Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

Le Monde illustré

21 janvier 1888

Pages 34 et 35 (deuxième et troisième du numéro).

(Voir le texte d’origine sur Gallica)

 

(page 34)

 

COURRIER DE PARIS

 

(…)

Ce n’est pas la banalité qu’on a jamais pu reprocher à M. Maurice Rollinat.

Plait-il ? Vous semblez chercher inutilement dans votre souvenir. Et pourtant M. Maurice Rollinat a eu son quart d’heure de célébrité retentissante. Pendant toute une semaine, Paris n’a parlé que de l’auteur des Névroses, de ses inspirations macabres, de ses rythmes étranges, de ses assonances méphistophéliques, de ses funèbres chansons. Car il est aussi un peu musicien.

Puis, tout ce tapage s’est apaisé, aussi vite qu’il avait grandi.

Un oubli plus injuste encore que les engouements précédents. Car M. Rollinat, s’il n’est pas l’homme de génie qu’on avait improvisé, n’est pas non plus un talent indifférent et vulgaire.

Curieuse application du vers :

Le temps respecte peu ce qu’on a fait sans lui.

Il semble qu’on se soit révolté contre l’emballement de la surprise et qu’on soit allé trop loin dans la réaction d’indifférence, parce qu’on était allé trop loin dans l’élan d’un premier enthousiasme.

D’après ce que racontent ses amis, – et il en a gardé de fidèles, – malgré son retour de (page 35) fortune, – M. Maurice Rollinat a été cruellement secoué par ses soubresauts ; il en a ressenti un découragement voisin de la misanthropie, et, disant adieu à ce Paris qui fait et défait les idoles avec une légèreté si insoucieuse, il est allé cacher ses méditations dans les sombres forêts. Loin du boulevard frivole et inconstant, il habite une chaumière ignorée. Mais qui a rimé rimera, et là-bas, après un silence courageusement gardé pendant deux ou trois ans, il a repris la plume.

La preuve, c’est qu’on vient de publier quelques pièces de poésie nouvelles, écrites dans le silence et l’ombre. Il en est de fort belles et qui attestent une puissante personnalité. La préméditation de l’originalité y apparaît encore ; on y retrouve certaines excentricités de forme évidemment voulues. En les lisant, toutefois, on se sent remué par un accent aux vibrations profondes.

Une de ces pièces, consacrées toutes à la tradition de la nature, s’intitule : le Vent. Elle est admirable.

Il faut absolument qu’on mette fin au malentendu qui sépare M. Rollinat et le public. Il y a eu maldonne. D’un côté, une célébrité qui a voulu aller trop vite ; de l’autre, une curiosité qui a crié trop tôt et trop fort ses hurrahs de Panurge. Mais on peut facilement remettre toutes choses en place. Que M. Rollinat revienne à Paris et que Paris revienne à M. Rollinat : je suis sûr qu’on s’entendra cette fois.

Nous n’avons pas assez de tempéraments sincères dans la littérature contemporaine, pour faire fi de celui-là.

(…)

Pierre Véron.

 

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – Pierre Véron avait déjà consacré à trois fois une partie de sa chronique Courrier de Paris à Maurice Rollinat :

– dans Le Monde illustré du 20 janvier 1883, page 35 (la troisième du numéro), on peut lire une brève annonce de la prochaine parution des Névroses, mais avec un a priori négatif puisque qu’il est indiqué que le titre pourrait être Les Nécroses ;
– dans l’édition du 3 mars 1883, page 130 (la deuxième du numéro), il présente Les Névroses avec un commentaire très négatif ;
– dans Le Monde illustré du 1er mai 1886, page 275 (troisième du numéro), il annonce la parution de L’Abîme et fait un rappel négatif par rapport à la période de parution des Névroses.

Dans La Petite Presse du 23 février 1883, pages 1 et 2, dans un long article intitulé Un nom nouveau, il avait présenté le livre Les Névroses de Maurice Rollinat de manière très négative.

Dans le présent article, ses commentaires sont beaucoup moins négatifs que précédemment.

– 2 – Nous n’avons pas trouvé l’origine du vers « Le temps respecte peu ce qu’on a fait sans lui. » Par contre, nous l’avons vu utilisé comme proverbe par divers auteurs. (Ce vers est parfois attribué à Nicolas Boileau, mais nous ne l’avons pas retrouvée dans son œuvre.) Pierre Véron avait déjà employé cette expression et l’idée sous-jacente à propos de Maurice Rollinat, dans sa chronique Courrier de Paris parue dans Le Monde illustré du 1er mai 1886.

– 3 – Le poème « Le Vent » de Maurice Rollinat venait d’être publié dans le Supplément littéraire du dimanche du Figaro, du 14 janvier 1888, page 7. Il sera inclus dans le livre La Nature (1892), pages 1 à 10.