Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

L’Hirondelle – Revue littéraire, pédagogique et artistique – Organe hebdomadaire de l’Académie de l’Ouest

N° 25 du 19 juin 1886

Page 200.

(Voir le texte d’origine sur Gallica.)

 

 

BIBLIOGRAPHIE

L’ABIME

L’Abîme, dont l’Hirondelle a déjà publié quelques pièces, l’Abîme, le nouvel ouvrage de Maurice Rollinat, est enfin paru. Les psycologues, les amateurs de livres étranges, les artistes et tous les lettrés peuvent maintenant régaler leur curiosité. Ceux qui étudient l’âme humaine y rencontreront des enseignements profonds, ceux qui aiment l’étrangeté seront satisfaits et les artistes quels qu’ils soient y trouveront du grand art, des descriptions archi-fouillées, des termes pesés avec des balances les plus justes et les plus sensibles : en un mot des vers écrits avec la dernière patience où rien ne manque, où rien n’est de trop. – c’est du diamant.

Ce livre aura-t-il beaucoup d’admirateurs ? Non. Pour plusieurs raisons. La première, c’est que dans la masse de ceux qui lisent, bien peu sont assez sensibles pour comprendre l’art raffiné de Rollinat. La deuxième, c’est que ce livre, bien que portant sur la partie immatérielle de l’homme, est tout images, et que les images ne sont pas comprises par tout le monde. Mais les vrais artistes, les profonds, ceux qui pèsent, comprendront l’Abîme.

Je n’ai pas le tempérament de Rollinat ; comme artiste, je ferme les yeux sur le mal, sur la pourriture pour les ouvrir tout grands sur ce qui rend heureux : beaux paysages, belles filles et bons mets ; mais cela ne m’empêche pas d’être un de ceux qui le considèrent comme le premier de nos poètes. Oui, premier et je ne m’en dédis pas ; premier par la force, premier par la profondeur, premier par l’originalité, premier par le rhythme, premier par la souplesse, premier par la justesse des mots et des expressions et premier comme ouvrier du vers.

Du reste, comment voulez-vous qu’il ne soit pas le premier ? Les écrivains contemporains veulent tout faire : prose, vers, romans, comédies, drames, journalisme, et ils empilent et ils empilent. Ce n’est pas ainsi que l’on réussit, que l’on fait quelque chose où il n’y ait rien à dire. On gagne peut-être de l’argent, mais on ne fait rien de durable. Ce qui est bâti à la hâte ne reste pas dans la suite des temps.

Comme poète, peut-être que Maurice Rollinat pourrait être égalé par Richepin ; malheureusement, Richepin qui a de la force, de l’originalité, est dépourvu de goût. Sa muse est une jument mal éduquée qui donne des coups de pieds à droite et à gauche, mais souvent mal à propos. La muse de Rollinat est une cavale sauvage d’une souplesse extrême qui ne se sert du jarret que quand il faut ; ou plutôt la muse de Rollinat est une vipère flexible, tantôt légère, tantôt effroyablement gigantesque et cette vipère est conduite par Satan.

Tout en effet est rempli de mauvais dans l’Abîme, comme dans les Névroses.

Les pièces principales sont : le Facies humain, la Pensée, l’Hypocrisie, le Pressentiment, la Luxure, l’Enigme, etc. Ces pièces sont entremêlées de plus modestes telles que : l’Intérêt, la Dernière Visite, le Blafard, le Pardon, la Haine, etc.

J’ai dit quelque part que la devise de Maurice Rollinat était : Peu, mais bien, nouveau et étrange. Il a tenu parole. Non seulement dans l’Abîme, il est nouveau par le fond, mais il l’est encore par le rhythme, et ce n’est pas le point qui m’a le moins intéressé.

En résumé, l’Abîme me fait l’effet d’être le bréviaire du mal : bréviaire dont le contenu a été pensé par un philosophe angoisseux et profond et écrit par un poète étrange doué d’une extraordinaire imagination.

Alphonse Ponroy.

 

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – Alphonse Ponroy a très bien connu Maurice Rollinat, il était instituteur à Chantôme, c’est lui qui lui a trouvé la maison de Puy-Guillon et l’a aidé à s’installer. Il avait déjà publié un article intitulé Maurice Rollinat – L’Homme et l’Artiste, dans L’Hirondelle n° 44 du 31 octobre 1885, pages 345 et 346, et n° 45 du 7 novembre 1885, pages 354 et 355.

– 2 – Alphonse Ponroy commence son article par : « L’Abîme, dont l’Hirondelle a déjà publié quelques pièces », or nous n’avons trouvé que le poème « La Honte » (L’Abîme, pages 164 à 167) paru L’Hirondelle n° 19 du 8 mai 1886, page 147. Après cet article, un second poème « Dernière visite » (L’Abîme, pages 105 et 10) paraîtra dans L’Hirondelle n° 28 du 10 juillet 1886, page 219.

– 3 – Dans le premier paragraphe, il faut bien évidemment lire « psychologues » au lieu de « psycologues ». Est-ce une faute de typographie ou est-ce une orthographe volontaire d’Alphonse Ponroy qui privilégie une écriture liée à la phonétique plutôt qu’une « orthographe étymologique » comme il l’explique dans une lettre à un éditeur publiée dans Le Gaulois du 22 février 1887, page 2, article « Éditeurs ! A vos presses ! ».