24èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 26 août 2022, de 17 h 30 à 19 h

 

Spectacle de poésie : « Guerre et paix »

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le spectacle de poésie sur Guerre et paix.

 

Lire la présentation de cette Rencontre.

 

Dans le monde, guerre et paix se côtoient, s’entrelacent, se succèdent et reviennent dans une valse sans fin au fil des siècles, des millénaires.

Une partie du public lors de la Rencontre littéraire dans le jardin des Prébendes, du 26 août 2022, consacrée au spectacle de poésie sur Guerre et paix.

Une partie du public avec Catherine Réault-Crosnier en train de lire et Michel Caçao à la guitare.

François Villon (1431 – disparu en 1463), poète français de la fin du Moyen-âge, a tout d’abord mené une vie de débauche avant de s’assagir et de regretter sa jeunesse folle. Il a réfléchi sur la folie guerrière des hommes. Combien d’hommes sont partis combattre sans savoir ce qu’ils deviendraient ! Il confie ses états d’âme dans son livre Poésies diverses comme par exemple dans sa « Ballade de bon conseil ». Il exprime sa honte de sa jeunesse gâchée par sa faute, son regret et sa soif de paix.

Hommes faillis, bersaudez de raison,
Desnaturez et hors de congnoissance,
Desmis du sens, comblez de desraison,
Fols abusez, plains de descongnoissance,
Qui procurez contre vostre naissance,
Vous soubzmettans a detestable mort
Par lascheté, las ! que ne vous remort
L’orribleté qui a honte vous maine ?
Voyez comment maint jeunes homs est mort
Par offenser et prendre autruy demaine.

Chascun en soy voye sa mesprison,
Ne nous venjons, prenons en pacience ;
Nous congnoissons que ce monde est prison
Aux vertueux franchis d’impacience ;
Battre, rouiller, pour ce n’est pas science,
Tollir, ravir, piller, meurtrir a tort.
De Dieu ne chault, trop de verté se tort
Qui en telz faiz sa jeunesse demaine,
Dont a la fin ses poins doloreux tort
Par offenser et prendre autruy demaine.

Que vault piper, flater, rire en trayson,
Quester, mentir, affirmer sans fiance,
Farcer, tromper, artifier poison,
Vivre en pechié, dormir en deffiance
De son prouchain sans avoir confiance ?
Pour ce conclus : de bien faisons effort,
Reprenons cuer, ayons en Dieu confort,
Nous n’avons jour certain en la sepmaine ;
De nos maulx ont noz parens le ressort
Par offenser et prendre autruy demaine.

Vivons en paix, exterminons discort ;
Ieunes et vieulx, soyons tous d’ung accort :
La loy le veult, l’apostre le ramaine
Licitement en l’epistre rommaine ;
Ordre nous fault, estat ou aucun port.
Notons ces poins ; ne laissons le vray port
Par offencer et prendre autruy demaine.

(Œuvres de François Villon, 1930, pages 153 et 154)

Toujours dans le livre Poésies diverses, nous ne pouvons pas oublier son épitaphe aussi appelée « Ballade des pendus ». En effet, François Villon, nous étonne en donnant la parole à des morts condamnés à la pendaison. Ce poème est l’un des plus connus de cet auteur.

L’EPITAPHE VILLON

Freres humains qui après nous vivez,
N’ayez les cuers contre nous endurcis,
Car, se pitié de nous povres avez,
Dieu en aura plus tost de vous mercis.
Vous nous voiez cy attachez cinq, six :
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est pieça devoree et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et pouldre.
De nostre mal personne ne s’en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre !

Se vous clamons freres pas n’en devez
Avoir desdaing, quoy que fusmes occis
Par justice. Toutesfois, vous sçavez
Que tous hommes n’ont pas bon sens assis ;
Excusez nous, puis que sommes transsis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grace ne soit pour nous tarie,
Nous preservant de l’infernale fouldre.
Nous sommes mors, ame ne nous harie ;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre !

La pluie nous a büez et lavez,
Et le soleil dessechiez et noircis ;
Pies, corbeaulx nous ont les yeux cavez,
Et arrachié la barbe et les sourcis.
Jamais nul temps nous ne sommes assis ;
Puis ça, puis la, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charie,
Plus becquetez d’oiseaulx que dez a couldre.
Ne soiez donc de nostre confrairie ;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre !

Prince Jhesus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A luy n’ayons que faire ne que souldre.
Hommes, icy n’a point de mocquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre !

(Œuvres de François Villon, 1930, pages 182 et 183)

 

Théodore Agrippa d’Aubigné (1552 – 1630), écrivain et poète baroque, protestant convaincu, a écrit de nombreux livres dont durant une quarantaine d’années, son ensemble Les Tragiques (1615). Il n’est jamais indifférent devant sa patrie, la France, et utilise des comparaisons pour faire ressortir sa douleur et sa honte devant les ardeurs meurtrières de ses enfants.

(…)
Je veux peindre la France une mere affligee,
Qui est entre ses bras de deux enfans chargee :
Le plus fort orgueilleux, empoigne les deux bouts
Des tetins nourriciers, puis à force de coups,
D’ongles, de poings, de pieds il brise le partage,
Dont nature donna à son besoin l’usage :
Ce volleur acharné, cet Esau malheureux,
Fait degast du doux laict qui doit nourrir les deux,
Si que pour arracher à son frere la vie,
Il mesprise la sienne et n’en a plus d’envie :
Mais son Jacob, pressé d’avoir jeusné mesui,
Estouffant quelque temps en son cœur son ennui,
A la fin se défend, et sa juste colere
Rend à l’autre un combat, dont le champ est la mere.
Ni les souspirs ardents, les pitoiables cris,
Ni les pleurs rechauffez ne calment leurs esprits :
Mais leur rage les guide et leur poison les trouble,
Si bien que leur courroux par leurs coups se redouble :
Leur conflict se r’allume, et faict si furieux,
Que d’un gauche malheur ils se crevent les yeux :
Cette femme esploree en sa douleur plus forte,
Succombe à la douleur mi-vivante, mi-morte,
Elle void les mutins tout deschirez, sanglans,
Qui ainsi que du cœur, des mains se vont cerchans,
Quand pressant à son sein d’un’ amour maternelle
Celui qui a le droit et la juste querelle,
Elle veut le sauver, l’autre qui n’est pas las,
Viole en poursuivant l’asile de ses bras :
Adonc se perd le laict, le suc de sa poictrine,
Puis aux derniers abois de sa proche ruine
Elle dit, vous avez, felons, ensanglanté
Le sein qui vous nourrit et qui vous a porté :
Or vivez de venin, sanglante geniture,
Je n’ai plus que du sang pour vostre nourriture.
(…)

(Les Tragiques donnez au public par le larcin de Promethee, 1616, Livre I, Miseres, pages 4 et 5)

Avec le temps, Théodore Agrippa d’Aubigné a compris combien la paix retrouvée pouvait être source de bonheur et de sagesse mais avant il a combattu très longtemps farouchement contre ses ennemis et a décrit sans l’édulcorer la folie de la tuerie.

Ouy, mais ainsi qu’on voit en la guerre civile
Les debats les plus grands du faible et du vainqueur
De leur doubteux combat laisser tout le malheur
Au corps mort du pais, aux cendres d’une ville,

Je suis le champ sanglant où la fureur hostile
Vomit le meurtre rouge, et la scytique horreur
Qui saccage le sang, richesse de mon cœur,
Et en se débattant font leur terre sterile.

Amour, Fortune, hélas ! appaisez tant de traicts,
Et touchez dans la main d’une aimable paix :
Je suis celuy pour qui vous faictes tant la guerre.

Assiste, Amour, tousjours à mon cruel tourment !
Fortune, appaise toy d’un heureux changement,
Ou vous n’aurez bientost ny dispute, ny terre.

(Œuvres complètes, Tome 3, 1874, Le printemps du sieur d’Aubigné, Premier livre, Hécatombe à Diane, page 19)

 

Jean de la Fontaine (1621 – 1695), fabuliste bien connu, a écrit sur le thème de la paix. Après les heurts, les combats, une trêve qu’on espère durable, est la bienvenue, porteuse d’une vie heureuse et bienfaisante pour tous. Dans la fable que nous avons choisie, il montre l’art de tirer profit des talents de chacun pour éviter les guerres et vivre en paix. Jean de La Fontaine s’est servi d’une fable plus ancienne d’Abstémius, fabuliste italien du XVe siècle (« L’âne et le lièvre »). Par la morale de ce poème, il montre que personne n’est totalement méprisable et incapable de tout service.

LE LION S’EN ALLANT EN GUERRE

Le Lion dans sa tête avoit une entreprise :
Il tint conseil de guerre, envoya ses prévôts,

Fit avertir les animaux.

Tous furent du dessein, chacun selon sa guise :

L’Éléphant devoit sur son dos
Porter l’attirail nécessaire,
Et combattre à son ordinaire ;
L’Ours, s’apprêter pour les assauts ;

Le Renard, ménager de secrètes pratiques ;
Et le Singe, amuser l’ennemi par ses tours.
« Renvoyez, dit quelqu’un, les Anes qui sont lourds,
Et les Lièvres, sujets à des terreurs paniques.
– Point du tout, dit le Roi ; je les veux employer :
Notre troupe sans eux ne seroit pas complète.
L’Ane effraiera les gens, nous servant de trompette ;

Et le Lièvre pourra nous servir de courrier. »

Le monarque prudent et sage

De ses moindres sujets sait tirer quelque usage

Et connoît les divers talents.

Il n’est rien d’inutile aux personnes de sens.

(Les fables de La Fontaine illustrées par Gustave Doré, 1866, pages 320 et 321)

 

Jean-Pierre Claris de Florian (1755 – 1794), poète et fabuliste, protégé par Voltaire allié de sa famille, a vécu banni de Paris pendant la Révolution, a été emprisonné durant la Terreur puis relâché. Il est mort peu après sa libération, à trente-neuf ans, ce qui explique sa soif de vivre libre et caché, sans bruit.

ÉPILOGUE

C’est assez, suspendons ma lyre,
Terminons ici mes travaux :
Sur nos vices, sur nos défauts,
J’aurais encor beaucoup à dire ;
Mais un autre le dira mieux.
Malgré ses efforts plus heureux,
L’orgueil, l’intérêt, la folie,
Troubleront toujours l’univers ;
Vainement la philosophie
Reproche à l’homme ses travers,
Elle y perd sa prose et ses vers,
Laissons, laissons aller le monde
Comme il lui plaît, comme il l’entend ;
Vivons caché, libre et content,
Dans une retraite profonde.
Là, que faut-il pour le bonheur ?
La paix, la douce paix du cœur,
Le désir vrai qu’on nous oublie,
Le travail qui sait éloigner
Tous les fléaux de notre vie,
Assez de bien pour en donner,
Et pas assez pour faire envie.

(Fables, 1794-1795, page 203)

 

André Chénier (1762 – 1794), poète et journaliste français, né à Constantinople, féru de poésie classique, est mort, guillotiné à Paris, à trente-et-un ans. Dans un de ses poèmes, il confie sa soif de paix en décrivant deux colombes qui partagent un doux amour à l’unisson. Avec elles, tout est délicatesse.

LES COLOMBES

« Que les deux beaux oiseaux, les colombes fidèles,
Se baisent. Pour s’aimer les dieux les firent belles.
Sous leur tête mobile, un cou blanc, délicat,
Se plie, et de la neige effacerait l’éclat.
Leur voix est pure et tendre, et leur âme innocente,
Leurs yeux doux et sereins, leur bouche caressante.
L’une a dit à sa sœur : « Ma sœur . . . . .

Ma sœur, en un tel lieu croissent l’orge et le millet…

L’autour et l’oiseleur, ennemis de nos jours,
De ce réduit, peut-être, ignorent les détours,
Viens . . . . . . . . . . . . . . .

Je te choisirai moi-même les graines que tu aimes, et mon bec s’entrelacera dans le tien. »
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’autre a dit à sa sœur : « Ma sœur, une fontaine
Coule dans ce bosquet . . . . . . . . . .

L’oie ni le canard n’en ont jamais souillé les eaux, ni leurs cris… Viens, nous y trouverons une boisson pure

Et nous y baignerons notre tête et nos ailes,

et mon bec ira polir ton plumage. » – Elles vont, elles se promènent en roucoulant au bord de l’eau ; elles boivent, se baignent, mangent ; puis, sur un rameau, leurs becs s’entrelacent ; elles se polissent leur plumage l’une à l’autre.

Le voyageur, passant en ces fraîches campagnes,
Dit : « O les beaux oiseaux ! ô les belles compagnes ! »

Il s’arrêta longtemps à contempler leurs jeux ;
Puis, reprenant sa route et les suivant des yeux,
Dit : « Baisez-vous, baisez-vous, colombes innocentes,
Vos cœurs sont doux et purs, et vos voix caressantes ;
Sous votre aimable tête, un cou blanc, délicat,
Se plie, et de la neige effacerait l’éclat. »

(Œuvres poétiques, 1884, pages 78 et 79)

 

Pierre-Jean de Béranger (1780 – 1857) est connu pour sa verve sarcastique quand il décrit les bourgeois, les riches. Il peut aussi composer des poèmes émouvants.

LES HIRONDELLES

Captif au rivage du Maure,
Un guerrier, courbé sous ses fers,
Disait : Je vous revois encore,
Oiseaux ennemis des hivers.
Hirondelles, que l’espérance
Suit jusqu’en ces brûlans climats,
Sans doute vous quittez la France ;

De mon pays ne me parlez-vous pas ?

Depuis trois ans, je vous conjure
De m’apporter un souvenir
Du vallon, où ma vie obscure
Se berçait d’un doux souvenir.
Au détour d’une eau qui chemine
A flots purs, sous de frais lilas,
Vous avez vu notre chaumine ;

De ce vallon ne me parlez-vous pas ?

L’une d’entre vous peut-être est née
Au toit où j’ai reçu le jour ;
Là, d’une mère infortunée
Vous avez dû plaindre l’amour.
Mourante, elle croit à toute heure
Entendre le bruit de mes pas :
Elle écoute, et puis elle pleure.

De son amour ne me parlez-vous pas ?

Ma sœur est-elle mariée ?
Avez-vous vu de nos garçons
La foule, aux noces conviée,
La célébrer dans leurs chansons ?
Et ces compagnons du jeune âge
Qui m’ont suivi dans les combats,
Ont-ils revu tous le village ?

De tant d’amis ne me parlez-vous pas ?

Sur leurs corps, l’étranger peut-être
Du vallon reprend le chemin ;
Sous mon chaume il commande en maître
De ma sœur il trouble l’hymen.
Pour moi, plus de mère qui prie,
Et partout des fers ici-bas.
Hirondelles, de ma patrie,

De ses malheurs ne me parlez-vous pas ?

(Chansons, 1826, tome second, pages 205 à 207)

 

Victor Hugo (1802 – 1885) rend hommage à son père dans un poème empli d’humanité car il nous montre son respect et son charisme envers un adversaire à terre.

APRÈS LA BATAILLE

Mon père, ce héros au sourire si doux,
Suivi d’un seul housard qu’il aimait entre tous
Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,
Parcourait à cheval, le soir d’une bataille,
Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.
Il lui sembla dans l’ombre entendre un faible bruit.
C’était un Espagnol de l’armée en déroute
Qui se traînait sanglant sur le bord de la route,
Râlant, brisé, livide, et mort plus qu’à moitié,
Et qui disait : « A boire! à boire par pitié ! »
Mon père, ému, tendit à son housard fidèle
Une gourde de rhum qui pendait à sa selle,
Et dit : « Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé. »
Tout à coup, au moment où le housard baissé
Se penchait vers lui, l’homme, une espèce de maure,
Saisit un pistolet qu’il étreignait encore,
Et vise au front mon père en criant: « Caramba ! »
Le coup passa si près que le chapeau tomba
Et que le cheval fit un écart en arrière.
« Donne-lui tout de même à boire », dit mon père.

(La Légende des Siècles, Première série, tome second, 1859, pp. 173 et 174)

 

Paul Verlaine (1844 – 1896) écrivain et poète français né à Metz et mort à Paris, publie son premier recueil, Poèmes saturniens, en 1866. Vers la fin de sa vie, il regrette ses errances de jeunesse. Dans le poème suivant, Paul Verlaine décrit ses erreurs d’antan et supplie Jésus dans un élan mystique.

PRIÈRE

Me voici devant Vous, contrit comme il le faut.
Je sais tout le malheur d’avoir perdu la voie
Et je n’ai plus d’espoir, et je n’ai plus de joie
Qu’en une en qui je crois chastement, et qui vaut
A mes yeux mieux que tout, et l’espoir et la joie.

Elle est bonne, elle me connaît depuis des ans.
Nous eûmes des jours noirs, amers, jaloux, coupables,
Mais nous allions sans trêve aux fins inéluctables,
Balancés, ballottés, en proie à tous jusants
Sur la mer où luisaient les astres favorables :

Franchise, lassitude affreuse du péché
Sans esprit de retour, et pardons l’un à l’autre…
Or, ce commencement de paix n’est-il point vôtre,
Jésus, qui vous plaisez au repentir caché ?
Exaucez notre vœu qui n’est plus que le vôtre.

(Œuvres posthumes, 1922, page 84)

Dans son recueil Liturgies intimes, Paul Verlaine n’est plus le poète provocateur de sa jeunesse. À l’approche de la mort, il demande pardon dans un élan de prière et de supplication pour sa vie qu’il a tant abimée.

AGNUS DEI

L’agneau cherche l’amère bruyère,
C’est le sel et non le sucre qu’il préfère,

Son pas fait le bruit d’une averse sur la poussière.

Quand il veut un but, rien ne l’arrête,

Brusque, il fonce avec des grands coups de sa tête,
Puis il bêle vers sa mère accourue inquiète…

Agneau de Dieu, qui sauves les hommes,

Agneau de Dieu, qui nous comptes et nous nommes,
Agneau de Dieu, vois, prends pitié de ce que nous sommes,

Donne-nous la paix et non la guerre,
O l’Agneau terrible en ta juste colère,

O toi, seul Agneau, Dieu le seul Fils de Dieu le Père.

(Liturgies intimes, 1893, page 36)

 

Arthur Rimbaud (1854 – 1891) a été un élève brillant et précoce, passionné de poésie ; en 1869, à quinze ans, il remporte le premier prix du Concours académique. Poète pionnier du symbolisme, surnommé « Le Voyant », il a créé des recueils de poèmes dont Une saison en enfer et Illuminations. Dans le poème « Le Dormeur du Val », écrit en octobre 1870 à seize ans, tout semble calme, la guerre absente et pourtant tout va basculer dans la gravité intense juste avant le point final.

Le Dormeur du Val

C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

(D’après l’original conservé à la British Library – en ligne sur Wikipédia)

 

Émile Verhaeren (1855 – 1916), belge de langue française a écrit des pièces de théâtre et un recueil de nouvelles. Il est surtout connu pour son œuvre poétique dont ses recueils Campagnes hallucinées (1893) et Villes tentaculaires (1895). Dans son très long poème « La ville » de son livre Les Campagnes hallucinées (1893), il nous emporte dans le grouillement humain. Il crache sur le papier, la folie, les hurlements, l’incendie d’un monde sans vie qui part en fumées. Voici la dernière partie de ce poème.

LA VILLE

(…)
Les bars ouvrent sur les trottoirs
Leurs tabernacles de miroirs
Où se mirent l’ivresse et la bataille ;
Une aveugle s’appuie à la muraille
Et vend de la lumière, en des boîtes d’un sou ;
La débauche et la faim s’accouplent en leur trou
Et le choc noir des détresses charnelles
Danse et bondit à mort dans les ruelles.

Et coup sur coup, le rut grandit encore
Et la rage devient tempête :
On s’écrase sans plus se voir, en quête
Du plaisir d’or et de phosphore ;
Des femmes s’avancent, pâles idoles,
Avec, en leurs cheveux, les sexuels symboles.
L’atmosphère fuligineuse et rousse
Parfois vers le soleil recule et se retrousse
Et c’est alors comme un grand cri jeté
Du tumulte total vers la clarté ;
Places, hôtels, maisons, marchés,
Ronflent et s’enflamment si fort de violence
Que les mourants cherchent en vain le moment de silence
Qu’il faut aux yeux pour se fermer.

Telle, le jour – pourtant, lorsque les soirs
Sculptent le firmament, de leurs marteaux d’ébène,
La ville au loin s’étale et domine la plaine
Comme un nocturne et colossal espoir ;
Elle surgit : désir, splendeur, hantise ;
Sa clarté se projette en miroirs jusqu’aux cieux,
Son gaz myriadaire en buissons d’or s’attise,
Ses rails sont des chemins audacieux
Vers le bonheur fallacieux
Que la fortune et la force accompagnent ;
Ses murs s’enflent pareils à une armée
Et ce qui vient d’elle encore de brume et de fumée
Arrive en appels clairs vers les campagnes.

C’est la ville tentaculaire,
La pieuvre ardente et l’ossuaire
Et la carcasse solennelle.

Et les chemins d’ici s’en vont, à l’infini
Vers elle.

(Les Campagnes hallucinées, 1893, pages 10 et 11)

 

Max Elskamp (1862 – 1931) flamand par son père, wallon par sa mère, ce poète symboliste belge, francophone, fut membre de l’Académie royale de langue et de littérature française. Sa poésie est restée profondément ancrée dans son pays natal. Influencé par son appartenance à une langue en mutation et au bilinguisme franco-néerlandais, il a soif d’un renouveau poétique. Souvent les idées exprimées paraissent simples au premier abord mais peuvent avoir plusieurs sens à décoder par chacun.

L’ANGE

Et puis après, voici un ange,
Un ange en blanc, un ange en bleu,
Avec sa bouche et ses deux yeux
Et puis après voici un ange,

Avec sa longue robe à manches,
Son réseau d’or pour ses cheveux
Et ses ailes repliées en deux,
Et puis ainsi voici un ange,

Et puis aussi étant dimanche,
Voici d’abord que doucement
Il marche dans le ciel en long
Et puis aussi étant dimanche,

Voici qu’avec ses mains il prie
Pour les enfants dans les prairies,
Et qu’avec ses yeux, il regarde
Ceux qui de plus près qu’il faut qu’il garde ;

Et tout alors étant en paix
Chez les hommes et dans la vie,
Au monde ainsi de son souhait,
Voici qu’avec sa bouche il rit.

(Huit chansons reverdies, Œuvres complètes, 1967, pages 491 et 492)

Dans son livre Enluminures (1898), les paysages sont liés aux heures, les vies aux bêtes. Dans certains poèmes, il peut effacer les traces de guerre même quand il la sait latente, et choisir d’imprégner la vie de paix durable près de la vie quotidienne, paisible, des gens et des bêtes.

ET LORS EN GRIS, ET LORS EN NOIR.

(…)
Or baume alors comme à mains pies,
ceux qui pleurent et ceux qui prient,

et paille aux bêtes, lits aux gens
de douceur et de pansement,

bonne nuit ! les hommes, les femmes,
bras en croix sur le cœur ou l’âme,

et rêve aux doigts en bleu et blanc
les servantes près des enfants ;

et paix alors toute la vie :
arbres, moulins, toits et prairies,
(…)

(Enluminures, 1898, pages 30 et 31)

 

Guillaume Apollinaire (1880 – 1918), né d’une mère polonaise et d’un père italien, est un poète français surréaliste. Considéré comme l’un des plus grands poètes du début du XXe siècle, ce précurseur du surréalisme apprécia les nouveautés. Il jongla avec les vers, les disposant différemment, utilisant de nouvelles modes d’écriture et de calligrammes. Il a écrit durant la guerre qui l’isole de sa bien-aimée, un livre Poèmes à Lou dans lequel il relate la dureté de vie des soldats dans les tranchées. Son amour jaillit vers elle, comme dans ce poème (écrit à Nîmes et daté du 17 janvier 1915) :

C’est l’hiver et déjà j’ai revu des bourgeons
Aux figuiers dans les clos. Mon amour, nous bougeons
Vers la paix, ce printemps de la guerre où nous sommes.
Nous sommes bien. Là-bas, entends le cri des hommes.
Un marin japonais se gratte l’œil gauche avec l’orteil droit
Sur le chemin de l’exil voici des fils de rois
Mon cœur tourne autour de toi comme un kolo où dansent quelques jeunes soldats serbes auprès d’une pucelle endormie
Le fantassin blond fait la chasse aux morpions sous la pluie
Un belge interné dans les Pays-Bas lit un journal où il est question de moi
Sur la digue une reine regarde le champ de bataille avec effroi
L’ambulancier ferme les yeux devant l’horrible blessure
Le sonneur voit le beffroi tomber comme une poire trop mûre
Le capitaine anglais dont le vaisseau coule tire une dernière pipe d’opium
Ils crient. Cri vers le printemps de paix qui va venir. Entends le cri des hommes
Mais mon cri va vers toi mon Lou tu es ma paix et mon printemps
Tu es, ma Lou chérie, le bonheur que j’attends
C’est pour notre bonheur que je me prépare à la mort
C’est pour notre bonheur que dans la vie j’espère encore.
C’est pour notre bonheur que luttent les armées
Que l’on pointe au miroir sur l’infanterie décimée
Que passent les obus comme des étoiles filantes
Que vont les prisonniers en troupes dolentes
Et que mon cœur ne bat que pour toi ma chérie
Mon amour, ô mon Lou, mon art et mon artillerie.

(Lettres à Lou, 1990, pages 116 et 117)

Guillaume Apollinaire s’est engagé volontairement dans l’armée française durant la guerre de 1914 et a combattu dans l’artillerie principalement en 1915 sur le front de la Champagne. Au vu des services rendus, il a été naturalisé français en 1917. Le 9 novembre 1918, très affaibli, il décède de la grippe espagnole. Son style poétique indéniable porte l’empreinte du surréalisme. Il mêle avec talent, réalité et images évanescentes, impressions et fantaisie dans une écriture différente, très personnelle. Il décrit la folie meurtrière de la guerre et les soins aux blessés près d’images décalées, hors du temps comme avec la présence d’un poisson rouge dans ce poème paru dans la revue Nord-Sud en 1917 :

FUSÉE-SIGNAL

Des villages flambaient dans la nuit intérieure
Une fermière conduit son auto sur une route vers Galveston

Qui a lancé cette fusée-signal

Néanmoins tu feras bien de tenir la porte ouverte
Et puis le vent scieur de long
Suscitera en toi la terreur des fantômes

Ta langue

Le poisson rouge dans le bocal

De ta voix

Mais ce regret
A peine une infirmière plus blanche que l’hiver
Éblouissant tandis qu’à l’horizon décroît
Un régiment de jours plus bleus que les collines
lointaines et plus doux que ne sont les coussins de l’auto

(Nord-Sud du 15 avril 1917, page 6)

Guillaume Apollinaire, dans son livre Calligrammes, Poèmes de la paix et de la guerre (1913-1916), nous emporte près des soldats qui ne savent pas s’ils seront encore en vie demain mais ils boivent pour résister et oublier le présent.

LE VIGNERON CHAMPENOIS

Le régiment arrive
Le village est presque endormi dans la lumière parfumée
Un prêtre a le casque en tête
La bouteille champenoise est-elle ou non une artillerie
Les ceps de vigne comme l’hermine sur un écu
Bonjour soldats
Je les ai vus passer et repasser en courant
Bonjour soldats bouteilles champenoises où le sang fermente
Vous resterez quelques jours et puis vous remonterez en ligne
Échelonnés ainsi que sont les ceps de vigne
J’envoie mes bouteilles partout comme les obus d’une charmante artillerie

La nuit est blonde ô vin blond
Un vigneron chantait courbé dans sa vigne
Un vigneron sans bouche au fond de l’horizon
Un vigneron qui était lui-même la bouteille vivante
Un vigneron qui sait ce qu’est la guerre
Un vigneron champenois qui est un artilleur

C’est maintenant le soir et on joue à la mouche
Puis les soldats s’en iront là-haut
Où l’Artillerie débouche ses bouteilles crémantes
Allons Adieu messieurs tâchez de revenir
Mais nul ne sait ce qu’il peut advenir

(Calligrammes, pages 176 et 177)

 

Catherine Réault-Crosnier nous demande de veiller au respect de la terre qui nous offre de quoi manger, sans oublier de partager avec ceux qui ont moins, et apporter la paix.

URGENCE

Je demande en premier,
La paix sur la terre
Car plus les hommes s’entretuent,
Plus la terre meurt
Et nous aussi.

Je ne demande rien
Pour moi si ce n’est
D’être messager de paix
Pour éteindre le feu
De la haine, de la violence
Et même de l’indifférence.

À tous les hommes,
À toutes les femmes,
Je demande d’accepter
L’autre différent de soi-même
Sans vouloir l’accaparer,
Changer ses convictions
Mais pour seulement l’aimer.

Que nos différences soient
Notre richesse sans être
Sujets à conflits ou guerres.

Plus l’homme tue l’autre,
Plus il se tue lui-même
Et aussi la terre,
Plus nous approchons
De la fin du monde.

Alors pour les autres
Et pour nous,
Restons sans nous lasser
Des messagers
DE PAIX.

 

En conclusion, les poètes ne peuvent pas rester indifférents devant les guerres. Ils expriment le vécu de mille et une manières et leurs poèmes prouvent leur engagement. En suivant les pas de poètes écrivant de manières très différentes, nous avons côtoyé le monde en paix et en guerre car au fil des siècles, il y a toujours eu une opposition entre les deux, sachant que nous ne pouvons pas non plus tout accepter. Pour certains, il y a toujours une raison de chercher une solution ou pour d’autres, d’exterminer une race, une culture. Sachons apprécier les messagers de paix.

 

Juin / août 2022

Catherine Réault-Crosnier

 

 

Bibliographie :

– Œuvres de François Villon publiées avec une introduction par Auguste Longnon, La cité des livres, Paris, 1930, XVI + 227 pages.
– Œuvres complètes de Théodore Agrippa d’Aubigné, Tome 3, A. Lemerre éditeur, Paris, 1874, 448 pages.
– Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques donnez au public par le larcin de Promethee, Au Dezert par L.B.D.D., 1616, 30 + 391 + 5 pages.
– Les fables de La Fontaine illustrées par Gustave Doré, Librairie de L. Hachette et Cie, Paris, 1866, LX + 864 pages.
– Fables de J. P. Florian, Chez Lepetit libraire, Paris, l’an IIIème de la République (1794-1795), 226 pages.
– André Chénier, Œuvres poétiques publiées par Eugène Manuel, Librairie des Bibliophiles E. Flammarion successeur, Paris, 1884, XLIV + 315 pages.
– Chansons de P.-J. de Béranger, nouvelle édition, tome second, Baudouin frères éditeurs, Paris, 1826, 4 + 270 pages.
– Victor Hugo, La Légende des Siècles, Première série, Tome second, Michel Lévy frères – Hetzel et Cie, Paris, 1859, 270 pages.
– Paul Verlaine, Œuvres posthumes, tome I, Albert Messein éditeur, Paris, 1922, 408 pages.
– Paul Verlaine, Liturgies intimes, Léon Vanier libraire-éditeur, Paris, 1893, 55 pages.
– Arthur Rimbaud, « Le Dormeur du Val » : https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Dormeur_du_val
– Émile Verhaeren, Les Campagnes hallucinées, chez l’éditeur Edmond Deman, Bruxelles, 1893, 87 pages.
– Max Elskamp, Œuvres complètes, Seghers, Paris, 1967, XXIV + 1024 pages.
– Max Elskamp, Enluminures, Paul Lacomblez éditeur, Bruxelles, 1898, 97 pages.
– Guillaume Apollinaire, Lettres à Lou, éditions Gallimard, Paris, 1990, 526 pages.
– Revue Nord-Sud du 15 avril 1917.
– Guillaume Apollinaire, Calligrammes, Poèmes de la paix et de la guerre (1913-1916), Mercure de France, Paris, 1918, 205 pages.