21èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 30 août 2019, de 17 h 30 à 19 h

 

Jean-Luc Porhel

« Tours au temps de Balzac »

Portrait de Jean-Luc Porhel, encre de Chine de Catherine Réault-Crosnier.

 

Lire la présentation de la Rencontre.

Lire la présentation de Jean-Luc Porhel par Catherine Réault-Crosnier.

 

Quand Honoré de Balzac vivait et séjournait à Tours

 

Parmi les hommes de lettres qui font la renommée de la ville de Tours, Honoré de Balzac tient une place particulière. Pour la ville qui l’a vu naitre en 1799, le romancier a montré sa vie durant un profond attachement qu’il a transcrit tout au long de son œuvre. L’auteur de la Comédie humaine emprunte à sa cité ses monuments, son site, ses paysages, son caractère. Il y situe la scène de bon nombre de ses sujets et la place souvent, de façon indirecte sous forme d’allusions, au cœur de ses écrits. C’est à Tours et à la Touraine qu’Honoré de Balzac doit l’inspiration de ses œuvres les plus belles. Pourtant l’écrivain n’y a pas séjourné longtemps. À l’âge de huit ans, il quitte Tours pour suivre ses études à Vendôme. Il y revient quelques mois seulement avant le départ de sa famille pour Paris en 1814. Plus tard, Honoré de Balzac fait des séjours réguliers et pense un temps s’installer définitivement en Touraine. Ainsi, bien que vivant à Paris, fait-il de Tours sa ville de cœur à laquelle il rend honneur comme à la source d’une grande partie de son inspiration littéraire.

 

SA VIE A TOURS

Un père méridional et une mère parisienne

La famille Balzac n’a pas d’attaches à Tours, où naît Honoré en 1799. Elle tire ses origines du Rouergue où elle porte le patronyme de Balssa.

Bernard-François Baissa, le père d’Honoré, naît le 22 juillet 1746 à La Nougayrié, paroisse de Canezac près d’Albi, actuellement commune de Montirat dans le département du Tarn. Son père est laboureur. Il est à la tête d’une famille relativement pauvre qui comprend onze enfants. D’un tempérament bien affirmé, Bernard-François Balssa transformera plus tard, vers 1772, son nom en Balzac. Par ailleurs, il ajoute occasionnellement la particule à son nom, pratique qu’Honoré généralise une fois adulte. Ayant pu s’instruire grâce au curé de son village, il quitte le Rouergue natal en 1765, pour faire carrière à Paris. Il a alors dix-neuf ans. Il débute comme clerc de procureur, puis entre en 1776, comme premier commis d’un secrétaire titulaire, au Conseil du roi Louis XVI.

Sous la Révolution, il part pour Valenciennes en tant que régisseur des fourrages de l’armée du Nord. Le 21 mars 1795, il est nommé directeur des vivres et des subsistances de la 22éme région militaire, à Tours. Il interrompt cette fonction du 22 septembre 1796 au 16 février 1797 pour revenir à Paris occuper son ancien poste de directeur de la comptabilité des vivres. C’est au cours de ce séjour parisien qu’il épouse, le 30 janvier 1797, Anne-Charlotte-Laure Sallambier (1778-1854), la fille d’un drapier devenu agent des subsistances militaires. Il a cinquante-et-un ans, elle dix-neuf. Cette jeune parisienne est jolie, intelligente, coquette, mystique puis finalement dévote. Elle appartient à une famille de commerçants et de fonctionnaires cossus habitant le Marais, et a été élevée dans les plus pures traditions bourgeoises. Le 19 février 1797, Bernard-François Balzac revient à Tours pour reprendre la direction du service des subsistances de la 22éme région militaire. Il remplit cette fonction jusqu’en 1814. Le 1er novembre de cette année-là, il est nommé directeur des vivres à Paris. Après la faillite de l’entreprise, il est admis à la retraite, le 1er avril 1819.

Les bureaux de l’administration militaire des subsistances où travaille Bernard-François Balzac sont installés dans l’ancien couvent des Jacobins, donnant sur le quai de Loire, non loin du château. Vendu comme bien national en 1791, cet établissement religieux dont la fondation remonte au XIIème siècle est transformé en manutention militaire en 1793. On y entrepose les denrées et le matériel nécessaire à la garnison de la place, à savoir, les vivres, le fourrage, le bois de chauffage, l’habillement et l’équipement de la troupe.

À Tours, Bernard-François Balzac renforce sa situation de notable de la société locale. Le 20 avril 1797, il est nommé assesseur au juge de paix du canton de l’Est à Tours, poste qu’il occupe jusqu’en 1804. Le 18 octobre 1803, il obtient le poste d’administrateur de l’hospice civil. L’établissement est tout à fait récent. Il vient d’être créé par arrêté du Conseil du 1er septembre 1802, par regroupement des autres établissements hospitaliers alors en activité, à savoir l’Hôtel Dieu fondé au XIème siècle, l’Hôpital de la Madeleine ouvert en 1498 pour recueillir les enfants trouvés et l’Hospice général de La Charité constitué en 1655 en faveur des pauvres mendiants. Bernard-François Balzac démissionne de cette charge le 2 février 1814, date à laquelle le Ministère de la Guerre ordonne la transformation de l’établissement en hôpital militaire, afin d’y recevoir les soldats blessés et malades de la Grande Armée.

Par arrêté du Premier Consul du 24 décembre 1803, il est nommé adjoint au maire en remplacement de Paul Deslandes, désigné maire. Il prête serment devant le Conseil municipal, le 9 janvier 1804, comme adjoint en charge de l’état-civil et des affaires de police. Mais il ne siège à aucune séance, exonéré de cette obligation sans doute en raison de sa charge de directeur des vivres. Pour cela, il cesse aussi son poste d’assesseur du juge de paix. Il occupe cette importante charge d’adjoint au maire jusqu’au 8 mai 1808. Au moment où Bernard-François occupe ces charges politiques, Tours est une ville de taille moyenne. En 1801, elle compte 21.413 habitants, ce qui est modeste dans le paysage national. Mais c’est avant tout une cité administrative dont la renommée dépasse l’aire du département d’Indre-et-Loire dont elle est le chef-lieu. Ainsi, elle est le Siège d’un archiépiscopat, de la 4ème division militaire, est dotée d’un tribunal de première instance, de trois tribunaux de paix, d’une bourse et d’un tribunal de commerce.

Cette ascension sociale s’explique par la protection que lui accorde le général Pommereul, nommé préfet d’Indre-et-Loire en 1801. Bernard-François Balzac a fait sa connaissance dans les armées du Nord. Les deux hommes partagent les mêmes valeurs. Athées et voltairiens, ils sont tous deux francs-maçons. Balzac figure dès 1802 dans la loge la Parfaite Union à Tours. Son beau-père, Sallambier, est aussi franc-maçon à Paris. Par ces affinités communes, le général-préfet Pommereul permet à Bernard-François Balzac d’accéder aux plus hautes fonctions. Après le départ de Pommereul en 1806, son successeur Lambert engage une procédure contre Bernard-François Balzac, pour sa gestion à la commission administrative de l’hospice général. Le nouveau préfet le soupçonne de malversation dans les finances de l’établissement dont il a la charge. Grâce à son réseau d’influence, Balzac parvient à échapper à de graves difficultés judiciaires. Enfin, il s’est ponctuellement adonné à l’écriture. En 1807, 1808 et 1809, il publie chez Mame à Tours, trois mémoires traitant de sujets administratifs et de société. En 1810, il fait éditer un ouvrage sur l’histoire de la rage, toujours chez Mame.

À Tours, le train de vie des Balzac est celui de gens fortunés. Les enfants du couple sont élevés dans l’aisance, sous la surveillance d’une gouvernante. Bernard-François Balzac est de constitution robuste. Il se dit « beau comme un marbre et fort comme un arbre ». Il est obsédé par sa santé et espère vivre centenaire. A Paris, après son admission à la retraite le 1er avril 1819, l’aisance matérielle de la famille Balzac doit être réduite. L’appartement du quartier du Marais est sous-loué et il faut s’installer chez les cousins Sallambier à Villeparisis. Bernard-François Balzac décède à Paris, de maladie, le 19 juin 1829, à l’âge de quatre-vingt-trois ans.

Jean-Luc Porhel lors de son intervention lors des Rencontres littéraires dans le jardin des Prébendes, le 30 août 2019.

Jean-Luc Porhel lors de son intervention.

La maison natale

Honoré de Balzac naît le 1er prairial an VII (20 mai 1799) à 11 heures du matin au domicile parental, 25 rue de l’Armée d’Italie (actuelle rue Nationale), ainsi dénommée en l’honneur des campagnes de Bonaparte. Son père Bernard-François loue le rez-de-chaussée et l’entresol de cet immeuble à M. Damourette, ancien tailleur. Le reste de la maison est occupé par une famille Cane dont le fils James est né le 30 septembre 1798. Il sera l’ami d’enfance d’Honoré et, plus tard, un généreux bienfaiteur de la Ville de Tours. En août 1850, quelques jours après la mort de l’écrivain, il fera apposer à ses frais, par les soins de M. Brun, préfet d’Indre-et-Loire et d’Ernest Mame, maire de Tours, une plaque de marbre noir au-dessus du porche de la maison : « Honoré de Balzac est né dans cette maison le 1er prairial An VII 20 mai 1799, mort à Paris le 20 (corrigé : 18) août 1850 ».

Chez les Balzac, est né, le 20 mai 1798, un premier garçon, Daniel. Mais le nourrisson décède à trente-deux jours, le 22 juin suivant. Selon Laure, la sœur de Balzac, c’est en raison de la perte de cet enfant qu’elle nourrissait elle-même que Mme Balzac place immédiatement Honoré en nourrice à Saint-Cyr Mais, d’après l’acte de décès, le bébé est mort dans une maison étrangère. De quoi s’interroger. Honoré restera quatre ans à Saint-Cyr, rejoint par sa sœur Laure née le 30 septembre 1800. On ignore à qui fut confiée sa sœur Laurence, née le 19 avril 1802.

Honoré ne connaîtra donc pas longtemps la maison où il est né. De retour chez ses parents, en 1803, à l’âge de quatre ans, il n’y séjourne que quelques mois avant de déménager, en 1804, dans une maison que son père vient d’acheter au 29 de la même rue.

Lors des fêtes du centenaire du romancier, en mai 1899, le comité organisateur fait apposer un haut-relief en bronze figurant le portrait de Balzac, entre les deux fenêtres de l’étage de la maison natale. Haute de 90 cm et longue d’un mètre, cette œuvre est due au sculpteur tourangeau François Sicard et au fondeur Siot-Decauville. Le plâtre original est conservé par le Musée des Beaux Arts de Tours.

Plus tard, l’immeuble est occupé par le Crédit lyonnais, dont l’agence est contiguë. L’établissement bancaire transforme l’immeuble en 1893, pour y placer un grand hall. Devenu le n° 35 à la fin du XIXème siècle, puis le 39 dans les années 1930, l’immeuble est sinistré lors du bombardement de juin 1940. Après que le haut-relief et la plaque commémorative eurent été déposés lors de la démolition des ruines de la maison, des propositions sont formulées pour la repose de la plaque, comme en décembre 1948. La possibilité est aussi évoquée de la poser dans un lieu rappelant le souvenir de Balzac, dont la maison du Curé de Tours. L’emplacement de la maison natale de Balzac se situe actuellement au numéro 47 de la rue Nationale.

 

En nourrice à Saint-Cyr-sur-Loire

Dès sa naissance, Honoré de Balzac est donc placé en nourrice par sa mère qui semble porter à son enfant peu d’amour maternel. De cet éloignement, il ressentira un sentiment d’oubli, voire d’abandon par sa mère. Dans les « Lettres à l’étrangère », Honoré de Balzac indique qu’il a été placé chez un gendarme. Sa sœur, Laure Surville, précise que ses parents avaient choisi « une belle nourrice ». Elle laisse entendre quant à elle qu’il s’agit d’un bâtelier, marqué par l’ivrognerie. La maison de la nourrice, située rue de Portillon, à Saint-Cyr-sur-Loire, aux portes de Tours, est bien aérée, entourée de jardins en pente. Sa sœur Laure vient le rejoindre dès sa naissance, le 30 septembre 1800. Avec elle, Honoré passe de joyeux moments. Plus que sa mère, c’est vers Laure que se portera son affection. De cette mère peu aimante, il dira même qu’elle était méchante à son égard. « Je n’ai jamais eu de mère, aujourd’hui l’ennemie s’est déclarée », écrit-il à Mme Hanska.

Dans Sténie, œuvre de jeunesse des années 1820, le romancier se souvient de cet endroit. « Le désir de revoir le petit village de Saint-Cyr où demeurait ma nourrice me fit diriger mes pas vers ce côté. Alors, je me mis à visiter tous les sentiers témoins de mes premiers pas. Ils me parurent bien plus petits, surtout un certain endroit que j’imaginais être immense, endroit où j’exerçais jadis mes talents naissants pour la construction. J’y restais des journées entières à bâtir avec des cailloux et de la boue des Louvres en miniature ».

 

La maison familiale

Le 21 nivôse an XII (12 janvier 1804), le père d’Honoré, Bernard-François, acquiert auprès des époux Mignon-Salmon, un hôtel particulier situé 29 rue d’Indre-et-Loire, actuelle rue Nationale, à quelques pas du précédent domicile. Cette acquisition de 40.000 francs peut se faire grâce à la dot de Mme Balzac, comprenant en outre une ferme située près de Rambouillet, vendue quelques années plus tard pour la somme de 30.000 francs. Le 22 juin 1807, à l’âge de huit ans, Honoré quitte cette maison familiale pour suivre des études au collège des Oratoriens de Vendôme. Son frère Henri-François y naît le 21 décembre 1807. À l’occasion de la naissance de ce second fils, Mme Balzac fait planter un acacia dans la cour.

Le 13 février 1813, Bernard-François Balzac vend cette maison, alors 29 rue Napoléon, à M. et Mme Marchant de la Ribellerie. Ce sont des amis de la famille avec qui Honoré gardera des contacts. Mais les Balzac continuent de l’habiter, jusqu’à leur départ de Tours pour Paris, en 1814. De cette belle et grande demeure qui constituait le véritable nid familial, le jeune Honoré entretiendra constamment le souvenir, sinon la nostalgie. De sa rue natale, Balzac fait un éloge dithyrambique, dans les Contes drolatiques. Il écrit ainsi « C’est une rue toujours neuve, toujours royale, toujours impériale, une rue patriotique… une rue bien pavée, bien bâtie, bien lavée, propre comme un miroir, populeuse, silencieuse à ses heures, coquette, bien coiffée de nuit par ses jolis toits bleus, c’est une rue où je suis né, c’est la reine des rues ».

Lorsque la famille Balzac s’installe rue Nationale, cette rue est toute neuve. Son percement, autorisé par arrêt du Conseil d’État du roi du 14 mai 1767, s’inscrit dans le vaste aménagement urbain réalisé au profit de la construction de la route royale de Paris à l’Espagne. Par arrêt du 31 mai 1777, le roi lance la construction de maisons le long de cette nouvelle artère qui deviendra la principale de la ville. Mais les réalisations tardent à venir. Seule une maison est bâtie en 1777, celle du maire Banchereau qui organise une cérémonie de bénédiction, le 17 juin. Afin de favoriser la construction de nouvelles maisons, le gouvernement se charge de bâtir à ses frais les façades jusqu’au premier étage. En 1778, cinq propriétaires prennent possession des nouvelles maisons. En 1788, presque toutes les maisons sont achevées.

L’ordonnancement de cette rue élégante s’organise selon une symétrie absolue. Sur toute la longueur de cette rue neuve s’élèvent de beaux immeubles de style classique, qui lui donnent une allure monumentale. Les maisons sont alternativement à l’alignement ou en retrait. Ces dernières sont alors précédées d’une cour ou d’une terrasse. La maison natale de Balzac est du premier type, la maison familiale du second. En forme de U, la propriété est alors constituée d’un petit hôtel au fond d’une cour, close du côté de la rue par un petit mur avec portail. À gauche, se tiennent les écuries, à droite un petit rocher avec bassin et arbustes. Le bâtiment principal en fond de cour affiche une façade avec trois croisées. L’immeuble présente trois niveaux : deux étages sur entresol. Au rez-de-chaussée, se trouvent deux grands salons permettant de recevoir. Au second étage, le jeune Honoré y a sa chambre.

Personnage en vue par sa position sociale, Bernard-François Balzac l’est aussi par le salon que tient sa femme dans ce bel hôtel particulier. Ravissante parisienne, issue d’un bon milieu de fonctionnaires et de gros commerçants, Mme Balzac devient rapidement, autant que son mari, le point de mire de la société tourangelle.

Vers 1885, l’immeuble accueille une imprimerie. Puis en 1905, le docteur Paul Métadier y installe sa pharmacie. En raison de ces usages multiples, la maison a subi d’importantes transformations. Elle n’offre plus aujourd’hui sa configuration originelle. Portant actuellement le numéro 53, elle abrite toujours la pharmacie centrale.

Paul Métadier a fait placer dans son établissement une plaque indiquant « C’est dans cette maison que s’est déroulée l’enfance du grand romancier français Honoré de Balzac 1799-1850 ».

 

La pension Leguay

De retour de nourrice, où il est placé après sa naissance le 20 mai 1799, le jeune Honoré fréquente, de 1804 à 1807, comme externe, la pension Leguay, rue de la Scellerie, tandis que ses sœurs sont placées à la pension Vauquer, rue des Cerisiers. En effet, la ville de Tours ne dispose pas alors d’écoles publiques. L’enseignement populaire n’est assuré que par quelques écoles de charité, tenues par des curés de paroisses à destination des enfants indigents. Pour les enfants de la classe bourgeoise, l’enseignement se fait dans des établissements privés. Honoré est conduit le matin et ramené le soir par le valet de chambre de son père dans cet établissement situé non loin du domicile familial. Dans cette pension qui est l’une des meilleures de la ville, Pierre Leguay prodigue à une quarantaine d’élèves un enseignement empreint d’atmosphère religieuse, correspondant à l’éducation de la mère d’Honoré, non aux idées de son père.

Les historiens placent la pension Leguay, originellement située au 71 rue de la Scellerie, à l’actuel n° 57, à l’angle de la rue Corneille, immeuble abritant aujourd’hui « l’Hôtel du Grand Théâtre ». Bâti sur des bases semblant remonter au XVIème siècle, l’immeuble reçoit une nouvelle façade dans la seconde moitié du XIXème siècle, à l’occasion de l’aménagement de la rue Corneille, dont le percement est déclaré d’utilité publique en 1877.

 

La pension Vauquer

Les sœurs d’Honoré de Balzac, Laure née en 1800 et Laurence née en 1802, sont éduquées à la pension Vauquer, rue des Cerisiers. Cet établissement privé est tenu par deux dames : Louise Marie Vauquer (1753-1823), épouse d’Auguste-Etienne Vauquer (1745-1819), rentier et ancien membre de l’administration centrale du Département, et Marie-Victoire Vauquer (1759-1822), célibataire et sœur de la première. Le romancier se souviendra de ce nom dans Le Père Goriot : c’est la pension parisienne Vauquer où logent Vautrin et Rastignac (nom d’un ancien chanoine de la basilique).

Situé à l’actuel n° 7 de la rue des Cerisiers, l’immeuble qui abritait la pension Vauquer est un hôtel particulier du XVIème siècle, construit entre deux cours. Celle du sud s’ouvre sur la rue des Cerisiers, celle du nord sur la rue des Tanneurs. L’édifice est inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques, par arrêté du 24 mai 1948.

 

Aux collèges de Vendôme puis de Tours

À l’âge de huit ans, le 22 juin 1807, le petit Honoré entre au collège de Vendôme. Sait-il qu’il y restera six ans, loin de sa famille ? Mais pourquoi ses parents choisissent-ils ce collège, alors qu’il aurait pu être scolarisé à celui de Tours ? Cette décision étonne au regard du statut social du père d’Honoré. Celui-ci est adjoint au maire et la municipalité apporte une attention particulière à ce tout nouveau collège communal. Bernard-François Balzac est même le plus important souscripteur, le 15 décembre 1802, pour la création de cet établissement. Mais en 1807, le collège de Tours vient de s’ouvrir et souffre d’une organisation imparfaite. Mme Balzac, après avoir placé son fils en nourrice, trouve le moyen de s’en débarrasser à nouveau en le mettant interne au collège de Vendôme. À ce moment-là, elle est enceinte de trois mois du futur frère d’Honoré, Henri-François, fils adultérin de M. de Margonne, châtelain de Saché. Envers cet enfant, elle se montrera si tendre qu’Honoré se sentira d’autant plus rejeté : il est le fils du devoir, par opposition à Henri-François, le fils de l’amour. Tous les témoignages s’accordent à décrire la mère d’Honoré comme une femme au cœur sec, froide et dure. Peu chaleureuse avec son fils aîné, elle affiche à son égard un manque de patience, renforcé par un caractère irritable, voire despotique. Le romancier en témoigne à travers plusieurs lettres.

Le choix de Vendôme plutôt qu’une autre ville, comme Pontlevoy, s’explique par la renommée de l’établissement, tenu par les Oratoriens depuis sa fondation en 1623. Son excellente réputation est connue tant à l’étranger qu’en France. Ainsi, il accueille des élèves des États-Unis. Interne, Honoré de Balzac ne quittera pas l’établissement de toute sa scolarité, même pas pendant les vacances. Mais les collégiens peuvent recevoir sans restriction la visite de leurs parents. Balzac rapporte n’avoir reçu que deux visites de sa mère et aucune de son père, au cours de ces six années d’études. Toutefois, sa sœur Laure indique des visites plus régulières, deux fois par an, à Pâques et pour la distribution des prix.

Durant sa scolarité, Honoré souffre beaucoup du froid, étant couvert d’engelures. Rêveur, il subit des régulières punitions. S’il n’est pas un cancre, il est qualifié de « médiocre » par ses professeurs. Négligeant le travail scolaire, il se réfugie dans la lecture, et fréquente assidûment la bibliothèque de l’établissement. Gros enfant joufflu et rouge de visage, Balzac n’est pas doué pour le sport. Cette absence d’exercice physique, la privation de liberté, la mélancolie et l’abus de lecture provoquent chez lui une espèce de coma. À la demande du directeur, ses parents le retirent du collège, le 22 avril 1813.

Rentré à Tours, dans son costume de pensionnaire, Honoré loge sous les toits de la maison paternelle, au troisième niveau. Le jeune élève est alors placé au Lycée Charlemagne à Paris. Mais le danger d’encerclement de la capitale en mars 1814 oblige Mme Balzac à ramener son fils à Tours. En juillet 1814, il entre comme externe au collègue communal de Tours. C’est un établissement relativement récent que Balzac fréquente. En effet, afin de favoriser l’enseignement secondaire dont le niveau est insuffisant dans la ville de Tours, le préfet d’Indre-et-Loire Lambert demande la création d’un collègue communal, avec le soutien de la Ville. Fondé par décret impérial du 16 février 1807, il est installé dans l’ancien grand séminaire Saint-Charles. Situé rue Chaude, actuelle rue de la Préfecture, ce bel édifice date de 1696 et a été acheté comme bien national à la Révolution, par M. Boucheron, puis restitué à l’État en 1804. Les bâtiments spacieux et commodes, les deux grandes cours et le beau jardin offrent aux élèves de bonnes conditions d’études. Balzac y reste jusqu’en septembre. En effet, son père est nommé directeur des vivres de la 1ère division militaire de Paris et la famille Balzac quitte définitivement Tours pour s’installer à la capitale, à l’automne.

 

La cathédrale Saint-Gatien

Le dimanche, le jeune Honoré accompagne sa mère à la cathédrale Saint-Gatien pour y suivre les offices. Le rang social occupé par son mari commande à Mme Balzac de louer une chaise à l’année. Dans Maitre Cornélius, Balzac précise : « Le chapitre louait alors, moyennant d’assez fortes redevances, à certaines familles seigneuriales ou même à de riches bourgeois le droit d’assister aux offices, exclusivement eux et leurs gens, dans des chapelles latérales, le long des deux petites nefs qui tournent autour de la cathédrale ».

Peu après la restauration du culte, la nouvelle paroisse Saint-Martin est érigée dans la cathédrale dès 1802. Sur les registres d’abonnement aux chaises, Mme Balzac est inscrite à partir du 1er mars 1805. Laure, sœur d’Honoré, rapporte que leur mère les conduisait régulièrement aux jours de fête à la cathédrale Saint-Gatien.

Jeune femme très jolie, à la fois ambitieuse et frivole, la mère d’Honoré est portée à la croyance, à l’inverse de son mari, athée notoire et plus âgé de trente-deux années qu’elle. De ces longs moments passés dans la cathédrale et dans le cloître qui la jouxte, l’écrivain garde un souvenir vivace et une sensibilité qu’il transcrira dans son œuvre.

 

L’hôtel Papion

Le 6 août 1814, alors âgé de quinze ans, Honoré de Balzac assiste à la fête donnée en l’honneur du passage à Tours du duc d’Angoulême, dans les jardins de l’Hôtel Papion, évènement qui consacre le retour solennel des Bourbons. Impressionné par les festivités et le grand bal qui y sont donnés, il rapporte son émotion de jeune homme d’alors à travers la personne de Félix de Vendenesse dans Le lys dans la vallée. L’auteur y donne une description des jardins où une tente a été dressée pour abriter le fauteuil du prince. La présence à cette fête du jeune Honoré de Balzac est supposée, mais pas confirmée. Toutefois, il est certain qu’il a eu comme camarade au collège de Tours le fils Papion du Château, Pierre-Nicolas-Ferdinand (1796-1876).

Situé rue Nationale, l’hôtel Papion a été bâti en 1748 pour abriter la manufacture royale de damas et de velours fondée en 1739. Ce vaste ensemble immobilier comprend le pavillon d’habitation et les ateliers de la manufacture. Ils forment l’angle sud-est de la rue et de la place des Portes-de-Fer, actuelle place Jean-Jaurès. Derrière ces constructions s’étendent une vaste cour et un magnifique jardin, le tout sur 2.830 mètres carrés. Ce bel immeuble d’architecture classique a été démoli en 1896 pour permettre la construction de l’actuel hôtel de ville.

 

SES SÉJOURS À TOURS

En quittant Tours à l’automne 1814, la famille Balzac s’installe définitivement à Paris. Dès lors, Honoré n’aura plus jamais l’occasion de résider durablement dans sa ville natale. Mais il revient en Touraine une douzaine de fois, au cours de son existence. Il y vient en diligence. Il pénètre dans la ville en traversant la Loire par le pont de Pierre. Il décrit cet ouvrage d’ingénieurs de la meilleure façon. « Ce pont, un des plus beaux monuments de l’architecture française, a dix-neuf cents pieds de long, et les deux places qui le terminent à chaque bout sont absolument pareilles », écrit-il dans Le Curé de Tours. De la ville il fait la description suivante dans Sténie : « La ville est ronde, et son côté septentrional a le plus bel aspect qui soit au monde… J’ose dire qu’il est peu de capitales dont l’abord ait tant de dignité, car on a construit sur cette place deux vastes bâtiments d’un effet d’autant plus admirable que leur simple architecture est en harmonie avec le tableau ». Durant ses séjours à Tours de 1821 à 1848, Honoré de Balzac percevra l’évolution de la ville. Lorsqu’il la quitte en 1814, elle ne compte alors que près de 22.000 habitants. Ils sont 33.500 en 1851. Cette augmentation démographique annonce la transformation de la ville qui n’est qu’à ses prémices en ce milieu du XIXème siècle. L’absorption de la commune de Saint-Etienne en 1845 et l’inauguration du chemin de fer en 1846 sont annonciatrices d’une croissance économique durable, appelant de profondes transformations.

Le relais de terminus de la diligence se trouve devant l’église Saint-Julien. Après sa vente comme bien national en 1798, cette ancienne église abbatiale est transformée en écuries pour l’aubergiste qui en a fait l’acquisition, puis, à partir de 1816, en centre de stationnement des diligences. L’établissement commercial prenant de l’ampleur, il devient bientôt un ensemble immobilier appelé « Hôtel de l’Europe ». Après son classement sur la première liste des Monuments historiques établie en 1840 par Prosper Mérimée, l’édifice est racheté par l’État en 1846. Remise en état, la vieille église est rouverte au culte en 1858.

Pour revenir à Tours, Balzac doit faire un voyage de vingt-trois heures en malle-poste. Il ne s’attarde pas dans sa ville natale, pour se rendre à Vouvray, mais surtout à Saché. En effet, il fait de nombreux séjours au château de Saché entre 1823 à 1848. Il y est reçu par M. de Margonne, un vieil ami de la famille et, selon la rumeur, le père de son jeune frère Henri-François, né en 1807.

Honoré de Balzac fait un premier séjour chez M. de Margonne à Saché, à sa sortie du collège de Vendôme, au printemps 1813, où il est tombé gravement malade. Il en revient guéri. Par la suite, pour se rendre à Saché où M. de Margonne lui offre le logis, Balzac doit encore parcourir vingt-trois kilomètres. Son hôte lui envoie souvent une calèche. Balzac affrète parfois une voiture de place. Par deux fois, il gagne Saché à pied, en cinq heures de marche. Il sort de Tours par la barrière Saint-Éloi, traverse les ponts de Saint-Sauveur, arrive à Pont-Cher et poursuit son périple par Joué-lès-Tours, Ballan-Miré, Artannes, Pont-de-Ruan.

Ces séjours se succèdent ainsi :

– septembre 1821 : il séjourne à Vouvray chez M. de Savary ;
– septembre 1823 ;
– fin septembre – 4 octobre 1825 ;
– 25 juillet – 10 septembre 1830 : en juillet, il se rend à pied de Tours à Saché depuis la Grenadière à Saint-Cyr, selon sa volonté ;
– 1er novembre – mi-décembre 1831 ;
– 8 juin – 16 juillet 1832 : il se rend à pied de Saché à Tours, M. de Margonne n’ayant pas mis sa voiture à sa disposition, le climat étant tendu entre les deux hommes ;
– fin septembre – mi-octobre 1834 ;
– 20 juin – 4 juillet 1836 ;
– 15-26 août 1837 ;
– août 1845 ;
– 3 – 9 juin 1846 : ce bref voyage a pour but d’acheter une demeure en Touraine, si possible le château de Moncontour dont il rêve depuis longtemps. Pour se rendre à Tours, Balzac prend pour la première fois le train ;
– 3 juin – 7 juillet 1848 : dernier séjour et le moins productif de tous. Il arrive à nouveau à Tours par le train.

 

L’hôtel du Faisan

À chaque retour à Tours, Honoré de Balzac traverse la ville. Parfois, il y passe une journée ou deux, fréquentant la bibliothèque publique pour y emprunter des livres et plus tard les antiquaires pour meubler sa maison parisienne de la rue Fortunée. Balzac loge alors à l’hôtel. Le plus proche du relais de la diligence est l’Hôtel du Faisan. Situé rue Nationale, actuel n° 19, au nord de la maison natale de Balzac, cet hôtel est installé dans l’une des toutes premières maisons bâties à partir de 1777 dans la rue nouvellement tracée. Ce n’est pas le plus luxueux de la ville, mais le plus commode pour le romancier lorsqu’il vient de Paris.

Derrière sa façade classique, l’établissement présente une table d’hôtes fréquentée par d’illustres voyageurs et aussi la clientèle anglaise qui s’arrête sur les bords de Loire, en quête de bon air. Ils n’ont pas encore découvert la Côte d’Azur. Sa bonne réputation attire donc Honoré de Balzac durant ses séjours tourangeaux. Il l’évoque dans Wann-Chlore, publié en 1825. L’immeuble est sinistré en 1940.

 

L’hôtel de la Boule d’Or

En août 1845, Balzac amène Mme Hanska sur les bords de Loire. Lors de ce passage à Tours, ils logent à l’Hôtel de la Boule d’Or. Situé au n° 27 actuel de la rue Nationale, à l’angle de la rue des Halles, cet établissement est installé dans un ancien hôtel particulier de la fin du XVème siècle, remanié au XVIIIème siècle, lors du percement de la rue Nationale. Son attrait se trouvait dans une pittoresque chapelle voûtée du XVIème siècle et une monumentale cheminée Renaissance de 1520 environ, aujourd’hui présentée au château du Plessis.

De tous les hôtels de Tours, celui de « La Boule d’Or » a une excellente réputation. C’est un bel établissement, tant par sa position que par son immense logement et sa bonne table. Situé en face de la cour des messageries royales, il est commode pour les voyageurs. Balzac le cite dans L’héritière de Birague, sous le nom de « À la tour d’or ». L’immeuble a entièrement été détruit en 1940.

 

La ferme de Saint-Lazare

Cette ferme de huit hectares, située dans les varennes de la commune de Saint-Etienne qui fusionnera avec la Ville de Tours en 1845, est achetée en 1804 par le père d’Honoré de Balzac, pour 23.703 francs. L’exploitation se compose de plusieurs bâtiments agricoles et d’une ancienne chapelle convertie en grange.

C’est le Sanitas, léproserie bâtie au XIIème siècle pour soigner les contagieux hors de la ville. Dépendant, sous l’Ancien Régime de l’Hôtel-Dieu et placée sous l’autorité du chapitre de Saint-Martin, la maladrerie est vendue comme bien national à la Révolution.

Lors de son passage à Tours en 1823, Honoré de Balzac s’occupe du domaine où il y a « bien des choses à faire ». Sa mère revend la propriété en 1831, pour 90.150 francs.

 

La Bibliothèque municipale

Lorsqu’il séjourne à Tours, Honoré de Balzac se rend régulièrement à la bibliothèque publique de la Ville où il consulte et emprunte des livres nécessaires à sa documentation préparatoire à l’écriture.

La bibliothèque municipale de Tours a été constituée à la Révolution française, dans la double optique d’une bibliothèque publique et d’une bibliothèque d’érudition. Pour ce deuxième aspect, les livres et manuscrits anciens proviennent des saisies révolutionnaires, opérées dans les établissements religieux, dont l’abbaye de Marmoutier.

Depuis 1826, la bibliothèque publique de la Ville de Tours est installée dans deux vastes salles de l’hôtel de la Préfecture. C’est là que Balzac se rend. Mais ces locaux sont insuffisants, notamment en raison de l’espace demandé par les archives départementales. En 1864, la bibliothèque municipale est transférée dans l’ancien hôtel Meffre, situé entre la rue Nationale et le boulevard Heurteloup, immeuble acquis par la Ville peu avant.

Quant à la bibliothèque personnelle de Balzac, sa sœur Laure indique qu’il avait pensé la léguer à sa ville natale. Mais il y aurait renoncé, blessé par l’indifférence de ses compatriotes. Il est vrai que Balzac ne ménage pas ses critiques envers les Tourangeaux, auxquels il reproche une indolence, voire une fainéantise, qu’il explique par la douceur de vivre de la région. Quelques jours après sa mort, le Journal d’Indre-et-Loire du 27 août 1850 se fait l’écho d’une polémique : la Ville de Tours aurait écrit à Mme Balzac pour lui demander le don « gratis » de la collection complète des œuvres du romancier et son buste en marbre par David. Mais l’information est fausse. C’est un conseiller de la Préfecture d’Indre-et-Loire, Louis-Alexandre Le Caron de Fleury, qui a pris cette initiative personnelle, le 22 août, soit deux jours seulement après le décès du romancier. Pour cela, il indique être un ancien élève du collège de Vendôme. Cette démarche, qui provoque une certaine gêne chez Mme Balzac, montre toutefois la défiance portée sur la municipalité quant à l’honneur à rendre à son illustre concitoyen.

 

La gare de Tours

Pour rejoindre Tours depuis Paris, Honoré de Balzac emprunte la diligence. Ce voyage dure vingt-trois heures. Mais depuis le 26 mars 1846, le train relie Paris à Tours. L’écrivain profite de cette avancée technique pour se rendre en Touraine. Il emprunte une première fois ce nouveau mode de transport le 3 juin 1846. Il profite de la voiture de M. de Margonne qui l’attend au « débarcadère ». Il repart quelques jours plus tard par le même moyen. Le 3 juin 1848, le romancier prend à nouveau le train pour Tours. Il quitte Paris par le train de 7 h 15 et arrive en Touraine à 13 h 30. Balzac est émerveillé par ce voyage rapide de six heures. « Il n’y a que les chemins de fer et les bateaux à vapeur qui permettent de partir de Rome pour être à Saché en si peu de temps » écrit-il à M. de Margonne le 31 mai 1846.

Construite par l’architecte Phidias Vestier en 1845 dans un style néoclassique inspiré des premières gares anglaises, la gare de Tours présente des façades latérales identiques. Elle est appelée « embarcadère » en raison des entrées multiples correspondant aux différentes lignes exploitées par la Compagnie du Chemin de fer de Paris à Orléans. En 1896, cette compagnie fait construire une nouvelle gare en recul de la précédente, afin de l’ouvrir sur une place publique.

 

La Grenadière

Balzac, alors âgé de trente ans, fait un séjour à La Grenadière de trois mois et demi, sur le coteau de la commune de Saint-Cyr-sur-Loire. En mai 1830, il loue cette ancienne closerie du XVIIème siècle, pour quelques mois. Il quitte la maison, vers le 10 septembre. Le logis, habituellement loué à des Anglais nombreux à séjourner sur les coteaux de la Loire, abrite ses amours avec Mme de Berny, sa « Dilecta » âgée de quarante-six ans. En 1832, Balzac écrit une nouvelle intitulée La Grenadière.

« La Grenadière est un de ces vieux logis, âgés de deux ou trois cents ans qui se rencontre en Touraine dans chaque jolie situation. De là, les yeux embrassent d’abord la rive gauche de la Loire depuis Amboise, la fertile plaine où s’élèvent Tours, ses faubourgs, ses fabriques… De là, vous voyez trois vallées de la Touraine et sa cathédrale suspendue dans les airs comme un ouvrage en filigrane ».

La correspondance de Balzac contient maintes références au projet qu’il avait d’acquérir la maison. Il y renoncera en 1836, année de la mort de Mme de Berny. À son tour, le chansonnier Béranger loue La Grenadière où il séjourne du 15 décembre 1836 à mai 1838.

Le logis est entouré de treilles et de grenadiers en pleine terre, d’où le nom donné à cette closerie. La façade est composée de deux larges fenêtres séparées par une porte bâtarde, de trois mansardes prises sur un toit élevé couvert d’ardoises. Si ce logis a gardé pour l’essentiel sa configuration originelle du XVIIème siècle, les dépendances ont été modifiées à la fin du XIXème siècles, puis en 1950.

Bon marcheur, Honoré de Balzac parcourt à pied la campagne environnante. Le 25 juin, il décide de rejoindre Saché pour demander l’hospitalité à M. de Margonne. Il quitte la Grenadière de bon matin et parcourt gaillardement les cinq lieues du trajet.

 

Balzac à la Ribellerie à Mettray

Quand Balzac revient à Tours, il demande souvent l’hospitalité au vicomte d’Outremont. C’est un vieil ami de sa famille. Il séjourne ainsi dans son domicile de la rue Baleschoux, puis de la rue Chanoineau, mais surtout au domaine de La Ribellerie que d’Outremont possède à Mettray, par le biais de son épouse Martine-Albertine-Désirée de La Roche de la Ribellerie. Celle-ci s’est mariée en premières noces avec le baron Honoré-René Marchant qui a des liens très étroits avec Bernard-François Balzac, le père d’Honoré. De par sa charge d’agent en chef des subsistances de la 22ème division militaire, ce dernier a autorité sur le baron Marchant, militaire de carrière dont il se fait un ami.

Né au domaine de La Ribellerie à Mettray, le 20 août 1800, Albert-Augustin Marchant, fils d’Honoré-René, est condisciple d’Honoré de Balzac au collègue de Vendôme. Les deux élèves sont étroitement liés. Par ailleurs, en quittant Tours pour s’installer à Paris, Bernard-François Balzac vend, le 13 février 1813, sa maison de la rue Royale pour 40.000 francs au baron Honoré-René Marchant, alors intendant général de la Grande Armée. Honoré garde le contact avec son ami d’enfance qui poursuit une carrière militaire. Avec lui, il fréquente les antiquaires de la rue de la Scellerie à Tours. Il lui demande ainsi en 1835 et 1837 de lui adresser un cadre pour son portrait par Louis Boulanger. Albert-Augustin Marchant décède de maladie à l’hôpital militaire d’Alger, le 28 mai 1840.

Au décès d’Honoré-René Marchand en 1818, sa veuve Martine-Albertine-Désirée de La Roche se remarie le 4 juin 1819 avec le général-comte Anselme-Louis d’Outremont des Minières (1778-1858) qui sera maire de Mettray de 1846 à 1856. Elle lui apporte le domaine de La Ribellerie à Mettray. Général de brigade, le comte d’Outremont adopte, le 6 septembre 1846, Hector-Albert Chaulet, l’enfant que la fille de son épouse a eu le 28 juillet 1825 avec Simon-Etienne Chaulet. Devenu d’Outremont, Hector-Albert devient vicaire général de Tours, puis évêque d’Agen en 1871 et du Mans en 1874. Décédé en 1883 en renommée de sainteté, celui-ci était profondément aimé par Honoré de Balzac.

Le romancier rend de régulières visites aux d’Outremont à Mettray. Bon marcheur malgré sa corpulence, il rejoint à pied la belle demeure de La Ribellerie, manoir du XVIIIème siècle entouré d’un beau parc. Comme lui, le vicomte d’Outremont est amateur de bric-à-brac et lui envoie par voiture des meubles achetés chez les antiquaires de Tours. En hommage, Honoré de Balzac inscrit la famille Marchand d’Outremont dans son œuvre, servant de modèle à la famille Aiglemont, dans La femme de trente ans.

 

Chez M. de Savary à Vouvray

Balzac a séjourné plusieurs fois à Vouvray, chez M. de Savary, beau-père de M. de Margonne, le propriétaire de Saché, et ami de son père. Ainsi, M. de Savary sera le parrain du deuxième fils de la famille Balzac, Henri-François, né en 1807. Cet ancien capitaine de cavalerie (1753-1832) achète le domaine de la Caillerie, à Vouvray, dans la Vallée Coquette, en 1791. Dès lors, il se consacre à la viticulture, en produisant un vin de qualité que Balzac découvre et affectionne. Enfant, Honoré accompagnait sa mère chez M. de Savary. Adulte, il y revient pour se reposer de la vie parisienne, comme en 1821 et 1823. De M. de Savary, Balzac le décrit portant une « petite perruque de chiendent qu’il raffermit à chaque instant ». Lors de son séjour de juillet-août 1823, l’écrivain porte sur les Tourangeaux un jugement sévère : « excepté l’air et le ciel qui est tout d’azur, la Touraine a des habitants bien mols et lâches ». Grand buveur de café qui lui permettait de rester éveillé pour son travail d’écriture, Balzac est aussi amateur de vin de Vouvray qu’il qualifie de généreux et de fort. Son ami Théophile Gautier disait qu’il en buvait de façon pantagruélique. En effet, à cette époque, les vins moelleux sont les plus recherchés. « Le vin de Vouvray, bien conservé, c’est un vrai velours » fait dire Balzac par son personnage, l’illustre Gaudissart. Les différents séjours de Balzac à la Caillerie ont été pour lui source d’inspiration pour l’écriture d’Eugénie Grandet en 1833. Y figure « L’Illustre Gaudissart », commis voyageur volubile que la communauté des voyageurs et représentants de commerce de Touraine a immortalisé par l’érection d’une statue à son effigie, en 1934. Elle se situe dans le bourg de Vouvray, place Vavasseur.

De ce domaine qui se composait alors d’une quinzaine d’hectares de vignoble, d’une maison bourgeoise avec une petite chapelle attenante, d’une grange et de bâtiments agricoles, la configuration actuelle a bien changé. Il s’agit aujourd’hui du domaine "Petit mont", propriété de la famille Allias.

 

Balzac veut acheter Moncontour

Toute sa vie, Balzac a rêvé d’acquérir en Touraine « une petite terre, un petit château », où il pourrait habiter sans soucis, en y logeant l’amour de sa vie. C’est ainsi qu’il nourrit le projet d’acquérir l’ancienne closerie de la Grenadière, à Saint-Cyr-sur-Loire. Il renonce à ce projet en 1836, à la mort de Mme de Berny, son premier amour.

En 1846, Balzac se rend en Touraine avec la ferme intention d’y acheter une propriété sur les coteaux de la Loire pour y vivre avec Mme Hanska, la femme qu’il aime. Il s’enthousiasme lorsqu’il apprend que le château de Moncontour, à Vouvray, est à vendre. Le 10 juin, il écrit à Mme Hanska : « Tu vas sauter de joie : Montcontour (orthographe de Balzac) est à vendre… Ce rêve de trente ans de ma vie va se réaliser… Montcontour est ma prédilection »". De Moncontour, Balzac écrit dans La Femme de trente ans : « c’est un ancien manoir situé sur un de ces blonds rochers au bas desquels coule la Loire. C’est un de ces petits châteaux de Touraine, blancs, jolis, à tourelles sculptées, comme une dentelle de Malines ».

Pendant tout cet été, Balzac rêve de s’installer dans ce château, la plus grande partie de l’année. Mais le bonheur d’y vivre avec Mme Hanska n’aura pas lieu. La comtesse recule devant le prix de 80.000 francs demandé par le propriétaire. Balzac en retire une déception profonde. Finalement, il se replie sur Paris où il achète une maison, rue Fortunée. Quatre ans plus tard, il y décède, sans avoir réalisé son rêve d’être propriétaire en Touraine. Auparavant, le 14 mars 1850, Honoré de Balzac épouse en Ukraine, Mme Hanska, veuve du comte Hanski depuis 1841, admiratrice avec laquelle il développe des liens privilégiés depuis 1833.

 

LA RECONNAISSANCE TARDIVE MAIS SINCÈRE DE SA VILLE NATALE

Honoré de Balzac décède à Paris le 18 août 1850. La nouvelle de sa disparition ne suscite pas de grande réaction à Tours. Le quotidien local Le journal d’Indre-et-Loire relate l’événement de manière on ne peut plus sibylline, dans son édition du 21 août : « Le célèbre romancier, M. H. de Balzac, notre compatriote, vient de mourir à Paris à la suite d’une longue et douloureuse maladie. » Certains lecteurs mettent même en doute la véracité de sa naissance à Tours. Il faut que Le journal d’Indre-et-Loire publie le 22 août la transcription de l’acte de naissance pour confirmer l’origine tourangelle de Balzac. Les jours suivants, des informations sont publiées dans le quotidien pour préciser la localisation de la maison natale.

Les premières initiatives pour rendre hommage à l’enfant du pays sont prises par des personnes privées. Dans les jours suivants, son ami d’enfance, James Cane, fait poser une plaque sur la maison natale. Puis, quelques propriétaires qui ont ouvert à leurs frais une rue dans l’ancien potager de la Préfecture, lui donnent le nom de rue Balzac. Cette voie entre dans le domaine public par délibération du Conseil municipal du 12 mai 1858, avec cette dénomination. Cela explique la petitesse de cette artère, peu en rapport avec la renommée du personnage.

Lors de l’inauguration de la statue d’Alexandre Dumas à Paris, le 4 novembre 1883, la presse est unanime à regretter qu’aucun monument ne soit élevé à la gloire de Balzac. Ces propos font réagir la municipalité de Tours qui décide de reprendre à son compte l’initiative annoncée le 7 décembre 1882 par un comité parisien d’ériger une statue de Balzac en Touraine. Au Conseil municipal du 4 septembre 1885, à l’issue d’un vibrant plaidoyer, le maire Alfred Fournier décide l’érection d’une statue à Tours en hommage à Honoré de Balzac, par le biais d’une souscription nationale. La commande est confiée le 28 septembre 1888 au sculpteur parisien Paul Fournier. L’œuvre est inaugurée le dimanche 24 novembre 1889. Une foule immense assiste à des déclamations de poésie et des odes de l’harmonie municipale et de l’Orphéon. Réalisée en bronze, de grande taille, l’œuvre représente Balzac dans un fauteuil, revêtu de son légendaire froc de moine qui lui servait de robe de chambre. À ses pieds, sont déposés quelques volumes de sa Comédie humaine et de ses Contes drolatiques. Mais certaines critiques se portent sur la lourdeur de la représentation du personnage. Dans le cadre de la loi du 11 octobre 1941 sur l’effort de guerre, l’État français fait descendre la statue, le 2 février 1942, pour la fondre et récupérer ainsi 1.690 kilos de bronze.

 

Jean-Luc Porhel

Directeur des Archives et du Patrimoine

Août 2019.