Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

(Voir le texte d’origine sur Gallica)

Page de garde du n° 8 de la revue Les Hydropathes du 5 mai 1879.

La couverture du numéro 8 du 5 mai 1879 est consacrée à une caricature de Maurice Rollinat et en deuxième page figurent un portrait de « L'Hydropathe Rollinat » par Émile Goudeau, un poème « Le rire, aux pleurs » de Cabriol (pseudonyme utilisé par Georges Lorin) dédié à Maurice Rollinat et une présentation de la musique de Maurice Rollinat par Léo Goudeau.

 

(NDLR : Si dans les textes que vous allez lire, vous trouvez des fautes, par exemple George Sand avec un « s » à George, ou si la ponctuation vous paraît bizarre, c’est que nous avons scrupuleusement respecté les textes d’origine.)

 

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L’HYDROPATHE ROLLINAT

 

Prenez un Berrichon de Georges Sand, moitié paysan, moitié monsieur, laissez-le vaguer toute son enfance à travers les brandes des environs de Châteauroux, dans ce pays embrumé où l’on rencontre encore des sorcières, et où près des mares, valsent en rond les feux follets, farfadets et farfadettes ; puis, plongez cet être mystique, mystifié par l’apparence des choses, dans le milieu parisien, brutale et intense, réel et passionné, où la danse nocturne de la flamme du gaz remplacera celle des feux follets : donnez à ce Berrichon l’existence maladive d’un dépaysé, avec toutes les violentes aventures, les déconvenues et les joies barbares que cachent les briques de nos cloisons. – Bref ! mettez ce Berrichon épris de sa brume natale, dans notre brume morale qui l’attire, tout à la fois et le repousse, – vous aurez Rollinat.

Il est fils d’un avocat ou avoué de Châteauroux, qui fut le conseiller et l’ami de Georges Sand : elle en parle dans ses Mémoires. Il a pris de la grande artiste l’amour de cet affreux pays, sans gaieté et sans soleil ; et avec sa note particulière il a encore foncé ce brouillard perpétuel ; et supprimant la gaieté naïve du romancier, il y a substitué un sentiment peut-être plus réel, de l’invincible tristesse de ces solitudes, – habitées, il et vrai ; mais si peu.

Rollinat s’est ainsi posé sur les yeux un binocle de brume, et il est venu à Paris, avec. Il a regardé tout à travers ce lorgnon-là. Et alors il a lu Baudelaire et Edgard Poë, et de ce mélange : Georges Sand, Baudelaire et Poë, est sortie une personnalité étrange, vigoureuse au possible, et qui fait tressauter jusqu’aux toits le bourgeois qui vend des parapluies ou des pruneaux au rez-de-chaussée.

Qu’y faire ?

S’il y a au monde une chose que nous aimions par-dessus tout, par-dessus le vrai, le bien et le beau, par-dessus nos propres vers et notre prose (voyez si nous allons loin), c’est l’originalité : le personnalisme, véritable étiquette d’une école qui a la prétention de renverser les écoles. A ce titre, Rollinat est des nôtres, précisément parce qu’il n’est pas des nôtres.

Il regarde et il voit à sa manière.

Une femme, une parisienne s’avance jeune, belle, souriante, petits cheveux ébouriffés, yeux élargis, nez frémissant, bouche plus rose que nature, seins en avant et avenants, taille souple ; une poupe avec une traîne pour gouvernail ; deux petits ravissants petons qui rament prestement sur le lac asphaltite de nos bitumes ; et deux mains finement gantées agitant l’éventail, l’ombrelle ou le mouchoir comme oriflammes et pavillons. Elle passe joyeuse, c’est un qrintemps ; vous vous retournez, Rollinat s’arrête : qu’a-t-il vu là ?

Cette femme d’où vient-elle? De Babylone ou de Gomorrhe ? Elle sort d’un lit tumultueux, plein des luxures effroyables de nos temps modernes ; elle a toute l’hystérie, toutes les névrôses, cosi fan tutte ; elle a la rage : ces yeux souriants ont étincelé dans l’ombre, ces cheveux se sont violemment dénoués ; cette bouche avait des rires fous, et des morsures ; cette gorge immobile dans la cuirasse, a eu les tressaillements de la passion exaspérée ; et cette taille couple s’est tordue et raidie dans les convulsions suprêmes. C’est tout un poème d’alcôve qui passe. Mais... et le rêveur acharné arrêté devant ce problème, poursuit :

Vous voyez cette souriante figure et le reste.

Qu’y a-t-il sous ce sourire ? trente-deux dents ; sous ces joues roses ? deux zygomas ; sous cette chevelure ? un crâne ; sous cette gorge ? la double harpe du thorax ; sous ces hanches ? les os iliaques ; sous ces froufrous de robe à traîne ? les fémurs cliquetants. C’est tout un poème macabre qui passe.

Alors l’artiste empoigné violemment par sa propre vision rentre chez lui, remue ses meubles, s’assied, se lève, allume sa pipe, plaque quelques accords sur son piano ; et puis jette sur le papier l’expression de son rêve, avec sa science des rythmes, et son intensité de forme ; et nous avons l’Amante Macabre ou Mademoiselle Squelette.

Il en est de tout ainsi, des roses et des grands bœufs, des crapauds et des petits chevaux de bois.

Mais ce rêve violent a une telle intensité qu’il donne le frisson au plus sceptique : la terreur que peuvent inspirer les choses, l’impression formidable de cette nature qui nous englobe et que nous ne comprenons pas, le mystère de la vie et le mystère de la mort passent devant vos yeux, sarabande effroyable d’idées funèbres et morbides.

L’optimiste le plus décidé ne peut résister à l’outrance de ce pessimiste : et c’est la gloire de l’artiste d’enchainer quand même à son idée ceux qui y sont le plus réfractaires.

Sur ces compositions bizarres, Rollinat met une endiablée musique, que repousse violemment le musicien de profession ; mais que la foule applaudit.

Je préfère le jugement de la foule, comme me le disait Rollinat : Les règles et règlements doivent nous importer peu ; il y a ce qui plait ou empoigne, il y a ce qui fait rire ou pleurer. – Le reste n’est que fadaise.

Bientôt, du reste, doit paraître un album d’une douzaine de compositions faites sur des paroles de Baudelaire ; le public pourra juger ; mais s’il applaudit les artistes qui interpréteront cette musique, nous ajouterons comme Eschine : Qu’est-ce que cela aurait été, si vous aviez entendu le monstre lui-même ?

A bientôt aussi les Névroses, un livre parisien, pour faire pendant au volume intitulé dans les Brandes, qui a paru l’an dernier chez Sandoz.

Ceux qui aiment les choses pimentées, les airs violents qui frappent sur les nerfs comme un fouet, ceux que l’idée de la mort fait trembler au lieu de les faire sourire.....

Mais je m’arrête sur le mot sourire ; car j’aperçois Cabriol, qui tout en cabriolant m’a cabriolé l’esprit.

 

Emile Goudeau

 

LE RIRE, AUX PLEURS

A Maurice RoIlinat.

Plus qu’Hugo, le Décor Géant ; Musset, la Vie ;
Plus que Balzac, l’esprit ; Lamartine, Amoureux
Sans amour : Baudelaire, Eclair du Ténébreux,
Mais qui ne chante point ; plus que la Rêverie

De Schumann, de Schubert, de Chopin, ce Fiévreux,
J’aime... et ma passion d’autres sera suivie,
Le Frisson de vos vers et de votre harmonie,
L’Ampleur, sans Procédé, de vos chants douloureux.

Votre musique est femme, et comme une maîtresse,
Dont chacun est l’amant, sans en être jaloux,
Elle a le chaud parfum de l’intime caresse.

Le Miroir où le Spleen trouve un frère, c’est vous.
Et cela, seul, peut-être encor, j’ose le dire :
C’est pourquoi, devant vous, je tais, un jour, mon rire.

Cabriol.

 

LA MUSIQUE DE ROLLINAT

(SIMPLE NOTE)

 

La mélodie chez Rollinat a quelque chose de bizarre, qui frappe par le caractère éminemment original.

Il emploie de préférence les intervalles les plus vibrants et les plus inattendus, et constamment se sert du triton en descendant, et de l’intervalle d’un ton et demi. Cela ne constitue point une originalité ; mais où il est étrange, c’est quand il attaque avec vigueur des modulations très-éloignées, et, le plus souvent, par des appogiatures ; celles-ci quelquefois d’une hardiesse extrême, le chant faisant deux notes diatoniques étrangères à l’harmonie.

L’harmonie, du reste, est en rupture de banc avec toutes les règles établies : elle présente des successions sans liaison ; elle abandonne le chant qui alors lutte contre elle, ou s’en fait une esclave absolue, modulant sous chaque degré nouveau même dans un chant rapide, et alors avec un débordement de richesse et de libertinage qui donne une frissonnante sensation.

J’ai ouï dire à bien des gens, après avoir entendu Rollinat : « Il n’y entend rien ! » mais ils partaient émus. – Pourquoi donc disaient-ils : Il n’y entend rien ? Grave question !

Léo Goudeau.