Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

La Petite Presse

Vendredi 23 février 1883

Pages 1 et 2.

(Voir le texte d’origine sur Gallica.)

 

 

UN NOM NOUVEAU

 

Ce nom, c’est celui de M. Rollinat, que depuis quelque temps les échos ont déjà appris à redire et qui va courir la publicité de plus belle, grâce à la publication d’un volume de vers qui fera certainement tapage.

Ce volume s’appelle : les Névroses.

Un titre d’une actualité morbide et bien fait pour une époque où partout on remplace le sentiment par la sensation.

Un matin, le Figaro publie sur M. Rollinat, alors très inconnu, un article enthousiaste. On se questionne. On se demande quel est ce nouveau venu si brusquement annoncé, ce jeune qui débute par une révélation aussi foudroyant.

Et l’on apprend, non sans quelque surprise, que M. Rollinat a passé la quarantaine, que depuis longtemps, dans certains petits cénacles, il s’est fait une réputation d’étonneur par ses vers macabres et surtout par la façon dont il les récite ou les chante.

C’était donc un peu du vieux neuf, mais l’impulsion était donnée.

Aujourd’hui, M. Rollinat fait partie des programmes en quête de primeurs. Un éditeur s’est empressé d’imprimer ses poésies. Le voilà lancé.

Voyons un peu.

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Nous n’avons pas l’honneur de connaître personnellement le poète. Des appréciateurs dont nous prisons fort la garantie nous affirment que c’est un très galant homme, très empoignant quand on le voit de près et exerçant une sorte d’action magnétique sur son auditoire.

Je ne demande pas mieux que de croire tout cela. Mais, pour aujourd’hui, je m’en tiendrai à son œuvre, que j’ai sous les yeux et que je veux vous présenter pour remplir mon devoir d’actualiste.

Les Névroses sont, si l’on peut ainsi parler, de la littérature pathologique, comme l’indique le titre d’ailleurs.

Tout d’abord, on est forcé de constater que l’auteur n’a pas droit à un brevet d’invention. Tout au plus pourrait-il solliciter un brevet de perfectionnement. Car il n’a fait que reprendre en sous-œuvre les formules de Baudelaire, qui le premier imagina cette théorie : le beau, c’est le répugnant.

Nous avons déjà, dans Baudelaire, rencontré cette exploitation de l’horrible, du hideux, de la pourriture.

Il est vrai que M. Rollinat a développé le système.

Durant les quatre cents pages dont son livre se compose, ce ne sont que cadavres, qu’agonies, qu’abominations, que désolations.

Ouvrez au hasard le volume, vous tomberez certainement sur des décompositions, sur des spasmes, sur des rugissements.

Tenez ! je fais l’expérience.

Dans une page, je collectionne les mots : nauséabond, pourri, ignoble amas, caillé purulent, linges piteux, rance capiteux, vermine, infect, homme saoul, acheteuse blafarde.

Je renouvelle l’expérience un peu plus loin.

Il est question, toujours en une seule page, de vieux linges, de chairs décomposées, de ver qui mord, de nuit du cercueil, d’asphyxie.

Je pourrais continuer ainsi, j’arriverais toujours au même résultat. Au lieu de festons et d’astragales, ce ne sont que squelettes, cercueils, ignominies, intestins fouillés, etc., etc.

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Il se peut que, dites isolément, certaines de ces pièces produisent sur les nerfs qu’elles tiraillent une irrésistible action. Mais certainement, en les réunissant, en les accumulant, on a joué à M. Rollinat un bien mauvais tour.

On a donné au lecteur le secret de sa manière. Pardonnez-moi l’expression triviale, on a débiné son truc.

Il ressort clairement de ces confrontations qu’il y a le marivaudage de l’horrible, tout comme il y eut le marivaudage du précieux.

C’est la Morgue de Rambouillet.

On sent que, de parti pris, le poète s’est dit :

– Il faut que je sois effroyable.

Ce n’est pas là le sincère élan d’un tempérament emporté par sa fougue. C’est l’exploitation préméditée d’un genre sinistre, mais monotone.

Les guillotinés, les assassinés, la folie, la phtisie, voilà, je ne dis pas le contraire, des sujets exquis.

Mais il y a autre chose en ce monde. M. Rollinat aurait dû s’en souvenir et varier un peu sa note.

Ce dont j’enrage, en parcourant les Névroses, c’est de constater un talent incontestable de versificateur. C’est lui qui s’est lui-même enfermé dans ce cercle étroit.

M. Rollinat vaut certainement mieux que son livre. Il a le don des accouplements de mots imprévus, des assonances nouvelles.

Il trouve, stimulé par la nécessité de la rime riche, des combinaisons d’épithètes qui montrent une habileté de jongleur vraiment incomparable.

Çà et là même éclate une pensée originale ou profonde. Mais le plus souvent, l’idée est sacrifiée au mot.

Ce dont il se préoccupe, c’est du cliquetis des substantifs et des adjectifs.

(page 2)

C’est surtout de la pose qu’il a adoptée et dans laquelle il se comptait.

Terrifier et stupéfier, voilà le but un peu enfantin qu’il se propose.

Je le crois capable de faire vivre les personnages du grand drame humain. C’est pourquoi je lui en veux de s’en tenir à la fantasmagorie, renouvelée du papa Comte.

Pierre Véron.

 

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – L’article du Figaro auquel Pierre Véron fait allusion au début de l’article, est celui d’Albert Wolff intitulé « Courrier de Paris » ; il est paru dans l’édition du jeudi 9 novembre 1882 en page 1.

– 2 – Pierre Véron avait déjà consacré à deux fois une partie de sa chronique Courrier de Paris à Maurice Rollinat :
– dans Le Monde illustré du 20 janvier 1883, page 35 (la troisième du numéro), on peut lire une brève annonce de la prochaine parution des Névroses, mais avec un a priori négatif puisque qu’il est indiqué que le titre pourrait être Les Nécroses ;
– dans l’édition du 3 mars 1883, page 130 (la deuxième du numéro), il présente Les Névroses avec un commentaire très négatif.