Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

L’Écho de Paris

Mardi 15 mars 1892

Page 2.

(Voir le texte d’origine sur Gallica.)

 

 

Chronique des Livres

(…)

II. – La Nature, poésies par Maurice Rollinat. (Librairie Charpentier.)

Le poète aux savoureuses chansons rustiques des Brandes a agrandi sa vision et modulé son chant sur un ton plus haut, sur un mètre plus large. Le pipeau simplement agreste a fait place à la lyre complète où vibrent toutes les harmonies éparses du sillon, du bois, des prés, des cours d’eau, de la branche qui tremble et de l’oiseau qui s’envole.

Très peu de personnages animent ce vaste décor panthéiste. Quelques silhouettes de casseurs de pierres, de vieux pauvres qui font l’effet, par les chemins, avec leur longue barbe blanche, de patriarches anciens, le fossoyeur qui incarne le destin, en comblant tout seul la fosse de six pieds qui bâille sous la roche, sont là seulement pour marquer la place de l’humanité dans le drame naturiste. Mais au fond de l’eau diaphane où brillent les poissons d’argent, d’or, de topaze et de nacre, à la pluie vernissant les feuillages, aux branches, aux herbes qui poussent au long des pentes ravinées, annonçant le renouveau, au rocher et aussi aux animaux paisibles et gracieux, libellules, moutons, coucous, voire aux terribles ou aux hideux, vipères, crapauds, chats-huants, la pensée du poète offre la guirlande des rythmes réguliers et la corbeille des strophes égales. Il célèbre aussi les instruments qui semblent, comme le sabre du guerrier, faire partie de l’équipement de la Nature : la charrue abandonnée et sinistre et la vieille hache que ronge la rouille implacable. La hache se plaint :

Ton acharnement me confond !
Qu’es-tu donc ? – La rouille répond :
– Je suis la vengeance de l’arbre !

L’unité, la parfaite ordonnance et la sobre tonalité de ce recueil de poèmes, tout imprégnés d’une bonne odeur de terre, et qui sont comme un épithalame discret à la Nature aimée ainsi qu’une fiancée, ne feront que confirmer la réputation déjà faite de M. Maurice Rollinat. Ce sont surtout des natures mortes qu’a peintes l’auteur, mais ces mortes-là sont pleines de vie.

E. LEPELLETIER.

 

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – Edmond Lepelletier (né le 26 juin 1846 à Paris, décédé le 22 juillet 1913 à Vittel, Vosges), est un avocat et un homme de lettres. Il sera de 1902 à 1906, député de la Seine (https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb126205039). Il a été membre des Hydropathes et a participé dès le début aux séances du Chat Noir.

– 2 – Edmond Lepelletier avait déjà fait des présentations des livres de Maurice Rollinat :

* dans Le Réveil du 22 février 1883, page 1, il publie un article intitulé « Les Névroses » dans lequel il présente Maurice Rollinat et son livre de manière ironique et négative ;

* dans Le Réveil du 3 août 1883, page 1, c’est dans un article intitulé « Dans les Brandes » qu’il présente la nouvelle édition de ce livre, en l’opposant à l’ouvrage Les Névroses et en faisant peu de compliments ;

* dans sa « Chronique des Livres » parue dans L’Écho de Paris du 7 juin 1886, page 1, Edmond Lepelletier fait une courte présentation de L’Abîme.

Le premier paragraphe de cet article semble indiquer qu’il a évolué dans sa perception de la poésie de Maurice Rollinat qu’il qualifie maintenant de « poète aux savoureuses chansons rustiques ».

– 3 – Les vers « Ton acharnement (…) vengeance de l’arbre ! » sont les trois derniers du poème « La vieille Hache » (La Nature, page 31).