Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

Le National

Mardi 19 juin 1877

Page 3.

(Voir le texte d’origine sur Gallica.)

 

 

Feuilleton du National du 19 juin 1877

REVUE DRAMATIQUE ET LITTÉRAIRE

 

THÉÂTRES. – Château-d’Eau : Le Fils de la Nuit, drame de Victor Séjour et de M. Bernard Lopez, Reprise. – Ouverture de l’Hippodrome.

LIVRES. – Dans les Brandes, Poëmes et Rondels, par Maurice Rollinat. – Chez Sandoz et Fischbacher.

 

(…)

Parmi les innombrables volumes de vers qui éclosent chaque jour (et c’est notre gloire incontestable que tant de Français aspirent à crever de faim, pour le seul amour du vert laurier !) en voici un intitulé Dans les Brandes, Poëmes et Rondels, qui me semble révéler un poëte véritablement fort. Ce livre est nettement, solidement écrit, en bon français, par un artiste qui sait à fond la langue de Rabelais et la langue moderne, et qui, chose rare, connaît assez de mots et de tournures pour ne jamais tomber dans le lieu commun. Fils du Rollinat qui fut un des meilleurs amis de l’auteur de l’Indiana, et à qui sont adressées plusieurs des Lettres d’un Voyageur, M. Maurice Rollinat, ardent naturaliste, est beaucoup l’élève de George Sand, qui, l’ayant connu et aimé petit enfant, lui a appris à bien voir et à bien connaître les poétiques paysages du Berry. Les aspects, les bruits, les silences, la vie murmurante des solitudes, les travaux des champs, les intéressantes figures provinciales ont été étudiés, peints d’après nature par ce poëte qui n’a copié aucun livre, et qui ne travestit pas nos campagnes de France d’après Horace et Virgile. Mais s’il est l’élève de George Sand, qui adora la nature, il est beaucoup aussi l’élève de Baudelaire, qui ne pouvait pas la souffrir. A celui-là il a pris l’horreur du convenu, le raffinement exquis, l’expression juste et intense, et la surprenante distinction de la facture. Voici quelques vers d’un délicieux morceau intitulé : Fuyons Paris :

Nos boulevards seront des plaines
Où le seigle ondoie au zéphyr,
Et des clairières toutes pleines
De fleurs de pourpre et de saphir.

En buvant le lait d’une ânesse
Que tu pourras traire en chemin,
Tu rafraîchiras ta jeunesse
Et tu lui rendras son carmin.

Dans les halliers, sous la ramure,
Douce rêveuse au pied mignon,
Tu t’en iras chercher la mûre,
La châtaigne et le champignon.

Les fruits, qu’avidement tu guignes,
Va ! laisse-les aux citadins !
Nous, nous irons manger des guignes
Au fond des rustiques Edens.

Au village on a des ampoules,
Mais aussi l’on a du sommeil ;
Allons voir picorer les poules
Sur les fumiers pleins de soleil.

Sous la lune, au bord des marnières,
Entre des buissons noirs et hauts,
La carriole dans les ornières
A parfois de si doux cahots !

J’aime l’arbre et maudis les haches !
Et je ne veux mirer mes yeux
Que dans la prunelle des vaches,
Au fond des prés silencieux !

M. Maurice Rollinat s’est emparé en maître du Rondel, ce charmant petit poëme et si français, qui fut jadis cher à Charles d’Orléans, et qui a été récemment remis en lumière. Lisez ce rondel intitulé la Belle Porchère, et dites s’il ne ressemble pas à un excellent Millet ?

La porchère va remplir l’auge
De son mouillé d’eau de vaisselle.
Les deux bras nus jusqu’à l’aisselle,
Elle va, vient, court et patauge.

L’air est plein d’une odeur de sauge,
La lumière partout ruisselle.
La porchère va remplir l’auge
De son mouillé d’eau de vaisselle.

Et ma foi ! mon désir se jauge
Aux charmes de la jouvencelle ;
Je suis fou de cette pucelle.
– Allons ! verrats, quittez la bauge !
La porchère va remplir l’auge.

Comme on le voit, ce rondel est écrit tout entier en rimes féminines. Il n’est plus temps d’arrêter cette innovation, qui vient de Ronsard, que Victor Hugo a adoptée, et qui s’étend comme une tache d’huile.

THÉODORE DE BANVILLE.

 

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – Théodore de Banville connaît la poésie de Maurice Rollinat depuis 1871. En effet celui-ci a envoyé à Théodore de Banville quelques poèmes en lui demandant son avis (lettre de Maurice Rollinat à Théodore de Banville, datée du 12 décembre 1871, publiée par Hugues Lapaire dans Rollinat Poète et Musicien, pages 49 et 50). La réponse lui parviendra très rapidement (lettre de Theodore de Banville à Maurice Rollinat, datée du 26 décembre 1871, publiée par Régis Miannay dans son article « Banville et Rollinat » paru dans le Bulletin de la société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 18 – Année 1979, pages 6 à 9). Nous avons aussi connaissance d’un autre échange de lettres en 1874 (lettre de Maurice Rollinat à Theodore de Banville, datée du 1er juin 1874, publiée par Régis Miannay dans l’article cité ci-dessus ; et réponse de Theodore de Banville à Maurice Rollinat, datée du 27 juin 1874, publiée par Régis Miannay dans le même article).

– 2 – Dans la troisième édition du Parnasse contemporain publiée le 16 mars 1876 et coordonnée par Théodore de Banville, François Coppée et Anatole France, Maurice Rollinat a eu un poème « Les Cheveux » de publié (pages 364 à 367).

– 3 – Dans le livre Dans les Brandes, objet de la présentation ci-dessus, Maurice Rollinat a dédicacé à Théodore de Banville, le poème « La mare aux grenouilles », page 56.

– 4 – Si Théodore de Banville évoque « l’élève de George Sand, qui, l’ayant connu et aimé petit enfant, lui a appris à bien voir et à bien connaître les poétiques paysages du Berry », il ne faut pas oublier le rôle joué par le père de Maurice, François Rollinat, qui lors des vacances dans la maison de campagne de Bel-Air, à Ceaulmont, a appris à son fils à aimer la nature. D’ailleurs, de très nombreux poèmes de Dans les Brandes sont inspirés par cette partie du Berry. Dans le poème « A travers Champs » (page 15), Maurice Rollinat écrit :

(…)
Là, fuyant code et procédure,
Mon pauvre père, chaque été,
Venait prendre un bain de verdure,
De poésie et de santé.
(…)