Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

Revue politique et littéraire – Revue bleue

N° 11 – Tome XLIX – 12 mars 1892

Pages 343 et 344 (vingt-troisième et vingt-quatrième du numéro).

(Voir le texte d’origine sur Gallica.)

 

 

COURRIER LITTÉRAIRE

 

M. Frédéric Bataille : Choix de poésies. – M. E. Callot : Théâtre complet de Sophocle traduit en vers. – M. Henry Bérenger : l’Ame moderne. – M. Maurice Rollinat : la Nature. – M. Gabriel Trarieux : la Chanson du prodigue. – M. Eugène Hollande : Beauté.

(…)

(page 343) (…)

M. Maurice Rollinat ne cherche pas ses inspirations dans Paris, et je doute qu’il ait vu l’Exposition universelle. Il ne songe nullement, pour le moment du moins, à chanter le funiculaire de Belleville. Il est tout à la nature, aux champs, aux prés, aux bois et aux étangs. Son volume est fait tout entier de promenades autour de son village. Il en a fait qui sont charmantes. Il sait voir. Il donne très souvent ce quelque chose qui est si rare et qui est tout simplement la sensation vraie. Il sait peindre le bruit du vent dans une vieille maison à la campagne :

Insensiblement, par filets
Plaintifs, saccadés, maigrelets,
(page 344) Le vent glisse entre les volets

Et sous les portes ;

Et s’engouffrant aux corridors,
Il gémit ainsi que des morts
Qui viendraient pleurer leurs remords

Avec des mortes.

Brr ! n’est-ce pas ? Eh bien, c’est cela ! C’est que « ça y est ». – Il sait peindre, non pas vaguement « la source dans l’ombre des bois », mais avec une netteté minutieuse, le suintement lent et obstiné du rocher humide.

En son recoin mystérieux,
Dont l’ajonc hérisse l’approche,
La source filtre de la roche
Comme des pleurs furtifs des yeux.

M. de Rollinat a de très rares qualités de poète descriptif. Il est fâcheux qu’il en abuse. Il en abuse de toutes les façons. D’abord par le développement excessif. Certes, il sait se borner ; mais il faut convenir qu’il est assez rare qu’il s’y résigne. Je connais un brochet de M. Rollinat que j’estime fort, mais que je trouve indiscret qu’il ait accommodé en cent cinquante-six vers. C’est la sauce qui fait valoir le poisson, je le sais bien ; mais celle-ci est un peu longue. M. Rollinat abuse encore, et encore plus, de la description par le menu, et même par le minuscule. Il regarde trop souvent la nature par le petit bout de la lorgnette. Un scarabée sur une rose, un crapaud sur un champignon, une coccinelle sur un brin d’herbe, voilà de ses sujets favoris ; et ce sera un détail infini des moires du dos du scarabée, et des duvets et des lustrés du brin d’herbe. Je puis me vanter de savoir en combien de temps et de mouvements se décompose la manœuvre d’une vipère sortant de dessous une pierre, depuis que j’ai lu le livre de M. Rollinat. J’ai la sensation de beaucoup de talent dépensé à une œuvre véritablement un peu menue.

Le poète que M. Rollinat me rappelle sans cesse, c’est Théophile de Viau, qui, du reste, ne fut pas loin d’être un grand poète. Mêmes sensations vraies, très souvent, et rendues avec de véritables bonheurs d’expression ; mais aussi mêmes prolixités, mêmes minuties, mêmes contemplations trop prolongées, et mêmes inégalités dans le style. Tenez, voici quelques vers qui sont du meilleur Rollinat. Ne vous semblent-ils pas être du meilleur Théophile, de ce Théophile à la fois sincère et précieux, ému et tortillé, que vous savez bien ?

Là bas, sur cette lande ardue,
Où de l’eau jette un louche éclat,
Et dont le blême horizon plat
Prolonge encore l’étendue.

Cette charrue afflige l’œil !
Sinistre épave surannée
De la culture abandonnée,
Elle met la pensée en deuil ;

Car funèbre est sa silhouette
Autant que celle d’un tombeau,
Sous les planements du corbeau
Et les zigzags de l’alouette.

Là naguère des papillons,
Comme des âmes du silence,
Traînaient leur vol qui se balance
Sur les friches de ces sillons.

Absolument du Théophile ! Ce n’est pas du tout un reproche que je fais là à M. Rollinat, et tant s’en faut.

Quand il est plus particulièrement moderne, M. Rollinat a pour caractéristique, non pas l’adoration de la nature, comme la plupart des romantiques, non pas l’horreur superstitieuse de la nature, comme Vigny, mais la terreur en présence de la nature. Ce sentiment est très frappant chez lui. Le plus souvent, et quand il ne la regarde plus avec une loupe, la nature lui fait peur. C’est le roulement du vent d’orage, la pesanteur écrasante des midi d’été, la tempête dévastatrice, les divers aspects, enfin, de la nature hostile qu’il nous rend le mieux, qu’il nous fait le plus précisément sentir, et dont il nous communique le mieux le frisson ou la maladive torpeur. Je n’en suis pas très étonné. D’abord, ce qui est la grande raison, parce que M. Rollinat est ainsi : il a commencé par être un poète macabre qui faisait frissonner les collégiens dans leurs dortoirs ; ensuite parce que M. Rollinat est Berrichon. Le Berri, avec ses grandes landes, ses horizons plats, son ciel gris, ses ravins soudain apparus, traîtres et mystérieux, pour rompre la monotonie des vastes plaines incolores, le Berri est mélancolique, profondément, intimement mélancolique. Dans une âme douce, comme celle de George Sand, il reste mélancolique tout simplement ; dans une âme un peu farouche, comme celle de M. Rollinat, il peut très facilement prendre ce caractère, non pas violemment agressif, comme ferait un pays alpestre ou pyrénéen, mais sournoisement méchant et mystérieusement perfide. M. Rollinat, du moins au point de vue littéraire, n’est pas rassuré dans ce pays-là. Il nous en envoie ses impressions, qui ont un accent sincère. La Nature est, tout compte fait, un livre à lire.

(…)

Émile Faguet.

 

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – En haut de la page 344, à la place de « M. de Rollinat », il faut bien évidemment lire : « M. Rollinat ».

– 2 – Les vers « Insensiblement, (…) Avec des mortes. » sont extraits du poème « Le Vent » (page 7).

– 3 – Les vers « En son recoin (…) pleurs furtifs des yeux. » correspondent à la première strophe du poème « La Source » (page 101).

– 4 – Les vers « Là bas, (…) de ces sillons. » correspondent aux quatre premières strophes du poème « la Charrue » (pages 11 et 12).