DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

LE JARDIN D’ORIENT

 

de Martine LE COZ

 

aux Éditions Michalon, Paris, 2008, 212 pages

 

 

Le spirituel, l’histoire et la poésie sont toujours au premier plan, dans les livres de Martine Le Coz. Dans « Le Jardin d’Orient », elle utilise une écriture éblouissante de poésie et d’élégance et nous aide à parvenir à un monde d’universelle sagesse. Elle nous parle de la ville où elle vit, Amboise mais en 1848, quand l’émir Abdelkader y est retenu en captivité, au château. C’est l’occasion pour Martine Le Coz, de dire son admiration devant cet homme d’exception qui fut un grand chef pour son peuple, un grand guerrier qui a résisté à la France pendant dix-sept ans, un érudit et un grand mystique. Martine le Coz nous décrit les relations que ce personnage hors du classique a su nouer avec les gens qu’il a côtoyés dont le curé d’Amboise, l’Abbé Robion, ; tous ont été marqués par sa dignité, sa sagesse et la force de ses propos qui sont pour nous tous, un message de paix, de justice, de fraternité, à la recherche de la vérité absolue.

« Le Jardin d’Orient » est le nom du cimetière musulman d’Amboise, là où sont enterrés tous ceux qui sont morts en captivité, lors du séjour de l’émir Abdelkader. Ce titre de livre n’est pas anodin puisqu’il veut nous rappeler le passage de ces gens prisonniers et leur impact sur la population tourangelle.

Situons tout d’abord le cadre de l’histoire. Martine Le Coz met en relief la beauté majestueuse de la Loire, en poète et amoureuse de la Touraine ; elle décrit ainsi l’arrivée du paquebot à Amboise :

« Il laissait derrière lui, dans une grisaille bouillonnante, les cormorans à la géométrie parfaite, les ailes cassées à l’équerre, pour suivre tranquillement la Loire.

Le vapeur dépassa Tours et fraya sa voie le long des bancs de sable redoutés des mariniers. Il frôla les îles blêmes, déjoua le courant et les spirales souterraines, et atteignit Amboise pendant les heures noires. » (p. 11)

La Loire sera aussi à l’honneur sous le regard pensif de l’abbé Robion :

« La Loire limoneuse s’élargissait en bas, gonflée de menaces. Les piles du pont, au droit du château, triaient les eaux, séparaient les reflets de l’opaque, rejetaient du fleuve les vases et les débris d’épaves ; il durcissait la charge, revenait mordre aux jambes de pierre, prenait les tours d’assaut et les couronnait d’écume. (...) Les éléments perpétuellement fondus et désassemblés travaillaient à une mystérieuse permanence qui entraînait sa méditation. » (p. 62)

« À sa droite coulait la Loire large et tranquille, à sa gauche s’étendait une vague de toits d’ardoises. Il se crut un instant au centre de la grande bassine divine, entre la colère des eaux et leur paix infinie, (…) » (p. 70)

Le ciel de Touraine contribue à créer l’ambiance et les talents de peintre de Martine Le Coz lui permettent de mieux décrire la palette du ciel en poésie :

« Le ciel ajusta ses bleus à ceux du fleuve et tendit ses drapeaux entre les arbres de la forêt, les maisons de la ville et les tours du château. » (p. 101)

L’arrivée de ces gens à Amboise est toute une histoire pour la population amboisienne qui s’amasse, curieuse, pour les voir arriver. Alors les amboisiens sont tous étonnés par la dignité des prisonniers :

« (…) les captifs étaient des âmes avant d’être des corps, et elle allait devoir apprendre, pour les atteindre, à faire un détour. » (p. 44)

L’émir Abdelkader prend spontanément la première place :

« Le dos pivota et Abdelkader lui apparut d’un seul coup, d’une force colossale. En pleine face. Pas un muscle ne dormait sous les traits impassibles. Aucune souffrance n’abaisserait l’âme de l’émir, l’officier en eut la certitude. Il était l’Oint d’Allah, tiré des reins d’Adam avant la peine du dam et de la source de Zamzam jaillie sous les pas d’Ismaël. » (p. 95)

L’abbé Robion est subjugué par l’aura de l’émir Abdelkader et il se tourne vers la Loire pour se ressourcer et pour supplier le ciel :

« Seigneur ! murmura-t-il en s’agenouillant, veuille que ce ruisseau s’élargisse comme la Loire qui coule en bas, car à mon avis, il n’est pas souillé : quoi qu’il arrive aujourd’hui, au fond, je suis heureux. Regarde un peu par ici, s’il Te plaît, et aide-moi. » (p. 68)

Les rencontres entre l’émir Abdelkader et l’abbé sont riches de surprises et d’échanges profonds. L’abbé prend conscience qu’il vivait dans la routine, que nous sommes tous prisonniers de nous-mêmes, de nos idées toutes faites, de nos convenances, de notre manière de vivre. Alors :

« (…) une grande paix lui vint (…). Il lui sembla bientôt qu’une brise parfumée de tous les mystères du monde traversait la galerie (…) ». (p. 68)

L’émir reste imposant et Martine Le Coz nous fait pénétrer dans le monde spirituel de l’émir, en montrant son caractère universel et la beauté de son message :

« L’émir lui tournait le dos, debout à la croisée. Ce dos était puissant, (…). « Nous ne sommes jamais nous-mêmes, capitaine, murmura l’émir. L’existence nous écarte de la Réalité sublime. C’est un exil aussi. » » (p. 93)

« (…) en Dieu sont toutes les fontaines de la Sagesse, bien que chacun ne connaisse celle où il doit boire. » (p. 95)

Martine Le Coz n’hésite pas à ponctuer ses chapitres, de citations extraites de la Bible ou du Coran, pour nous aider à une réflexion mystique hors d’un carcan réducteur :

« Demandez, et l’on vous donnera
Cherchez, et vous trouverez
Frappez, et l’on vous ouvrira

MATTHIEU, VII, 7 ». (p. 55)

« Ce n’est pas toi qui lançais les flèches, lorsque tu les lançais,
Mais c’est Allah Lui-même qui les lançait.

CORAN, VIII, 17 » (p 39)

Voici quelques paroles d’Allah Lui-même prononcées par l’émir qui nous montrent que Dieu est à la fois proche de nous et universel :

« Je suis Dieu, je suis créature ; je suis Seigneur, je suis serviteur
Je suis le Trône et la natte qu’on piétine ; je suis l’enfer et je suis l’éternité bienheureuse
Je suis l’eau, je suis le feu ; je suis l’air et la terre
Je suis le « combien » et le « comment » ; je suis la présence et l’absence
Je suis l’essence et l’attribut ; je suis la proximité et l’éloignement
Tout mon être est mon être ; je suis le Seul, je suis l’Unique. »
(p. 96)

Pour l’émir Abdelkader, mysticisme, confiance et philosophie de vie sont liés intimement même dans la souffrance et l’incompréhension :

« Nous sommes également blessés par les fluctuations du monde, mais l’amour divin qui n’est pas soumis au devenir nous en libère. Nous guérirons. » (p. 109)

« Abdelkader ibn Mahieddine al-Hassani en était là, réduit à ce néant, au milieu du reploiement du monde. Il était ce néant, cette ténèbre et cette cécité de mécréant, et il y pensait sans cesse. » (pp. 125 et 126)

La poésie de Martine Le Coz est présence à fleur de ligne partout et elle est englobée dans l’élan de mysticisme, en communion avec la nature, même dans la nostalgie de l’émir en exil :

« Le hêtre règnerait sur cette partie du jardin tandis que le cèdre étendrait sur l’autre ses rameaux à l’horizontale, les aiguilles sombres, mais argentées dirigées vers le sud, l’Atlas et ses frères des forêts de Constantine. » (p. 151)

L’émir a bien compris que la vérité peut avoir plusieurs aspects, qu’il faut rester humble et quand l’abbé se sent prêt à devenir musulman, c’est l’émir qui lui dit de rester lui-même, qu’il en a besoin pour croire en l’universalité de Dieu :

« Il leur restait l’intensité, l’authenticité. Une espèce de pauvreté. » (p. 156)

« Ai-je tort d’être chrétien ? Dois-je me faire musulman ? » (p. 157)

« Il n’en est pas question, prêtre Robion ! » a répliqué cet homme admirable. « J’ai besoin que vous soyez chrétien, et tous mes frères également. Pour la solidité de votre cœur et pour le murmure qu’il fait avec le mien. Le sourire de l’image divine, en nous, en dépend. » (p. 158)

Lorsqu’il eut la permission de se déplacer aux alentours, l’émir parla avec tous ceux qui étaient en recherche, les gens haut placés aussi bien que les gens simples. Il était respecté de tous. (p. 190)

Être de sagesse, il veut que chacun puisse s’identifier comme une personne unique :

« À trop vouloir être unanimes, (…), on fabrique un syncrétisme de croyances dégénérées. Nourrissons plutôt notre confiance en la solide Réalité. » (p. 206)

« La sincérité, le discernement et la bonté, mes enfants, répondit Abdelkader, le sourcil levé. » (p. 207)

Grâce à Martine Le Coz, le message d’Abdelkader revient vers nous tous. L’émir Abdelkader revit à la croisée de la spiritualité et de l’histoire : il nous invite toujours à la connaissance.

En épilogue, Martine Le Coz nous emporte sur la route de l’émir lorsqu’il put partir de la Touraine et aller finir ses jours en exil à Damas. Il resta fidèle à son cheminement de sagesse et de bonté vers lesquelles il voulait tendre, en restant un homme de Dieu. Il resta un « médiateur à la fois décisif et symbolique, invitant chacun à éveiller son aptitude à faire de son humanité un partage universel. » (p. 212) Pour lui, l’essentiel aura toujours été le « souffle de la vie spirituelle pour le bienfait des hommes déshérités et l’ouverture essentielle à autrui. » (p. 212)

 

1er février 2009

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

 

Mis en ligne avec l'aimable autorisation de Martine LE COZ.

 

NB : Outre le présent document, vous trouverez sur ce site trois autres articles écrits par Catherine RÉAULT-CROSNIER sur Martine LE COZ :

- Martine LE COZ, romancière amboisienne contemporaine, auteur de "Le nègre et la méduse" (Rencontre littéraire dans le jardin des Prébendes du 24 août 2001) ;
- Analyse du livre "LE NÈGRE ET LA MÉDUSE" de Martine LE COZ, publié aux éditions du Rocher en 1999 ;
- Analyse du livre "CÉLESTE" de Martine LE COZ, publié aux Éditions du Rocher, en 2001.

Martine LE COZ a participé aux "Murs de poésie de Tours" avec "Le prisonnier" en 2001, "Chant de l’humide bienfaisant" en 2002, "Chant du mystère invisible" en 2003, "Ensemble" en 2004 et "La beauté" en 2005.