Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

Revue politique et littéraire – Revue bleue

N° 14 du 6 octobre 1888

Pages 443 à 448.

(Voir le texte d’origine sur Gallica.)

 

(page 443)

 

LES ARTISTES MYSTÉRIEUX

 

M. Maurice Rollinat

 

Le décor est fort simple : un petit salon, tendu de papier gris très foncé ; des rideaux et des portières en reps bleu, presque noir ; sur la cheminée, une pendule supportée par un sphynx égyptien, entre deux immenses vases japonais ; quelques bons tableaux ; entre les deux fenêtres, une glace hollandaise, au-dessus d’une grande belle armoire en laque aventurine.

C’est tout au fond de l’aristocratique faubourg Saint-Germain, près des Invalides. Beaucoup de gens de la littérature ont passé dans ce salon, si modeste. Paul Bourget y a paru longtemps avant les fanfares de Crime d’amour et de Mensonges. On y a vu tour à tour Théodore de Banville et Paul Féval, François Coppée et Léon Cladel, Ernest Hello ; très souvent Barbey d’Aurevilly.

Jean Rameau, Haraucourt, Fernand Icres, Laurent Tailhade, Jean Lorrain, Louis Tiercelin, Léon Duvauchel, Jean Moréas, les décadents, les symbolistes, les parnassiens, tous les « Jeunes » y ont dit leurs vers. Taillade, Albert Lambert, Paul Mounet, le joyeux Gobin, l’étincelant Coquelin cadet, Rosélia Rousseil, Adeline Dudlay, toujours belles, y ont dit les vers des autres.

Des Mages y venaient, les seuls disciples de la sainte Kabbale, Joséphin Peladan et Stanislas de Guaita. On y vit des savants, comme Antoine Cros ; des sculpteurs, comme Injalbert et Savine ; des peintres, des voyageurs, des prêtres, et même quelques marquis ou vicomtes ! L’assemblée, trop nombreuse pour un si étroit espace, débordait dans un cabinet de travail encombré de bibelots, voire dans l’antichambre exiguë de ce logis bourgeois. Et c’est, je m’en souviens, ce qui arriva le soir où la première fois Maurice Rollinat y vint, amené par le jeune poète Georges Gourdon.

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Il y a déjà des années !... Et rien ne faisait pressentir que ce nom, Maurice Rollinat, serait quelque jour claironné par la Renommée. Quelques invités le connaissaient : il avait des fanatiques, mais, si les musiciens l’appelaient un poète de génie, les poètes le déclaraient musicien incomparable. On parlait, au quartier Latin, d’un recueil de vers publié à ses frais, Dans les brandes, et la joyeuse académie des Hydropathes n’avait aucun barde ou rapsode plus applaudi. Il se montra un peu gêné, dans un milieu qu’il croyait très bourgeois, où il ne connaissait personne, où l’on affectait de parler un peu bas, avec les façons discrètes de la bonne compagnie. Mais il vit bientôt que des artistes l’entouraient, artistes de cœur et de sentiment, dont plusieurs encore inconnus, un peu troublés eux-mêmes par cet homme singulier, que précédait une renommée singulière de poète macabre, de disciple de Baudelaire et d’Edgar Poë. Pour si troublé qu’on fût, on n’en était pas moins sceptique, à la parisienne.

François Coppée, qui n’était pas encore de l’Académie, venait de dire en fumant une cigarette : « Quelle drôle d’idée ont vos poètes de chanter si gaiement la mort et s’occuper toujours de la vieille Faucheuse ! La Poésie, n’est-ce pas la vie ? Et ne vaut-il pas mieux chanter les roses, l’amour, les yeux bleus et les boucles blondes, que la fosse avec ses putréfactions, les douleurs et les repentirs ? »

Barbey d’Aurevilly, qui était là aussi, ne disait rien, mais lissait d’une main constellée de diamants, sa mérovingienne moustache de Neustrien du temps du duc Rollon. Il gardait son sourire narquois et son air hautain, son attitude d’impassible pyrrhonien qui, déjà, vit tant de choses, et en entendit, qu’il se croit désormais incapable de s’étonner ou d’admirer.

Au surplus, Maurice Rollinat apparaissait, non tel que Baudelaire en dandy démagogue, portant blouse bleue et gants jaunes, ou en Poë stupéfié par l’alcool, hirsute et sombre, avec l’égarement du génie dans les yeux, ou le rictus d’un sourire féroce sur des lèvres crispées. Non. L’on voyait en lui plutôt un personnage de cléricature, basochien de notaire, tout de noir habillé à l’instar du page de Marlborough. Une figure souffreteuse, assez pâle, éclairée d’yeux perçants et vifs : une bouche ironique, sous une courte moustache ; de longs cheveux, enroulés en serpentines torsades autour d’un très grand front. Au demeurant l’aspect correct, froid, un peu triste, d’un véritable gentleman, – affligé toutefois de la double habitude de prendre du tabac et de fumer à outrance.

Il se mit au piano. Il voulait tout d’abord étonner son auditoire, et, de fait, il le surprit avec la sombre et plaintive mélopée du Fantôme d’Ursule. Puis il chanta, à la défilée, interrompu à chaque strophe par des applaudissements d’abord discrets, plus vifs ensuite, et finalement enthousiastes, la Causerie, l’Idéal et la Mort des pauvres, de Baudelaire ; sa mélodie des Corbeaux, le Cimetière aux violettes, et, pour bouquet, la prestigieuse ballade de l’Arc en ciel d’automne. A ce moment je regardai M. d’Aurevilly : le fier gentilhomme pleurait. Et qui pourra dire l’effet des larmes qu’on vit couler sur les joues de cet athlète ! En revanche, Coppée s’ennuyait sans avoir le courage de l’avouer. Que de cigarettes il roulait, pour les jeter dans le foyer, après la première bouffée !

Après trois heures de cette musique infernale, nous étions tous ivres, mais de la plus douce et de la plus bizarre ivresse. Victor Hugo, qui félicitait Baudelaire d’avoir créé « un frisson nouveau », aurait pu féliciter Rollinat d’inventer une ivresse nouvelle de l’intelligence. Il est vrai qu’il se contenta de dire, peu de jours plus tard : « C’est d’une beauté horrible ! » M. d’Aurevilly, songeur, murmurait : « C’est une Euménide ! » Les jeunes, tous, oublieux des jalousies généreuses que provoque l’éclatante supériorité d’un camarade qui ne peut pas être un grand homme pour ses familiers, battaient des mains, exaltés par cette poésie étrange, par cette musique sans règle, ni lois, ni grammaire, ni science, et si puissante ! et si vibrante !… échauffés par cette voix qui parcourait toutes les notes de la gamme, allant du soprano aigu, au bourdonnement de la basse. Mais comment expliquer et décrire des impressions si multipliées ? On ne dissèque point la musique géniale de Rollinat, pas plus qu’on ne décompose la couleur et le procédé des peintres florentins. Ce n’est pas du Chopin, ni du Schumann, ni du Schubert, ni du Wagner, ni de l’allemand, ou de l’italien, ou de l’iroquois.

C’est une phrase musicale, une mélodie si vous voulez, qui s’adapte exactement aux paroles qu’elle doit transmettre, et que toute autre musique ne porterait pas. Un exemple est un fait. Quiconque a entendu Rollinat ne peut plus lire Baudelaire sans adapter, de mémoire et mentalement, la musique palpitante de Rollinat, à la Causerie, à la Mort des amants, au Jet d’eau, au Serpent qui danse. Les paroles deviennent inséparables de cette mélodie, et celle-ci, qu’on entendrait frémir sur le violon d’un Sivori, donnerait l’impression parfaite et suggérait les vers mêmes qu’elle soutient !

Le charmeur n’avait point parachevé son œuvre. Nous avions eu le lyrique psalmodiant de douloureuses lamentations, le poète célébrant l’idéal, ou l’amour, ou la passion, nous eûmes le paysan, trouvère du peuple des paysans, et chantant ces populaires complaintes qui viennent on ne sait d’où et qui ont la sauvage éloquence des rapsodies sans père. Entre autres, la chanson du roulier, qui se dit aux veillées du pays berrichon :

Mes pauv’ z’enfants, plaignez vot’ pauv’ sort,
Plaignez vot’ pauv’ sort d’avoir un pareil père !
Je l’ai trouvé couché avec un’ autre mère !
Il a bien fait, répondirent les enfants,
Il a bien fait d’ coucher avec la femme qu’il aime !
Et quand nous serons grands, nous ferons tous de même !

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Avec quel diabolique entrain Rollinat chantait cette perverse complainte, avec quelle verve comique et quelle ironie âpre, violente et véhémente, il dit ensuite quelques stupides refrains de café-concert, nul ne s’en ferait une idée, l’ayant vu tantôt macabre et plaintif, emporté dans les majestueuses splendeurs d’un rêve mystique. Était-ce donc un comédien ? Ou possédait-il cette faculté de s’élancer de l’extrême tristesse à la joie délirante, de transformer en serinette l’orgue solennel, de « racler le jambon » avec le propre archet du diable Paganini ? Quoi qu’il en soit, l’incomparable Paulus, devenu si célèbre depuis ce temps-là, eût envié à Rollinat sa mimique et sa folle « rigolade ». Ainsi donc, en une seule nuit, cet homme complexe s’était montré sous les aspects les plus divers à un auditoire d’abord indifférent, si ce n’est moqueur, peu à peu gagné par le véritable sens poétique du rapsode, enfin conquis définitivement et désormais plein d’enthousiasme. Le poète, le mélodiste, le virtuose, le diseur avait obtenu le triomphe, et, dans ce petit cénacle, à partir de cette nuit-là et pendant de longues années, Maurice Rollinat fut sacré poète d’élite et grand artiste.

Poète, il l’était et il l’est encore, et poète sans épithète, ce qui est la meilleure, sinon l’unique manière de l’être. Qu’il récitât ses vers, l’Horoscope, la Dame en cire, le Fantôme du crime, ou cette Vache au taureau, d’un rude naturalisme, que M. Émile Zola et J.-K. Huysmans ont si maladroitement plagiée, l’un dans la Terre, l’autre dans En rade ; ou qu’il déclamât ses traductions de certains poèmes d’Edgar Poë, le Ver conquérant, le Corbeau, le Palais hanté ; il était à donner le vertige, avec sa voix stridente et métallique, son visage allumé d’une flamme perverse de sarcasme et de méchanceté, son geste unique, le geste en spirale constamment répété et d’un si étrange caractère. Il effrayait – au moins pour un moment - les plus incrédules ; il éteignait la « blague » ; il donnait ce délicieux petit frisson, à fleur de peau, - sensation si agréablement horrible que connaissent ceux qui ont lu, dans la solitude de leur lit, par une nuit de vent et de tempête, le Cas de M. Waldemar.

Infatigable laborieux, Maurice Rollinat entassait l’une sur l’autre les pages de ses Névroses, et sans savoir quand et comment ce livre, qu’il pensait être son œuvre définitive, serait publié. Il vivait, d’ailleurs, hors du cercle bruyant et tapageur du Paris qui donne la célébrité : fort bourgeois d’éducation, d’allures et d’habitudes, confiné en son logis de la rive gauche et ne se délectant qu’aux amitiés littéraires, car il faisait fi des sentiments et se divertissait à « poser » pour le cœur fermé.

Mais il aimait, entre cinq ou six camarades capables de le comprendre et de l’aimer, au sens intelligentiel du mot, il aimait à produire ses œuvres nouvelles, passant de la grandiose et fulgurante Marche des lions à la gémissante Valse des plaintes, à la robuste chanson du Bûcheron, que parfois interpréta Boudouresque (de l’Opéra), ou à l’inexplicable ballade du Chevalier de l’Eldorado, qui arrachait des sanglots à Crollalanza, nom retentissant d’un inconnu, que les lettrés de Paris connaîtront un jour pour le nom d’un rare psychologue conteur, – quand il sera trop tard.

Maurice Rollinat n’en subissait pas moins l’âpre dédain du bourgeoisisme moderne, un peu moins ridicule en apparence que celui d’Henri Monnier, expiré avec Prud’homme, mais éternel comme tout ce qui est bête, laid et malsain. Il avait la triste chance d’être vivant, de ne point se presser de mourir, d’arborer la hautaine indifférence des solitaires. Il fallut, pour le tirer de son obscurité, le caprice d’une grande artiste, et l’étonnant et subit engouement d’un journaliste. Il est vrai que l’artiste s’appelait Sarah Bernhardt et le journaliste, Albert Wolff.

Un soir donc, Rollinat laissa au logis, non sans regrets, son chien Pluton et son chat Tigroteau et s’en vint avenue de Villiers, où l’attendait la si belle reine de Ruy Blas, en robe de brocart bleu pâle et rose brodée d’argent. Dans l’atelier où défila naguère tout ce qui, en Europe, appartient à l’aristocratie du talent ou à l’aristocratie de la naissance, il y avait réunion d’élite. Je me rappelle trois figures : Albert Wolff, Hector Crémieux et, très silencieux, Jean Richepin, le poète des Blasphèmes, en ce temps-là, moins notoire. Que l’on ait bien compris mon Rollinat, je n’en jurerais pas !... Ceux que j’ai nommés, pourtant, et surtout Sarah, l’incomparable interprète de poètes incomparables, - et qui savait et voulait tout comprendre, elle ! - firent à Rollinat l’accueil qu’il fallait. Il fut applaudi dans la juste mesure.

Le lendemain, un article paraissait dans le Gaulois, écrit à la volée sur un coin de table, et le surlendemain Albert Wolff, qui a cousu la gloire de tant de peintres, faufilait celle de Rollinat.

Les Névroses parurent. Ce fut un grand succès. Toute la presse parla du nouveau poète, sacré par une Muse et lancé par le barbier de Séville. Puis ce fut comme c’est toujours à Paris : quinze jours de trompette, – et le silence. Depuis lors le poète a donné l’Abîme, – que je n’ai pas lu, ayant été oublié parmi les amis de la première œuvre, – et cet Abîme est tombé dans l’indifférence des multitudes, M. Barbey d’Aurevilly n’ayant plus de feuilleton, Sarah Bernhardt ayant à passionner toutes les Amériques, – Albert Wolff et le Gaulois ne se mettant plus en peine d’une renommée aussitôt perdue que conquise.

Pour inutile qu’il soit de signaler une fois de plus l’injustice des hommes, ne convient-il pas, tout au moins, de fixer, en un simple fusain, l’inimitable, l’expressive et l’extraordinaire figure d’un poète qui marquera sa place, dans le siècle où nous sommes, parmi tant de poètes rivaux, de plus de réputation, si l’on veut, mais non d’aussi puissante envergure ? On a fait de Maurice Rollinat le disciple, sinon l’émule de Charles (page 446) Baudelaire. On assure qu’il procède, en pensée, d’Edgar Poë ; en musique, de Chopin. Trop souvent on a rappelé qu’il est le fils d’un ami intime de Georges Sand, et que cette illustre femme de lettres lui enseigna la littérature, comme si elle eût été capable d’enseigner autre chose que l’amour !

Rien de tout ce qu’on a dit n’est absolument exact. Maurice Rollinat est, pour moi, un solitaire et un paysan. Nature très affinée, mais rustique. Esprit très inquiet, mais grand et calmé par la nature et ses mille tableaux. Pervers très naïf, et sentimental très positif, connaissant le prix du temps et de l’argent. Laborieux par tempérament, paresseux par fatigue, contemplatif et rêveur, à la condition que son activité n’en soit pas entravée. L’homme de la chasse et de la pèche, des courses à cheval sous bois, des escalades de rochers, des festins champêtres et des bals sur l’herbe, et pour qui les conventions mondaines sont odieuses, tout ainsi que les tyrannies de la mode et les délassements ennuyeux des civilisés.

Mais cet agreste est un souffrant. L’idée de la mort le hante et le guette. Il n’a pas le désespoir schopenhauerien, il n’a pas l’angoisse croyante et mystique de Baudelaire clamant à Dieu :

Ah ! Seigneur, donnez-moi la force et le courage
De contempler mon corps et mon cœur sans dégoût !

Est il même croyant ? J’en doute, encore que l’idée religieuse le domine, qu’il crie « du profond de l’abîme », et qu’il dramatise le Memento quia pulvis es. Il analyse les affres de l’agonie, il se démène sur le tombeau, il se préoccupe du ver auquel il servira de nourriture. Il se plaît au bord des marbres du cimetière, des fosses fraîchement creusées. Il voudrait entrevoir « l’au-delà » du dernier soupir, se familiariser avec la Camarde, secouer enfin cette peur lancinante qu’elle lui inspire. Et il est sincère dans ses effrois, comme dans ses bravades.

La peur l’écrase, du monde surnaturel qui s’agite autour de la créature humaine et qu’il nie, comme ce philosophe du siècle passé, qui niait Dieu et croyait aux revenants. Il parle volontiers des fantômes et s’imagine causer avec eux. Il a entendu des voix glapissantes, s’exhalant d’on ne sait quelles géhennes, vociférer son nom à ses oreilles. Et s’il n’a pas eu de ces visions qui blanchissent les cheveux et font l’œil cave, c’est qu’il a fermé les yeux, car il a senti des suaires effleurer son front, et des ossements de squelettes cliqueter à ses côtés.

Il a du moins le courage de ne pas nier la peur, et le dandysme de l’exagérer. Il ne voit la lune que comme une colossale tête de mort se mirant dans l’eau glauque d’un étang, et les couchers du soleil, de pourpre et d’or, ne sont faits que pour incendier d’une manière éclatante le Monsieur en chapeau haut de forme qui l’aborde en un chemin creux pour lui dire :

Prenez garde ! Car vous avez la maladie

Dont je suis mort !

Cette atroce et persistante sensation de la peur, il l’a disséquée en des vers courts, pressés, admirables, où il évoque toutes les images susceptibles de monter l’épouvante à son paroxysme. Il a rêvé les plus étranges tableaux, et Goya, Zurbaran ou Ribeira n’ont inventé que des bergeries. Qu’il peigne le démoniaque buveur d’absinthe, ou qu’il burine l’amante macabre, ou qu’il montre le grand meneur de loups « sifflant dans la nuit verte », la terreur lui fait partout cortège : il trouve le mot, le simple mot qu’il faut pour l’exprimer, pour la graver en un frisson glacial et ardent, tout à la fois, sur la peau. Il a ce don surhumain d’épouvanter, et par le simple procédé des poètes d’Orient qui ne se parlent pas en longues et minutieuses analyses à la Poë.

Rappelez-vous le souffle qui passe sur le visage de Job et qui le renverse, écrasé de terreur. La Bible dit cela en deux phrases, et celui qui les lit tremble.

Ce goût des choses funèbres, ces aperceptions de l’au-delà du dernier soupir, ces évocations de spectres et de larves, ces étrangetés qu’on a voulu croire cherchées, ont fait porter sur Maurice Rollinat bien des jugements absurdes. Si Ernest Hello a dit de lui « c’est un beau talent, mais avec un fond de perversité », Armand de Pontmartin, dans un feuilleton où il nous prenait tous à partie, s’écriait : « Rollinat ? C’est de la morphine littéraire ». Il pardonnait plus volontiers à la pauvre duchesse de Chaulnes la morphine qui l’enrageait.

Cette préoccupation du surnaturel divin ou diabolique, cette constante hantise de l’agonie et de la mort, cette prédilection du cadavre, des choses putréfiées, des rêves hallucinants, des lugubres mélopées, des terreurs irraisonnées, on les imputait naguère à Rollinat, comme plaisanteries sournoises de mystificateur, et pour tout dire en un mot, on prononçait le mot de comédie. Erreur outrageante, et dont le poète, un seul moment, ne supporte pas l’idée. Si jamais il y eut un homme sincère, ce fut celui-là. Nerveux, sans doute, et soumis à un double courant physiologique et psychologique, d’où sa volonté ou sa volition (aurait dit le professeur Bellac) ne sortait pas indemne d’influences morbides. Mais ce qu’il disait, de sa bouche, ce qu’il traduisait en son vers âpre, rugueux, contorsionné, avec des mots forgés sans peine, il l’avait éprouvé, ressenti ou vu. Il ne se mentait pas à lui-même, ce qui est la plus suave façon de mentir. Et ses cheveux se hérissaient, quand il révélait une de ces visions d’apocalypse d’où il sortait combattu, dompté, terrifié… et railleur. Sa raillerie le trahissait, ou mieux trompait ses auditeurs qui ne s’accoutumaient point facilement à ses ironies shakespeariennes, à ses éclats de rire énormes. Ceux qui pleuraient à l’entendre, pourtant, comme ce grand et noble Barbey d’Aurevilly, comme le pauvre et cher Michel Ménard, – un poète qui sera quelque jour révélé, – concevaient bien cette (page 447) singularité d’un poète enfoncé dans le deuil éternel de toute chose humaine, et riant de la moindre facétie, tout ainsi qu’un petit enfant des culbutes de son pantin.

Mais où nul poète contemporain ne saurait, sinon égaler, du moins dépasser Maurice Rollinat, c’est dans l’étude, l’amour, l’admiration, la compréhension de la nature. Les arbres et les forêts, les rocs et les montagnes, les ruisseaux et les torrents n’ont aucun secret pour lui, pas plus que les brins d’herbe ou les brindilles de la mousse. Il a fait la Mort des Fougères, et le Fil de la Vierge, et la Chanson d’Automne, et des milliers d’autres poèmes où il célèbre les infiniments petits de l’univers. Et dans son analyse minutieuse et si pleine de grâces de ces vétilles par nous dédaignées, il est incomparable. Au surplus, ne m’écrivait-il pas : « Paris m’attire comme l’aspic attire l’oiseau, mais je ne me sens guère de véritable affection que pour les mornes pays où l’on peut vivre en sauvage et soliloquer tout à son aise, et puis la nature végétale, animale et minérale m’intéresse plus que l’espèce humaine, dont la bêtise ne peut faire oublier la perfidie, grossière sans doute, mais assurément si multiforme qu’il faut toujours s’en défier… Combien je préfère aux bruits de la cohue parisienne le silence aimable ou inquiétant de la vraie campagne. Du reste, il n’y a pas que du silence ; les murmures, les chuchotements, les soupirs, les souffles m’y sont confidentiels, familiers et suggestifs. Pour qui sait les comprendre, ils racontent la nature dont ils sont les innombrables voix éparses dans l’atmosphère mélancolique. Herbes et cailloux, insectes et reptiles, l’énorme et l’infiniment petit du paysage, tout réalise pour mon œil une sorte de vision rêvée, tour à tour inerte et mourante, et je vis un peu comme un sorcier des grands chemins qui épierait le secret des arbres. Je m’installe dans ces trous pleins de fraîcheur et de mystérieuse pénombre. Je m’assieds sur les rocs, plats au-dessus, embaumés par les menthes et frôlés par les mignons lézards qui mouvementent les pierres vaguement ensoleillées, et qui sont comme l’éclair furtif des endroits rocailleux. Là, surtout, je me sens chez moi, dans une solitude sympathique à mon for intérieur. Tout cela est si fatal, si abandonné, si revêtu de tristesse et de résignation ! Et le soir je remonte la côte escarpée, mais délicieuse, et je refais le lendemain la pérégrination de la veille, au milieu de cette monotone vallée verte, accidentée seulement par les variations du bruit et du silence, et qui s’embrume ou s’éclaire selon le caprice des nuages. »

Maurice Rollinat a pu habiter quelque temps Paris pour ce que le « grouillement des foules et le rampement de l’individu à travers les cent mille artères de la ville monstre offrent à l’œil de l’artiste un pittoresque infernal » et pour complaire à son goût du drame et de l’horreur. Mais il apportait aux habitudes de la vie parisienne les étonnements et l’ennui du provincial accoutumé à se lever tôt, à vivre au large, à ne subir aucune gêne. Sa gloire même l’obsédait.

Il revint donc aux brandes et aux landes du Berry, à ces paysages que Georges Sand a si merveilleusement décrits dans ses romans champêtres, et qu’il repeint, lui, en touches si vigoureuses dans ses vers et – qu’il me pardonne ! – dans ses lettres splendides de verve et d’abandon, où transperce une si amère mélancolie sous la poétique véhémence d’un style toujours personnel. Il était, d’ailleurs, un blessé de la vie ; il avait connu ces douleurs qu’on ne veut pas consoler. Il emportait dans la chair vive le dard aigu que rien jamais plus ne peut extirper. Et il s’en fut dans son petit manoir berrichon, moitié ferme et moitié gentilhommière, vivre enfin dans la paix inaltérable de celui qui s’est résigné au sacrifice. Et c’est de là qu’il datait cette page éloquente, qu’il faut citer pour achever la psychologie de ce souffrant : « Mon désert ne me pèse pas ; je m’y comporte à mon aise selon mes libres instincts, et mon expérience, qui s’y repose, ne demande plus à en sortir. Les curiosités, les enthousiasmes, l’art public et la luxure mondaine, bref ! le goût du fla-fla humain, si toujours le même en dépit de sa prétention d’être toujours neuf, tout cela s’en va de moi comme ma jeunesse elle-même ; avec l’âge mûr, qui arrive, je me désillusionne tranquillement, et ayant fini d’exister pour les autres, je commence à vivre pour moi seul. Plus d’enfièvrement ! plus de luttes, plus d’écoles à faire, plus de masques à soupçonner. Je travaille tant que je peux, mais avec la parfaite clairvoyance du mirage vital et de la vérité mortuaire. En somme, je mène la vie d’un atome pensant, tout à fait conscient de son inanité, et qui veut s’occuper quand même pendant la durée de son apparence. »

Rien ne peut mieux donner l’impression du caractère de Maurice Rollinat que cette dernière lettre, qui semble être d’un désabusé. « Qui semble », ai-je dit. Sans doute, car il y a ici l’exagération d’un pessimisme produit par les circonstances de la vie, soumise à tant de fantaisie et de caprices. Tout au fond de ce désabusé il y a peut-être un croyant, qui revient à Dieu par la terreur, ou plutôt qui n’a jamais quitté Dieu. Tout homme qui comprend et voit l’œuvre divine comme la voit et la comprend Maurice Rollinat, ne saurait être un désespéré. Celui qui compte les plumes de l’aile d’un papillon, plumes dont la plus cambrée et la plus gigantesque n’a pas la tangibilité d’un millième d’atome, ne peut pas nier le Créateur de toutes choses, – et ne pas le nier, c’est l’adorer. Qu’est-ce donc, au surplus, que dénombrer les grains de poussière d’une aile de papillon, quand on a sondé les replis tortueux de l’abîme humain ? « Tu ne sais pas tirer un son de ce morceau de bois, dit Hamlet, et tu voudrais jouer de cet instrument, de cette âme que recèle mon corps mortel ! »

Et c’est de l’âme que le poète a joué toute son existence, de son âme à lui et de celle des autres. Il les a tenues à la pointe de son bistouri, comme Broussais (page 448) montrait à ses élèves « le petit bouton de la pensée », et si, comme Dante, il est allé aux enfers, il en est revenu. Maurice Rollinat s’imagine avoir donné toute son œuvre, et il veut se reposer dans son désert. Son œuvre commence, et s’il veut l’achever dans une vraie thébaïde, n’est-ce pas à Paris qu’il doit venir ?

Charles Buet.

 

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – (page 443) Le salon décrit dans les premiers paragraphes est celui de Charles Buet.

– 2 – (page 443) Georges Gourdon a raconté comment il avait connu Maurice Rollinat et la soirée au cours de laquelle il a présenté celui-ci à Charles Buet, dans un article intitulé « Maurice Rollinat » et paru dans La Revue Libérale du 1er janvier 1883, pages 160 à 167.

– 3 – (page 444) L’auteur décrit Maurice Rollinat « tout de noir habillé à l’instar du page de Marlborough ». Il y a bien une opérette intitulée Le Page de madame Marlborough d’E. Vierne avec une musique d’Étienne Barbier (1858), mais nous avons trouvé cette expression dans des textes antérieurs, par exemple : « qui se promenait au milieu de nous tous sous l’empire des souvenirs britanniques, et, comme le page de Marlborough, "tout de noir habillé." » (Palamède, Revue mensuelle des échecs et autres jeux, année 1844, page 559) ; ou « Le brave homme s’était, comme le page de madame Marlborough, tout de noir habillé. » (Marie Aubert de Paul Ferney, roman publié sous forme de feuilleton dans Le Siècle, citation parue dans l’édition du 29 septembre 1855, page 1). Nous n’avons pas identifié l’origine de l’expression.

– 4 – (page 444) Charles Buet écrit « Victor Hugo, qui félicitait Baudelaire d’avoir créé "un frisson nouveau", aurait pu féliciter Rollinat d’inventer une ivresse nouvelle de l’intelligence. ». Cette expression « un frisson nouveau » est extraite d’une lettre de Victor Hugo à Charles Baudelaire datée du 6 octobre 1859, à propos de son livre Théophile Gautier. Elle a été mise en préface de cet ouvrage (pages I à III) (Théophile Gautier par Charles Baudelaire, notice littéraire précédée d’une lettre de Victor Hugo, Poulet-Malassis et de Broise libraires-éditeurs, Paris, 1859, III + 68 pages).

– 5 – (page 444) L’auteur nous dit que M. d’Aurevilly, songeur, murmurait : « C’est une Euménide ! ». Selon ATILF, en littérature, par référence aux divinités infernales de la mythologie grecque, déesses du remords, aussi appelées Érinyes ou Furies, l’Euménide est une représentation symbolique de la justice ou du châtiment. Ce n’est vraisemblablement pas à cette définition que faisait allusion Barbey d’Aurevilly, mais plutôt au côté sombre de ces divinités.

– 6 – (page 444) Charles Buet indique que « Les paroles deviennent inséparables de cette mélodie, et celle-ci, qu’on entendrait frémir sur le violon d’un Sivori (…) ». Camillo Sivori, né le 25 octobre 1815 à Gênes et décédé le 19 février 1894 à Gênes, est un violoniste et compositeur italien. Il a été l’élève Paganini. Son jeu était caractérisé par une émouvante virtuosité technique.

– 7 – (page 444) « La chanson du roulier » est aussi appelée « La femme du roulier ».

– 8 – (page 445) Charles Buet n’est pas le premier à comparer le poème « La Vache au Taureau » de Maurice Rollinat avec des passages du livre La Terre d’Émile Zola (G. Charpentier et E. Fasquelle éditeurs, Paris, 1887, 519 pages) (voir pages 9 à 11) ou du livre En rade de J.-K. Huysmans (Tresse & Stock éditeurs, Paris, 1887, 319 pages) (voir pages 285 à 288), publiés l’année précédente. Voici ce qu’écrit Sutter-Laumann dans son article « La vie aux champs » paru dans L’Intransigeant du 29 décembre 1887, page 2 : « M. Zola, selon sa coutume, [dans La Terre] n’a mis en lumière que les défauts, les vices, et non les qualités du paysan, et il a tout exagéré, grossi, pour faire fort. Il n’a bien vu que le cadre, et ses descriptions renferment des beautés de premier ordre. Mais bien voir la nature et bien connaître l’homme sont choses différentes, et c’est pour cela que nous avons plus de bons peintres que de grands philosophes. Je préfère à la lourde, à l’ennuyeuse œuvre de M. Zola, le livre de Huysmans, En Rade, où l’on trouve aussi la scène, désormais inévitable dans toute paysannerie de « la vache au taureau », scène ayant inspiré de si magnifiques strophes au poète des Névroses, le subtil et puissant Rollinat, ce frère cadet de Baudelaire, qui a en plus, par moments, la fraîcheur et la santé. Huysmans, lui, a vu les paysans, du haut de son esprit très fin, très pincé, raffiné jusqu’à la limite suprême, en pessimiste délicat et grincheux. » Émile Zola et J.-K. Huysmans ont-ils plagié Maurice Rollinat ? Rien n’est sûr ; ils ont décrit une scène fréquente dans les campagnes de cette époque, chacun à leur manière.

– 9 – (page 445) « La vérité sur le cas de M. Valdemar » est une nouvelle d’Edgar Poe, publiée dans Histoires extraordinaires, traduction de Charles Baudelaire (Michel Lévy frères libraires-éditeurs, Paris, 1856, XXXI + 331 pages). Le texte comprend de nombreuses descriptions macabres.

– 10 – (page 445) La Marche des Lions n’a pas fait l’objet d’une publication. Dans une lettre à Charles Buet sans date mais vraisemblablement de juillet 1881, Maurice Rollinat écrit : « Quant à la Marche des Lions elle est écrite pour piano. Dès que la chose sera décidée je m’occuperai de l’orchestration. » (lettre publiée par Georges Normandy dans son article « Maurice Rollinat (Lettres Inédites) » parue dans La Revue (Ancienne « Revue des Revues ») n° 14 du 15 juillet 1912, pages 154 et 155).

– 11 – (page 445) La Valse des plaintes a été publiée en 1882, chez G. Hartmann, dans un ensemble intitulé Trois valses pour piano, paroles et musique de Maurice Rollinat, (« La Valse des plaintes », « La Valse des larmes », « La Valse des squelettes »).

– 12 – (page 445) Le Bûcheron, romance, paroles de Pierre Dupont, musique de Maurice Rollinat, avec accompagnement de piano, a été publié en 1883 chez Henry Lemoine.

– 13 – (page 445) Maurice Rollinat a composé une mélodie sur la traduction d’une poésie d’Edgar Poe « Eldorado ». La partition a été publiée en 1896 par Heugel, dans l’ensemble Six mélodies nouvelles, paroles et musique, avec accompagnement de piano. Le poème correspondant est paru dans Fin d’Œuvre, pages 211 et 212 ; il commence ainsi : « Depuis longtemps un beau chevalier solitaire, / La chanson sur la lèvre et gaiment accoutré, / Errait, cherchant partout Eldorado sur terre. », d’où l’appellation « ballade du Chevalier de l’Eldorado » utilisée par Charles Buet.

– 14 – (page 445) Lorsque Charles Buet écrit : « Maurice Rollinat n’en subissait pas moins l’âpre dédain du bourgeoisisme moderne, un peu moins ridicule en apparence que celui d’Henri Monnier, expiré avec Prud’homme, mais éternel comme tout ce qui est bête, laid et malsain. » quand il reprend ce texte dans son livre Grands Hommes en Robe de Chambre (Société libre d’édition des gens de lettres, Paris, 1897, 333 pages), pages 321 à 333, l’expression « expiré avec Prudhomme » a été supprimée. Est-ce « expiré » ou « exprimé » qu’il a voulu écrire ? Henry Monnier, né le 7 juin 1799 à Paris et décédé le 3 janvier 1877 à Paris, est un caricaturiste, illustrateur, dramaturge et acteur. Son œuvre la plus célèbre est Mémoires de Monsieur Joseph Prudhomme (1857) où il dépeint celui-ci comme un bourgeois grassouillet, conformiste, solennel et imbécile, le type même de la bêtise bourgeoise.

– 15 – (page 445) La soirée chez Sarah Bernhardt s’est déroulée le 5 novembre 1882. L’article paru le lendemain dans Le Gaulois (Lundi 6 novembre 1882, page 1) était signé Charles Buet sous le pseudonyme « TOUT PARIS » ; il était intitulé « Une Célébrité de demain ». L’article d’Albert Wolff est paru dans Le Figaro du jeudi 9 novembre 1882, page 1, sous le titre « Courrier de Paris ».

– 16 – (page 445) Le chat de Maurice Rollinat appelé dans cet article « Tigroteau », est dénommé « Tigreteau » par Maurice Rollinat (par exemple dans sa lettre à Claude Monet, datée du 25 mai 1889).

– 17 – (page 445) Jules Barbey d’Aurevilly a publié à propos de Maurice Rollinat deux articles très connus : « Rollinat – Un poète à l’horizon ! » paru dans le n° 17 de Lyon-Revue de novembre 1881 (pages 629 à 635), puis dans Le Constitutionnel du 2 juin 1882, page 3, et dans Le Parnasse du 15 juin 1882, pages 4 à 6 ; et « Les Névroses par M. Maurice Rollinat » dans Le Constitutionnel du 6 juillet 1883, page 3.

– 18 – (page 446) Les vers « Ah ! Seigneur, donnez-moi la force et le courage / De contempler mon corps et mon cœur sans dégoût ! » sont les deux derniers du poème « Un voyage à Cythère » de Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal, édition de 1857, page 211).

– 19 – (page 446) Lorsque Charles Buet évoque « ce philosophe du siècle passé, qui niait Dieu et croyait aux revenants », à qui pense-t-il ? Est-ce à Voltaire ? Dans son article sur Louis Veuillot repris dans Médaillons et Camées (E. Giraud et Cie éditeurs, Paris, 1885, IV + 324 pages), pages 179 à 210, il fait le portrait de cet homme « bienveillant et doux » qui « voulait qu’on respectât sa foi » et qu’on « respectât l’Eglise » (page 180), et lorsqu’il parle des antipathies et des sympathies littéraires de Louis Veuillot, il n’hésite pas à reprendre les expressions « Voltaire est infiniment méprisable » et « vieux satyre cynique » (page 204). Nous pouvons aussi trouver dans un autre livre de Charles Buet Figure de prêtre, Scènes de la vie cléricale (Desclée, De Brouwer et Cie, Lille, 1900, 233 pages), une scène où un abbé se propose « de faire un beau feu de joie des soixante volumes de Voltaire » qu’il posède mais qu’il n’a jamais lus (page 100).

– 20 – (page 446) Les vers « Prenez garde ! Car vous avez la maladie / Dont je suis mort ! » sont des eux derniers du poème « L’Horoscope » (Les Névroses, pages 342 et 343)

– 21 – (page 446) Quand Charles Buet, faisant référence à un passage de La Bible écrit : « Rappelez-vous le souffle qui passe sur le visage de Job et qui le renverse, écrasé de terreur. », à quel verset fait-il référence ? Dans l’Ancien Testament, « Les Livres poétiques – Job », nous avons trouvé au chapitre 4, le verset 9 : « Ils périssent par le souffle de Dieu, Ils sont consumés par le vent de sa colère » mais est-ce celui-ci ?

– 22 – (page 446) Charles Buet écrit : « Si Ernest Hello a dit de lui "c’est un beau talent, mais avec un fond de perversité" ». Cette appréciation déjà avait été citée par Georges Gourdon dans son article « Maurice Rollinat » paru dans La Revue Libérale du 1er janvier 1883, pages 160 à 167 : « A la soirée de Charles Buet, dont j’ai parlé plus haut, Ernest Hello avait caractérisé d’un mot juste l’artiste et son œuvre : "C’est un beau talent, avait-il dit, mais avec un fond de perversité." » (pages 164 et 165).

– 23 – (page 446) Puis Charles Buet indique que « Armand de Pontmartin, dans un feuilleton où il nous prenait tous à partie, s’écriait : "Rollinat ? C’est de la morphine littéraire" ». L’article en question a été publié dans La Gazette de France du 18 mars 1883 ; il sera repris dans Souvenirs d’un vieux critique – Quatrième série (Calmann Lévy, éditeur, Paris, 1884, 357 pages), pages 242 à 256. Il s’agit d’une longue présentation et analyse des Névroses. Les commentaires sont très négatifs, voire au vitriol ; même des amis de Maurice Rollinat comme Charles Buet ou Jules Barbey d’Aurevilly sont pris à partie. En fait l’auteur, catholique et royaliste comme il se définit, regrette la disparition d’une poésie où l’on a l’habitude de chanter les exploits des héros de la mythologie, au profit d’une poésie « naturaliste ».

– 24 – (page 446) L’auteur fait une allusion au « professeur Bellac ». Est-ce le personnage créé par Édouard Pailleron dans sa comédie Le monde où l’on s’ennuie (Calmann Lévy éditeur, Paris, 1883, III + 178 pages ) ? Ce professeur de philosophie, symbole de pédantisme est ainsi décrit dans la scène X du premier acte : « (…) le savant à la mode, (…) courtisant les femmes, courtisé d’elles, et se poussant par ce moyen. ». D’où l’utilisation de mot « volition » à la place de « volonté ».

– 25 – (page 446) Charles Buet évoque Jules Barbey d’Aurevilly et « le pauvre et cher Michel Ménard ». Si les relations de Maurice Rollinat avec Jules Barbey d’Aurevilly sont bien connues, qu’en est-il de celles avec Michel Ménard ? Maurice Rollinat lui a dédicacé le poème « La Relique » publié dans Les Névroses, pages 91 à 94. Michel Ménard est né le 18 juin 1853 à Lunel (Hérault). Licencié en droit, il est le secrétaire de M. Keller, puis du baron Reille. Catholique pratiquant, il écrivait dans le journal La Croix où il tenait la rubrique « Tableau financier de la semaine » et présentait des livres. Il était également poète. C’était un ami de Léon Bloy et de Jules Barbey d’Aurevilly ; Maurice Rollinat le rencontrait le dimanche dans le salon de ce dernier. En octobre 1884, il quitte Paris pour la ville d’El Burgo de Osma en Espagne pour être novice chez les Augustins de l’Assomption. Il prend l’habit le 28 octobre 1884, sous le nom de Frère Marie-Michel. Très fatigué, il revient en France à la fin 1884 et décède le 21 décembre. Il est inhumé au cimetière de Lunel. Maurice Rollinat, dans une lettre à Charles Buet sans date mais vraisemblablement expédiée début janvier 1885, écrit : « Je suis navré de la mort de ce pauvre Ménard » (lettre publiée par Georges Normandy dans son article « Maurice Rollinat (Lettres Inédites) » parue dans La Revue (Ancienne « Revue des Revues ») n° 14 du 15 juillet 1912, pages 154 et 155).

– 26 – (page 447) La citation « Paris m’attire comme l’aspic attire l’oiseau, (…) et qui s’embrume ou s’éclaire selon le caprice des nuages. » est extraite d’une lettre de Maurice Rollinat à Charles Buet, datée d’août 1882 (elle sera publiée par Georges Normandy dans son article « Maurice Rollinat (Lettres Inédites) » parue dans La Revue (Ancienne « Revue des Revues ») n° 14 du 15 juillet 1912, pages 151 et 152). Charles Buet, dans l’expression « tour à tour inerte et mourante » a écrit « mourante », alors que dans la lettre publiée par Georges Normandy, c’est le terme « mouvante » qui figure. Plus loin dans la phrase « Je m’assieds sur les rocs, plats au-dessus, embaumés par les menthes et frôlés par les mignons lézards (…) », dans la lettre publiée par Georges Normandy, il n’y a pas de « s » à « embaumés » et à « frôlés » car c’est Maurice Rollinat qui est embaumé et frôlé et non les rocs.

– 27 – (page 447) La citation « grouillement des foules et le rampement de l’individu à travers les cent mille artères de la ville monstre offrent à l’œil de l’artiste un pittoresque infernal » est extraite de la lettre de Maurice Rollinat à Charles Buet, datée d’août 1882 (elle sera publiée par Georges Normandy dans son article « Maurice Rollinat (Lettres Inédites) » parue dans La Revue (Ancienne « Revue des Revues ») n° 14 du 15 juillet 1912, pages 151 et 152).

– 28 – (page 447) Il faut bien évidemment lire « George Sand » au lieu de « Georges Sand ».

– 29 – (page 447) Quand Georges Buet écrit « Et il s’en fut dans son petit manoir berrichon, moitié ferme et moitié gentilhommière », il évoque Bel-Air, propriété des parents de Maurice Rollinat, où celui-ci aimait aller se reposer de la vie parisienne.

– 30 – (page 447) La citation « Mon désert ne me pèse pas ; (…) quand même pendant la durée de son apparence. » est extraite de la lettre de Maurice Rollinat à Charles Buet, expédiée de Bel-Air en août 1881 (elle sera publiée par Georges Normandy dans son article « Maurice Rollinat (Lettres Inédites) » parue dans La Revue (Ancienne « Revue des Revues ») n° 14 du 15 juillet 1912, pages 150 et 151). Charles Buet a écrit « Plus d’enfièvrement ! », alors que dans la lettre publiée par Georges Normandy, c’est l’expression « Plus d’enivrement ! » qui figure.

 31 – (page 447) Nous n’avons pas trouvé l’origine de la citation « Tu ne sais pas tirer un son de ce morceau de bois, dit Hamlet, et tu voudrais jouer de cet instrument, de cette âme que recèle mon corps mortel ! »

– 32 – Ce texte sera repris en majeure partie dans le livre Grands Hommes en Robe de Chambre (Société libre d’édition des gens de lettres, Paris, 1897, 333 pages), pages 321 à 333.

– 33 – Maurice Rollinat a remercié Charles Buet pour cet article dans une lettre datée du 14 octobre 1888 (publiée par Georges Normandy dans son article « Maurice Rollinat (Lettres Inédites) » parue dans La Revue – Ancienne « Revue des Revues » – n° 14 du 15 juillet 1912, pages 156 et 157). Il écrit notamment : « Je suis effectivement très empoigné par l’étude si forte que vous m’avez consacrée dans la Revue bleue. Oui ! voilà de la critique visionnaire, maraudeuse, interne : le vrai portrait de ma souffrance, l’explication de mon art l’anatomie de ma pensée. C’est large et fouillé, honnête au possible, et d’une intuition satanique puisque vous avez su deviner le dégoût sous mon rire et la peur dans ma raillerie. / Merci donc et merci encore mille et mille fois, mon cher Buet ; vous m’avez profondément touché et je vous jure bien que désormais – quoiqu’on puisse faire, dire ou insinuer – je reste votre ami. »