DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

"LE NÈGRE ET LA MÉDUSE"

DE MARTINE LE COZ

Martine LE COZ, le 24 août 2001

 

 

Introduction :

Martine Le COZ réside à Amboise. Romancière, elle a publié aux éditions du Rocher :

- "Le pharaon qui n’avait pas d’ombre",
- "La palette du jeune Turner",
- "Journal de l’autre",
- "Les confins du jour",
- "Léo la nuit",
- "Le chagrin du zèbre ,
- "Catherine d’Alexandrie, ou la philosophie défaite par la foi",

chez d’autres éditeurs :

- "Gilles de Rais ou la Confession imaginaire" (éditions du Seuil),
- "Le prisonnier" (éditions du Cygne),
- "Gilles de Rais ignoble et chrétien" (éditions Opéra).

"Le Nègre et la Méduse" est son dixième roman. Il part d’un fait réel, l’histoire du naufrage de la frégate, la Méduse, en 1816, au large des côtes du Sénégal : cent cinquante hommes prirent place sur le radeau ; quinze survécurent.

Ce livre a failli recevoir le prix Renaudot et a reçu le prix Corail du livre maritime.

 

Analyse du livre :

Martine Le COZ peint avec les mots, à travers une œuvre de Géricault, la victoire de l’esclavage, la conquête de la liberté, l’élan vers les cieux de toute âme car l’âme n’a pas de couleurs, elle n’est ni noire ni blanche, elle est pureté, transparence, présence en tout être sans distinction de race. Ici jaillit l’esprit, au cœur d’une réflexion profonde sur le destin de l’humanité.

Dans ce livre, "Le Nègre et la Méduse", (édité en septembre 1999 aux éditions du Rocher), l’écrivain nous parle d’un nègre qui est le héros de l’histoire. Son choix n’est pas banal : il veut combattre les préjugés, le racisme. Déjà le nom du héros n’est pas innocent : le nègre s’appelle "Alpha" ; il réunit les débuts du monde, l’immense, l’infini, la puissance de l’univers, l’Alpha et l’Omega à la fragilité de l’être de passage, trace de l’humain.

La mort est omniprésente dans ce roman. Dès le début, des hommes meurent de la cruauté d’autres hommes :

"J’étais avec les rebelles dans une grotte qui donnait sur l’océan. La marée allait nous recouvrir tous ; une punition des Blancs réservée aux révoltés des captiveries. Ça puait. On macérait ensemble dans ce trou qui aspirait nos forces et nos souffles mêlés de prières. Du temps passait, qui creusait l’être dans sa racine et raclait l’espérance comme les chaînes raclaient l’os, jusqu’à la détacher du miracle de vivre." (p 13)

Puis les hommes meurent de la puissance des éléments ou de mort naturelle :

"La nuit vint. La brise s’y mit. La mer grossit et acheva de tirer le bateau de son lit. Les vents soufflaient du large ; ils mordirent au bois et s’abattirent sur les hommes en rafales. La mer fumait et crachait ses torsades gluantes, ses balles d’eau noire ficelées d’algues. Elle léchait le pont de la Méduse, crémeuse, effervescente, ébranlait la coque, l’engloutissait avec des mugissements de possédée et la rendait fantôme, trempée d’un suaire livide, fardée d’écume, tragique et folle, assassinée un millier de fois." (p 132)

"Sous le ciel en fête, l’immensité de la mer et la profondeur silencieuse des espaces convoquaient chacun en son propre abîme, le sommaient de déceler la racine de son humanité, son germe et son essence." (p 152)

Chaque fois, le problème de la mort est posé et la mort devient douce, paisible, trait d’union entre ceux qui restent encore et ceux qui sont partis. Les mots prononcés par la romancière sont aussi un baume pour le malheureux. Et le nègre Alpha revoit les paysages, les visages disparus et emmêle leurs souvenirs à sa vie présente :

"Contre le noir, Alpha appelle les souffles de la terre, les ocres effrangés des toits de son village, le jaune tendre des gazelles et des antilopes, (…). Il appelle les images qu’il hisse jusqu’à son cœur à la manière d’une nasse. (…) C’est le courage qui sort du cœur d’Alpha. Il illumine la cale. Au fond de la cale, c’est sa fête flamboyante." (p 110)

"Oh ! s’endormir et naître à rebours, resplendir en l’épouse aux eaux paisibles ! (…) danser avec les ancêtres comme dans la maison commune, et poursuivre la quête du miel." (p 227)

Après une lutte sans merci pour la permanence de la vie, pour reculer l’échéance de la mort, le nègre deviendra le héros, le sauveur des rescapés. C’est lui qui verra le bateau qui viendra à leur secours :

"Ils le juchèrent, hissé, planté grand, planté haut dans le ciel comme un drapeau : au sommet de la pyramide humaine, par-delà l’entrelacs des corps dénudés ensauvagés ravagés, au bout de sa main, c’était leur salut." (p 228)

Mais leur sauveur vivra pour mourir ensuite, inconnu, sur un autre négrier comme si inévitablement, quelque soit notre destin, il nous conduisait toujours irrémédiablement à la mort.

Pourtant du début à la fin de ce livre, malgré le carnage, surnage une espérance, une force impalpable. Elle est déjà là dans la beauté de la mer même dans sa cruauté. Elle est encore là dans le chant des vagues et dans la poésie de la nature :

"Les étoiles pointaient, de connivence avec le cœur des hommes." (p 60)

Elle est toujours là dans le courage presque irréel de ce nègre, esclave, humilié, enchaîné mais qui ne perd jamais espoir et toujours s’élève même dans les profondeurs de la cale où ses voisins meurent et où il est enchaîné :

"Alpha, l’homme noir, se dresse de toute sa taille sur les épaules des autres hommes. La joie perfore les ténèbres et sa saillie engendre l’aube infinie." (p 229)

Ce livre pourrait être une expérience pessimiste devant la cruauté de la vie ; ce n’est pas le cas bien au contraire, il sait voler plus loin, plus haut, vers la beauté spirituelle, la grandeur d’âme. Alors les barrières de la mort sont anéanties. Ne reste plus qu’un être encore sur terre, le buste tendu vers l’au-delà, présence lumineuse, espoir pour l’humanité.

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

Décembre 2000

 

NB : Outre le présent document, vous trouverez sur ce site trois autres articles écrits par Catherine RÉAULT-CROSNIER sur Martine LE COZ :

- Martine LE COZ, romancière amboisienne contemporaine, auteur de "Le nègre et la méduse" (Rencontre littéraire des Prébendes du 24 août 2001) ;
- Analyse du livre "CÉLESTE" de Martine LE COZ, publié aux éditions du Rocher en 2001 ;
- Analyse du livre "LE JARDIN D’ORIENT" de Martine LE COZ, publié aux Éditions Michalon, en 2008.

Martine LE COZ a participé aux "Murs de poésie de Tours" avec "Le prisonnier" en 2001, "Chant de l'humide bienfaisant" en 2002, "Chant du mystère invisible" en 2003, "Ensemble" en 2004 et "La beauté" en 2005.