Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

La Justice

Dimanche 9 avril 1893

Page 1.

(Voir le texte d’origine sur Gallica.)

 

 

CHRONIQUE LITTÉRAIRE

Le Livre de la Nature, choix de poésies pour les enfants, par Maurice Rollinat, avec lettre-préface de George Sand. (Delagrave, éditeur.)

Dans la lettre de George Sand, datée de Nohant, 1872, et qui est adressée à Maurice Rollinat, alors débutant en poésie, le romancier de la Mare au Diable et de la Petite Fadette se plaint qu’il n’y ait pas, les Fables de la Fontaine exceptées, de pièces de vers pour les enfants, et réclame pour eux un recueil de poésies. Le jeune poète de 1872, devenu le poète des Névroses, de l’Abîme et de la Nature, s’est souvenu du conseil qui lui avait été donné autrefois, et il publie aujourd’hui, chez Delagrave, un petit volume qui contient une soixantaine de pièces extraites de son œuvre. Ce sont des poèmes descriptifs, de rapides biographies ou portraits d’animaux comme la Petite souris, l’Ecureuil, l’Ecrevisse, le Petit Renardeau, la Grosse anguille, le Petit lièvre, les Moutons, le Grillon, etc., – des apparitions de personnages de la campagne, tels que le Meunier, les Vieux pauvres, – des paysages entrevus : le Cimetière aux violettes, la Mort des fougères, la Mare aux grenouilles, la Lune, Paysage d’octobre, le Ravin des coquelicots… D’ailleurs, il y a liaison intime entre le milieu et l’être, dans ces exactes, consciencieuses descriptions, et toujours, la réflexion, l’indication de sentiment et de philosophie y sont brèves. Tel qu’il est, ce petit livre, composé pour les enfants, résume fort bien la tendance d’esprit de Rollinat que je préfère, son goût invincible de nature, un amour inné du visage de la solitude, des aspects permanents de tout ce qui est élément à travers l’espace, de tout ce qui existe en dehors de l’homme, de ce qui était avant lui, de ce qui sera après lui, de ce qui l’enveloppe d’énigme, l’assaille de mystère : le vent, le ciel, la mer, la chaleur, le froid, la pluie, la neige, la voix de l’eau.

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Pour bien apercevoir le poète des champs, pour le juger sans injustice, il faut arriver à cette opinion qu’il est un étranger à la civilisation de grandes villes où nous vivons inscrits et catalogués depuis la naissance jusqu’au dernier soupir. Malgré l’éducation classique qu’il est venu chercher, les emplois qu’il a dû tenir, les costumes à la mode d’une année quelconque qu’il a dû endosser, malgré tout cela, Rollinat n’est pas un personnage social, un monsieur assoupli aux conventions urbaines, heureux d’aller dans le monde, d’occuper un fauteuil aux premières représentations, dressé à la promenade du Boulevard.

Il a fait tout cela, il le refera de temps à autre, ou plutôt il a mimé et mimera tout cela, parce qu’on y est toujours plus ou moins forcé, – mais c’est, chez lui, sans conviction aucune. Le sentiment qu’il a de plus en plus éprouvé s’est trouvé double, très ému par le remuement et le bruit de champ de bataille d’une telle agglomération humaine déferlant par les rues, entre les hautes maisons, et très amusé aussi par le défilé saccadé des marionnettes humaines. Le prodigieux comique de la redingote et du chapeau haut de forme est loin de lui avoir échappé.

Aussi, avec cet état d’esprit instinctivement opposé au sérieux bourgeois et à l’activité de la finance, et malgré les facultés exceptionnelles qu’il exerce tout naturellement, causeur d’une originalité rare, musicien d’un pouvoir de séduction incomparable, malgré tout cela, il n’a pas été compris tout de suite comme il devait l’être. Evénement singulier ! Dans une société où tout le monde est en scène, ce fut lui, le charmant naïf, qui fut accusé de cabotinage. On ne vit pas qu’il ne jouait aucun rôle, qu’il se donnait tel qu’il était, qu’il passait à travers les milieux les plus différents de Paris comme à travers les brandes et les chemins creux de son pays. On lui demandait de dire des vers, il en disait. On le suppliait de se mettre au piano et de chanter, il s’installait et chantait. Il apportait avec lui sa passion native, sa nervosité exaltée, – il faisait entendre la voix des choses.

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C’est cette voix qui est en lui. Rollinat, avec la nature d’artiste la plus fine, est avant tout un rustique imprégné de toutes les influences de force et de douceur de la campagne, des musiques de l’air et de l’eau, des arômes de la terre et des végétaux.

Sans cesse hors de chez lui, c’est pendant les longues marches aux flancs des collines, au creux des ravins, pendant les heures de pêche, au bord de l’eau lumineuse, qu’il sentit avec un sens nouveau cette âme éparse qui lui a inspiré ses poèmes. Que de fois ceux qui ont vécu auprès de lui ont eu la nette perception que cet être de bonté et de charme, si intelligent, si gai, si amusant, était vraiment le compagnon de ces arbres, l’interlocuteur de ces eaux chuchoteuses, le véritable feu-follet de ces marécages ! Combien de fois ne leur est-il pas apparu comme le solitaire-né de cette solitude, destiné à expliquer et à glorifier tout ce qui l’entourait, à porter la parole pour les humbles et les silencieux, pour les être rencontrés, silhouettes des champs et des routes, pour les animaux aux yeux expressifs, pour les végétaux fragiles, pour les lourdes pierres, pour les nuages fugitifs.

Gustave Geffroy.

 

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – La lettre de George Sand à Maurice Rollinat, dont de larges extraits servent de préface au livre, est en réalité datée du 18 avril 1874. On ne sait pas pour quelle raison Maurice Rollinat a mis comme date « 1872 ».

– 2 – Le Livre de la Nature contient soixante poèmes extraits de Dans les brandes (seize), Les Névroses (vingt-deux) et La Nature. (vingt-deux).