Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

Le Monde illustré

20 janvier 1883

Page 35 (troisième du numéro).

(Voir le texte d’origine sur Gallica.)

 

 

COURRIER DE PARIS

 

(…)

Ici c’est un poète, M. Maurice Rollinat, le très tambouriné, qui va faire paraître un volume de vers intitulé les Névroses. Etant donné le genre mortuaire qu’il a adopté, le titre pourrait aussi bien dire : les Nécroses.

(…)

PIERRE VÉRON.

 

 

Remarque de Régis Crosnier : Pierre Véron est le rédacteur en chef du Charivari. Deux articles étaient parus fin 1882 dans ce journal, et parlaient de Maurice Rollinat. Le premier inséré dans la rubrique « Chronique du jour » dans l’édition du 20 novembre 1882, page 2, indiquait notamment que « Jamais entrée en scène ne fut plus tapageuse. » Le second inclus dans la rubrique « A la petite semaine » signée « Quidam » dans l’édition du 26 novembre 1882, page 1, assimilait Maurice Rollinat à un poète juste capable de parler de cadavres et de la morgue. Il n’est donc pas étonnant que ces deux idées se retrouvent dans le paragraphe consacré à Maurice Rollinat dans Le Monde illustré du 20 janvier 1883.

 

*   *   *

 

Le Monde illustré

3 mars 1883

Pages 130 et 131 (deuxième et troisième du numéro)

(Voir le texte d’origine sur Gallica.)

 

(page 130)

 

COURRIER DE PARIS

 

(…)

Encore, ce vrai-là, ne faut-il pas non plus l’exagérer et le monocordiser, comme le fait le parti pris de toute une école contemporaine. Ecole qui vient de se manifester encore par une publication nouvelle, les Névroses, de M. Rollinat.

Les adeptes de cette secte, qu’on pourrait appeler les Horribilistes, ont vraiment l’air de croire qu’ils ont découvert les premiers le mal et le laid dans l’humanité. Tout ce qui répugne les attire, tout ce qui navre les charme. Ils se complaisent dans l’abomination et dans la désolation. Toute plaie les fascine, tout abcès les séduit, toute décomposition les enthousiasme.

Dans leur bouche, c’est infect n’est point un cri de répugnance, mais un cri d’admiration.

Je serais désespéré de détruire les illusions de ces prétendus novateurs, mais il faut pourtant bien les avertir qu’ils n’ont rien innové du tout.

Ils datent de l’Ane mort et la Femme guillotinée, de Pétrus Borel, le lycanthrope, dont Baudelaire lui-même ne fut plus tard qu’un succédané.

Hélas ! la pourriture à laquelle M. Maurice Rollinat semble dédier son volume dans l’épigraphe qu’il emprunte à Job, cette pourriture est vieille comme le monde lui-même, puisqu’elle a été le dénouement du premier homme comme de la première femme.

Ce qui me choque, ce qui me désintéresse aussi, avec des tentatives littéraires du genre des Névroses, c’est que je n’y sens point la sincérité, c’est que j’y sens au contraire la préméditation d’une pose répétée devant la glace.

Il me semble que l’auteur s’est dit tout d’abord :

« Il faut faire retourner les passants. Comment m’y prendrais-je ? »

C’est, par malheur, un travers trop commun à notre époque. Est-ce bien un travers ? N’est-ce pas plutôt un calcul ?

Je parle ici en thèse générale et sans application spéciale à M. Rollinat, qui m’est inconnu. Il est indéniable que la plupart de ceux qui travaillent aujourd’hui dans le répulsif, dans le lugubre, dans l’abracadabrant, n’y sont nullement entraînés par la spontanéité de leur tempérament. Ils feraient des bouquets à Chloris, si les bouquets à Chloris étaient demandés. Mais il est convenu que notre temps a plus de goût pour les puanteurs que pour les parfums. Et l’on table là-dessus. Rien pourtant ne me semble plus infécond et plus monotone. Toutes les charognes se ressemblent, et il y a sept cents variétés de roses !

Croyez-moi et pensez-y, jeunes gens qui suivez cette funeste direction et qui semblez croire que l’égout collecteur est le plus court chemin pour courir à la gloire. Croyez-moi, on commence à être dégoûté du dégoût.

Le livre de M. Rollinat se déclare de lui-même maladif par le titre même qu’il a choisi. Ce titre est-il un aveu ? N’est-il pas plutôt une amorce ?

Les névroses ! C’est le mot à la mode. Partout et pour tous. Pour toutes aussi. Les médecins ont tout dit quand, aux questions du malade décontenancé et découragé, ils ont répondu :

– Peuh ! c’est une névrose.

Par exemple, ne leur en demandez pas plus long. Ils ne sauraient s’expliquer davantage. Le mot a la prétention de tout signifier et ne signifie rien. Il sert à se débarrasser des curiosités gênantes. Il impose aux jobards en même temps qu’il rassure les timorés.

Car il est convenu que la névrose fait souffrir, mais n’est pas mortelle. Convenu aussi que c’est surtout le mal des gens dont le cerveau travaille. Et qui n’est flatté de faire croire qu’il a un cerveau capable de travailler ?

D’où le succès du néologisme qui, de la langue technique, passe dans la langue poétique, grâce à M. Rollinat.

Il a, par ma foi, bien choisi son étiquette, au point de vue de l’attraction sur l’acheteur. Comment la justifie-t-il ?

Est-ce que le titre d’un volume de vers a jamais besoin d’être justifié ?

En réalité, je l’ai dit d’ailleurs, c’est plutôt les Nécroses qui seraient de mise sur la couverture du volume, où la mort, avec tous ses détails de déliquescence, tient une si large place.

Encore une invention peu nouvelle que la mort ! Il y a pas mal de temps que nous savons qu’on finit généralement par là et de quelle façon. Mais ce n’est pas encore une raison pour que tout le monde aime, comme Sarah Bernhardt, à avoir son cercueil sur une étagère dans son salon.

Deux préoccupations semblent dominer M. Rollinat : la première, c’est de produire l’épouvantement, résultat toujours facile à obtenir ; la seconde, c’est de faire un sort à chacune de ses rimes.

Sur ce point, je dois le dire, il réussit remarquablement. Son vocabulaire est des plus variés. Il a des accouplements imprévus. Le métier est poussé si loin qu’il arrive presque à être de l’art.

Mais c’est pour cela précisément que je lui en veut de n’être pas de l’art tout à fait. C’est pour cela que je voudrais voir M. Rollinat parler à cœur et non pas à dictionnaire ouvert.

Quelques articles répercutés par tous les échos de la presse lui ont fait une célébrité soudaine et préventive. On a donc le droit de se montrer d’autant plus exigeant que l’auteur avait plus promis. C’est l’inconvénient logique de ces Vous allez voir ce que vous allez voir poussés trop brusquement.

On assure que le poète est un diseur qui vous enjôle par des habiletés irrésistibles, que d’aucuns taxent même de magnétiques. Ceci est en dehors de l’appréciation et rentrerait dans la critique de théâtre.

Tout ce que je peux dire, c’est qu’après avoir constaté une dépense d’habileté exceptionnelle, des recherches pleines d’efforts suivies de quelques heureuses trouvailles, une contention de volonté visant l’effet avec opiniâtreté ; c’est qu’après s’être rempli l’oreille de ces cliquetis de mots, les yeux de ces images macabres, on constate qu’on a pu être étonné, mais qu’on n’a pu être ému.

Puis, relisant une douzaine de vers de quelqu’un des poètes qui ont pensé simplement et profondément, et se sentant remué jusqu’au fond de l’âme par ces choses loyalement et sainement dites, on se demande en guise de conclusion :

– Pourquoi tous ces ténébreux vont-ils chercher minuit à quatorze heures ! Pourquoi se donnent-ils tant de mal en pure perte, alors qu’ils feraient plus avec un seul sentiment vrai et sincèrement traduit ?

(…)

 

(page 131) (…)

A propos de formules, que c’est donc beau la simplicité !

Il y a des gens qui se manièrent, qui se contournent et s’efforcent pour faire de la critique.

A quoi bon ! Boileau n’a-t-il pas dit que ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement ?

Parlez-moi du style de la critique contemporaine ! Voilà un gaillard qui est lucide, précis, sobre !

J’en ai justement mis un échantillon de côté à votre intention.

Vous m’en allez remercier.

L’article dans lequel je fais des coupures – garanties authentiques – est précisément consacré à M. Rollinat, dont je parlais tout à l’heure.

C’est un compte rendu admiratif. Mais l’admiration ne s’y traduit pas dans la langue banale des humbles mortels, des vils profanes.

Elle parle un idiome spécial, inattendu, prodigieux. Exemple :

« Cette musique, plus terrible peut-être dans ses suavités que dans ses violences, cette voix de poète si navrée d’angoisses et si crucifiée – semblables à la Tristesse et à la Peur qu’une effroyable tendresse aurait amoureusement enlacées – ondulent et serpentent si formidablement autour du cœur, que l’applaudissement lui-même – cette détente nerveuse de la brute humaine ravie – ne se produit pas immédiatement. Les nerfs enroulés autour de l’âme par cette mélodie tortionnaire, comme les entrailles du martyr de Rubens autour de son cabestan, ne se dénouent qu’avec lenteur sous les visages blêmes et stupéfaits. »

Donc, nous avons une voix crucifiée qui serpente et des nerfs enroulés autour d’une âme. La voix crucifiée me semble mériter le premier prix.

Mais voici bien autre chose (je copie toujours) : « Qui pourra dire comme lui, avec cette voix stridente et gastralgique, ces voilements d’agonie, ces envols soudains, ces rentrées d’irrévélable angoisse et ces gestes trucidants d’homme éventré qui retient ses entrailles avant de baver son dernier soupir ? »

A quoi le critique ajoute, malgré les gestes trucidants, le soupir bavé, la voix gastralgique :

« Je voudrais cependant indiquer le plexus nerveux de cette poésie. »

Mais comment donc ! Je n’y vois pas d’inconvénient, à l’indication de ce plexus ; et vous ?

PIERRE VÉRON.

 

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – Pierre Véron avait déjà consacré une partie de sa chronique Courrier de Paris à Maurice Rollinat dans Le Monde illustré du 20 janvier 1883, page 35 (voir cidessus). Il a également publié dans La Petite Presse du 23 février 1883, pages 1 et 2, un article intitulé « Un nom nouveau », où il présente le livre Les Névroses uniquement à partir de ses aspects macabres.

– 2 – Les deux citations en fin du texte, sont extraites de l’article de Léon Bloy « Les artistes mystérieux : Maurice Rollinat » paru tout d’abord dans Le Chat Noir des 2 septembre 1882, 9 septembre 1882 et 16 septembre 1882, puis dans Le Foyer illustré, 17 septembre, 24 septembre et 1er octobre 1882.

– 3 – Pierre Véron ne voyait en Maurice Rollinat qu’un poète macabre. Il évoluera dans sa perception du poète lorsqu’il prendra connaissance de la réédition du livre Dans les Brandes, chez Charpentier ; la présentation qu’il en fera dans Le Charivari du 6 août 1883, page 2, rubrique « Livres » est assez détaillée et beaucoup moins négative que celles pour le livre Les Névroses.