie manuscrite – collection de la médiathèque Equinoxe (Châteauroux - Indre), dossier « Maurice Rollinat – Correspondance II ».

Hélas ! le pauvre Maurice a eu plus qu’une indisposition. Il est encore trop malade pour pouvoir faire aucun projet.

Actuellement il subit tous les jours une séance d’électrisation pour tâcher de rendre à son bras gauche et à sa bouche la libre disposition du mouvement qui a été atteinte assez gravement par le froid.

L’état général est absolument maladif et chaque jour il rentre envertiginé à la suite des courtes promenades que je lui fais faire.
(…)

 

– Lettre de Cécile Pouettre à Lucien Descaves écrite à Fresselines le 31 décembre 1897. D’après une copie manuscrite – collection de la médiathèque Equinoxe (Châteauroux - Indre), dossier « Maurice Rollinat – Correspondance II ».

(…)
Lorsque vous en aurez le loisir donnez-moi de vos nouvelles à tous. Ici, malgré l’embrumement dans lequel a plongé la disparition des amis Béthune, Frémine, Daudet etc… cela va aussi bien que possible et n’était une excessive nervosité combattue heureusement par le calme ambiant, on ne se douterait plus du fâcheux accident de Paris.
(…)

Remarques de Régis Crosnier :

– Gaston Béthune est décédé le 26 octobre 1897, Aristide Frémine le 5 décembre 1897, et Alphonse Daudet le 16 décembre 1897.

– Le « fâcheux accident de Paris » est une attaque d’hémiplégie survenue début 1896.

 

– Lettre de Cécile Pouettre à Albert Chantrier datée du 2 octobre 1901. D’après l’original – collection de la médiathèque Equinoxe (Châteauroux - Indre), fonds « Émile Vinchon, n° 9 ».

(…)
D’autre part, Maurice a été fort souffrant tout l’été, il avait le ver solitaire que nous avons eu beaucoup de peine à déloger de l’habitation qu’il s’était choisie. Enfin ça y est – nous l’avons au complet tête comprise –

Dans ces conditions vous pensez qu’il était de toute impossibilité pour Maurice de s’astreindre à un travail régulier, c’est ce qui fait aussi qu’on ne vous a pas demandé de venir écrire les nombreuses musiques composées tout l’hiver et le printemps. Mais maintenant que le calme est revenu dans la santé du poète – il serait bien heureux si vos occupations vous le permettent que vous veniez travailler avec lui – Le plus longtemps serait le mieux et tout ce mois d’octobre est encore bien beau à la campagne.
(…)

 

– Lettre de Cécile Pouettre à Marcelle et Eugène Alluaud expédiée de Cluis le 23 juillet 1903. D’après une copie manuscrite – collection de la médiathèque Equinoxe (Châteauroux - Indre), dossier « Maurice Rollinat – Correspondance II ».

[Maurice Rollinat et Cécile Pouettre sont chez Ernest Forichon qui habite au château de Fontay, à Cluis.]

(…)
Le pauvre Maurice est bien, bien malade de neurasthénie. J’ai dû l’emmener quelques jours à Fontay, nous y sommes depuis huit jours, pour essayer de le distraire. Nous rentrons demain à Fresselines où le fils de Benjamin Constant attend Maurice.

Serez-vous dimanche à Crozant ? Pouvez-vous venir déjeuner. Je vous expliquerai l’origine de la maladie de Maurice. C’est impossible à écrire. C’est trop long et compliqué.

Je ne sais trop ce que je vais tenter, si ça ne va pas mieux. J’attends un conseil du Docteur Humbert auquel j’ai écrit à ce sujet.

Je suis bien tourmentée. J’ai bien du chagrin et je ne puis le laisser paraître. La vie est souvent bien dure.
(…)

Remarque de Régis Crosnier : Le Docteur Gaston Humbert né le 3 octobre 1845 à Paris, est professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris, chirurgien des hôpitaux en dermato-vénéréologie. Il est l’ami de Jeanne Pouettre, la sœur de Cécile.

 

– Lettre de Cécile Pouettre à Marcelle et Eugène Alluaud expédiée de Fresselines le 27 juillet 1903. D’après une copie manuscrite – collection de la médiathèque Equinoxe (Châteauroux - Indre), dossier « Maurice Rollinat – Correspondance II ».

[Après que le petit chien Thopsey ait fait une escapade, soit revenu en poussant des hurlements plaintifs et ait été vu par les vétérinaires Plaisance et Milton de La Souterraine.]

(…)
Pour avoir la paix, je me décidai à l’attacher à ma chaise pendant le dîner, lorsque tout à coup ayant remué le pied, il se jeta sur mon sabot. Reprise de la terreur de Maurice. Je dû de nouveau éloigner le pauvre petit et j’écrivis à Pascal Pascaud de venir le lendemain, afin de lui donner en garde. Bref, je voulais surtout éloigner l’animal de la vue de mon névrosé, ce que je réussis à faire, trop tard hélas, car bien que Maurice ait été persuadé par les deux vétérinaires que Thopsey était atteint de fureur vénusiaque, d’une maladie d’estomac et de mauvais coups internes, il en résulte pour lui de graves troubles cérébraux – une neurasthénie – il a peur de ce qui aurait pu arriver si l’animal avait été atteint de cette maladie, et il ne peut se défaire de cette peur nerveuse, mêlée à un grand chagrin de la perte de son pauvre petit compagnon, et à chaque instant, il a des crises d’oppression, tout l’intérieur contracté, puis tout à coup, une peur d’une léchade involontaire, il ramène des faits passés il y a six à sept ans avec Pistolet premier. Enfin c’est là ce qui m’effraie tant, ça touche à la folie. Je ne peux pas le laisser seul un instant, il a peur de tout, d’une allumette qu’on a pas bien éteinte peut-être ; si un chien s’approche de lui, ou un chat, il a un recul et ferme les yeux en le repoussant. C’est pour essayer d’un changement que je l’ai emmené à Fontay. Je lui fais des vaporisations d’éther deux fois par jour, sur l’estomac, le cœur et l’épine dorsale, pilules de… bromure, bromidia, il est par instant un peu plus calme, mais tout d’un coup, ça le reprend. Enfin il faut absolument lui changer les idées et je voudrais aller consulter un spécialiste des maladies nerveuses, un Gillet de La Tourette, un Charcot de l’époque, plus pour le rassurer peut-être que pour autre chose. On lui soignerait l’estomac dont il se plaint toujours soi disant, il faudrait que ce médecin fut mis au courant de tout son état mental, de sa congestion d’il y a sept ans et avant qu’il le vit. C’est pour cela que j’avais pensé au Dr Ballet, s’il est à Ambazac.
(…)

Je ne parle pas du chagrin que me fait la fin de ce pauvre petit toutou si aimé. Avec ça, je ne dois pas avoir l’air triste, ni inquiet une seconde, mon visage étant continuellement épié.

Nous avons envoyé la tête de Thopsey à l’institut Pasteur, au nom du Dr Thionnet, mais j’ai bien la conviction que le pauvre petit avait bien l’affreuse maladie. Où et comment l’a-t-il contractée ? Cela par exemple je l’ignore, sans doute un jour qu’il aura quitté son maître une heure ou deux comme il lui arrivait souvent.
(…)

Remarques de Régis Crosnier :

– Le Bromidia est un médicament qui procure un sommeil réparateur ; il est prescrit pour l’insomnie, le névrosisme, les convulsions, les névralgies (d’après une publicité). Il est composé de sirop d’hydrate de chloral du Codex (25 gr), de bromure de potassium (1 gr), d’extrait de Cannabis indica (1 centigramme), d’extrait de jusquiame (1 centigramme) et d’eau alcoolisée (Journal de pharmacie et de chimie du 1er janvier 1896, page 71). Le Dr Pierre Dheur, dans son livre Comment on se défend contre l’insomnie (Société d’éditions scientifiques, Paris, 1900, 49 pages), écrit page 16 : « Cependant nous conseillons de prendre toujours le chloral associé au bromure, et, l’une de ses meilleures associations est certainement le "bromidia" ».

– Quand Cécile Pouettre parle de « Gillet de La Tourette », il s’agit certainement du docteur Georges Gilles de La Tourette (1857-1904), médecin neurologue qui a été chef de clinique du professeur Jean-Martin Charcot.

– Le docteur Gilbert Ballet est né le 29 mars 1853 à Ambazac (Haute-Vienne) et décédé le 17 mars 1906 à Paris. C’est un neurologue et un aliéniste ; il a lui aussi été formé par le professeur Jean-Martin Charcot dont il a été le chef de clinique. C’est un ami d’Eugène Alluaud.

 

– Lettre de Cécile Pouettre à Marcelle et Eugène Alluaud expédiée de Fresselines le 29 juillet 1903. D’après une copie manuscrite – collection de la médiathèque Equinoxe (Châteauroux - Indre), dossier « Maurice Rollinat – Correspondance II ».

Merci de tout cœur de votre lettre si affectueuse. Sur le conseil du Dr Humbert nous partons tout à l’heure pour Paris afin de tranquilliser Maurice par une consultation chez un Dr spécialiste réputé, que le Dr Humbert choisira. Maurice a grand désir de voir Ballet, (…)

En tous cas, je vous tiendrai au courant, je vous écrirai de Paris dès que j’aurai vu Humbert ; pour Maurice c’est surtout le moral qu’il faut soigner.
(…)

 

– Lettre de Cécile Pouettre à Marcelle et Eugène Alluaud expédiée de Paris le 31 juillet 1903. D’après une copie manuscrite – collection de la médiathèque Equinoxe (Châteauroux - Indre), dossier « Maurice Rollinat – Correspondance II ».

(…)
Le médecin choisi par le Dr Humbert a été justement le Dr G. Ballet. Nous sortons de chez lui, et nous avons eu de la veine d’arriver hier, car il part ce soir en voyage dans le nord, et c’est grâce à la lettre écrite par Humbert qu’il a fait une exception et a bien voulu nous recevoir. Au point de vue moral, sa consultation a déjà eu un résultat merveilleux. Notre poète bien ausculté, rassuré par lui, est déjà beaucoup calmé. Je suis heureux que ce soit Ballet qui l’ait vu, parce que Maurice est ravi de lui, de la simplicité avec laquelle il l’a consulté et que M. Ballet a bien voulu lui promettre de le suivre. Nous devons aller à Ambazac en septembre lui faire part du résultat déjà obtenu. Nous avons parlé de vous, et vous pourrez avoir avec lui, une conversation sérieuse. Le traitement ordonné consiste surtout en changement absolu de manière de vivre, puis douches à domicile avec un appareil que j’emporte. (…)

 

– Lettre de Cécile Pouettre à Marcelle et Eugène Alluaud expédiée de Paris le 2 août 1903. D’après une copie manuscrite – collection de la médiathèque Equinoxe (Châteauroux - Indre), dossier « Maurice Rollinat – Correspondance II ».

(…)
Puis réellement le Dr Ballet a été si gentil, si rassurant que l’effet moral a été presqu’immédiat.

Nous sommes allés acheter un appareil à douches indiqué par le Dr Ballet qui a ordonné soir et matin des affusions d’eau chaude, suppression totale du Bromidia, retour à la vie normale, c’est-à-dire lever le matin à 8 h coucher à 10 h etc. etc. D’ailleurs, j’espère bien pouvoir vous raconter tout ce qui s’est passé depuis le 11 juillet.

J’ai parlé de vous avec le Dr Ballet qui paraît avoir pour vous la plus vive sympathie suivant l’habitude de tous ceux qui vous connaissent. Il est entendu qu’en septembre quand le Docteur sera à Ambazac nous irons lui donner des nouvelles de son malade, lui faire part du résultat obtenu par un mois de son traitement suivi à la lettre. Il a même presque promis de venir à Fresselines, ce qui me ravirait, car de la sorte il verrait bien à l’aise le Poète dans l’intimité de sa vie. Il m’a bien promis de le suivre, et j’ai fait promettre à Maurice de lui accorder sa confiance absolue, et de n’écouter que par politesse, chaque personne, médecin ou autre qui viendra suivant la coutume le conseiller.

Nous avons passé hier la soirée avec le Dr Humbert qui lui aussi a été frappé de la rapide métamorphose produite par la simple consultation de Ballet, il a de son côté rasséréné notre nervoso et bien qu’il soit loin d’être guéri ayant encore des rappels furtifs, des idées sombres, la peur de la solitude d’une seconde etc, etc… le mieux est tellement sensible qu’enfin je respire. (…)

 

– Lettre de Cécile Pouettre à Madame Gonot datée du 7 août 1903, publiée par Émile Vinchon dans La vie de Maurice Rollinat, pages 281 et 282.

Fresselines, le 7 août 1903.

Ma bien chère amie,

Je viens de passer par des transes affreuses, comme votre Henri a dû vous l’écrire : Maurice atteint de neurasthénie violente à la suite de la fin de Thopsey bien que tout se soit admirablement passé comme vous l’avez vu, mais son imagination s’est forgé un drame qu’il a vécu, et qu’il vit encore.

J’ai dû, sans hésiter, partir pour Paris consulter un spécialiste choisi par Humbert. Je vous conterai tout cela en détail.

Bref, nous voici de retour depuis hier. J’ai ramené Jeanne, Jacques, d’Ageni. J’ai acheté l’appareil à douches chaudes prescrites par le Docteur Gilbert-Ballet (le spécialiste choisi par le Docteur Humbert) qui étant d’Ambazac pourra suivre les progrès de la maladie. Le traitement est simple : changement complet d’habitudes, lever à 8 heures, coucher à 10 heures, déjeuner à midi, dîner à 7 heures, repos d’une heure étendu après chaque repas et un quart d’heure après la sortie de table, un demi verre d’eau de Vichy – source Hôpital – douche chaude au lever et au coucher. Suppression complète du bromidia.

Je viens donc vous prier pendant que vous êtes à Vichy de vouloir bien me faire expédier une caisse de Vichy – Hôpital – la quantité prescrite qu’ils expédient : sans doute 20 à 25 bouteilles. Ce sera, il me semble, plus pratique que de les prendre chez les pharmaciens du pays…
(…)

Remarque de Régis Crosnier : « Jeanne » est la sœur de Cécile Pouettre ; « Jacques » est le fils de Jeanne ; « d’Ageni » (Léo d’Ageni) est l’ « écriveur » de musique de Maurice Rollinat, c’est-à-dire la personne qui transcrit la musique que Maurice Rollinat crée pour ses poèmes, en partitions.

 

– Lettre de ??? à Saint-Pol Bridoux datée du 19 octobre 1903, publiée dans la Revue du Berry, janvier 1905, pages 10 et 11.

Lundi soir, 19 octobre 1903.

Je reçois à l’instant de X… parti pour Paris pour s’assurer d’une maison convenable d’après vos indications et avec les conseils de Ballet le télégramme suivant : « avons trouvé maison santé Ivry conseillée par Ballet. »

– Le wagon-lit est retenu pour mercredi matin train de 8 h. 15.

Ne manquez donc pas de venir demain sans faute.

– Le pauvre malade est toujours dans le même état – plus faible peut-être. – Le rectum a cependant repris son élasticité ce qui est un grand point.

A demain sans faute à Limoges.

Remarque de Régis Crosnier : L’auteur de cette lettre ne peut être qu’Eugène Alluaud.

 

– La Patrie du 28 octobre 1903, page 2.
Article « La Mort de Rollinat – Chez M. Georges Charpentier » non signé.

Le poète Rollinat, dont la mort si tragique et prématurée vient de mettre en deuil le monde des lettres, n’avait que des amis parmi les personnes qui le connaissaient intimement. Une de celles-là a été l’ancien éditeur même de l’écrivain, M. Georges Charpentier, que nous avons pu voir ce matin.
(…)

L’année dernière je l’ai rencontré dans la rue de la Chaussée-d’Antin. Il était pâle et paraissait fatigué.

– Vous dînerez avec moi ce soir ?

– Non, je suis triste et ferais un mauvais convive. Je me sens perdu.

– Vous plaisantez ?

– Non !

Ces tristes pressentiments devaient, hélas ! se réaliser. Personnellement je regretterai profondément Rollinat, qui fut un grand poète et un homme de cœur.
(…)

 

– Lettre d’Eugène Alluaud à Raoul Lafagette envoyée de Limoges le 6 novembre 1903 (collection particulière).

(NB : Maurice Rollinat a été logé par Eugène Alluaud à Limoges, avant son départ pour Ivry.)

(…)
Tout d’un coup il fut pris d’un dérangement d’entrailles effroyable compliqué d’un fonctionnement défectueux du rectum qui ne retenait plus les matières ; alors le malade se désespère, refuse de manger et se plaint continuellement. Il se voit perdu, infirme, dit qu’il finit gâteux, que c’est une ignominie, nous supplie de le faire mourir, prétend que ses amis ne l’aiment pas de le laisser vivre ainsi, enfin c’était l’horreur de lui-même. –
(…)

À 7h du matin, j’étais en train de m’habiller lorsque la bonne vient affolée me dire d’aller au plus tôt près du malade. Je courus aussitôt. Alors ce fut un spectacle épouvantable : mon pauvre ami tenait crispé dans sa main droite un révolver dont il venait de se tirer un coup dans la bouche. – D’Ageni le maintenait sur son lit en m’attendant depuis plusieurs minutes et j’eus toutes les peines à lui arracher l’arme des mains… enfin tout cela n’est pas racontable et me fait encore frissonner. – Je fis venir aussitôt le docteur qui examina la blessure, la pansa et essaya de faire la morale à Maurice qui ne répondait rien, se plaignait et avait des yeux fixes et suppliants tout à fois – il faisait peur et pitié ! – L’arme étant presque un jouet la blessure était insignifiante et ne pouvait donner aucune inquiétude. Ceci se passait le samedi 17 novembre. Enfin je passe sur tous les détails de ce drame que vous voyez…

Ses amis de Châteauroux que j’avais chargés de prévenir la famille et sur l’avis des médecins il est décidé que la seule chance à tenter ne peut être tentée qu’à Paris dans une maison spéciale de ces maladies-là avec les soins du Dr Ballet. J’envoie donc ma femme à Paris pour qu’elle y ait une entrevue avec les Docteurs Ballet et Humbert réunis, pendant que moi je reste avec D’Ageni pour veiller sur le malade.

Les Docteurs de Paris sont d’avis de faire venir tout de suite Rollinat dans la maison de santé du Dr Dheur à Ivry sous la direction de Ballet. – Ma femme va voir la maison, choisit un pavillon où Maurice doit être installé seul, dans un beau parc enfin avec tout le confortable possible.
(…)

– Le lendemain ma femme revient à Ivry mais le Dr Dheur refuse de lui laisser voir son malade, prétendant qu’il lui faut l’isolement complet pendant quelques jours ; Rollinat refuse de se nourrir et il faut le nourrir à la sonde.
(…)

Tout ce que les journaux ont inventé de « la folie » de Rollinat est absolument faux, et il n’est pas davantage mort des suites de sa blessure.

Il est mort, le pauvre cher poëte, d’épuisement, de faiblesse et dans une syncope après une nuit paisible comme me l’a décrit Ballet le lendemain de la mort.
(…)

 

– Lettre de Raoul Lafagette à Eugène Alluaud datée du 10 novembre 1903 [en réponse à la lettre d’Eugène Alluaud du 6 novembre] (retranscrite d’après une photocopie d’un double écrit à la main – collection particulière)

(…)
Vous connaissez bien mon cher confrère, et l’avez tendrement aimé. Vous ne pouvez donc qu’abhorrer et flétrir avec indignation l’indécente légèreté du charlatanisme parisien. J’ai toujours fui d’instinct ce visqueux grouillement de limaces, agrémenté de quelques scorpions. On n’évite la bave que pour rencontrer la morsure. Certes, Rollinat savait à quoi s’en tenir, quand il quitta le vaste cloaque pour venir demander à un coin tranquille de la creuse l’oubli des sales intrigues et la paix magique des paysages. Virgiliens ! Mais hélas ! il avait déjà trop souffert et s’était déjà trop dépensé. La vogue de ses pièces macabres le poussa dans la mauvaise voix des raffinements artificiels et des subtilités morbides, et il en résulta une fièvre cérébrale que la Nature calma sans pouvoir complètement le guérir. Pour s’exercer sur des thèmes salubres, le besoin de produire ne fut pas moins excessif, anormal et consumant. Notre ami continua de voir les choses sous une incidence étrange qui a mis obstacle au retour de la pleine santé intellectuelle. Il a ainsi conquis une intense originalité au prix des forces vitales et la première commotion devait fatalement détruire l’équilibre instable auquel il n’avait pas demandé assez tôt le gouvernement de sa pensée. Voilà donc bien, comme vous le dites, la vraie cause de la mort de Rollinat. La mort de Madame Cécile et le coup de révolver ne sont que des accidents qui ont sans doute hâté, mais peut-être de bien peu, le dénouement inéluctable. En tout cas, je me sens plongé, par l’esprit et par le cœur, dans les ténèbres d’un double deuil. (…)

 

– Lettre de Saint-Pol Bridoux à Fernand des Chaumes datée du 12 novembre 1903, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 326 à 328.

(…)
Oui, mon cher, le pauvre Maurice a été enlevé en dix jours, mais ce qui a causé sa fin, c’est la mort tragique de la femme avec laquelle il vivait depuis vingt ans. Tu connais l’histoire qui a été brodée par les journaux ; au commencement d’août cette femme fut mordue par un petit chien à eux, qui quelques jours plus tard manifestant des symptômes de rage fut abattu. Mme Cécile et surtout Maurice tourmentés et inquiets s’en furent à Paris consulter l’Institut Pasteur, là on ne leur dit rien de formel mais comme l’état de santé de Mme Cécile était déplorable, Maurice, sur le conseil des méde-(page 327)cins, la fit entrer dans une maison de santé où elle mourut quelques jours après.

Ce fut un coup terrible pour notre pauvre cousin qui lui aussi se figura qu’il pouvait être atteint de la rage par la cohabitation. Il n’eût à partir de ce jour-là aucun repos, hanté qu’il était par cette idée fixe ; il retourna à Fresselines, mais ne put s’y supporter, il alla à Crozant, et de là vint échouer à Limoges, dans un petit appartement qu’il loua ; c’est là que le 17 octobre, appelé par une dépêche de son ami Alluaud, je le trouvai dans l’état le plus lamentable qui se puisse imaginer. Lui qui était si peureux demandait la mort et ne voulait faire aucune des prescriptions des médecins. Je restai deux jours auprès de lui, mais comme les médecins ne voulaient plus le soigner, dans ces conditions, et me disaient qu’il fallait le conduire dans une maison de santé, je retournai à Châteauroux afin de décider sa mère de faire le sacrifice très coûteux du transport à Paris et son entrée à la maison d’Ivry. Le 20 octobre j’étais de retour à Limoges et le 21 je le transportais à la maison de santé dans un état des plus alarmants ; une fois là, les médecins de l’établissement me firent espérer que s’ils parvenaient à le nourrir, ils pourraient peut-être le tirer d’affaire, mais il était trop tard et cinq jours après il rendait le dernier soupir sans agonie et sans souffrance, (page 328) s’éteignant épuisé et usé, car la folie est une légende abominable des journaux ; pendant tout le temps, hélas, il a eu une lucidité terrible et ne faisait que prévoir d’une façon dramatique le sort qui lui était réservé. (…)

 

– Lucien Grellety, Souvenirs sur Rollinat – Étude médico-psychologique, Protat Frères imprimeurs, Macon, 1907, 29 pages.

(page 17) (…)
Pour comprendre Rollinat et même si l’on veut, pour admettre en sa faveur les circonstances les plus atténuantes, il faut se souvenir que c’était un malade, un névropathe dans le sens le plus large du mot, avec l’idée de mal étrange, meurtrier, que le public y attache. C’était une sensitive souffrant vaguement de tout, se voyant bâiller et se rongeant sans répit, « en proie au tarissement de toutes les énergies de l’âme et promenant ses regards d’un passé sans regrets à un lendemain sans espérances. »
(…)

(page 18)
Rollinat fait souvent allusion à ses douleurs, à ses malaises, à l’ennui qui le martyrise et le darde de ses aiguillons, aux chagrins qui planent sur lui comme des vautours qui guettent leur proie, etc.

Mon cœur est lourd, la paix m’a fui, aurait-il pu répéter après Schubert.

Je peux donner une explication de cette détresse tragique, faite de la conviction du vide et de l’irréparable misère de tout. – Tant d’accablement n’est pas naturel, il est en opposition avec l’instinct de la conservation, avec la satisfaction que tout être bien pondéré et apte à l’effort ressent dans l’accomplissement de sa tâche, quelque lourde qu’elle soit.

Rollinat racontait volontiers, et je puis le répéter, je suppose, sans lui nuire, que, livré à des soins mercenaires, il avait été victime de bonne heure de la lubricité ancillaire et initié à des jeux, qu’on apprend généralement beaucoup plus tard. Son existence ressemble dès son début à un lendemain d’orgie. – Cette expérience précoce, cause d’excès prématurés, fut assurément le point de départ du détraquement de son système nerveux. La sève :

Source délicieuse en misères féconde

(Polyeucte)

avait fermenté trop tôt dans cet organisme impressionnable.

On comprend que pareil sensitif ne devait pas aimer par à peu près et, lorsqu’il se reprenait, il se laissait volon-(page 19)tiers conduire par l’âme athénienne de Diogène. – Il aimait alors l’existence d’ici-bas, à la façon des personnages de Capus, sans se préoccuper démesurément s’il y en a une autre, et sans vouloir surtout acheter la seconde très problématique, au prix de la première très certaine.

Ces bordées intermittentes étaient suivies d’abattement et de prostration ; il avait besoin de stimulants pour se remonter, avant de reprendre la tâche interrompue, et il ne fut pas toujours d’une sobriété exemplaire, durant les nuits passées à discourir. On ne séjournait pas impunément, de la vesprée à l’aurore, dans l’atmosphère pestilentielle du Chat noir ou de la cave infecte où se réunissaient les hydropathes. Les vapeurs du tabac, les relents d’humanité, la température extrême aux jours d’affluence surtout, en faisaient des lieux éminemment insalubres. – Pour y résister, ainsi qu’aux criailleries, aux déclamations, à l’ambiance exaltée ou gouailleuse du public, il était nécessaire d’ingurgiter les breuvages les plus toxiques, les plus invraisemblables. On avait facilement la pépie et les rafraîchissements de toute nature, de toute couleur, s’imposaient, au seul profit du cabaretier.

On sentait vraiment le renfermé, en sortant de ces antres, et on conçoit que ces éphèbes exaltés éprouvassent ensuite le besoin de déambuler, de faire des courses effrénées, malgré l’heure, malgré le temps, en quête d’une choucroute indigeste, durant que la volupté, attardée au coin des rues, se faisait, avec des yeux de braise, plus pressante et aussi plus dangereuse.

Ce n’est évidemment pas dans la Creuse, où il ne deman-(page 20)dait qu’à se faire oublier au moins momentanément, sans y réussir, avec les maigres ressources dont il disposait et en pêchant à la ligne, qu’il aurait pu détraquer son estomac, devenu sur le tard fort ombrageux. – Cette vie simple et frugale, au grand air, contribua au contraire à le conserver quelques années de plus, en réparant en partie le désastre des années de noctambulisme, où, comme la reine de Silistrie (Éducation de prince), il fallait qu’il ne dépensât pour ne pas éclater. – Il y engourdissait au contraire sa tristesse et sa névrose, comme avec un opium bienfaisant, car il aimait la clé des champs autant que la clé de sol ; il s’évaporait doucement en rêveries, tout en pourchassant la rime, en ciselant ses phrases, adornées de verbes précieux et d’épithètes imagées. Les joies que lui procurait la nature en fête, le beau sous ses espèces les plus simples, lui faisaient oublier tout le reste ; c’était une sorte d’enivrement. La vue d’une coccinelle en pourpre cardinalice, d’une libellule folâtre, d’un scarabée aux ailes chatoyantes, des gemmes multicolores de l’arc-en-ciel, la chanson du passant par une nuit sereine, per amica silentia lunœ, suffisaient pour le distraire, pour écarter les préoccupations prosaïques. – Il s’apitoyait sur une rose effeuillée, sur un nid vide, se détournait prudemment pour ne pas voir s’éteindre le petit phare du ver luisant, qui éclairait peut-être un bal de bestioles, ou tout au moins les empêchait de s’égarer.
(…)

(page 27) (…)
Rollinat, qui était taillé pour devenir centenaire, a succombé cependant plus âgé qu’on ne le croyait généralement, sans avoir vidé jusqu’à la lie la coupe d’iniquités, que lui représentait le passage des terriens sur notre planète. Il (page 28) mettait une certaine coquetterie à dissimuler son extrait de naissance ; mais il avait la soixantaine lorsqu’il a disparu. Il n’y avait pas eu du vieillard en lui de très bonne heure comme on l’a insinué. – Ce n’est que tardivement que son corps avait subi la déchéance inévitable. Son esprit conservait sa lucidité, sa vigueur, mais l’animalité était touchée dans ses éléments essentiels ; par moment, il se sentait prostré, abattu, ne pouvait plus réagir. Il avait beau s’être retrempé et raffermi dans la nature, il se considérait comme un vaincu, comme le jouet pitoyable du destin qui se rit de nous, et cela le poussait à respirer de nouveau la fleur empestée du nihilisme, à absorber du fiel comme d’autres boivent du petit-lait, à envisager le présent et l’avenir à travers un prisme embué de mélancolie et de terreurs, à jeter à tous les échos ses lamentos en mineur, plein de révolte et de désespoir.

Je l’ai revu quelques mois avant l’ultime séparation, alors qu’il était déjà ridé et flageolant. Son aspect amaigri nous avait tous frappés. Par une chute brusque, il était tombé tout d’un coup, au lieu de s’abîmer graduellement. Comme Gustave Flaubert, avec lequel il sympathisait de façon si étroite, il aurait pu répéter (Lettre à George Sand) : « Je n’attends plus rien... Il me semble que je traverse une solitude sans fin, pour aller je ne sais où. Rien ne me soutient plus sur cette planète que l’espoir d’en sortir prochainement et de ne pas aller dans une autre, qui pourrait être pire. »

Il nous fit frissonner en nous redisant d’une voix d’outre-tombe, avec des regards anxieux, qui faisaient prévoir les (page 29) angoisses prochaines, et un désir de néant, son terrifiant De profundis sur les yeux.
(…)

 

– Louis Lacrocq, A travers nos provinces, Deuxième série, Imprimerie Guillemot et de Lamothe, Limoges, 1935, 144 pages.
« Sur Maurice Rollinat », pages 66 et 70.

(page 67) (…)
En lisant la thèse de doctorat d’un jeune médecin limousin dont Rollinat est le sujet, je revoyais le salon de La Pouge. Brusquement, interrompant la conversation, le poète s’allongeait sur le petit canapé de velours rouge, fermait les yeux et passait sur son front son « crayon anti-migraine ». Le mal, qui rodait toujours, le tenait sous son étreinte pendant quelques minutes, puis l’abandonnait et on retrouvait Rollinat plein de flamme et de verve. Ses souffrances intermittentes n’étaient pas le fruit de son imagination. (…)

 

– III – Textes ou articles de presse parlant de la santé de Maurice Rollinat

– Lettre d’Alphonse Allais à Maurice Rollinat non datée (mais vraisemblablement entre 1878 et 1883), publiée par Émile Vinchon dans La vie de Maurice Rollinat, page 265.

Mon cher Rollinat, pas pu aller vous porter hier bibelots en question. Encore aujourd’hui hermétiquement bloqué. Petite bouteille contenant iodure de potassium en solution très concentrée. Prendrez matin et soir une petite cuillerée (avec petite cuillère) dans un peu d’eau sucrée (chaque petite cuillère contient exactement 1/2 gramme d’iodure. Il y en a pour deux mois juste).

Quant à pilules ferrugineuses, 3 par jour.

Vieille poignée de main.

A. Allais.

Remarque de Régis Miannay : Le célèbre humoriste était aussi connu de ses amis comme chimiste et semble leur avoir, à l’occasion, fourni des médicaments. L’iodure de potassium était utilisé en particulier comme traitement de la syphilis. (Note 19, page 402 en référence à un texte de la page 377 de Maurice Rollinat, Poète et Musicien du Fantastique, 1981.)

 

– Le Temps du 25 octobre 1899, page 2.
Article « Maurice Rollinat, Pêcheur de truites » d’Adolphe Brisson.

(…) Devant nous se dressent les tours blanches du château de Puyguillon, que soutiennent dans les airs des blocs de rochers cyclopéens. Le spectacle est magnifique ; le poète ne se lasse pas de l’admirer ; et quoique ses yeux en possèdent tous les détails, il goûte un nouveau plaisir à me les décrire.

– Distinguez-vous là-bas, cette cabane, au milieu des arbres ? Je l’ai d’abord habitée. J’y ai composé mon volume des Apparitions. Puis, la trop grande humidité et la menace des rhumatismes m’ont contraint de regagner le sommet du coteau. (…)

Remarque de Régis Crosnier : Maurice Rollinat a habité au lieu-dit Puy Guillon de mi-septembre 1883 à mars 1884, avant de s’installer à La Pouge. Il ne s’agissait pas d’une « cabane, au milieu des arbres », mais d’une maison au milieu du hameau, même si celui-ci est entouré d’arbres. Il y a commencé son livre L’Abîme qui est paru en 1886. Son volume Les Apparitions n’a été publié qu’en 1896.

 

– Gil Blas du 27 octobre 1903, pages 1 et 2.
Article « Notes et souvenirs – Maurice Rollinat » de Georges Loiseau.

Le poète Maurice Rollinat est mort hier, dans une syncope, à la maison de santé du docteur Moreau de Tours, à Ivry.

Et voilà que me reviennent nets, précis, à la mémoire, les détails de la journée où je vis, pour la dernière fois, l’auteur des Névroses.

Vers la fin d’août, par une des rares matinées jolies de la saison, nous remontions de la Creuse, à Gargilesse, Arthur Maillet, le secrétaire du Comité Dupleix et moi. (…). Chemin faisant, je projetais d’aller à Fresselines excursionner et je m’informais de la présence de Rollinat dans le pays. (…)

Maillet me certifiait qu’avant peu nous verrions le poète chez notre ami commun, Léon Detroy, le peintre, quand le facteur, nous ayant croisé, nous remit nos lettres.

Son courrier à peine ouvert, Maillet poussa un « oh » douloureux.

Je me rapprochai de lui :

– Qu’est-ce qu’il y a ?…

– La femme de Rollinat, me dit-il, a été mordue par son petit chien, ou léchée seulement, on ne sait… Le docteur Bertrand l’a expédiée à l’Institut Pasteur, hier. C’est grave ! On est très inquiet, paraît-il.

En une minute, la nouvelle se répandit dans le village, où chacun connaît les Rollinat, vieille famille des environs d’Argenton-sur-Creuse. Et des visages terrifiés, angoissés, apparurent, ceux d’intimes du poète, parmi lesquels le peintre suédois Allan Osterlind et sa famille.

Deux jours durant, toutes les conversations retentirent du pénible sujet.

Le troisième courrier nous informa du tragique dénouement. La blessée, à peine débarquée et hospitalisée dans une maison de santé, terrassée par une crise effroyable dont elle mourait…

– Et lui, questionnait-on ? que va-t-il devenir, livré à soi-même, égaré, isolé, désolé ?…
(…)

– Il n’y résistera pas… C’est trop ! Pauvre homme !… Par quelles terreurs il a dû passer ! Lui qui sentait déjà sa volonté lui échapper chaque jour.

Un mois après cet événement terrible, nous passions à plusieurs devant la maison de Fresselines. Une ménagère y rentrait, franchissant la porte ouverte dans la simple barrière d’échalas. A travers les arbres fruitiers qui l’entourent, elle montrait ses trois fenêtres à rideaux modestes, et l’intérieur personnel, confortable, du poète apparaissait par la porte béante. Mais du logis rustique et d’arrangement très artiste cependant, le maître était éloigné. Deux heures plus tard nous le croisions à Crozant, au pied des ruines féodales qui surplombent dans un cadre de granit abrupt fleuri de bruyères sau-(page 2)vages, la Creuse et l’embouchure de la Cédelle. La marche difficile, il avançait lentement, chaudement vêtu, portant, sur des épaules qui se voûtaient, une tête à la chevelure encore opulente, mais grisonnante. Le masque était plus tourmenté que jamais avec sa moustache en brosse, ses méplats accusés, son nez fort, ses yeux creux, mais quel changement dans la vie de ses regards ! Déjà sous le front haut un sourd travail de ruine s’accomplissait. Ce n’était plus le Rollinat de l’excellent portrait d’Osterlind qu’on voit au musée de Châteauroux. La hantise du sinistre drame poursuivait sous ce crâne son œuvre malfaisante, et le poète l’avouait, seuls, les narcotiques, les stupéfiants, aussi néfastes, l’aidaient à oublier. (…)

Remarque de Régis Crosnier : Il ne s’agit pas de la femme de Maurice Rollinat qui a été mordue, mais sa compagne Cécile Pouettre.

 

– Le Temps du 3 novembre 1903, page 3.
Article « Le suicide de Maurice Rollinat (Lettres inédites) » de Raoul Aubry.

(…)
Maurice Rollinat fut affecté cruellement par ce drame effroyable [le décès de Cécile Pouettre]. Il souffrait depuis longtemps d’un mal profond qui le dévorait. Ses forces diminuaient rapidement. Sa compagne disparue, il eut des accès de désespoir, se désola sur sa déchéance physique, et les conseils affectueux des amis chez lesquels il avait trouvé asile, à Limoges, furent vains : il se frappa d’une balle de revolver qui traversa le menton, la bouche, brisa le palais et sortit au-dessus des narines. On le transporta discrètement à Ivry, où les soins les plus assidus lui furent prodigués. On le crut mieux. Lundi matin, le docteur Moreau de de Tours pénétra dans sa chambre :

– Eh bien ! vous voulez donc guérir ?

Il sourit ; les paupières lourdes, relevées doucement, découvrirent ses prunelles déjà noyées de brume ; il se dressa légèrement, et répondit :

– Oui, j’ai passé une bonne…

Il n’acheva pas. Sa tête fatiguée retomba ; il eut un petit sanglot d’enfant, et il mourut.
(…)

 

– Le Matin : derniers télégrammes de la nuit du 3 novembre 1903, page 2.

LA MORT DE ROLLINAT

Bruits de suicide – Ce qu’on dit à Ivry – Les résultats de notre enquête.

(…)
A la maison de santé du docteur Moreau de Tours, à Ivry, M. Dheur, médecin adjoint, nous a déclaré hier soir à ce sujet :

– Il est exact que Rollinat se tira une balle dans la tête. Ce fut quelque temps avant d’entrer ici. Profondément affecté par une attaque d’entérite, il voulait se détruire. Mais le projectile, de six millimètres seulement, ressortit par une des fosses nasales, après avoir traversé la voûte palatine. Il en résulta une hémorrhagie peu grave. Lorsque Rollinat entra chez nous, la blessure était complètement cicatrisée.

M. Dheur ajoute :

– Il est aussi inexact de dire que Rollinat est mort dans un accès de folie que de prétendre qu’il a succombé aux suites de sa tentative de suicide. En réalité, Rollinat n’a jamais été privé d’aucune de ses facultés mentales. Il est mort d’un marasme physiologique, contre lequel aucuns soins ne pouvaient prévaloir.

Remarque de Régis Crosnier : De nombreux journaux ont repris cette information en attribuant ces paroles du Dr Moreau de Tours.

 

– Revue universelle de 1903, pages 617 à 626.
Article « Maurice Rollinat (1846-1903) » de Gustave Geffroy.

(…) Mais tout ce qui a été dit et imprimé dans les journaux est contraire à la vérité. Rollinat était parfaitement lucide et sa légère blessure était cicatrisée, le jour où il est mort à Ivry, le 17 octobre 1903, d’une maladie d’intestins dont il souffrait depuis longtemps. (…)

Remarque de Régis Crosnier : Maurice Rollinat est décédé le 26 octobre 1903 et non le 17 octobre.

 

– Joseph Pierre, Le vrai ROLLINAT – Revue de la Presse (Librairie Léon Vanier, éditeur, Paris, 1904, 63 pages).

(page 47) (…)
Ne pouvant se soigner à Fresselines, ni y endormir son cuisant chagrin, il vint à Crozant demander à un ami fidèle, le peintre Alluaud, asile et soins pour le corps et l’âme. Celui-ci le trouvant fort mal, décida de l’amener à son domicile de Limoges où il pouvait recourir plus facilement à la science des médecins. Le docteur Gilbert Ballet se trouvait justement de passage dans le pays, et Rollinat commença, sans résultat, un traitement indiqué par l’éminent praticien. Mais la maladie, paralysie de l’estomac et des intestins, tumeur carcinomateuse non reconnue, comme l’ont soupçonné certains docteurs, entérite aiguë suivant d’autres, la maladie faisait des progrès précipités ; on ne pouvait plus le nourrir qu’à la sonde œsophagique et encore son estomac supportait-il difficilement le bouillon et le lait. Il était réduit à rien : il ne pesait que 44 kilos ! C’est alors que sa famille consultée décida son transfert immédiat à Paris, dans une maison de santé où le docteur Ballet revenu pourrait diriger le traitement sous ses yeux.

Ce fut le mercredi, 21 octobre, qu’il quitta Limoges, accompagné de son cousin ; M. Saint-Pol Bridoux, et fut confortablement installé à Ivry, dans la maison de santé du docteur Moreau de Tours. On espérait néanmoins le sauver ; les pra-(page 48)ticiens, d’après le Jiornale d’Italia, affirmaient même qu’il serait guéri en quarante jours ou deux mois : lui seul ne s’illusionnait pas et répondait : « c’est la fin… la charogne se vide ! » faisant allusion à ce flux de matières et de sang qu’il était maintenant impuissant à retenir.

Et vidé en effet, totalement épuisé, comme la lampe qui n’a plus d’huile, il s’éteignit très doucement dans une syncope, le lundi, 26 octobre, à huit heures trois quarts de la matinée.
(…)

 

– Revue du Berry du 15 mars 1904, pages 73 à 85.
Article « Souvenirs de Fresselines » d’Albert Chantrier.

(page 85) (…) [dans la maison de La Pouge]
Le canapé où le cher disparu s’étendait après chaque repas contemplant, causant dans la bonne sauvagerie flânante et lézardeuse.

Son inséparable crayon migraine, qu’il se passait constamment sur le front.
(…)

 

– Revue du Berry de janvier 1905, pages 1 à 11.
Article La vérité sur Maurice Rollinat d’après sa propre correspondance. – (Lettres inédites) de Joseph Pierre.

(page 10) (…) C’est la dernière phase, précipitée, de cette maladie de 10 années – la période où le moribond commençait à « se vider », suivant sa tragique expression – qu’on a intitulée officiellement « attaque d’entérite », conséquence en réalité d’un carcinome intestinal avec paralysie consécutive. (…)

 

– La Chronique médicale n° 21 du 1er novembre 1906, page 706.
Rubrique « Échos de la "Chronique" ».

Comment est mort Rollinat.

Le 26 octobre 1903 (?) Rollinat, dont ses amis honoraient la mémoire ces jours derniers (1), mourait à la maison de santé d’Ivry.

Divers bruits circulèrent à ce sujet ; et la fin du poète était restée, aux yeux de bon nombre, mystérieuse autant qu’étrange.

Pour pénétrer l’énigme, Georges Montorgueil est allé interroger le Dr P. Dheur, qui avait soigné Rollinat dans les derniers jours de sa vie, et voici ce que notre confrère, sans prendre trop de souci du secret professionnel, lui a révélé :

« Rollinat est arrivé le 21 ; il portait les traces d’un coup de revolver tiré avec une arme du calibre de six millimètres, au-dessous du menton. La balle était entrée jusqu’à la hauteur des fosses nasales, et avait été extraite.

« La blessure était déjà cicatrisée le 26, jour de la mort ; elle était à peine visible. Elle n’avait jamais eu un caractère de gravité, le voile du palais ayant été seulement perforé. Le décès n’est pas dû à cette blessure. Rollinat est mort du marasme physiologique que nous désignons sous le nom de cachexie neurasthénique ; c’est à la neurasthénie, compliquée d’entérite, qu’il a succombé. Il n’a jamais été atteint d’aliénation mentale. Et, jusqu’à la dernière heure, son esprit est resté lucide. »

L’auteur des Névroses ne pouvait mourir que névropathe ; c’était la seule fin digne de lui.
(…)

(1) V. les journaux du 22 octobre.

 

– L’Intermédiaire des chercheurs et curieux n° 1129 du 10 novembre 1906, page 696.

(…)
La fin de Maurice Rollinat a pu donner lieu à de passionnées controverses, mais la vérité a été établie maintes fois par le récit de ses amis, les articles documentés précis de certains de ses confrères, les lettres même des docteurs qui le soignèrent jusques à la dernière seconde.

Il est actuellement démontré que le poète des Névroses n’a point succombé à la blessure peu grave qu’il s’était faite à l’aide d’un petit revolver sans puissance. Lorsqu’il eut recours à cette arme, ce fut dans une crise de désespoir et, pour ainsi dire, par effroi de la mort qui, déjà descendait en son être. Cette tentative de suicide n’avança même point son heure dernière, la petite plaie de la voûte du palais s’étant cicatrisée presque aussitôt. Maurice Rollinat mourut le 28 octobre 1903, du marasme physiologique que les spécialistes désignent sous le nom de cachexie neurasténique. Il avait conservé toute sa raison. Son corps avait atteint à un état de maigreur et de dessèchement comparable à celui des victimes de la famine de l’Inde, que nous montrèrent certaines photographies. Il était semblable aux squelettes qu’il s’était tant plu à chanter dans son œuvre macabre. Il s’en est allé « fantômal », comme il avait vécu dans un rêve morbide.

Octave Uzanne.

 

– L’Information financière, économique et politique du 18 mai 1921, page 3.
Article « Notes villageoises – Les Poètes chez les Paysans (A propos d’une croix, d’un centenaire et d’une biographie) » d’Émile Guillaumin.

(…) [en parlant du livre d’Émile Vinchon, Maurice Rollinat, Étude biographique et littéraire (Jouve & Cie Éditeurs, Paris, 1921, 248 pages)]
J’ai eu la surprise et le plaisir d’y trouver la relation d’une visite que j’eus l’occasion de faire au solitaire de Fresselines le 25 mai 1902. Bien qu’il n’eût encore que cinquante-six ans, Rollinat était déjà un vieillard, un vieillard aux longs cheveux gris, à la figure ravagée, aux yeux ardents. La catastrophe toute récente de la Martinique lui servit de thème à une dissertation sur la faiblesse humaine, en présence de la puissance impassible de la nature, et il s’étonna que nous ayons, chétifs, le courage de travailler malgré l’idée désespérante de la mort imminente…
(…)

 

– Les Feuilles du Bas-Berry n° 33, août 1930, page 803.
« La fin de Maurice Rollinat d’après le Docteur Humbert » d’Émile Quillon.

Le 21 septembre 1905, au Blanc, rue du Gué, je rencontrai au chevet d’une jeune malade pour laquelle il ressentait un grand intérêt, un chirurgien des Hôpitaux de Paris, le Docteur Humbert, frère de Ferdinand Humbert célèbre par ses fresques du Panthéon.

Après un entretien assez long, il m’accompagna non moins longuement par les rues de la ville. Homme simple d’allures et d’une tournure d’esprit aimable, il me parla du Berry qu’il paraissait connaître et de son ami Maurice Rollinat.

La mort de ce dernier remontait à deux ans à peine et, encore impressionné par les détails imprécis donnés sur son décès, je résolus de m’instruire auprès de mon interlocuteur sur une question aussi intéressante.

Voici ce qu’il me raconta : « Déprimé considérablement au point de vue moral et physique, tant à cause de la mort de son amie (due non à la rage, mais au tétanos consécutif à des abcès multiples ainsi qu’en présentent les morphinomanes) que par une affection chronique que le docteur Humbert ne spécifia point, Rollinat décida d’en finir avec l’existence. Pour se suicider, il utilisa un revolver de petit calibre, mais la balle qu’il s’envoya dans la bouche ne lui fit qu’une plaie insignifiante. Chez un autre que lui, pareille lésion n’eût entraîné aucune conséquence fâcheuse ; chez un cachectique de son espèce, la perte de sang qui s’ensuivit fut très grave. Soigné à Limoges, puis à Ivry, il trépassa bientôt. »

Dans notre conversation, il ne fut question ni de folie, ni de lésion intestinale d’origine néoplasique. J’étais édifié. Désormais, il m’était facile d’interpréter à leur juste valeur les excès des critiques en quête d’un article sensationnel et les fables des amis complaisants qui voulaient à tout prix déformer la vérité et passaient sous silence le coup de feu manqué. Les jours de Maurice Rollinat étaient évidemment comptés ; ce fut la saignée intempestive qui rompit un équilibre instable et hâta le dénouement.

 

– Æsculape n° 3, mars 1932, page 82 à 89.
« Le poète Maurice Rollinat était-il atteint de névrose ? » par le Docteur Émile Quillon.

[À la fin de sa vie] (page 85)
(…) Les souffrances physiques le tenaillent. Elles datent de loin : « Migraine, entérite, rhumatismes, dyspepsie, toutes les calamités qui accablent l’espèce humaine sont liguées contre lui » (1). Il suit toutefois en général un régime alimentaire fruste, il ne boit que de l’eau. Il ne faut pas songer à lui enlever sa pipe. (…)

(1) H. Lapaire, ibid., p. 214.

(page 88) (…)
Jamais notre poète n’a présenté de troubles de l’intelligence. Chez lui, les fonctions d’acquisition, de conservation et d’élaboration étaient remarquables. Tous lui reconnaissent des qualités d’observateur exceptionnelles. Elles se manifestent à chaque page de ses livres.

La sensibilité de Rollinat était exquise. Plaisirs, douleurs physiques avaient sur lui un effet considérable. Quant aux sentiments, aux passions pour emprunter le langage du XVIIe siècle, ou aux émotions suivant les philosophes anglais contemporains, ils étaient extrêmes. Rollinat réagissait en émotif. Sa passion la plus forte après l’amour était la crainte. Ce sentiment de peur, il l’éprouvait au paroxysme. Rappelons-nous l’hallucination relatée plus haut et qui n’était probablement motivée que par une méprise de son imagination exaltée. (…)

Remarque de Régis Crosnier : L’hallucination évoquée par la Dr Émile Quillon, s’est produite vers la vingtième année. Elle a été racontée par Alphonse Ponroy, page 345 de son article « Maurice Rollinat – L’Homme et l’Artiste – I » paru dans L’Hirondelle – Revue littéraire, pédagogique et artistique – Organe hebdomadaire de l’Académie de l’Ouest, n° 44 du 31 octobre 1885.

 

– Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques du 24 mars 1934, page 1.
Article « Du nouveau sur Rollinat » de Lucien Descaves.

(…) Il survécut à deux tentatives de suicide ; mais il ne mourut pas fou, comme dirent des personnes mal informées. Il mourut d’un cancer de l’intestin. Sa cachexie fut rapide. Il ne pesait plus que 44 kilos et l’on devait l’alimenter à la sonde. (…)

 

– Bulletin de la Société "Les Amis de Maurice Rollinat" n° 3 de juillet 1957, pages 4 à 8.
Article « Que voilà un bon débarras !… ou le Rond-de-Cuir et le Poète » Georges Lubin.

(page 7) (…)
Précisons néanmoins que l’on peut déduire, de deux certificats, de médecins différents, et de dates éloignées (1873 et 1879), que Rollinat souffrit longtemps, peut-être toujours, d’une entérite.

 

– Bulletin de la société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 22 – Année 1983, pages 19 à 27.
Article M. Eugène ALLUAUD nous parle de son ami : le poète Maurice Rollinat.

(page 25) Rollinat est revenu à Fresselines [après le décès de Cécile Pouettre]. La douleur et l’anxiété le dévoraient. Atteint, en outre, d’entérite grave, il fit de la neurasthénie aiguë.

 

– IV – Thèses de médecine sur Maurice Rollinat

– Dr Félix Codvelle, Essai sur la psychose de Rollinat, A. Rey, imprimeur-éditeur de l’université, Lyon, 1917, 104 pages.

Document sous droits.

 

– Raymond Frugier, Thèse pour le doctorat en médecine (diplôme d’État), faculté de médecine de Paris, année 1929, Étude médico-psychologique sur Maurice Rollinat ou Contribution à l’étude des Rapports du Génie poétique et de la Névropathie, 106 pages.

Document sous droits.

 

– Docteur Roger Grimaud, Maurice Rollinat, Étude médico-psychologique, Le poète, le musicien, le malade, Bordeaux, Imprimerie de l’université, 1931, 103 pages.

Document sous droits.

 

(NB 1 : Les extraits provenant des collections de la médiathèque de Châteauroux ont été mis en ligne avec l’autorisation de M. Sébastien Rahon, Directeur de la Culture et Directeur du réseau des bibliothèques de la ville de Châteauroux, en date du 11 septembre 2023.)

(NB 2 : Ne figurent pas dans cette recherche les travaux des biographes de Maurice Rollinat comme Émile Vinchon, Hugues Lapaire ou Régis Miannay.)