8èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 11 août 2006, de 17 h 30 à 19 h

 

Léopold Sédar SENGHOR,

un poète africain en Touraine

Portrait de Léopold Sédar SENGHOR par Catherine RÉAULT-CROSNIER.

 

Intervention du Docteur Jack Vivier, lors du débat avec le public, après la lecture du texte de la « rencontre »

 

(Retranscription mise en ligne avec l’aimable autorisation du Docteur Vivier en date du 16 août 2006)

 

Le Docteur Jack Vivier intervenant lors du débat avec le public, après la lecture de la rencontre sur Léopold Sédar Senghor, le 11 août 2006, dans le jardin des Prébendes à Tours.

 

Moi, je voudrais vous parler très simplement. D’abord je dirais que Catherine Réault-Crosnier a tout dit. Je n’ai presque rien à dire. Je me suis surtout intéressé aux poèmes de Léopold Sédar Senghor qui sont des prières et des poèmes en même temps. Vous avez parlé de Léopold Sédar Senghor à propos de son séjour en Touraine mais vous avez dit d’abord préalablement qu’il était tiraillé entre son royaume d’enfance et sa francité, son royaume d’enfance c’est-à-dire les griots qui sont les troubadours d’Afrique et le tam-tam bondissant qui les fait bondir ou qui parfois suivant la taille exprime la tristesse ou encore les fugues de Léopold Sédar Senghor de son milieu familial pour admirer les belles nuits de Siné. Vous avez aussi parlé, et vous avez parfaitement raison, de son passage en Touraine mais vous avez peut-être omis de dire, je m’excuse, que Léopold Sédar Senghor enseignait le latin comme une langue vivante et mon père qui était alors inspecteur d’Académie a pu apprécier beaucoup cet enseignement vivant et qui d’autre part répondait à ce moment-là, aux normes de l’enseignement qui avaient été édictées par Cayrou.

Autre fait qui m’a beaucoup intéressé, ce sont les poèmes que vous avez évoqués. Je pense aussi que le premier métissage culturel, la première étape du métissage culturel, c’est d’abord le métissage chrétien, c’est la conversion du Sérère au catholicisme et c’est la découverte par Léopold Sédar Senghor de la souffrance du Christ, du Christ cloué sur la croix et de sa sympathie qu’il nourrit à partir de cela et du pardon qu’il apprend dans l’éducation chrétienne.

Voilà ce qui m’intéresse beaucoup chez lui et à partir de cela, peut-être aussi peut-on ajouter dans son métissage culturel, il faut dire qu’il a beaucoup lu, qu’il a lu Victor Hugo par exemple et on retrouve ce rythme hugolien dans la poésie qu’il a dédiée à Félix Éboué mais je ne sais pas si vous vous rappelez Hernani, on voit Don César descendre par la cheminée et l’amante a dit : « Tu es mon lion superbe et généreux. » et ce poème dédié à Félix Éboué, c’est un petit peu le ton de Victor Hugo dont d’ailleurs est très féru Léopold Sédar Senghor.

On retrouve aussi du Rimbaud dans « Le dormeur du Val » et ici aussi, c’est pour un FFI noir blessé, ce qui est intéressant, c’est la couleur chez Rimbaud qu’on retrouve, cette même couleur entre deux épaules blanches. Le FFI noir blessé meurt entre deux épaules blanches et je pense que ça, c’est très important, la notion de blancheur et de noirceur, ce sur quoi vous avez insisté.

D’autre part, je pense qu’il a lu Paul Claudel, je pense qu’il a lu Saint-John-Perse et qu’il a lu aussi Péguy. J’ai retrouvé des phrases, vraiment des phrases de Péguy et avec ces leitmotivs répétitifs et cette phrase qui s’étend, ce flux et ce reflux de la mer qui devient étale et la conclusion s’épand comme la mer étale.

Je voudrais insister, vous avez parlé de ce métissage culturel, c’est très vrai, vous avez parlé aussi de l’universalité de Sédar Senghor dont Teilhard de Chardin est partisan et défend la Civilisation de l’Universel, mais je pense aussi que Sédar Senghor a connu outre ce métissage culturel, le métissage charnel et il a beaucoup parlé, si vous lisez les poèmes de Léopold Sédar Senghor, vous verrez la notion des mains blanches, apaisantes sur les corps de l’homme, la notion de ces mains blanches qu’il réclame d’abord à Emma Payelleville, comme vous l’avez si bien dit. Déjà cette notion de mains blanches qui se posent sur l’homme, est apaisante. Quand il parle de Colette, sa femme, une normande qui est arrière-petite-fille de marquis normand, il consacre de nombreux poèmes à son épouse normande et notamment quand il l’emmène au Sénégal, elle est devenue sénégalaise parmi les sénégalais.

Voilà à peu près tout ce que je voulais dire sur l’anticolonialisme, c’est surtout auprès des antillais qu’il est devenu anticolonialiste mais on peut suivre sa progression à travers la chronologie des évènements par exemple quand il est au bord de la Méditerranée en 1938, ce texte, je le cite, c’est « Dyallo », il parle des lèvres de lumière parce que c’est en pleine nuit, les lèvres de lumière de la Côte d’Azur et il a un petit flirt avec Dyallo et ils se quittent en se disant « Dyallo !, Senghor ! » mais avant de se quitter, il est habité par une image, c’est l’image des vaisseaux allemands qui viennent bombarder Almeria et il voit les têtes d’enfants éclater comme des grenades mûres. Ça aussi, c’est très important et vous avez aussi en 1940, il dit lui–même qu’il était très anticolonialiste, mais il était tout de même attaché à la France et il écrit : « Aux champs de la défaite si j’ai replanté ma fidélité, c’est que Dieu de sa main de plomb avait frappé la France. »

Vous voyez, on voit ce balancement entre l’anticolonialisme et la France à laquelle il était très attaché et vous avez d’ailleurs cité le passage où il dit « la France garrottée qui a su libérer ses liens. »

Vous avez dit l’essentiel et je vous remercie beaucoup. J’ai été charmé par cette conférence.

 

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